• XXVIII • C'est pas si mal
• Les nuages cotonneux menacent de libérer leurs petits cristaux brillants et l'air glacial s'impose comme une lame vengeresse face à l'aura chaleureuse de la vie.
Depuis le canapé, même enroulé dans un plaid, je sens la fraîcheur de l'hiver essayer de me mordre les os. Le feu crépitant dans la cheminée, une pelote de fourrure vient s'entasser timidement juste devant.
J'observe avec tendresse un Shouta tout guilleret accrocher un petit mobile fabriqué de mes mains au dessus d'un gros coussin duveteux, petit nid secondaire pour le bébé chaton. Étant à la limite du burn-out émotionnel, rien que ce petit rien me fait monter les larmes.
Je sens alors son odeur envahir mon espace lorsqu'il vient se blottir contre moi. Glissant mon corps rebondi à l'extrême entre ses bras quémendeurs, j'en profite pour inspirer une bouffée de son odeur et lui voler un baiser. La voix de Shouta résonne dans le silence de notre cocon.
- Je vais aller nous faire à manger. Toujours partant pour du porc pané ?
- Avec plaisir, j'ai la dalle
Me réinstallant confortablement au chaud, je laisse mon corps tomber dans une somnolence sereine avant de sentir l'humidité de la couverture au niveau de mes jambes.
Cette sensation me procurant un petit frisson désagréable, je regarde en direction de l'amas de poils dans le but de déterminer quel chat a fauté pendant que j'avais le dos tourné. Constatant qu'aucun ne manque à l'appel, je sens les poils de mon corps se dresser les uns après les autres.
Fébrilement, je glisse une main entre mes jambes pour m'apercevoir que mon jogging est trempé. A moins d'avoir perdu l'usage de mon périnée de façon prématurée, je ne pense pas me tromper en affirmant que c'est pour maintenant.
Tremblant d'excitation et d'appréhension, laissant libre court à mon cerveau pour qu'il liste toutes les informations nécessaires à ce moment, et beaucoup d'autres inutiles bien sûr me faisant stresser à outre mesure au passage, j'essaye de stabiliser ma voix un maximum pour ne pas faire paniquer mon homme se trouvant dans la cuisine.
- Mon chat ? Où en es tu de la préparation du repas ?
- Je viens juste de commencer Katsuki, il va falloir patienter encore un peu
- Dis-moi, demain tu as des cours importants ? Ou des réunions ?
- Non, juste mon planning de base. Les premières années le matin et répétitions avec mes dernières années l'après-midi. Je serai rentré pas tard, ne t'inquiète pas
- Parfait. Au fait, je ne me souviens plus, ma valise est prête ou il manquait deux trois truc ?
- Elle est prête petit chat, depuis une semaine. Pourquoi ? Tu commences à angoisser un peu ?
- Non non, pas du tout. Je me disais juste que s'il tenait un peu plus de moi que de toi niveau ponctualité, il se pourrait que ce soit pour bientôt, très bientôt même
- Tu entends par là que je ne suis pas ponctuel ?
- C'est pas vraiment ce que je voulais dire mais effectivement...
Je n'ai pas réussi à finir ma phrase à cause d'un certain énergumène qui me rappelle à l'ordre. Sauf que ça sert à rien de m'envoyer des contractions, corps à la con, il ne sortira pas de lui même ! Replié autant que je le peux, je retiens mon souffle le temps que la douleur passe.
Mon mutisme alertant mon compagnon, je vois ça bouille apparaître dans mon champs de vision lorsque je me détends.
- Katsuki ? Tu vas bien ?
- Oui oui, c'est juste que je crois qu'un bébé chaton veut sortir
Son regard se dirige vers l'amoncellement de pelage près de feu.
- Lequel ? Ils sont tous là
- Non Shouta, pas ceux là
J'étouffe un rire devant sa bêtise et ses yeux un peu perdus qu'il me lance.
- Je parlais plutôt du tiens
On pourrait presque apercevoir ses neurones se connecter tellement sa réflexion est intense. Lorsque l'information devient limpide dans son esprit, la réaction est immédiate. Je me retrouve donc avec un matou sur ressort entrain de baragouiner de façon inaudible en faisant les 100 pas dans la pièce.
- Shouta, concentration je te prie
Il me regarde avec de grands yeux pétillants comme un gamin attendant ses cadeaux de Noël. Il laisse échapper d'une toute petite voix cette demande de confirmation qui scellera à jamais la direction à emprunter.
- Maintenant ?
- Oui, maintenant
Il disparaît à toute vitesse dans les escaliers, redescend avec ma valise, qu'il va balancer dans la voiture garée tout près, avant de revenir vers moi pour se mettre à ma hauteur.
- Tu es prêt ?
- Je suis prêt. Et toi ?
- Plus que prêt
Alors, attrapant sa main, je me lève pour aller happer ses lèvres dans un baiser fiévreux. M'emmitouflant dans une grosse écharppe, il passe sur mes épaules un châle en laine et me dirige doucement sur le siège de la voiture.
