3 : Le combat

Rollan était amoureux. Il le savait depuis longtemps, mais venait tout juste de se faire à l'idée. L'épisode de la veille avait permis de tout clarifier dans son esprit. 

Ce n'était pas la première fois qu'il envoyait un signal aussi clair à Meilin. Pourtant, toutes les autres fois, quand il lui avait pris la main ou l'avait enlacée, il mettait cela sur le compte de la situation, toujours tendue, qui les rendait tous deux nerveux et en quête de réconfort. La fois où il l'avait embrassée était un cas à part. L'euphorie l'avait emporté sur tout le reste. Ça avait presque été un accident. 

Pour hier, il ne savait toujours pas ce qui lui était passé par la tête. Et si elle l'avait repoussé ? Et si Conor ou Abéké les avaient surpris ? Il savait que ses amis nourrissaient de très gros soupçons à son égard, mais il ne souhaitait pas qu'ils soient au courant de sa relation avec Meilin, si elle devait venir à se concrétiser. Du moins pour l'instant...

« Rollan ?

Le garçon de retourna vers la jeune fille qui marchait à sa droite. Elle le regardait d'un air étonné ; il devait faire une drôle de tête. Meilin et lui étaient partis tôt le matin pour se rendre au marché.

- Oui ? répondit-il avec son plus beau sourire.

- Tu semblais... absent.

- Je pensais.

- A quoi ?

- Ça ne te regarde pas. »

La discussion tourna court et ils arrivèrent au marché. Là, des stands s'étalaient à perte de vue. Les vendeurs ventaient leurs marchandises en criant à tue-tête. Des hommes et des femmes passaient d'étal en étal pour acheter poisson, viande, fruits, légumes et autres produits en tous genres tandis que des enfants surexcités couraient entre leurs jambes en riant. 

De temps en temps, un mendiant vêtu de haillons s'approchait d'un passant en implorant sa pitié, ce qui ne marchait que rarement. La plupart des acheteurs les envoyaient balader sans ménagement. Rollan avait un pincement au cœur chaque fois que l'un d'eux s'approchait de Meilin et lui et ne pouvait se retenir de lui donner deux ou trois pièces. Il se montrait d'autant plus généreux lorsque qu'il s'agissait d'un enfant : après tout, il n'y avait pas si longtemps, il était l'un d'entre eux et en ce temps-là, lui aussi aurait aimé qu'on se préoccupe de sa situation. 

Il fut ramené à la réalité par Meilin qui le tirait par la manche pour attirer son attention sur un stand de sacs en toile.

« Il ne t'en fallait pas un nouveau ?

- Ah si, bien vu. »

Tandis qu'il choisissait et qu'il payait le sac, sa camarade jeta un coup d'œil aux autres étalages qui les entouraient. Son regard se posa sur un marchand d'armes et son regard s'éclaira.

« On peut aller jeter un coup d'œil, s'il te plaît Rollan ? Ce ne sera pas long, promis !

Le garçon soupira, sachant obstinément ce que Meilin entendait par « pas long », mais il était incapable de refuser quoi que ce soit à la jeune fille. Il finit par accepter de mauvaise grâce.

- Bon, d'accord.

- Merci ! »

Elle avait dit ce dernier mot sans même le regarder, attirée comme par un aimant par l'étalage de poignards et d'épées qui s'offrait à elle. Quand Rollan la rejoignit, elle était en train d'ausculter une lame d'un air professionnel. Le garçon la regarda faire en silence. Elle soupesait, analysait, comparaît toutes les armes présentes sur l'étalage. 

Finalement, elle se décida pour une épée longue et tranchante à la lame aiguisée et au manche doré qui avait l'air d'être une très bonne affaire, même pour quelqu'un qui n'y connaissait strictement rien, comme Rollan. 

Elle sortait sa bourse pour payer lorsqu'un inconnu s'approcha du stand. Il fendait la foule d'un pas majestueux, suivi de près par trois gardes du corps. A peu près du même âge que les deux enfants, il était vêtu d'une tunique bordée de fils d'or et de diamants. Rollan le trouva aussitôt détestable.

