Chapitre 7 ~ L'Hôpital
Première Partie : Dehors
Chapitre 7 : L'Hôpital
Du bout des doigts je tiens l'arme que Vanessa m'a forcé de prendre. Je ne me sens pas à l'aise avec un tel engin dans les mains. Mon but en quittant l'institut n'était pas de galoper partout en ville pour sauver un garçon qui se fiche de moi et survivre à une apocalypse étrange dont je ne connais pas les circonstances. Je suis seulement au courant que des créatures terrifiantes se nourrissent d'êtres humains.
Et ça me fait terriblement peur.
Je me demande si à l'institut, Alfred était au courant de ce qu'il se passait dehors. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il me mettait sans arrêt en garde et me faisait rêver de paysages enchanteurs. Il voulait que je garde toute mon innocence. Je l'ai finalement perdue en une journée seulement et je la regrette amèrement.
Ignorer certains détails, parfois, ce n'est pas si mal. On dirait que nous sommes programmés pour vouloir tout savoir tout de suite, parce que l'ignorance nous rend vulnérables et inutiles. Moi, je trouve à présent qu'ignorer certaines choses n'est pas plus mal que de tout savoir. Il faut savoir filtrer le bien du mal.
Et dans ce monde, je n'y décerne que du mal.
— Il y a quelqu'un ? appelle Jasmine.
Sa voix résonne dans tous les corridors qui nous entourent, cette ambiance sombre et lugubre me donne la chair de poule. On dirait que ce bâtiment est abandonné, beaucoup moins vivant que l'institut.
Là-bas, même la nuit il y avait des médecins et autres professionnels qui se baladaient dans les couloirs, il y avait toujours du bruit et mes cris ne résonnaient pas. Ils ne quittaient jamais ma chambre vitrée par laquelle on m'observait comme un sujet de laboratoire.
Jasmine avance l'arme en avant, doucement, comme si elle était nerveuse. Vanessa l'imite, tout comme Evan alors que Charlie se contente de marcher normalement. On dirait que rien ne lui fait peur, mais c'est certainement une apparence qu'il se donne, une sorte de carapace pour se sentir protégé.
— Vous pensez que les ascenseurs marchent encore ? demande Evan.
Nous sommes dans une allée, il y a des portes coulissantes comme à l'institut et à priori, elles portent un nom. Je n'y avais jamais prêté réelle attention avant.
Charlie appuie sur les six boutons, seulement un s'allume, une sonnerie de quelques secondes retentit comme un four aurait fini de cuir du poulet et les portes s'ouvrent automatiquement.
— C'est dingue, on dirait bien que c'est notre jour de chance, lance-t-il sur un ton sarcastique.
J'aurais pensé que l'hôpital n'avait plus d'électricité, comme partout en ville. Je trouve cela étrange, mais garde ma pensée pour moi-même. Je monte dans la cabine, Charlie aussi et avant que les autres ne puissent entrer, les portes se referment, sans qu'on ait le temps de les bloquer. Je me colle contre le fond de la cabine, je sens ma respiration s'accélérer et je panique. Il fait sombre, les néons grésillent et je ne me sens pas à l'aise en sa compagnie.
— Merde, jure-t-il.
Il passe une main dans ses cheveux emmêlés puis se tourne vers moi. Il me dévisage, je suis persuadée qu'il juge mon comportement. J'ai l'air d'avoir toujours peur, c'est le cas, je ne connais rien à ce monde et c'est la première fois que j'ai des contacts avec d'autres personnes.
— Bon écoute, c'est pas grave, pas besoin de pleurer. On va sortir d'ici et...
Un bruit sourd retentit, les néons s'éteignent subitement et la cabine descend à toute vitesse. Je m'accroche aux barres de sécurité, alors que Charlie est collé contre l'une des parois. La cabine finit par s'arrêter brusquement, me retrouvant sur les fesses, une douleur vive assaille mon coccyx.
Charlie se redresse à l'aide des barres, je peux enfin le voir puisque les néons se sont rallumés et son air prétentieux a quitté son visage. Il est déformé par la crainte, des mèches de cheveux cachant quelques parcelles de sa peau.
— Je disais donc qu'on allait sortir trouver ce qu'il me faut et se barrer de cet endroit merdique.
— Il faut qu'on retrouve les autres... je bégaye.
