19 : Règlement de comptes
Rollan inspecta le couloir. La voie était libre d'un côté comme de l'autre. Aussi silencieux qu'une souris, le garçon se glissa hors de sa chambre. Il rejoignit rapidement l'escalier luxueux reliant le premier étage au second. Des gardes surveillaient l'entrée des appartements de chaque membre de la famille du Duc.
Rollan siffla Essix par une meurtrière cachée dans un renfoncement et lui indiqua un bout du couloir. L'oiseau comprit immédiatement ce qu'il attendait d'elle et accepta bon gré mal gré d'éloigner les gardes de leur poste de guet. Sa diversion primitive ne dura pas longtemps, mais elle permit tout de même à Rollan d'atteindre la chambre de Meilin.
Lorsqu'il poussa la porte, la jeune fille lui tournait le dos. Lovée dans un fauteuil, elle regardait par la fenêtre en discutant tranquillement avec Jhi. Le spectacle attendri Rollan, mais son côté taquin ne tarda pas à reprendre le dessus. Il s'avance sans faire de bruit et vint s'accouder au dossier du fauteuil.
« Alors ? On attend que son prince charmant grimpe jusqu'à la fenêtre ?
Meilin sursauta et sauta sur ses pieds. En découvrant Rollan, elle se détendit.
- Tu m'as fait peur, idiot !
- Désolé, ce n'était pas voulu, s'excusa le garçon avec un sourire goguenard qui démentait ses propos.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Meilin en contournant le fauteuil. Il s'est passé quelque chose ?
- Le Duc a annoncé qu'il nous renverrait chez nous aux premières lueurs de l'aube. Je ne sais pas combien de temps il va nous falloir pour parvenir à te faire sortir d'ici, alors je voulais venir te voir une dernière fois. Ai-je vraiment besoin d'une raison supplémentaire ?
Meilin rougit.
- N... non, bien sûr. »
La lumière de la pleine lune se reflétait sur le visage de la jeune fille, adoucissant ses traits tirés. Une brise nocturne s'engouffra dans la pièce et fit claquer sa chemise de soi. Elle passa ses bras autour du cou de Rollan.
« J'espère que vous trouverez vite un moyen de me sortir de cet enfer, murmura-t-elle.
- Je te le promet. » répondit-il sur le même ton.
Comme toujours, sentir le corps de Meilin si proche du sien mettait Rollan dans tous ses états. Son cœur battait à mille à l'heure, ses mains devenaient moites, et surtout, il ressentait un irrémédiable besoin de se fondre en elle. Mue par le même désir, la jeune Cape-Verte leva le menton et l'embrassa sur les lèvres.
Rollan répondit à ce baiser en plongeant ses doigts dans les cheveux de son amie. Elle gémit légèrement, ce qui le fit frissonner dans tout son corps. Sans trop savoir comment, ils se retrouvèrent bientôt couchés sur le lit de Meilin dans un pêle-mêle de bras et de jambes. Tachant de se faire la plus petite possible, Jhi se recroquevilla dans un coin de la pièce en scrutant avec une attention toute particulière les rainures du parquet.
Rollan fit glisser ses lèvres de la bouche de Meilin à son cou. Sa peau pâle était plus douce que tout ce qu'il avait pu imaginer. La main de la zhongaise passa sous sa chemise pour venir caresser son dos et Rollan cru qu'il allait devenir fou.
C'est alors qu'un cri perçant les sortit de leur état second. Essix se tenait sur le rebord de la fenêtre. Rollan s'apprêtait à la renvoyer sans ménagement d'où elle venait lorsqu'il comprit la raison de cette brusque interruption. Debout dans l'encadrement de la porte, Aaron les regardait, les yeux lançant des éclairs.
« C'est donc pour ça que tu refusais obstinément de céder à mes avances, lança le futur Duc à l'adresse de Meilin. Et moi qui pensais que c'était parce que tu étais trop prude pour tenter quoi que ce soit ! »
Il jeta un coup d'œil significatif aux jambes de la jeune fille, que l'engouement avait outrancièrement découvertes. Rollan rabattit vivement la robe de Meilin et foudroya Aaron du regard.
« Tu n'as rien à faire ici. Va-t'en.
- Parce que tu crois que tu es en mesure de me donner des ordres, mendiant ? Je suis dans mon palais, et dans mon palais, c'est moi qui décide. Alors maintenant, tu vas laisser ma fiancée tranquille et déguerpir le plus loin possible d'ici avant que je ne demande à mon père de s'en charger !
