Chapitre 2 ~ La Crise

Première Partie : Dehors
Chapitre 2 : La Crise

On a beau croire qu'on va mieux, que tout prendra fin très vite, on se trompe.

Parfois, on est tellement atteint qu'il n'y a aucune échappatoire et on est alors forcé d'affronter ses plus sombres démons. Seul. Je ne me souviens pas de mon arrivée dans cet institut, ni réellement pourquoi j'ai été intégrée dans celui-ci. Je me souviens juste avoir ouvert les yeux un jour, et depuis ce jour, je ne suis jamais sortie.

Ils peuvent me donner tous les traitements possibles et inimaginables, rien ne change et tout empire. Surtout depuis l'événement dans la cuve.

— Il faut que tu manges ! Ça fait déjà trois jours, si tu ne te nourris pas, ton état va empirer.

Je suis assise devant une assiette qui me dégoûte, je n'ai plus envie de manger, j'ai tout le temps envie de dormir, mais chaque fois que je dors, mes rêves sont noirs, je n'y vois rien, juste ces chiffres et ce nom avec cette lumière bleue. Ça me hante tellement que mon état empire à cause de tout ça.

Et je n'ose en parler à personne.

J'ai beau sentir l'odeur de ce poulet artificiel, j'ai beau humer la fumée de cette nourriture brûlante, rien n'y fait, mon estomac ne gargouille pas et mes sens sont absents.

— Ma Luciole, il faut que tu manges, me lance Alfred de l'autre côté de la vitre.

Je suis enfermée dans un aquarium et des inconnus en blouse blanche observent mes moindres faits et gestes.

— Je ne suis pas une luciole ! je m'écrie en tapant du poing sur la table ce qui fait sauter mes couverts dans un bruit métallique.

Je lève alors la tête vers la vitre et les fusille du regard. Je les sens troublés par mon comportement, je ne crie jamais, et encore moins sur Alfred, mais je ne sais pas, aujourd'hui, rien ne va, ni dans ma tête, ni dans mon corps.

Mes mâchoires sont serrées, mon pouls s'accélère et mes yeux n'envoient plus que des éclairs. Je me sens tellement énervée, coincée, piégée, prisonnière d'une cage entièrement blanche sans connaître les vraies raisons de ma venue ici.

Ma poitrine se soulève à un rythme bien trop rapide, je le sais et eux aussi. D'abord, mes mains se mettent à trembler, mes yeux à me brûler et de l'eau en coule pour mouiller mes joues. Je pleure ? La pièce bouge toute seule, comme si tout ondulait, les murs, le sol, la table... puis une chaleur étrangère m'envahit et quand Alfred parle une nouvelle fois au micro, je hurle. Ce n'est pas de sa faute à lui, plutôt de la mienne. Sa voix fut tellement forte lorsqu'il a parlé, tellement que mes oreilles en ont souffert.

Je plaque mes mains sur celles-ci et au même moment, l'assiette se brise en deux et la sauce qui accompagnait généreusement le poulet se déverse sur la table.

En général, mes crises me font perdre connaissance, mais pas cette fois.

Cette fois, c'est différent.

Tout empire et quand je relève les yeux, je vois ces lignes qui brillent, elles dansent devant moi et forment à nouveau ces chiffres et ces lettres. J'entends un ultrason, celui du microphone branché à l'extérieur de ma chambre, mais relié aux haut-parleurs. Je me tourne alors instinctivement vers Alfred et le médecin, je sens mon regard dur et sombre.

— Ma luciole, tout va bien se passer ! Inspire et expire...

— Aidez-moi ! je crie alors que toutes ces voix réapparaissent.

Il n'y a rien à faire. La porte de ma chambre s'ouvre brusquement et trois hommes en combinaison étrange entrent dans la pièce. Je me lève aussitôt de ma chaise et la renverse en arrière, je me retrouve très vite prise au piège contre le mur. L'homme du milieu tient une seringue dans sa main droite, je sais qu'elle m'est destinée, mais il est hors de question qu'ils m'injectent quoi que ce soit. C'est la première fois que je reste consciente aussi longtemps et j'en ai marre qu'on me jette de la poudre aux yeux.

Je veux savoir ce qui m'arrive.

L'un d'eux s'avance vers moi, je le repousse aussitôt de mes deux mains posées sur sa cage thoracique, il recule de quelques pas, mais insiste, c'est alors qu'il se tord d'un coup sec et que sa nuque craque, ce son est bien distinct et mon sang se glace dans mes veines à la vue de cette terrible scène. Son corps retombe mollement sur le sol, sous les yeux de ses collègues et quand on m'attrape brusquement le bras, je me mets à gesticuler dans tous les sens et crier comme si on me torturait. Je sais que crier ne changera rien, mais cela semble être un réflexe humain.

Je ne sais pas comment, mais j'arrive à me défaire de leur étreinte alors que l'aiguille est entrée dans la peau de mon cou et que le liquide s'est infiltré dans mes veines. Je me précipite malgré tout vers la porte et cours dans le couloir sans vraiment savoir où je vais.

Ma vue commence à se troubler, mes épaules se cognent dans les murs, mes yeux sont lourds, ma bouche pâteuse et des gouttes de sueur coulent sur mon visage. Mais je continue d'avancer même si je les entends parler dans mon dos, ils me suivent, néanmoins je ne m'arrête pas de courir. Pourquoi cette envie soudaine de partir ?

De fuir...

Comme s'ils étaient mes ennemis.

Je ne me contrôle plus, ni mes gestes, ni mes pensées. Je descends des escaliers, manque de trébucher, mais me retiens par miracle à la rambarde. Alors que je tourne à droite, des portes s'ouvrent et deux hommes en sortent en me dévisageant. Sans vraiment savoir pourquoi, j'entre à l'intérieur et me retrouve alors face à un mur de bouton lumineux indiquant des chiffres. Je tape sur chacun d'entre eux jusqu'à ce que les portes ne se ferment au nez d'Alfred.

Je me retrouve maintenant seule dans une petite cabine compacte qui m'est inconnue. Je m'appuie contre le mur derrière moi, je halète, mes mains et mes jambes tremblent comme jamais elles n'ont tremblé. Je ne me suis jamais sentie aussi mal. Jamais.

Une petite sonnerie retentit et les portes s'ouvrent, je ne réfléchis pas et quitte la cabine, continuant à courir pieds nus dans l'immense institut duquel je ne sais pas sortir. Mais quand de la lumière parvient jusqu'à mes yeux, une étrange lumière blanche et agressive, je m'arrête et passe mon bras devant ceux-ci. Jamais je n'ai vu de telle lumière.

J'entends alors des bruits de pas dans mon dos ainsi que des voix, il est temps pour moi de m'éloigner d'eux. Quelque chose en moi me dit que je dois le faire. Que je dois partir, coûte que coûte.

— Ma Luciole ! j'entends derrière moi.

Et je reconnaîtrais cette voix entre mille.

Je me retourne vivement et j'aperçois Alfred qui s'est arrêté à quelques mètres de moi, ses grands yeux bruns fixés sur moi et cet air triste ne quittant pas son visage si familier.

Mais derrière lui se trouvent les médecins qui s'avancent vers moi, alors je détourne mon regard et cours dans la lumière blanche, peu importe ce qu'elle est, elle me fait penser à cette lumière bleutée. Peut-être est-ce un signe.

Ils sont ma maladie.

Dehors sera mon remède. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top