• XI • Je ne veux pas
• Les deux semaines me séparant du jour fatidique furent les plus longues et les plus désagréables de ma vie. Entre les vomissements de plus en plus imprévisibles et les nuits mouvementées dues à mon cerveau en surchauffe, mon corps a décidé de me faire chier jusqu'au bout.
J'essaye tant bien que mal de rester neutre, mais mon envie irrépressible d'affection me pousse à me réfugier dans ses bras à la moindre occasion. Les larmes me montent un peu trop facilement à mon goût et sans aucune raison. Je me suis même retrouvé l'autre jour à les laisser couler quand Deku m'a sorti "Je suis là si tu as besoin". Non mais devant cet idiot de nerd quoi ! La honte !
Depuis, que ce soit Shouta ou lui, j'ai l'impression d'être en permanence sous haute surveillance. Un peu barbant mais on ne va pas se plaindre non plus. Heureusement que ceux qui me servent de potes sont potentiellement aveugles ou abrutis. Je dis potentiellement parce que je sens le Kirishima le qui vive. Manque plus qu'il s'y mette lui aussi ...
Et pour mon plus grand soulagement, c'est le week-end que mon corps est le plus compréhensif. Si en plus je devais avoir ma mère sur le dos quand je passe les voir, autant s'exiler en haut d'une montagne. Mais bon, elle doit pas être dupe non plus, c'est ma mère quoi. Elle a bien compris que quelque chose cloche mais tant qu'elle ne sait pas quoi, je suis en sursis.
J'ai bien cru que les minutes avant midi ne voudraient jamais s'écouler, que j'allais craquer avant l'heure, mais j'ai tenu bon. J'ai rendez vous à 14h, Shouta m'a proposé d'aller manger dehors avant de me conduire à la clinique. Je ne dis pas non, je n'aurais pas tenu plus longtemps au milieu des autres.
Thaï poulet-curry, piquant comme j'aime, ça remonte légèrement le moral qui pointait dans les - 20 jusqu'à maintenant. A croire qu'il me connait quand même un peu, cet andouille.
Le midi, j'ai toujours la dalle, vu que je gerbe l'entièreté de mon estomac quelques heures plus tôt. Alors je gobe mon plat et dévore le siens, qu'il me tend sous prétexte de ne plus avoir faim. Mensonge, mais je m'en contente.
Une vingtaine de minutes avant l'heure, la boule dans ma gorge reprend place. Pourtant, il a bien tenté de meubler le temps qui restait en essayant de détourner mon attention. Mais plus forte que moi, l'angoisse m'empêche de rester calme, et mes mains se mettent à trembler.
Je sens son bras venir s'enrouler autour de mon épaule et je viens fourrer mon nez dans son tee shirt, histoire d'avoir son odeur imprégnée dans mes narines. La chaleur que son torse diffuse m'apaise un peu. Je crois que j'ai identifié malgré moi tout ce qui le constitue comme point d'ancrage quand je sombre dans la tourmente. Un peu con mais tant pis. Tout redeviendra comme avant quand cette journée prendra fin.
- On y va ? Ça va être l'heure
- Hum, ai je le choix ?
- Oui toujours
Il vient caresser mes cheveux, mélant ses doigts dans mes mèches rebelles.
- Tout ira bien Katsuki
- Oui je sais, mais je flippe quand même
- C'est normal
Le trajet fut long, le chemin du parking jusqu'à la porte encore plus long et l'attente avant d'être pris en charge interminable. Ma main ancrée dans la sienne, mes ongles plantés dans sa peau, l'air me manque.
- Monsieur ? C'est à vous
Sérieux, le monsieur, encore. Ils font vraiment aucun effort. J'ai quatre paires d'yeux sur moi maintenant.
- Je t'attends ici d'accord ? Juste là, je ne bouge pas
Et il vient m'embrasser le front avant de m'inviter à suivre l'infirmière en me lâchant la main. Une vague de froid plus que désagréable m'envahit. Je me retrouve encore seul avec moi même. Un moi qui déconne et dont j'ai extrêmement peur.
Une fois dans la salle, l'infirmière referme la porte avant de m'inviter à m'asseoir sur le lit.
- Alors, je vais prendre tes constantes et si tu le souhaites, te réexpliquer comment va se dérouler l'intervention
- Nan c'est bon, j'ai capté. Vous allez me foutre un truc dans le cul pour aspirer mon bébé
- Alors à ce stade, on ne lui donne pas encore cette nomination. On va simplement aider ton corps à évacuer cet embryon qui n'est pas à sa place. Tu comprends ?