— On va les retrouver, tu me prends pour qui ? J'vais pas me casser sans eux, sans toi par contre... ça me dérangerait pas.
Je lui lance mon pire regard, mais cela ne semble pas lui faire d'effet. Lorsqu'on est de nouveau sur pieds, Charlie me demande de l'aider, il tente d'ouvrir les portes coulissantes qui restent bloquées. Je m'approche, cale mes doigts dans les fentes et je tire sur la gauche tandis qu'il tire sur la droite. Ma porte s'ouvre d'un coup, ce qui me fait tomber en arrière. Charlie écarquille les yeux et se met à rire.
— Wonder Woman en personne, incroyable !
Sans m'attendre, il quitte la cabine de l'ascenseur, j'aurais aimé qu'il m'aide à me relever, mais il ne semble pas connaître la politesse, je me débrouillerai donc toute seule. Quand je le rejoins à l'extérieur, je ne suis plus étonnée de me trouver dans un couloir sombre, tous les décors de cette bâtisse se ressemblent et l'odeur qui y règne est répugnante.
— C'est quoi cette odeur ? je demande en le suivant de près.
L'atmosphère est pesante, j'ai l'impression d'être observée et suivie. Je n'ai qu'une envie : quitter cet endroit.
— La mort, Anna, c'est l'odeur de la mort.
Alors la mort a une odeur ? Je n'y avais jamais pensé avant. Je ne l'aime pas, elle sent mauvais, elle donne la nausée et procure un sentiment de tristesse indescriptible. Je déteste la mort, son nom, son odeur, son aspect, ses actions...
Un étrange bruit métallique retentit à travers les couloirs, je m'accroche au gilet de Charlie, le freinant brusquement, mes yeux sont grands ouverts dans l'obscurité, à l'affût.
— Qu'est-ce que c'était ?
Je chuchote, agrippée à lui comme une sangsue.
— Lâche-moi, c'était certainement l'un des leurs, mais si on ne fait pas de bruit et qu'on est rapide, on les évitera.
— Pourquoi ?
— Parce qu'ils sont aveugles, enfin, pas complètement, c'est compliqué.
Il reprend sa marche et je reste derrière lui, mon arme en main. Je ne peux m'empêcher de regarder derrière moi, de jeter des regards aux portes fermées qu'on dépasse. Je suis persuadée qu'on est suivis, des bruits résonnent partout, mais je ne sais distinguer si ce sont des bruits de pas, ou simplement le vent qui frappe les murs de l'hôpital. Le sol est recouvert de paperasse, de débris et de traces sombres... Des brancards traînent dans les couloirs, des chariots et autres meubles et objets que je connais déjà, étant donné qu'ils avaient les mêmes à l'institut, bien que légèrement améliorés.
— Pourquoi c'est compliqué ? Quand on est aveugle, on ne voit rien, c'est ça ?
Je continue de parler à voix basse, dans l'espoir de rester discrète. Charlie pose sa main sur la poignée d'une porte sur laquelle est inscrit « privé », il l'ouvre brusquement et braque son arme et sa lampe torche devant lui, l'endroit semble vide, des étagères remplissent la pièce, elles sont pleines.
— Génial, on va trouver notre bonheur ! s'enthousiasme-t-il.
Il me fait entrer et referme la porte derrière lui. Il s'empresse alors de fouiller pour trouver tout ce dont il a besoin, il n'est pas retombé malade depuis la dernière fois, mais son teint reste cadavérique, c'en est terrifiant.
— Je t'ai posé une question... je souffle.
— Oui, Anna, quand on est aveugle on ne voit rien. Mais eux, ils sont différents des êtres humains. Eux, ils ont l'ouïe fine, le moindre petit bruit les attire, et s'ils sont en meute, ils sont imbattables. Leur peau est dure comme du béton, quasiment impossible à percer par balle...
— Oh... ils ne sont pas humains, alors ?
Charlie se retrouve avec des boîtes de compresses, du désinfectant et des sparadraps dans les mains. Il s'assoit contre une étagère et éparpille tout entre ses jambes. Il retire rapidement son gilet, son arme posée à ses côtés et s'empresse de nettoyer la blessure qui lui cause du tort depuis le départ de la maison.
— Tu trouves qu'ils ont une tronche d'humain ?
— Je ne sais pas... je ne les ai jamais vus...
