20 : Eh bien dansez maintenant

Lorsque Rollan et Meilin arrivèrent chez Aïdana, ils furent accueillis par Finn, un Cape-Verte rencontré au cours d'une de leurs missions. En découvrant la tenue dans laquelle ils se trouvaient – pyjama et cheveux tout ébouriffés – il éclata de rire, mais arrêta bien vite en remarquant leurs mines défaites. Tandis que les enfants prenaient place à la table de la cuisine, Finn alla réveiller Aïdana qui descendit leur préparer des chocolats tout en les bombardant de questions.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? Il y a eu un problème ? Pourquoi rentrez-vous maintenant ? Et pourquoi dans cet état ? Quelqu'un vous a fait du mal ?

- Maman... l'interrompit Rollan. Est-ce que tu pourrais attendre demain pour l'interrogatoire ?

- Oh ! Oui, bien sûr. Désolée. C'est juste que je m'inquiète pour vous.

- Tout va bien, ne t'en fais pas. Pour le moment, nous avons surtout besoin de sommeil. »

Sur ces mots le garçon se leva. Meilin finit rapidement sa tasse et le suivit. Arrivé sur la première marche des escalier, Rollan se retourna, un sourire narquois plaqué sur le visage.

« Juste une chose... Maman, est-ce que tu peux m'expliquer ce que Finn faisait à la maison pendant notre absence à tous ? »

Aïdana fit mine de ne pas l'avoir entendu, mais Meilin était sûre de l'avoir vu rougir.

Meilin se retourna dans son lit. Elle avait beau être exténuée, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, des images d'Aaron et de la confrontation qu'ils avaient eu lui revenaient en mémoire. Elle frissonna. Elle avait froid, mais d'un froid que ses couvertures et Jhi ne pouvaient en rien compenser. 

Le plus discrètement possible, Meilin se leva. Elle traversa sa chambre et sortit dans le couloir. La chambre de Rollan se trouvait juste en face de la sienne. Après quelques secondes d'hésitation, elle y entra. Elle tâtonna jusqu'à trouver le lit de son ami et s'y glissa sans faire de bruit. Rollan ne dit rien. A tel point que Meilin cru qu'il dormait. Jusqu'à ce qu'elle sente un bras s'enrouler autour de sa taille. Elle posa sa tête au creux de son cou.

« Je n'arrivais pas à dormir, expliqua-t-elle.

- Ah ouais ? Et tu as pensé que je ferais un bon somnifère ? Je ne sais pas comment je dois le prendre. »

Meilin sourit malgré elle. Dans toutes les situations, ce garçon arrivait à la faire rire. Elle était fière de l'avoir choisi.

« Rollan, passe-moi la ficelle, s'il-te-plaît.

- Tu ne vois pas que je suis déjà chargé comme une mule ? Demande plutôt à Abéké.

- Je ne peux pas : je m'occupe des lumières.

- Bah à Meilin alors ! »

Cette dernière, occupée à installer des chaises, se saisit du rouleau de ficelle qui se trouvait à ses pieds et le laissa à Conor. Malheureusement, elle manqua son tir et l'objet percuta Rollan qui lâcha la pile de napes qu'il transportait. Il pesta et renvoya violemment le rouleau à celui qui le réclamait, qui faillit bien tomber du tabouret sur lequel il était juché en tentant de l'esquiver. Rollan marmonna un « bien fait » avant de se pencher pour ramasser ses napes. 

Trois semaines s'étaient écoulées depuis l'aventure du château, et aujourd'hui, toute la maisonnée était en effervescence. Afin de réconcilier Meilin avec les festivités et autres évènements mondains, Aïdana avait organisé une petite réception dans le champ d'un ami à elle. Une grande tente avait été dressée pour l'occasion et Conor, Rollan, Meilin, Abéké et quelques amis Capes-Vertes avaient été embauchés pour aider aux préparatifs. 

Les premiers convives arrivèrent alors qu'Aïdana posait la dernière assiette de petits fours sur la table de buffet. Elle s'empressa d'aller les saluer tandis qu'un nouveau groupe pointait le bout de son nez. Il ne fallut pas longtemps pour que le champ ne soit rempli d'individus pour la plupart vêtus de capes vertes. 

