5 : Vallier l'Indomprable des mers

Le capitaine du Ninani ne correspondait en rien à l'image charismatique et virile que l'on pourrait se faire d'un commandant portant le nom pompeux de « Vallier l'Indomptable des mers ». 

Sa bedaine poilue rentrée à grands peines dans la ceinture de son pantalon dépassait par endroits et il semblait avoir du mal à trouver le chemin entre son gosier et le contenu de son verre de vin, que son gros nez rouge n'annonçait pas comme étant le premier depuis la veille. Il lui suffisait néanmoins d'un seul mot pour que Meilin et Rollan ne passent par-dessus bord et ces derniers préféraient faire profil bas plutôt que d'aller jouer avec les requins rodant autour du bateau. 

Le marin qui les avait surpris plus tôt se tenait debout près d'eux, les mains dans le dos et se dandinant d'un pied sur l'autre, visiblement pressé d'entendre la sentence que son capitaine réservait à nos deux amis. Ce dernier, ne prêtant aucune attention à l'impatience de son homme, prit tout son temps pour terminer son verre avant d'enfin daigner poser son attention sur les jeunes gens.

« Alors Maugan, qu'est-ce qui t'amène donc de si bon matin ? Ne me dis pas que tu viens me déranger uniquement pour me présenter tes neveux et nièces !

- Ce ne sont pas mes neveux et nièces, Capitaine. Je les ai trouvés en train de dormir dans une barque. Ce sont des passagers clandestins !

Vallier l'Indomptable des mers eut l'air irrité par cette réponse.

- Je m'en doutais, idiot, mais ça ne change en rien ma question : c'est vraiment pour eux que tu es venu troubler mon petit déjeuner ?

- Eh bien... Je pensais que vous voudriez savoir que des étrangers s'étaient installés illégalement sur votre bateau...

- Et moi je pensais que tu aurais le bon sens nécessaire pour gérer seul cette situation ! Enfin, ce n'est quand même pas compliqué, jette-les-moi par-dessus bord et qu'on en parle plus !

- Bien, comme vous voudrez.

- Mauvais plan mon gars, intervint soudain Rollan.

Meilin se tourna aussitôt vers lui et lui fit les gros yeux, lui intimant silencieusement de se taire avant d'aggraver leur cas plus que de raison. Il ignora volontairement son avertissement.

- Je te demande pardon ? s'offusqua le capitaine du Ninani en stoppant net le geste qu'il était en train d'esquisser vers la tranche de bacon accompagnant son verre de vin.

- J'ai dit que ce n'est pas la meilleure chose à faire pour vous que de nous donner en pâture aux requins comme vous en avez l'intention.

- Je suis désolé de te l'apprendre mon jeune ami, mais je ne suis pas certain que tu sois dans la meilleure position de nous ordonner quoi que ce soit, répliqua le dénommé Maugan en pinçant les lèvres.

Au lieu de répondre, Rollan saisit d'un geste sûr l'avant-bras de Meilin et remonta sa manche jusqu'à découvrir à la vue de tous le tatouage en forme de panda qui ornait le dos de sa main. Les deux hommes ouvrirent des yeux ronds en le découvrant.

- C'est Meilin de Jano Rion ? demanda Maugan, ébahi.

- Tout juste ! Et moi je suis Rollan de Concorba. Je pourrais faire venir Essix, mais je vais éviter, sinon ça risque de sentir le roussi pour vous. Bref, tout ça pour dire que nos amis savent où nous sommes et que si nous ne leur envoyons pas un message pour les avertir de notre arrivée saine et sauve, ils se douteront que quelque chose a mal tourné et enverrons des hommes à notre rescousse. »

Le garçon avait parlé avec assurance, relevant le menton pour montrer à ses ravisseurs qu'il ne les craignait pas, mais à dire vrai, il n'en menait pas large et espérait de tout son cœur qu'ils n'aient pas encore été avertis des évènements des derniers jours, auquel cas Meilin et lui pourraient dire adieu à leurs dernières chances de salut. Dieu soit loué, le marin et son capitaine semblèrent gober son histoire et après un instant de réflexion, ce dernier finit par demander :

« Et si nous décidons de vous épargner, qu'est-ce que nous avons à y gagner ?