Je le vois qui peine à se prodiguer des soins. Je m'accroupis alors devant lui et m'en occupe à sa place. Il me lance seulement un regard étonné, mais se laisse faire. Je vide d'abord le liquide désinfectant sur la plaie béante de son bras, il serre les dents, jette sa tête en arrière et pousse un râle. J'ignore et nettoie le sang à l'aide d'une compresse propre, lorsque c'est fait, j'enroule une bande autour de son bras et la fixe avec du sparadrap une fois qu'elle est parfaitement serrée.
— Il faut que tu nettoies ta blessure tous les jours pour qu'elle ne s'infecte pas.
— Ouais, je sais.
Charlie se relève, range tout le matériel volé dans son sac qu'il remet rapidement sur ses épaules avant de se munir de nouveau de son arme. Nous sortons alors de la pièce qui me semblait tellement sécurisée comparé au reste de l'hôpital et nous nous dirigeons à l'aide des panneaux d'indication sur les murs et pendus au plafond. Cette fois, nous prendrons les escaliers.
Alors que nous tournons à droite, dans un nouveau couloir, j'entends des pleurs, ils proviennent d'une chambre et il semble que ce soit une femme qui sanglote. Je m'arrête et tends l'oreille, sans savoir pourquoi, je me dirige vers l'endroit d'où proviennent les pleurs, sans faire attention à Charlie qui me demande de le suivre.
Je pousse la porte entrouverte et j'aperçois alors au fond de la chambre, dans le noir, près d'un vieux lit aux draps tachés, une silhouette assise contre un mur, recroquevillée et sanglotante.
Je sens la main de Charlie sur mon épaule au même moment, il se penche par-dessus celle-ci pour voir ce que je regarde.
— Je l'ai entendue pleurer, on ne peut pas la laisser ici.
— Non, Anna, on se tire.
— Mais cette pauvre femme ?
— On s'en va je t'ai dit.
Charlie regarde dans le couloir derrière nous tandis que mon cœur me dit d'aider cette femme. Je prends la lampe torche des mains de Charlie et la braque sur l'inconnue en sanglot. Elle relève la tête au même moment, poussant un terrible cri qui attaque mes tympans. Elle est terrifiante, ses yeux sont blancs, elle n'a pas de nez ni d'oreilles, et sa bouche est si grande... sa peau luisante, elle ne porte aucun vêtement...
— Anna ! Suis-moi ! me crie Charlie.
Il m'embarque avec lui dans le couloir, le cri semble avoir alerté d'autres de ces choses puisque quand je regarde derrière moi, il y en a cinq à notre poursuite. Je crois n'avoir jamais couru aussi vite depuis mon évasion de l'institut et je n'ai même jamais eu aussi peur. J'ai lâché la lampe torche, maintenant, on ne se guide qu'à la lumière du jour qui passe à travers les planches de bois recouvrant les fenêtres.
Ces choses poussent des cris et grognements derrière nous. Je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil par-dessus mon épaule, j'en vois une s'accrocher au mur, comme une araignée, elle est si agile et rapide...
Ils sont grands, filiformes, la peau visqueuse et le visage terriblement laid...
Charlie m'empoigne le bras et pousse une porte avec son épaule, nous montons alors des escaliers qui semblent interminables.
— Où est-ce qu'on va ?
— Au rez-de-chaussée ! crie Charlie.
— Où est-ce qu'on était ?
— J'en sais rien ! Près des blocs opératoires !
Mes cuisses me font mal, je n'ai pas l'habitude de courir autant et de monter les marches aussi vite. Mes muscles me tiraillent et mon cœur bat si fort contre ma poitrine que je crois l'entendre dans mes oreilles.
L'une des créatures s'accroche à la rambarde, elle est pendue dans le vide et m'agrippe le bras. Je m'arrête brutalement et manque de tomber en arrière, tandis que les quatre autres continuent leur ascension jusqu'à nous. Je hurle de terreur, ce qui alerte Charlie. Il braque son arme sur nous et tire sans hésiter, il touche la chose qui lâche prise et tombe de quelques étages. J'en profite pour monter de nouveau et nous quittons enfin la cage d'escalier.
Alors qu'on traverse un couloir qui ressemble à tous les autres, on aperçoit enfin Evan et les autres.
— Courez ! leur hurle Charlie. Il faut se barrer !