« Gardes, ordonna-t-il à ses hommes. Je veux cette épée.

Il pointa du doigt l'arme que Meilin tenait entre les mains.

- Certainement pas, lâcha-t-elle, outrée. Elle est à moi.

- Tu ne l'as pas encore payée que je sache, alors elle ne t'appartient pas. Et je la veux. Je la veux, et je l'aurais.

La jeune fille serra l'arme contre son cœur d'un geste possessif en le fusillant du regard.

- J'étais sur le point de l'acheter, donc c'est tout comme. Vous êtes arrivé à l'instant, je ne vois pas pourquoi...

- Gardes, emparez-vous de cette épée !

- Si je puis me permettre, intervint timidement le marchant, cette jeune fille...

- Et faites-moi taire cet abruti ! »

Deux des hommes se ruèrent vers Meilin tandis que le troisième menaçait le vendeur d'un poignard posé sur son cou, l'empêchant ainsi d'intervenir. La foule s'était écartée, formant un arc de cercle autour des combattants. Des paris furent lancés sur l'issue de la bagarre. 

Quand les deux premiers hommes sortirent leurs armes et les pointèrent sur Meilin, Rollan voulut intervenir, mais avant qu'il n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, la jeune zhongaise avait effectué un salto avant impressionnant, atterrissant derrière ses assaillants et les immobilisant d'un grand coup de pied dans le dos. 

Une fois que ce fut chose faite, elle se tourna vers le jeune bourgeois et lui lança d'un ton empli de haine :

« Je crois que vous ne savez pas à qui vous avez affaire. Je suis Meilin, fille du feu général Teng, celle qui a invoqué le panda suprême Jhi. Je fais partie des Quatre Élus, ceux qui ont sauvé l'Erdas !

Le garçon éclata d'un rire sans joie.

- Ah ! Entendez-vous ça ? Les Héros de l'Erdas ! Cette bande de petits crétins prétentieux à la solde des Capes-Vertes qui ne sont là que pour les faire mousser ! « Regardez, les enfants que NOUS avons formés vous ont sauvés, donc vous NOUS êtes redevables et vous allez faire ce que NOUS vous dirons de faire, et patati et patata ! » Tout le monde sait bien que vous n'avez rien accompli, et que cette histoire de Bêtes Suprêmes n'est qu'une vieille légende.

Meilin ne le laissa pas finir sa phrase. Elle se jeta sur lui, arme au poing, bien décidée à en découdre.

- Répète un peu ce que tu viens de dire ! Tu penses que nous sommes des menteurs ? Ah mais forcément ! Suis-je bête ? Tu n'as aucune preuve de ce que nous avançons vu que quand nous risquions nos vies pour vous, tu étais caché comme un rat au fond de son trou, bien trop peureux pour tenter quoi que ce soit !

A présent, la jeune fille tenait son adversaire par le col, le menaçant de son épée.

- Sais-tu à qui tu parles, péronnelle ? Je suis Aaron, fils du duc de la région, lui-même descendant d'une grande lignée de barons. Alors je te conseille de me lâcher immédiatement et de t'excuser platement avant que je ne m'énerve et ne te fasse arrêter !

- Je n'ai que faire de tes titres, et tu viens de m'insulter une nouvelle fois, je ne laisserais pas passer cela ! »

Elle lui cracha au visage et rapprocha sa lame de son cou.

« Meilin ! intervint Rollan, sortant de la léthargie dans laquelle l'affrontement l'avait plongé. Tu ne peux pas faire ça !

- Et pourquoi donc ?

- Parce que nous aurions des ennuis, et surtout parce que ce n'est pas digne d'une guerrière de ta trempe d'achever un ennemi en situation d'infériorité.

- Je ne suis pas... tenta de s'imposer Aaron.

- Hum... d'accord » le coupa une nouvelle fois Meilin.

Elle le lâcha, se saisit d'une seconde épée sur le stand du marchand et la lui lança.

« Tiens, prends ça et viens te battre comme un homme », cria-t-elle au jeune duc en se mettant en position de combat.