- Ta fiancée ? Carrément ? Et est-ce qu'elle est ne serait-ce qu'au courant qu'elle est promise à un crétin dans ton genre ?
- Je t'interdit que m'insulter ! » hurla Aaron en se jetant sur Rollan.
Le Cape Verte sauta habilement sur le côté pour l'éviter, mais l'autre ne se laissa pas déstabiliser pour autant et revint immédiatement à la charge.
« Arrêtez ! » implora Meilin, mais aucun des deux garçons ne semblait disposé à l'écouter.
Aaron envoya son genou dans le ventre de Rollan. Ce dernier tomba à la renverse en entraînant son adversaire dans sa chute. Ils roulèrent dans la poussière en échangeant coups de pieds et de poings. Toute forme de civilité semblait les avoir quittés. Rollan ne parvenait pas à se souvenir des notions de combat qu'il avait assimilé au cours de son entraînement chez les Capes Vertes tant la rage le faisait bouillir.
Il s'apprêtait à étrangler Aaron avec son ridicule col à froufrous lorsque Meilin s'interposa. Il ne lui fallut pas plus de trois mouvements pour les séparer. Elle projeta Rollan à un bout de la pièce et coinça Aaron contre la porte.
« Ça suffit maintenant ! intima-t-elle d'une voix ferme. Vous pensez vraiment que vous arrachez les cheveux comme des chiffonniers va nous mener quelque part ? Non, donc à présent, nous allons discuter calmement et essayer de régler la situation une bonne fois pour toutes.
- Il n'y a pas de discussion à avoir, affirma Aaron en tentant vainement de se dégager de la prise de Meilin. Tu es à moi et je ne tolérerais pas une seconde de plus de voir cet énergumène s'approcher de toi et encore moins te forcer à faire des choses que tu n'as pas envie de faire !
- Parce qu'elle avait l'air contrainte de faire quoi que ce soit quand tu es arrivé ?
- Tais-toi, Rollan ! Ceci dit, tu as raison. Tu ne m'as jamais forcée à t'embrasser. Et tu sais pourquoi, Aaron ? Parce que j'en avais envie. Mais pas avec toi. D'ailleurs, j'en ai marre de cette comédie. Je n'ai joué la petite fille modèle que parce que je craignais la guillotine, mais je crois que j'ai trouvé un autre moyen d'y échapper, alors maintenant, c'est fini !
- Balivernes ! Cette crapule t'a envoutée ! Ce doit être quelque chose qu'il a appris à faire en vivant dans la rue. Voilà où on en arrive quand on fréquente ce genre de vermine ! »
Rollan aurait aimé répliquer, mais il sentit que Meilin avait besoin de régler ses comptes par elle-même et d'ainsi montrer à Aaron de quoi elle était capable. Ravalant sa hargne, il serra les poings et attendit.
« Tu sais, commença-t-elle d'un ton exagérément posé, j'ai moi aussi grandi dans le luxe et le mépris du petit peuple. Mais, contrairement à toi, j'ai fini par apprendre à le connaître et je sais aujourd'hui que là où nous nous croyons au-dessus de toutes lois de par notre naissance, ils savent se montrer modestes, et surtout reconnaître leurs erreurs. Ils ont les pieds sur terre, au moins suffisamment pour voir lorsque les autres ne veulent pas d'eux. Ils ne croient pas être en droit de forcer quelqu'un à les aimer.
- Content de voir que tu me tiens en si haute estime, commenta Rollan.
Meilin l'ignora royalement. Aaron par contre, posa sur lui ses yeux brûlants de rage.
- Je ne vois pas ce que tu veux dire. Je n'ai jamais forcé personne à m'aimer.
- Ah oui ? Et comment considère-tu dans ce cas la prison de velours dans laquelle tu me gardes enfermée depuis des jours ?
- Quelle prison ? »
Cette réponse fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Le masque de diplomatie de Meilin vola en éclats, laissant exploser sa fureur.
« Non mais je rêve ! Tu ne te rends même pas compte de ce que tu fais ! Es-tu donc si aveuglé par ta petite personne et tes désirs égoïstes que tu ne vois même pas que je ne t'aime pas ?
- Impossible ! Tu ne m'aurais pas embrassé si tu me méprisais tant que ça !
- La façon dont je T'AI laissé m'embrasser n'a rien à voir avec l'amour, tu peux me croire ! Tu m'y as forcée. Et le pire c'est que tu ne t'en es même pas rendu compte. »
Meilin relâcha Aaron. Elle était visiblement trop dégoûtée pour supporter une seconde de plus le moindre contact physique entre eux. Le jeune noble redressa son col en rassemblant les restes de sa prestance en miette et fit mine de s'approcher de Rollan. Surgissant de la fenêtre, Essix vint se placer devant son maître dans un geste protecteur. Aaron se tourna brusquement vers Meilin.