- Ouais Ouais, je comprends
- As-tu d'autres questions peut être ?
- Vous en ferez quoi après ?
- Cela n'est jamais très agréable à entendre. Mais pour te répondre, la procédure veut que tout embryon provenant de ce genre d'intervention soit incinéré
- Super, j'adore
- Je te laisse un peu de temps avant d'appeler le médecin peut être ?
- Ouais, j'veux bien être seul
- Je reviens te voir dans une dizaine de minutes, d'accord ?
- Hum
La porte refermée derrière l'infirmière, je fourre ma main dans ma poche pour en sortir la petite image toute froissée qui représente mon bébé.
Il est vrai que je me la trimballe depuis deux mois avec moi, que je la mets sous mon oreiller la nuit et que je la regarde à chaque fois que je suis seul. Finalement, je suis peut être pas encore prêt, au vu des sanglots que je peine à retenir.
Ils sont tous là, à me dire que ce n'est pas encore un bébé, mais vu comment il me pourrit la vie actuellement, il est déjà bien réel. Et même s'il me la pourrit encore plus après, je ne veux pas de cette fin pour lui. C'est pas possible, pas comme ça. Je ne veux pas.
Il doit y avoir une autre solution. J'ai encore un peu de temps non ? C'est pas obligé aujourd'hui ? Ça peut être la semaine prochaine, le temps de trouver une autre manière de le faire partir. Oui voilà, je vais faire ça, on verra un autre jour.
Pris dans un tourbillon d'émotions qui m'empêchent de réfléchir, je replace la petite image dans ma poche, attrape mon sac et sors de cette clinique sans aucun regard en arrière même si j'entends la voix de Shouta m'appeler au loin.
Enfermé dans la voiture, sur les sièges arrières, roulé en boule, je laisse tout sortir, et ça fait mal. Très mal. Et je ne sais pas pourquoi. Je comprends pas. Je comprends plus. Je veux que tout s'arrête. S'il vous plaît.
Un corps vient se coller contre moi, me sert fort et m'enferme dans cette bulle de chaleur réconfortante. Une pression dans mon cou laisse une trace humide, puis une deuxième et encore une, pour finalement tracer un sillon jusqu'à mon front en passant par mon nez.
- Je suis là petit chat
Et il caresse de nouveau mes cheveux. Au bout d'un temps indéfini, il descend timidement sa main pour la placer sur mon ventre et la laisse là.
- Parle-moi s'il te plaît
J'aimerai mais les mots en ont décidé autrement. J'avale ma salive comme je peux et tente d'ouvrir la bouche pour essayer de placer quelques syllabes entre deux hoquets sanglotant.
- Je..ne veux..pas que..mon bébé.. parte de.. cette manière..
Cette image reste gravée sur ma rétine, je n'arrive pas à me la sortir de la tête et elle me dévaste. Je sens sa main se mouvoir doucement sur mon ventre et un baiser se poser sur ma tempe.
- Tu veux réfléchir encore un peu ?
- Mais pourtant.. Je pensais être sûr de ne pas vouloir le garder.. Je ne veux pas de cette vie là.. Mais je ne peux pas me faire à l'idée.. qu'il ne soit plus là.. qu'il parte comme ça.. Et ça me fait mal..
- Tu as encore du temps pour prendre cette décision, ne te presses pas si tu doutes
- Mais si arrive le terme possible pour l'avortement et que je ne sais toujours pas ?
- On avisera à ce moment là. Je t'aiderai à prendre une décision et je ne te lâcherai pas. Je resterai toujours près de toi pour te soutenir. Tu n'es plus tout seul, ne l'oublie pas
- Heureusement, je ne sais pas ce que j'aurais fait sans toi..
- N'y pense pas d'accord. Tu veux que je te ramène chez toi ?
- Et chez toi ? Je ne veux pas rester tout seul
- Bien sûr. J'ai pris mon après midi de toute façon. Prend le temps qu'il te faut, je te ramènerai quand tu seras prêt
- Merci Shouta
- C'est normal petit chat
Ce petit surnom anodin qu'il a choisi de me donner finit de me calmer. Avant que mon cerveau s'emballe de nouveau sur le trajet.
Merde, je ne veux pas de ça, pas de cette vie. Mais je ne veux pas que ça finisse comme ça non plus. Pourquoi c'est si douloureux ? •
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