Ce dernier épousseta son veston d'un air supérieur, puis l'imita maladroitement. Il était clair au premier coup d'œil qu'il n'avait pas d'habitude de se battre. Rollan était plutôt confiant quant à la tournure qu'allaient prendre les évènements : Meilin allait mettre la pâtée à ce petit prétentieux, puis elle le renverrait chez lui sans trop de dégâts. A moins que... En voyant la rage qui brillait dans le regard de son amie, Rollan ne fut plus si sûr de lui. 

Quand sonna le début de l'affrontement, Meilin bondit en avant. Elle abattit son épée autour de son adversaire, sûre d'elle. L'autre pour sa part, tentait gauchement d'éviter les coups portés contre lui en pointant son arme de façon grotesque devant lui. Il avait l'air ridicule face à cette guerrière patentée aux mouvements si fluides et majestueux qu'on aurait dit des pas de danse ! 

Au début, comme Aaron n'était pas touché, Rollan pensa qu'il réussissait vraiment à éviter les coups portés par Meilin. Puis, cela durant depuis un bon bout de temps, il comprit qu'elle jouait avec lui. Comme un chat avec une souris ; il était sa proie. Le garçon était horrifié par la découverte qu'il venait de faire. 

Le combat dura encore un moment ainsi puis, soudain, tout s'arrêta. Les deux adversaires s'immobilisèrent comme si on venait de les transformer en statues. Meilin baissa son arme. Des gouttes de sang en tombèrent. Aaron, muet de stupeur, baissa les yeux sur la tâche écarlate qui s'étalait sur son ventre. 

Puis il tomba. 

Ses hommes se précipitèrent autour de lui pour tenter d'arrêter l'hémorragie. La foule, d'abord muette, se mit à hurler. Rollan entendit les mots « Assassin ! », « Meurtrière ! », « Vengeance ! » et « Arrêtez-la ! » fuser. Il saisit la main de Meilin et la tira vers lui.

« Viens, il faut qu'on s'en aille ! »

Elle le suivit sans discuter, trop choquée par ce qu'elle venait de faire pour pouvoir parler. Il l'entraîna derrière lui à travers les ruelles de Concorba tandis que la foule, furieuse, se jetait à leur poursuite. Ils arrivèrent bientôt devant chez Aïdana, et Rollan tambourina à la porte.

« Maman ! Maman, ouvre-nous ! Vite !

Ils entendirent le pas pressé de la jeune femme, puis la porte coulissa enfin. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur.

- Mais qu'est-ce qui se passe ?

- Pas le temps de t'expliquer, trouve-nous une cachette ! »

Aïdana les conduisit dans la cuisine, puis elle les fit entrer dans un placard où ils durent se serrer contre les balais et les balayettes qui s'y trouvaient. On sonna à la porte. Aïdana alla ouvrir. Elle se retrouva alors nez-à-nez avec une bonne vingtaine de personnes armées de battes, de pioches, ainsi que d'objets plus saugrenus tels que des courgettes ou des roues de charrette.

« Oui ?

- On cherche les deux gamins qui se sont enfuis. Vous ne les auriez pas vus par hasard ?

- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

- Mais si, c'est les deux mômes qui ont créé cet attroupement sur la place ! Cette enfoirée de zhongaise qui a poignardé le fils du duc et son copain l'amayain. Ils disent qu'ils sont les héros d'Erdas.

- Je ne comprends toujours pas.

- Elle ment ! cria quelqu'un dans la foule. Je la reconnais, c'est la mère du garçon !

- Oui, en effet je suis la mère de Rollan, l'invocateur d'Essix, mais je ne sais vraiment pas de quoi vous me parlez. Mon fils et son amie sont partis très tôt ce matin sur un bateau en partance pour le Zhong. Vous devez avoir eu affaire à des imposteurs. »

Aïdana souriait. Elle avait l'air si convaincante que la foule finit par abandonner et reprit le chemin de la place en émettant bruyamment des hypothèses sur cette affaire. A peine Aïdana eut-elle refermé la porte que son sourire disparut.

« Rollan, je crois que nous devons avoir une petite conversation », lâcha-t-elle d'une voix glaciale.

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