Enfant-lune, légende eddasque


Lorsque l'univers était encore un magma informe, les dieux n'avaient d'endroit où se reposer. Ils firent alors la terre. Large coupole d'eau dans laquelle baignaient les contrées connues et les iles lointaines.

Agami fut la première à descendre sur la terre, mais le manque de lumière la fit arriver dans l'eau. On dit qu'elle erre toujours dans les abysses.

Les autres dieux, en entendant le bruit qu'avait fait Agami en arrivant sur terre, devinèrent son sort. Arben souffla alors et les étoiles lointaines se rapprochèrent les unes des autres pour former le soleil. Le soleil vit alors que son éclat éclipsait toute chose et se fit donc femme.
Les dieux descendirent alors sur terre. Raopsel rejoint toutefois Agami au fond des mers pour la ramener dans le monde illuminé. Certains prétendent qu'il s'y est perdu à son tour et recherche depuis sa bien aimée. D'autres qu'ils se sont retrouvés mais se sont plûs sous les embruns. Les gens des côtes aiment à chuchoter que les vagues sont nées de leurs ébas répétés et que les espèces des océans sont autant de leurs enfants.

Bientôt les dieux se lassèrent de ce jour perpétuel. Dans le néant ils pouvaient dormir quand cela leur chantait, mais dame-soleil rayonnait comme un millier d'étoiles; ce qu'elle était assurément; et cela les empêchait de dormir. Leopsas changea alors la forme de la terre, créant les montagnes, les falaises, et bientôt les arbres, pour pouvoir dormir dans leur ombre. Ce qu'ils firent.

Dame-soleil se rendit bien vite compte de leur disparition. Où qu'elle balayait ses rayons, elle ne voyait que lande déserte. Elle se déplaça alors dans la toile céleste pour voir derrière les rochers, derrière les arbres et derrière les montagnes.

Les dieux, surpris dans leur sommeil, jugèrent en se concertant que montagne et rochers ne suffiraient pas à se dérober à l'astre. Kranaïn, n'étant pas aussi soucieux d'en conserver les bonnes faveurs, décida de s'enfoncer dans les profondeurs de la terre pour trouver une autre source de chaleur, moins vaniteuse, et plus commode à ses yeux fragiles.

Melos, que les autres qualifiaient d'espiègle, malicieux parfois, s'adressa alors à dame-soleil, vantant ses mérites, sa courbe parfaite, si parfaite qu'il souffrait de poser ses yeux dessus. Il lui dit que certainement elle était aussi belle sur tout son pourtour.
L'astre du jour éternel lui dit que certainement ce devait être le cas. Elle demanda alors comment s'en assurer.

Melos, pensant que ce faisant, il gagnait la faveur de ses frères, l'enjoint de partir loin vers l'ouest, au delà du disque, d'en faire tout le tour, même s'il fallait. Si bas sur l'horizon, il saurait en apprécier mieux la courbe.

Et dame-soleil de s'exécuter. Survolant d'autres contrées, jusqu'au bord du grand disque, duquel la mer coule sans fin. Lorsqu'elle passa la grande cascade, elle prit peur de l'eau, mais cette-ci la rafraîchit, redorant son lustre une fois puis deux fois quand elle arriva à l'est.

Sous le disque-monde, il n'y avait que le néant pour l'accueillir, elle plaint la pauvre imagination de ces dieux qui l'avaient mise au monde. Mais lorsqu'elle ressurgit, ces derniers crièrent presque de joie. Dans le noir, ils avaient eu, certes, le temps de dormir de tout leur saoul, mais s'étaient ensuite embêtés. Lorsque la lumière avait paru à nouveau, à leurs côtés se promenaient toutes sortes de créatures. Une espèce semblait sortir du lot. Parce que ses représentants paraissaient se servir de leurs narines pour humer l'air environnant, ils les appelèrent humains.

Lorsqu'elle réapparut au dessus d'eux, Melos vanta auprès de dame-soleil sa robe chatoyante quand elle se glissait sous le monde, sa courbe, si ingénieusement ronde, et le souvenir fugace de sa chaleur quand elle se dérobait à ses yeux. Tout cela donna envie à l'astre du jour de faire un autre tour, et bien d'autres encore.
Aussi, elle disparut à nouveau sur l'horizon, trainant toutefois autant que possible dans le ciel pour se laisser admirer. Les autres dieux se tournèrent alors vers Melos. Au lieu de reconnaissance, il lisait la colère dans leurs yeux.
Ils croyaient voir un bienfait dans cette lumière, alors même qu'elle disparaissait, et sa constante présence leur avait fait oublier le pourquoi de sa création. Son absence était devenue une nuisance, aussi Arben l'appela nuit.
Melos trouvait les autres dieux bien ingrats et la rancune grandit dans son coeur. Il saisit la poussière du sol, la serra dans sa paume pour en faire une boule grossière et la lança dans les airs. Il l'appela lune, et elle resta là à son tour, à briller du pâle halo que la poussière lui donnait, imparfaite, pleine de défauts, expression de la colère de Melos. Parce qu'elle était imparfaite, elle fut faite mâle.