- Si vous nous déposez sans encombre près de Havre Vert, je suis certaine que les Capes Vertes vous en seront très reconnaissants et n'hésiteront pas à vous dédommager d'une coquette somme, promit Meilin.

Vallier ne fut pas long pour prendre sa décision.

- Très bien, dans ce cas nous allons nous contenter de vous garder enfermés dans la cale jusqu'à notre arrivée afin de nous assurer que vous ne tenterez pas de nous fausser compagnie en cours de route. Maugan, accompagne-les, veux-tu ?

- Bien, mon capitaine. »

Le marin saisit chacun des adolescents par un bras et les poussa violemment devant lui pour les faire sortir de la cabine du capitaine. Il avait beau tout faire pour conserver sa posture dominante, il était clair qu'il n'était plus aussi confiant que quelques minutes auparavant. S'il n'avait pas craint de voir tous ses efforts pour sauver sa peau et celle de son amie partir en fumée, Rollan aurait bien tenté une petite blague sur le sujet.

Avant de se rendre dans la cale, Rollan, Meilin et leur guide durent traverser le pont du bateau, sous les regards inquisiteurs des autres matelots. Meilin passa la première pour descendre le long de l'échelle branlante permettant d'accéder à la grande salle sombre que se trouvait être le plus bas étage de l'embarcation. 

Des tonneaux de toutes tailles et de tous contenus se trouvaient empilés le long des murs, retenus entre eux par de grosses cordes solides. Rollan s'imaginait déjà les vider au goulot, mais leur guide ne voyait pas les choses de la même façon et il les entraîna bien vite vers un coin encore plus sombre dans lequel se trouvaient de petites cages à barreaux de métal. 

Avant qu'ils ne les aient atteintes, un raclement de gorge fort peu ragoûtant se fit entendre derrière eux. Tous trois se retournèrent alors pour se trouver nez-à-nez avec un petit homme au visage de fouine et aux dents si sales qu'elles en devenaient noires.

« Scott ? Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna Maugan. Je croyais que le capitaine avait refusé de te reprendre dans son équipage pour ce voyage.

- C'était le cas, mais disons que je sais me montrer assez persuasif. Et toi, qu'est-ce que tu viens faire là ? »

Maugan résuma rapidement la situation, puis conclut en disant :

« Vallier m'envoie mettre ces deux petits imposteurs au cachot en attendant que leurs protecteurs ne viennent payer leur rançon. C'est une belle prise, j'espère qu'il saura se montrer reconnaissant envers ma contribution.

L'autre contourna son collège pour venir inspecter les enfants d'un peu plus près.

- En effet, ce sont de belles prises. (Il fixa son attention sur Meilin.) De très belles prises. (Son regard s'attarda un peu trop longtemps sur ses hanches et sa poitrine.) Je suppose que notre cher capitaine t'a demandé de les lui garder en un seul morceau, mais peut-être acceptera-t-il de nous laisser y goûter, si on fait bien attention à ne pas les casser...

Rollan eut un haut le cœur. Rien que le fait d'entendre ce porc parler ainsi de son amie lui donnait envie de vomir ; il n'osait même pas l'imaginer posant ses grosses pattes sur son corps.

- Je ne suis pas sûr que... tenta Maugan, qui n'approuvait visiblement pas les manières de son camarade.

- Oh, fais pas ton rabat-joie, Mo' ! Je t'en laisse un bout si tu veux. Après tout, ça doit faire un bail que tu n'as pas touché de gonzesse, il serait temps d'y remédier, tu crois pas ? »

Maugan ouvrit une nouvelle fois la bouche, sûrement plus pour défendre sa virilité que l'honneur de Meilin, mais il finit par abandonner l'idée. Avisant les bras musclés de Scott et les siens, rachitiques, il dû décider que le jeu n'en valait finalement pas la chandelle. 