« Et lui alors, demanda-t-il en pointa le Cape-Verte du doigt. Tu l'aimes ?
La jeune fille vira au rouge pivoine, mais sans se départir de son regard furibond.
- Ça ne te regarde pas ! Maintenant, si ça ne te dérange pas, nous allons rentrer chez nous. Il me semble que nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire, et Rollan et moi sommes attendus. Jhi, tu viens ? »
Elle tendit le bras en direction de son panda qui disparut presque aussitôt dans un flash de lumière. Rollan sauta sur ses pieds et ouvrit sa chemise, invitant Essix à faire de même. Le faucon laissa échapper un cri moqueur et s'en fut par la fenêtre. Son garçon haussa les épaules et passa devant Aaron pour rejoindre Meilin.
La chemise de nuit de cette dernière n'était pas vraiment une tenue pour se montrer en public, mais ils n'avaient pas le temps de se préoccuper de ce genre de détails. Elle attrapa la main de Rollan et ils sortirent dans le couloir. Leur départ avait des allures de victoire, mais pourtant, l'invocateur d'Essix n'était pas serein. Ça avait été bien trop facile : Aaron n'avait même pas essayé de les retenir !
∙
Ses doutes se confirmèrent lorsqu'ils arrivèrent devant la porte. Une dizaine de garde les y attendait, Aaron à leur tête. Il avait dû emprunter un autre chemin, car ni Rollan, ni Meilin ne l'avait vu les dépasser.
« Pas un pas de plus ! ordonna-t-il en les apercevant. Vous ne sortirez pas de l'enceinte de ce château ! Meilin, je pensais vraiment que nous pourrions construire quelque chose d'équilibré tous les deux, mais tu préfères apparemment les gens instables. Dommage pour toi, j'obtiens toujours ce que je veux. Quant à toi, Rollan, tu vas aller finir tes jours là où est ta place : dans une cellule crasseuse et pleine de rats. »
Cette nouvelle offense mit Rollan hors de lui. De quel droit se permettait-il de leur parler de cette façon ? Sentant son ami bouillir sur sa gauche, Meilin serra sa main dans la sienne. Cette brève étreinte voulait tout dire. A la fois « calme-toi » et « vas-y ». Rollan comprit que le moment était enfin venu de montrer à cet arrogant qu'il aurait mieux fait de ne pas le sous-estimer.
« Si tu m'envoie en prison, il faudra que tu m'y accompagnes, et ton père avec, rétorqua-t-il avec assurance.
Aaron plissa les yeux.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Je dis que j'ai trouvé la correspondance de ton père avec le dénommé « Aigle Gris ». Il n'a pas été très discret. A sa place, j'aurais brûlé ces lettres depuis longtemps. Mais bon, ce qui est fait est fait. En plus, ça m'arrange pas mal. D'ailleurs, j'ai pris la liberté d'envoyer les exemplaires les plus intéressants en lieu sûr. Juste au cas où ton cher paternel ou toi-même voudrait nous empêcher de partir.
Rollan jubilait. Le visage de son interlocuteur s'était littéralement liquéfié.
- Co... comment as-tu trouvé ça ? Tu n'avais pas le droit d'accéder aux appartements privés !
- Je sais, mais comme je suis quelqu'un de mentalement instable, il se peut que je me sois retrouvé par mégarde quelque part où je n'aurais pas dû être. C'est bête ! En plus de ça, mon âme de voyou me pousse parfois à mettre mon nez dans les affaires des autres ! »
Maintenant, Rollan souriant franchement. Les épaules d'Aaron s'affaissèrent. Il venait enfin de comprendre qu'il n'avait plus aucune échappatoire. A contrecœur, il fit signe à ses gardes de baisser leurs armes. Rollan et Meilin bombèrent le torse et passèrent devant lui la tête bien haute. Mais juste avant qu'ils ne passent la grille, Aaron retint Rollan par la manche.
« Je finirais par t'avoir, sale pouilleux, siffla-t-il d'un air menaçant.
- Pas de problème, mon loup, je t'attends, et je garde les lettres de ton père bien au chaud, ne t'en fait pas pour ça ! »
Rollan s'esclaffa. Meilin le tira par la main et ensemble, ils s'enfuirent en courant dans la nuit, le plus loin possible de ce château de malheur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top