Melos voulait punir ses frères et soeurs par ce fait mais ces derniers apprécièrent le côté brut de l'astre qui contrastait avec dame-soleil. Il était possible de poser les yeux dessus sans souffrir, et un sentiment étrange les saisissait ce faisant, si bien que même Kranaïn se mit à sortir la tête parfois la nuit pour en contempler la blancheur, quand il n'était pas occupé à parer la terre d'or et de pierres précieuses. Cependant, pour ne pas froisser l'astre de lumière, ils demandèrent à la lune de tourner en même temps, les dérobant l'un à la vue de l'autre dans une poursuite éternelle.

Le jour eut son astre et la nuit de même. Les jours se succédèrent, toujours suivis de nuits.
Mais la lune, qui ne voyait pas autant la nécessité de rester si longtemps dans le ciel, rattrapait parfois dame-soleil. Il en distinguait l'éclat au loin, et s'arrêtait à chaque fois, fasciné par le rougeoiement que prenait son horizon. Celui-ci se dissipait alors, dame-soleil ne s'arrêtant pour rien ni personne, et la lune se demandait quelle était cette splendeur évanescente. À chaque fois qu'il s'avançait un peu, il refaisait face à ce dégradé de lumière au loin, et restait, subjugué, en retrait le temps qu'il disparaisse.

De plus en plus curieux, ne parvenant à trouver réponse à ses questions, il interrogea les étoiles. Ces dernières lui confièrent alors la nature du rougeoiement. La superbe de l'astre du jour, qui ne s'arrêtait même plus pour les siens, et qui brillait tant le jour qu'il les éclipsait. Elles continuèrent à parler de la sorte, critiquant en long et en large dame-soleil, mais la lune n'écoutait plus. Toutes ses pensées et tout son être étaient tournés vers ces mots : l'astre du jour.
Ainsi il n'était pas seul à tourner autour du disque-monde. Les dieux s'étaient bien gardés de révéler à la lune l'existence du soleil, de peur que ce dernier ne se fâche qu'on ait fait une pâle copie de lui pour régner sur la nuit.

Fou d'espoir, malade d'amour, la lune s'efforça de rattraper le globe de feu, mais dame-soleil était sourde à ses appels. Elle poursuivait sa route, curieuse tout de même de ce nouvel astre, heureusement bien plus vilain qu'elle.
Comprenant qu'elle ne dévierait de sa course pour rien ni personne, et qu'elle l'attendrait bien moins encore, il résolu de modifier sa trajectoire, dans l'espoir qu'ainsi leurs chemins se croiseraient un jour.

Ainsi jour après jour, nuit après nuit, au grand dam des dieux, la lune se rapprochait de son homologue. Un jour, elle fut assez proche que pour constater qu'elles étaient de la même taille dans le ciel, que sûrement cela ne pouvait être un hasard. Cela la rengaillardit. Une autre fois, elle fut assez proche que pour en ressentir la chaleur. Elle en vint à trouver la nuit bien froide, et résolut plus que jamais de se rapprocher suffisamment que pour la frôler, en caresser, peut-être, la courbe parfaite.

Dame-soleil était seule depuis trop longtemps dans le ciel que pour rester insensible aux charmes de ce nouveau-venu. Sa fraîcheur lui rappelait la grande cascade, mais elle avait ceci de particulier qu'elle ne diminuait pas son éclat. Au contraire, dans la comparaison, elle ne brillait que davantage.

On commença alors à voir la lune en plein jour et des nuits noires, mais la lune n'écoutait plus les dieux qui protestaient, elle n'avait d'yeux que pour son aimée. Lorsque son orbite la menait loin de son amour, on la voyait péricliter, disparaître presque dans la nuit, avant de grossir à nouveau dans l'espoir que lui donnait leur rapprochement. Enfin, les deux astres se croisèrent. Moment extraordinaire où la lune prit l'aval sur le soleil, noircissant le jour dans leur extraordinaire union. Les dieux murmurèrent et les humains crièrent, gesticulèrent, se perdant dans les dérélictions qui découlaient de la folle union.
Mais celle-ci ne pouvait être que provisoire, et chacun des astres continua son chemin, priant de se croiser encore.

Dame-soleil tremblait de tout son être et se battait pour garder contenance. Un instant, un terrible instant, la lune avait règné sur le jour. Elle voulu croire qu'elle l'avait permis, mais elle devait se rendre à l'évidence, elle avait goûté à la fascination des dieux pour l'astre. À l'inexplicable force, au pouls silencieux, qu'elle sentait maintenant se manifester en elle.

Sa gestation dura trois jours, trois nuits. Trois jours par dessus les terres connues pendant lesquels elle craignait de voir naître un autre soleil qui lui ferait de l'ombre, et trois nuits sous le monde, où le néant la rassurait. À son soulagement elle donna vie au quatrième matin, sous la cascade qui donnait sur le jour. Les flammes de l'enfant qui sortit de son sein étaient encore trop fragiles que pour résister au filet d'eau, et ainsi l'enfant naquit Lune sur le monde. Son éclat garda toujours cette particularité, ce brillant étrange, cet halo, enfin, qui témoignait de son ascendance solaire, rappel constant aux yeux des hommes de ce qu'il aurait pu être.
Sans ordres de la part des dieux, qui se satisfaisaient d'avoir un astre pour le jour et un pour la nuit, trop craintif du néant et de la cascade qui l'avait condamnée que pour suivre sa mère ou son père de l'autre côté de la grande coupole, l'enfant-lune dériva inlassablement sur le monde.

************************************

Dédicace à SBPark, ma première fan


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top