Ils comprennent aussitôt en voyant les monstres à nos trousses. Evan tient les portes du bâtiment et nous sortons à l'extérieur, jusqu'à la voiture. C'est Jasmine qui se met au volant, elle démarre aussitôt et fait une marche arrière brutale, je me cogne contre Vanessa puis me retourne aussitôt en m'accrochant aux sièges pour voir où en sont les monstres. Ils ne sont pas sortis, comme effrayés par la lumière du jour.
Jasmine roule maintenant sur la route, droit devant, elle roule si vite que je n'en suis pas rassurée. Je me colle contre mon siège et pousse un profond soupir.
— Ils t'ont griffé ?
Vanessa regarde mon poignet, en effet, j'ai trois griffures parfaitement distinctes qui rayent ma peau. Je tire la manche de ma veste et lui adresse un sourire pour le moins déformé.
— Tout va bien, je vais bien.
Or, à cet instant, rien ne va.
Jasmine freine brusquement lorsqu'une femme se tient en plein milieu de la route déserte que nous suivions. Elle perd le contrôle du véhicule et le pire semble se produire.
Je crie, effrayée à l'idée de mourir maintenant.
Alors je ferme les yeux, si fort que je ne suis pas sûre de les rouvrir un jour. Je pense à plein de choses en même temps, mais à eux plus que tout, à leur visage, leur voix...ils doivent vivre.
Le temps semble s'être arrêté, peut-être suis-je morte.
Je décide alors d'ouvrir les yeux, je me trouve sur la route, je ne suis plus sur mon siège de voiture, à côté de moi se trouvent Evan, Charlie et Vanessa. Tous les trois semblent aussi perdus que moi et nous sommes spectateurs de l'horreur qui se produit sous nos yeux.
La voiture qui semblait mise sur pause tourne finalement sur elle-même, des débris volent sur la route, s'écrasent dans les fossés, puis elle arrête ses tours pour se retrouver sur le toit, à l'envers dans le décor.
Le silence retombe comme un éclair sur la Terre. Mon cœur a certainement cessé de battre une fraction de seconde, ma vue est floue, due aux larmes qui noient mes yeux et tous mes muscles tremblent tant ils ont été contractés.
— Jasmine ! s'égosille Vanessa en se relevant.
Elle titube légèrement avant de retrouver une stabilité correcte, elle court jusqu'à la voiture, suivie très rapidement d'Evan.
Moi, je reste assise par terre, sur le béton froid, troublée par ce que j'ai vu. Quand je tourne lentement la tête, j'aperçois Charlie qui me fixe de ses yeux ténébreux, il semble sous le choc, mais quelque chose se perd dans son regard...
Une odeur d'essence pénètre mes narines, le goût du sang tiraille ma langue...
Il se lève sans un mot pour rejoindre ses amis, et je reste assise au même endroit, incapable de bouger ne serait-ce que le petit doigt.
Je vois rapidement Evan porter le corps inerte de Jasmine, sa petite amie, elle me l'avait confié dans la voiture avant d'aller à l'hôpital, sans oublier de me dire qu'elle était folle amoureuse de lui. Il la dépose délicatement sur le sol, loin de la voiture de laquelle s'élève une épaisse fumée noire. Il la garde dans ses bras, sa tête pend en arrière, ses yeux sont ouverts, tout comme sa bouche et du sang recouvre son visage, goutte de ses cheveux bouclés ...
— Réveille-toi, je t'en prie !
Evan hurle, pleure, et ne cesse de supplier que Jasmine ouvre les yeux. Mais il est certain que son cœur ne bat plus, que son sang ne circule plus dans ses veines, que son cerveau est éteint, tout comme son âme...
Vanessa ne cesse de pleurer et Charlie s'avance vers moi, toujours par terre. Je lève lentement ma tête vers lui, je ne saurais décrire son regard, ni même le mien à cet instant. Mais je sais que Vanessa et Evan me regardent aussi, de là où ils sont.
Ma respiration s'accélère et des larmes coulent sur mes joues.
Que s'est-il passé ?
Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Charlie... je murmure dans un soupir. Je suis désolée ! Tellement désolée...
Il ne rétorque rien, il m'observe, comme s'il ne m'avait jamais vu avant.
— Qui es-tu, Anna ?
C'est la seule question qu'il me pose. Les seuls mots qui sortent de sa bouche.
Et moi, que suis-je censée répondre ?
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