ET SES TÉMOINS

HEATHER

Joyce comblait les creux du visage fatigué d'Heather, la rendant plus agréable à regarder. Elle sentait le pinceau caresser ses joues. Petit à petit, elle devient d'avantage expressive. Elle est un tableau qui reprend peu à peu vie.

— Ferme les yeux Heather. Je te rajoute un peu de fare à paupières. lui murmure Joyce.

La jeune femme s'exécute. Puis, quand la maquilleuse achève son ouvrage, elle tapote l'épaule d'Heather. Le reflet est ravissant. Ce soir, la miss devra se lancer sur la scène. La maquilleuse laisse son modèle seule. Heather serre son médaillon contre son coeur. Elle tente de garder son calme. Mais, elle n'y arrive pas. Elle est trop fragile.

— Tu es jolie, Heather. Tu es jolie...

Elle murmure. Elle pleure. Heather murmure et pleure devant le reflet de son visage qui devient bouffie. Elle s'affale sur la table, son dos se détache de la surface en cuir du dossier.

La paume de sa main caresse le journal qu'elle a, jusque là, caché dans son sac à ses pieds. Le papier est fin, il s'abîmerait au moindre problème, comme Heather. Sauf qu'elle, elle était unique. Heather tremble.

"Disparition : une jeune femme kidnappée dans un restaurant, l'agresseur inconnu : affaire toujours en cours.
Mardi 17 mai, aux alentours de deux heures, Ann Hill, qui travaillait en tant que serveuse, disparaît alors qu'elle quittait son travail au bar WineHome. Après l'annonce de sa disparition, les quelques témoignages récoltés par des clients présents en début de soirée n'ont pas permis la progression de l'enquête."

C'était un court article, qui ne prenait pas plus d'une demi-page. Ce genre de choses arrivait trop souvent pour qu'on y consacre plus de temps. C'était ce que valait la vie d'Ann, une demi-page dans un journal de quartier.

Mais pourtant, c'est la huitième fois qu'Heather lit l'article, et c'est encore plus douloureux. Elle reprend doucement son sac, à la recherche de son téléphone. Il faut qu'elle appelle quelqu'un. Alicia ou... Peu importe, quelqu'un. Heather saisit sans faire exprès une petite serviette en papier qu'elle avait oublié dans son sac. Il y a une inscription dessus : WineHome. Elle aurait dû la jeter. La jeter et jeter le journal aussi. Elle sent qu'elle doit vomir.

— Heather! C'est à toi de monter sur scène.

C'est une voix grave, rauque.

— Oui... J'arrive...

Celle d'Heather, quand à elle, est à peine audible. Elle se redresse, tentant de masquer ses tremblements. Ashley, une de ses concurrentes, lui lance un regard de désapprobation. Ses boucles brunes tombent en cascade sur son buste. Elle a l'allure et la beauté d'une princesse. Elle est comme sculptée, tant sa beauté terrifie ses adversaires. Heather sait qu'Ashley va gagner. Tout le monde le sait. Elle s'avance d'un pas incertain. La scène est immense, terrifiante. Le public se tait.

— Je suis Heather Rain, miss Washington et...

Heather a de grandes jambes, c'est son principal atout. Mais ce soir, elles sont terriblement flagelantes, fragiles. Heather suffoque. Tout le monde s'affole. Le micro tombe sur le sol en même temps que le corps d'Heather.

— et je suis jolie...

STEVE

On a toujours dit à Steve qu'il vaux mieux pleurer dans un monde luxueux qu'être malheureux entre deux poubelles et c'est sûrement l'unique leçon qu'il a retenu de son enfance chaotique.

Steve a l'allure d'un dur. C'est un type barbu, qui n'a, à vue d'œil, pas l'air très fréquentable. Mais tout ça, c'est nouveau pour lui. Ses bras musclés, son regard terrifiant et toute cette carrure d'homme dangereux ne sont le fruit que de mauvaises fréquentations.

Parfois, il lui arrive de s'asseoir sur un banc et de se raconter son histoire, seulement pour ne pas l'oublier. Les gens le regardent, parfois mal, le jugent, et jugent ses larmes qui ruissellent sur ses joues tatouées.

Sauf que cette fois, il pense à cette fille qu'il n'a pas su sauver.

JEFFERSON

— Elle aurait dû mieux s'habiller, elle a dû faire des avances à cet homme ou quelque chose dans le genre...

Ça aurait affecter n'importe qui, mais pas un ancien combattant de l'armée comme lui ! Des cadavres, il en a vu par centaines. Des morts, il en a comtemplé des tas. Et ce n'est pas un problème pour lui de se rendre dans ce foutu bar. Si il souhaite manger, il va manger. Hors de question que cette Ann le prive des bons vins de WineHome.

Mais. Il y a ce truc. Cette pensée. Cette petite dame toute jeune, trop inquiète pour son âge, qu'il a croisée ce soir-là. Le soir de l'enlèvement. Il y a son regard apeuré. Il y a ses yeux trop grands figés sur la photo du journal qui semblent le regarder, le fixer, le juger.

Ah ça oui, il en avait tué des gens, sacrifié des familles et brisé des rêves pour l'honneur de sa patrie. Il avait eu le courage de tirer sur des hommes, des femmes, ou même des enfants qui avaient peur du bruit des balles et de la guerre. Il avait nourri une haine, une colère, une rage inébranlable pour les beaux yeux de sa patrie. Mais cette fille-là, il aurait pu la sauver. Et ça, même si ça paraissait ridicule, ça changeait beaucoup de choses.

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