L'Autre

Il rentrait du travail, assis au volant de sa berline confortable.

Il fut stupéfait, au sortir d'une averse aussi étrangement brusque que passagère, de voir devant lui une voiture qu'il connaissait pour être la sienne, de la même couleur, et qui portait la même plaque que celle du véhicule qu'il était en train de conduire.

Comme elle le précédait, il décida de la suivre.

Au bout d'un moment, il se rendit compte, à mesure que les routes devenaient plus étroites et moins empruntées, que la voiture se dirigeait là où il habitait. Il en fut intrigué, un peu inquiet – avec la même plaque, il s'agissait probablement d'un faussaire ! –, et profitant d'une ligne droite, il la doubla. Puis, une fois rabattu, il regarda dans son rétroviseur.

Le conducteur lui ressemblait trait pour trait ! Un parfait sosie de lui-même !

Incrédule et choqué, il accéléra pour échapper à cette vision affolante, puis il s'arrêta à la première occasion sur le bas-côté et rassembla son calme pour réfléchir. Dans le silence de l'habitacle, les yeux ronds, le souffle court, il s'efforça de reprendre le contrôle de son cœur dont les vives pulsations lui infligeaient une douleur aiguë.

Quelques minutes plus tard, l'autre voiture glissait par la gauche, repassait devant, et il la vit poursuivre vers l'horizon, tout là-bas, jusqu'à disparaître.

Il souffla un long moment... et soudain fut pris d'une violente panique à l'abord d'une pensée qui le traversa comme un éclair. D'un coup, galvanisé par l'horrible frisson, il songea que peut-être, rien qu'en s'arrêtant, il avait commis la plus terrible des erreurs !

Il redémarra en trombe, tâcha de rejoindre la voiture qu'il avait laissé filer.

Mais ce n'est qu'en arrivant chez lui qu'il l'aperçut, de l'autre côté du trottoir, garée parfaitement devant sa maison toute blanche.

Le conducteur n'y était plus.

Il se rangea à la hâte, sortit de sa berline, pâle, fébrile. Il emprunta l'allée familière, bordée des fleurs entretenues et du gazon fraîchement tondu, et, parvenu au perron, avec une indicible angoisse, il abaissa la poignée pour entrer.

La porte de chez lui était fermée.

Il sonna. Attendit quelques secondes, raide et impatient.

C'est un homme qui ouvrit, celui de la voiture, si ressemblant qu'on aurait dit, au-delà du seuil, son exact reflet à l'intérieur de la maison. L'homme le dévisagea un moment, sans rien dire, penchant juste un peu la tête comme le ferait un animal très calme et curieux, avant de plisser les yeux, d'un air glacial. Il ouvrit la bouche, et d'une voix neutre, effrayante, inhumaine, il dit :

« Vous êtes l'Autre maintenant. Ne revenez plus. ».

Il le regarda un dernier instant, puis commença à refermer la porte, impassible et lent. L'autre ne put rien dire, éberlué, imbécile. Avant que tout fût terminé, il parvint à entendre sa femme, douce au loin, qui demandait qui était le visiteur, et sa propre voix, celle d'un homme qui était lui naguère, répondre que c'était une erreur.

Alors, d'un pas étrangement fatidique, il redescendit l'allée. Une sorte de résignation s'était abattue sur lui : c'est qu'il sentait, incompréhensiblement, d'une façon insidieuse et profonde, que tout cela était normal et juste, comme s'il avait connu et puis oublié les règles d'un très ancien jeu, et qu'il avait seulement fait son tour.

Il s'arrêta un moment sur le trottoir. Huma l'air du soir comme il commençait à faire nuit. Puis il songea qu'il devait rapidement s'en aller, vit que sa voiture, la seconde, n'existait déjà plus.

Alors, les mains dans les poches, il glissa comme une ombre sur le pavé. Il ne voyait plus rien, plus aucun son ne parvenait à ses oreilles.

Avant que les ténèbres fussent venues, il avait disparu.

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