Les quelques amis musiciens qui avaient été réquisitionnés pour animer la piste de danse jouaient leur rôle à merveille et une vingtaine de personnes se déhanchaient sur la zone prévue à cet effet. Meilin ne dansait pas. Debout près du buffet, elle observait la foule tout en tirant sur le bas de la robe trop courte qu'elle avait eu la bonne idée d'enfiler. 

Abéké discutait avec Maya, une vieille amie, et Conor poursuivait Briggan entre les jambes des Capes-Vertes. Rollan pour sa part était assis sur une chaise en bordure de la piste de danse et se goinfrait d'un tas de petits fours volés sur un plateau. Les yeux de Meilin s'attardèrent sur le garçon. Ils ne s'étaient pas réembrassés depuis leur retour malgré quelques séances de câlin plutôt à propos. Cela lui manquait, mais elle ne savait pas comment manifester ce besoin d'affection encore tout nouveau pour elle. 

Meilin en était là de ses réflexions lorsqu'une fille de son âge s'avança vers Rollan et lui proposa d'un ton miel de l'accompagner pour la prochaine valse. Le garçon accepta dans un sourire et Meilin vit flou. Heureusement, à peine les dernières notes de la chanson eurent-elles résonné que Rollan se détacha de sa cavalière pour venir proposer son bras à Meilin.

« Mademoiselle, l'invita-t-il cérémonieusement, voudriez-vous bien m'accorder cette danse ?

- Avec plaisir, mais prenez garde à ne pas me marcher sur les pieds, accepta Meilin, aux anges, en tirant une dernière fois sur sa robe.

- Vous marcher sur les pieds, moi ? Enfin, ce n'est pas mon genre ! Je suis un vrai petit rat d'opéra ! »

Sur ces mots, le jeune Amayain attrapa la main de son amie et l'entraîna vers la piste. Dans son empressement, il écrasa par deux fois la chaussure de Meilin, qui ne manqua pas de le lui faire remarquer. Enfin, ils parvinrent à harmoniser leurs mouvements et leurs corps trouvèrent naturellement leur place l'un contre l'autre. Ils se balancèrent un moment au rythme de la chanson, puis s'écartèrent plus ou moins consciemment des autres danseurs. 

La nuit était tombée discrètement, sans alerter personne, et Rollan et Meilin furent presque surpris de se retrouver bientôt entourés de ténèbres. Les lueurs de la fête rétrécissaient peu à peu derrière eux, et ils ne furent très vite plus éclairés que par la lumière de la lune. Dans cette obscurité quasi-totale, Meilin ne voyait plus que les contours du visage de Rollan, mais cela ne la dérangeait pas : c'était toujours dans ces moments-là qu'avaient lieux leurs plus intenses rapprochements. 

Leurs mains ne s'étaient pas quittées depuis la piste de danse et leurs hanches se frôlaient à chaque pas. Meilin ignorait jusqu'où Rollan comptait l'emmener, mais pour être honnête cela lui était égal. Il lui caressa doucement le dos de la main avec son pouce et elle frissonna. Il s'arrêta.

« Tu as froid ? demanda Rollan en se tournant vers elle.

Son visage n'était qu'à une dizaine de centimètres de celui de Meilin. Elle avait très chaud. Pourtant, elle s'entendit répondre :

- Oui, mais j'ai oublié ma veste près des tables, il faudrait peut-être que j'aille la chercher...

- Pas la peine, je vais te réchauffer, moi. »

Ils venaient d'arriver en haut d'une petite colline. Rollan s'assied dans l'herbe et ouvrit grand les bras. La jeune fille hésita un instant. Sa fierté de guerrière tenait en répugnance cet aveu de faiblesse, mais son âme amoureuse finit par prendre le pas sur son orgueil et elle alla se blottir avec joie dans les bras de son ami. De tout l'Erdas, c'était décidément le seul endroit où elle se sentait vraiment chez elle.

« Meilin ?

Elle tourna légèrement la tête vers lui.

- Oui ?

- Est-ce que ça va ? Je veux dire... vraiment. Est-ce que tu t'es remise de... enfin tu sais, tout ça quoi. »

Meilin se raidit imperceptiblement. Ils n'avaient pas abordé le sujet depuis leur retour calamiteux au beau milieu de la nuit. Elle sentit à la voix de Rollan que ce n'était pas la première fois qu'il tentait de lui en parler, sans jamais oser aller au bout de son projet. Elle se serait pour sa part bien passée de cette conversation, mais présumait qu'elle n'y couperait pas, alors autant percer l'abcès tout de suite.