Durant tout le trajet, ses doigts sont perdus dans mes cheveux et sa voix vient adoucir les contractions qui se font de plus en plus rapprochées.
Arrivé devant la clinique, j'agrippe sa main fermement en le suivant à l'intérieur. Grillant la longue file d'attente, mon compagnon interpelle la personne à l'accueil, timidement.
- Excusez-moi, c'est pour un accouchement
Les yeux de l'infirmière glissent sur moi, incrédule, avant qu'un sourire bienveillant naisse sur ses lèvres.
- Avancez, j'appelle une de mes collègues. Elle va vous guider
En passant les portes coulissantes des urgences, une contraction me prend, douloureuse. Shouta doit faire l'effort de me soutenir pour ne pas que je m'écroule par terre comme un con. Une autre infirmière arrive en courant, poussant un fauteuil.
- Asseyez-le là, vous peinerez moins
Voyant l'homme à mes côtés commencer à paniquer sous les questions de la soignante, je prends la parole comme je peux.
- Dr Yukidaruma.. césarienne.. péridurale
- Merci, je vais vous conduire à lui
Ma main toujours verrouillée à la sienne, on se laisse guider par la demoiselle à travers les étages jusqu'à une chambre de la maternité. En sécurité dans l'étau de ses bras, je laisse le temps filer, incertain. Le timbre enjoué de mon médecin me sort de ma léthargie.
- Katsuki, Shouta. On va enfin dire bonjour à ce petit ?
A partir de ce moment, le monde autour de moi devient assez flou. Dans la salle d'opération, une tornade de médecins. La présence de mon amour toujours à mes côtés me murmurant des mots doux. Les sensations de mon corps envolées. Mon esprit dans le brouillard le plus complet. Une durée indéterminée.
Un son réussit tout de même à percer cette brume. Ce son. Celui qui me ramène sur terre et qui fait sursauter Shouta. Celui qui fait souffrir la première fois mais qui vient imposer sa présence au monde. Le premier cri d'un bébé. De notre bébé.
Mes connexions nerveuses au tapis, j'arrive tout de même à murmurer pâteusement à travers le masque à oxygène en serrant fébrilement la main de mon compagnon.
- C'est mon bébé ? Shouta ? C'est mon bébé ?
- Oui mon amour, notre bébé est là
Des larmes viennent s'échouer sur mes joues. Ce sont les miennes ? Ou les siennes ? Peu importe, plus rien n'a d'importance à part ce son. Je sens la chaleur de sa présence me quitter un instant et quand il revient près de moi, un quelque-chose est posé sur mon torse. Mes bras s'y enroulent instinctivement en même temps que mes yeux glissent lentement dessus.
Là, tout contre moi, un petit chaton gigote ses tout petits membres potelés et fripés dans tous les sens. Nu, tout rose, tout sale, le visage rougi et crispé, il ouvre sa toute petite bouche pour crier son mécontentement. Mais déjà essoufflé, épuisé par tant d'efforts demandés, il laisse de côté sa contrariété pour écouter les battements de coeur près de son oreille. Ceux qui l'ont déjà bercé pendant neuf mois. Ceux qui, aujourd'hui, apaisent son petit coeur à lui.
Un sourire incontrôlable sur le visage, nos joues inondées et nos yeux ancrés sur ce petit être, nous sommes tout deux déconnectés du monde autour.
- Shouta, on est papas
- Et je l'aime déjà
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A travers la fenêtre, les flocons de neige dégringolent du ciel, tourbillonnant et valsant entre eux tel un ballet somptueux sur les courants aériens.
A l'intérieur, un cocon d'amour où émane une chaleur irradiant de bonheur remplit la pièce. Enlacés comme s'ils ne faisaient qu'un, ils loupent tout du magnifique spectacle se déroulant à l'extérieur.
Car là, tout au cœur de ce cocon, se trouve la chose la plus merveilleuse du monde. Dépassant de loin toutes les beautés de la nature et toutes les œuvres d'art créées par les mains de l'homme.
Pourtant, cette petite merveille a elle aussi été créée par l'homme. Deux hommes plus précisément. Si imbus d'eux même, qu'ils l'ont nommé miracle.
Miracle de la nature, de la génétique, de l'amour ou bien du destin. Œuvre-d'art digne du plus beau panorama jamais vu. Fleur reflétant toutes les nuances de couleurs du monde.
Et comme à l'image de la rose du petit Prince, pour ne pas la voir flétrir, il faudra la manier avec la plus grande des délicatesse et l'arroser d'amour pour avoir la joie de la voir s'épanouir. Tel est la mission qui fut donnée à ces deux artistes dès lors qu'ils ont choisi de façonner cette merveille.
Alors, l'effleurant du bout du doigt, comme pour ne pas déjà l'abîmer, Katsuki murmure tout en se blottissant contre Shouta.
- Bonjour Makoto
Comme quoi, l'alcool, c'est pas si mal •
~•~•~•~•~•~ Fin ~•~•~•~•~•~
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