L'autre, enhardi par le silence du marin, avança vers Meilin. Repoussant sans ménagement Rollan qui se trouvait tout près d'elle, il saisit les poignets de la jeune fille et sans crier garde, la plaqua contre le mur de la cale. Dans un râle de désir mal contenu, il plaqua sa bouche dégoûtante contre le cou de la jeune fille. 

Rollan serra les poings. Il sentait la rage monter en lui à vitesse grand V. Il croisa soudain le regard de Meilin et lut un appel à l'aide dans ses magnifiques yeux noirs. Il comprit alors qu'elle n'osait pas se libérer par elle-même, craignant les conséquences que cela pourrait avoir pour elle-même et pour lui. Tentant de réfléchir rationnement aux options qui s'offraient à lui, le jeune Amayain se força à rester immobile. Ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes au fur et à mesure qu'il tâchait de contenir sa haine envers ce salaud malsain. 

C'est alors que l'homme passa une main sous le tee-shirt de Meilin, collant encore un peu plus son corps au sien. Là, Rollan n'en puis plus. Laissant de côté toute tentative de se montrer diplomate, il se jeta en avant et saisit l'homme par le col. Tirant de toutes ses forces, il parvint à lui faire lâcher prise juste assez pour que Meilin se libère de son emprise et lui envoie un violent crochet dans la mâchoire. 

Le visage déformé par la colère, la jeune fille enchaîna avec un coup de pied dans les tibias qui le fit tomber au sol en position fœtale. Ne tenant pas à aggraver leur cas plus que nécessaire, Rollan retint Meilin avant qu'elle n'abime trop leur charmant compagnon. Elle eut tout juste le temps de cracher un énorme mollard sur son visage de fouine avant qu'un Maugan blanc comme un linge ne les pousse en tremblant dans une cellule et ne tourne le verrou. 

Lorsqu'il fut certain qu'ils ne pourraient plus s'enfuir, il aida Scott à se relever. Ce dernier lança un dernier regard mauvais aux enfants avant de n'être poussé vers l'échelle par Maugan et de disparaitre dans la lumière du soleil. 

Une fois seuls dans le noir, Rollan et Meilin s'autorisèrent enfin à se laisser glisser sur le sol froid. Tous deux tremblaient de tous leurs membres et durent attendre un moment, serrés l'un contre l'autre, avant d'oser aborder le sujet de ce qui venait de se passer.

« Meilin ? appela finalement Rollan d'une voix mal assurée.

Elle releva la tête qu'elle avait posée sur l'épaule du garçon.

- Oui ?

- Comment tu te sens ?

- Sale. Son odeur est partout sur moi.

- Il t'a fait mal ?

- Un peu, mais je sens surtout toujours le contact de ses mains sur ma peau. Ça me dégoûte.

Elle frissonna. Ne sachant quoi faire d'autre pour la réconforter, Rollan se contenta de resserrer ses bras autour d'elle.

- Je suis désolé. J'aurais dû intervenir plus tôt...

- Non, ce n'est pas de ta faute. Moi aussi j'aurais pu me débattre, mais je ne l'ai pas fait, parce que comme toi, je ne voulais pas nous les mettre à dos.

- C'est gagné on dirait. La vache, tu ne l'as pas raté !

Meilin sourit.

- T'aurais pas voulu que je lui donne un bisou magique pour le réconforter non plus. »

Le fait qu'elle soit déjà capable d'en plaisanter rassura Rollan. Cela lui apportait la preuve qu'elle saurait passer outre. Non pas qu'il n'eut douter du fait que Meilin était trop forte pour se laisser abattre par un obstacle si minime, mais il avait eu peur que la situation actuelle des choses ne l'ait rendue plus vulnérable. Sa position devenant un peu trop inconfortable, Rollan étendit les jambes et laissa retomber sa tête contre les barreaux de leur cage. Dans ces conditions, le voyage risquait d'être long. 

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