« Je crois, oui. J'ai d'abord cru que je ne m'en sortirai jamais. J'en rêvais toutes les nuits. Le visage d'Aaron hantait chacun de mes pensées. Puis j'ai réalisé que je ne pouvais pas rester ainsi toute ma vie, que ce serait faire exactement ce qu'il voulait : me détruire. Alors j'ai tout fait pour arrêter d'y penser.

Rollan baissa les yeux. Il avait l'air ennuyé.

- Je suis désolé. Je voyais bien que ça n'allait pas, mais je n'avais pas réalisé que c'était à ce point. Si j'avais été plus attentif, j'aurais pu être un meilleur soutien pour toi.

- Ne t'excuses pas, tu en as déjà bien assez fait. Ta présence, ainsi que celle des autres m'ont beaucoup aidée. Et puis ce n'est pas comme si tout ça était arrivé à cause de toi. C'était entièrement de ma faute et j'en assure les pleines responsabilités. D'ailleurs, je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais je te remercie infiniment pour tout ce que tu as fait pour moi.

- Oh, ce n'est rien, assura-t-il. Je suis sûr que tu aurais fait la même chose pour moi. Enfin j'espère, ajouta-t-il en riant.

Meilin lui donna un coup dans le bras.

- Evidemment, espèce d'idiot ! »

Rollan se frotta le bras, mimant une douleur atroce. Voyant que Meilin s'apprêtait à revenir à la charge, il approcha son visage si proche de celui de son amie que celle-ci crut qu'il allait l'embrasser. Elle retint son souffle. Conscient de l'effet qu'il avait sur elle, le garçon se mordit la lèvre pour réprimer un sourire puis, reprenant un semblant de sérieux, il déclara :

« Je pourrais te suivre jusqu'au bout du monde, Meilin de Jano Rion.

- Ce n'est pas déjà ce que tu as fait ? répliqua la jeune fille d'une voix enrouée par la vague d'amour aussi incontrôlable que disproportionnée qui montait en elle.

- Pas faux, mais honnêtement, je ne crois pas qu'on puisse dire que j'ai eu le choix. »

Le cœur de Meilin se serra, consciente de la véracité de ses propos. Ne sachant que répondre, son cerveau passa instinctivement en mode autodéfense.

« Je me suis déjà excusée, qu'est-ce que tu attends de plus ? Que je me mette à genoux ?

- Non. Je ne te reproche rien. Enfin si, d'avoir embroché un mec au bout de ton épée, mais c'est du passé maintenant et j'ai eu le temps de te pardonner. Et puis, entre nous, vu l'ordure qu'est ce type, j'en viens presque à me demander si Aaron ne méritait pas un peu ce qui lui est arrivé.

La voix de Meilin se radoucit lorsqu'elle réalisa que son ami ne cherchait pas à l'enfoncer.

- Si tu savais à quel point j'ai regretté ce geste. Je ne m'en suis jamais autant voulu.

- Je sais tout ça, Meilin, et je sais aussi que malgré tes gestes parfois irréfléchis, tu restes la meilleure personne que je connaisse. Tu n'as pas à t'en faire pour ça.

- C'est vrai que je me suis beaucoup remise en question, mais pour être honnête, savoir si j'étais ou non un monstre n'était pas la chose qui me préoccupait le plus.

- Ah bon ? Et quelle était-ce dans ce cas ?

- J'avais affreusement peur que tu me déteste.

Rollan rit sous cape.

- Ce n'est pas l'envie qui manquait, crois-moi. Si tu savais toutes les fois où je t'ai maudite... Malheureusement, je ne peux résister à ton sourire de déesse, aussi insupportable sois-tu par ailleurs. »

Il resserra son étreinte autour de ses épaules et Meilin ne sut plus quoi répondre. Autrefois, elle aurait été agacée de se retrouver ainsi déstabilisée par de simples mots, mais en cet instant, elle n'y pensa même pas. Lentement, elle inclina la tête jusqu'à ce que sa bouche ne soit plus qu'à quelques centimètres de l'oreille de Rollan.

« Je t'aime » chuchota-t-elle, si bas que sa voix aurait pu se perdre dans le bruissement du vent.

Mais en sentant les lèvres de Rollan se poser tendrement sur les siennes, elle sut qu'il l'avait entendue. 

FIN

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top