Quelqu'un pour m'aimer

           Quand Annette lève les yeux de son livre, la pièce est plongée dans la pénombre. Les vitrines sombres de la bibliothèque de l'Institut de magie de Fhirdiad déploient leurs ombres majestueuses autour des rares lampes encore allumées. Annette se frotte les yeux au-dessus de son ouvrage de magie du vent, puis s'étire pour détendre son dos ankylosé par des heures d'étude. Elle est entrée à l'Institut à 14 ans, et en un an, elle a l'impression d'avoir à peine effleuré l'immense réserve de connaissances qu'abrite l'auguste établissement. Dès qu'elle peut, elle se plonge donc dans toutes sortes de lectures, au point de perdre la notion du temps. D'ailleurs, elle adore étudier à cette heure de la nuit où le lieu lui appartient à elle seule.

            Cependant, ce soir, elle croit distinguer une auréole brillante en mouvement dans l'obscurité grandissante. Elle plisse les yeux. La lumière ceint une silhouette perchée sur une échelle. Annette se redresse, refermant machinalement son livre pour le serrer contre elle comme un bouclier. Les ténèbres l'effraient autant que les fantômes qui peuvent s'y nicher.

            En dépit de sa peur, elle s'avance prudemment vers la forme lumineuse. Il y a forcément une explication logique à cette lueur, comme une lanterne qui se balance ou un reflet dans un miroir, et elle veut en avoir le cœur net. À mi-chemin, elle reconnaît une jeune femme blonde et élancée déjà croisée en classe. Les bras tendus, elle range des livres sur les étagères en chantonnant. Avec un soupir de soulagement, Annette s'approche en alourdissant le pas pour ne pas surprendre l'étudiante et risquer de causer une chute dangereuse.

            Mercedes, si Annette se rappelle correctement son nom, se retourne et accueille son arrivée avec un doux sourire.

— Vous êtes bien tardive, Annette.

           Que Mercedes se souvienne aussi de son prénom réchauffe agréablement le cœur d'Annette. Elle désigne son livre.

— J'étudiais ici en attendant que la fête organisée par ma colocataire se finisse. Elle quitte l'Institut demain et on dirait qu'elle tient à ce que tous les étudiants assistent à son départ. Je ne pourrai pas rentrer dormir avant un moment.

            Annette esquisse une grimace éloquente qui lui vaut un petit rire cristallin de la part de Mercedes.

— Je me suis plongée dans ce livre de tactique de siège et il m'a tellement passionnée que la nuit est tombée sans que je m'en rende compte.

            Annette balaye de la main les environs déserts puis reporte son attention sur Mercedes.

— Et vous ? Que faites-vous ici si tard ? Vous savez que vous brillez ?

— La bibliothécaire a des douleurs au dos en ce moment, alors je lui ai proposé de ranger les livres. Le halo lumineux m'aide à y voir clair dans les étagères. C'est un petit tour de magie pas trop compliqué à maîtriser.

           Mercedes époussette ses mains et sa robe.

— D'ailleurs, j'ai fini. Est-ce cela vous plairait de m'accompagner pour grignoter quelques biscuits autour d'un thé ?

           Surprise par cette invitation si spontanée, Annette ne répond pas tout de suite. Mercedes élargit son sourire, comme pour la rassurer, et la lumière autour d'elle semble briller plus fort. Annette cligne des yeux et hoche la tête, ensorcelée par la douceur de celle qu'elle a d'abord pris pour un fantôme. Elle la suit à petite foulées pour ne pas se laisser distancer par les grandes enjambées de sa compagne. Captivée par l'aura qui émane de sa camarade, elle en oublie même de poser l'ouvrage toujours serré contre sa poitrine.

           L'heure suivante passe comme dans un rêve. Mercedes a obtenu l'autorisation de préparer des biscuits en cuisine. L'aide qu'elle prodigue autour d'elle lui attire l'amitié et la confiance des employés de l'Institut, ce qui lui permet d'accéder à des endroits inaccessibles aux autres étudiants. Elles dégustent les pâtisseries en discutant à bâtons rompus. La conversation est si naturelle et détendue qu'Annette a l'impression de retrouver une grande amie longtemps disparue.

           Quand elles se séparent, tard dans la nuit, elle se demande si elle n'a pas rêvé cette apparition lumineuse et la chaleur de son accueil. Cependant, le lendemain, Mercedes lui propose d'être son binôme en travaux pratiques de magie de soin, et une semaine plus tard, elle emménage avec elle à la place de sa bruyante colocataire.


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