A la terrasse d'un café

Une jeune femme est attablée et déguste un chocolat chaud.

Quelques mètres derrière est assise une jeune fille.

Elle se lève soudain, prend sa chaise et court accoster la première.

_Madame, Madame (excitée), vous avez vu dehors ? C'est merveilleux !

_De quoi parlez-vous ?

_Vous n'avez pas remarqué ? Il y a un pigeon.

_Bien oui et alors ?

_Vous ne trouvez pas cela magique ? Cela fait deux semaines qu'on n'en a pas vu. Si vous saviez comme je suis émue.

_Oui, mais il n'y a pas de quoi en faire tout un plat.

_Comment ça ? Cela ne vous inquiète donc pas la raréfaction des oiseaux ?Tenez, hier j'ai vu un moineau pour la première fois depuis trois semaines.

_Je suis désolée de vous contredire mais il se passe dans le monde des événements plus graves.

_Et la pollution atmosphérique chimique et atomique, ce n'est pas grave cela ?

_Oui, j'en conviens, c'est ennuyeux

_Ennuyeux ! Mais moi, ça m'empêche de dormir. C'est pourquoi je considère que la présence de ce pigeon représente un véritable chef-d'œuvre.

_Chef-d'œuvre ! Eh bien ! Il ne vous faut pas grand-chose à vous pour vous enthousiasmer.

_Et les baleines d'Afrique du Sud qui meurent de soif ? Ce n'est rien peut-être ? Et les éléphants galeux d'URSS ? C'est une babiole ? Et les araignées boiteuses d'Alaska ? Ça ne vous émeut pas ? Et les pigeons englués par le mazout en Himalaya ? Ça vous laisse de marbre ? (Elle se met à pleurer)

_Mais calmez-vous enfin !

_La misère animale ne vous concerne-t-elle pas ?

_Je me passionne pour la politique et la misère humaine me préoccupe davantage.

_La politique ! Ce ne sont que jactances et mensonges. Il n'y a rien de concret ! Que lisez-vous comme magazine ?

_Le Monde.

_Ah oui ! Il est beau le monde avec toutes ses guerres à droite et à gauche. Les hommes en oublient les animaux. Moi, je lis Géo Ado, ça m'explique plein de choses sur le monde animal.

_Géo Ado ? Mais vous n'êtes pas un peu trop âgée pour ce genre de lecture ?

_Non, j'ai 22 ans, il n'y a pas de limite pour l'adolescence !

_Ah ! Je vois. Bon, eh bien, vous m'excuserez, mais mon chocolat est en train de refroidir et j'ai fort à faire. Au revoir, mademoiselle !

_(Elle se remet à pleurer à chaudes larmes) Au revoir Madame !

Personne ne me comprend dans ce monde de fous (en aparté).