16 : Meilin et Aaron

Aaron avait fait installer Meilin dans l'une des chambres les plus luxueuses du château, à l'étage de celles de la famille ducale. Les invités plus « lambdas » logeaient juste en dessous. Malgré sa révulsion à dormir dans des draps fournis par des gens qu'elle haïssait, Meilin était tout de même soulagée de pouvoir enfin se reposer après une journée si riche en émotions. Une domestique entra, une bassine remplie d'eau dans les bras.

« Pour votre toilette, Mademoiselle, déclara-t-elle en fixant ses pieds.

- Merci. »

L'autre lui adressa un petit signe de tête et sortit à la hâte. Retrouvée seule, Meilin pu enfin dénouer les cordons de cette robe qui l'étouffait. Elle se lava le visage, puis enfila une chemise de nuit blanche. Malgré l'interdiction du Duc concernant les animaux totem, Meilin invoqua Jhi. Elle avait besoin d'un réconfort que son panda était le seul à pouvoir lui apporter. Toutes deux se roulèrent en boule l'une contre l'autre et Meilin s'endormit sans demander son reste.

Le Duc étant plutôt du genre papillon de nuit, les festivités avaient lieu en majorité une fois la nuit tombée. Cela laissait aux invités le temps de récupérer un peu pendant la journée. Meilin aurait bien aimé profiter de ce répit pour faire la grasse matinée, mais une femme de chambre vient la tirer du lit aux aurores.

« Debout Mademoiselle, Aaron vous attend dans le petit salon pour prendre son petit déjeuner en votre compagnie, claironna-t-elle en écartant les rideaux d'un geste plein d'entrain.

- Allez-vous-en, grogna Meilin en enfouissant sa tête sous l'oreiller.

- Je suis navrée, mais on m'a demandé de rester avec vous jusqu'à ce que vous ayez rejoint le Duc, Mademoiselle. »

Son ton enjoué contrastait avec la mauvaise humeur de Meilin, qui aurait bien aimé pouvoir lui faire ravaler son sourire. Elle détestait l'idée qu'on lui ait envoyé quelqu'un pour la surveiller. Pourtant, elle rejeta tout de même ses couvertures et se mit debout. Elle enfila une tunique et se maquilla le plus sobrement possible, au grand damne de sa nouvelle geôlière attitrée.

Une fois que la jeune fille fut suffisamment présentable, cette dernière la conduisit jusqu'au petit salon. Aaron était là, assis dans un sofa moelleux, une quantité impressionnante de mets disposés sur une table devant lui. Meilin s'assied à ses côtés tout en laissant une distance convenable entre eux. Aaron fit un signe de main à la femme de chambre qui s'empressa de les laisser seuls.

« Alors, demanda le garçon d'une voix mielleuse, tu t'es bien reposée ?

- Oui...

- Tu veux manger quelque chose ? De la brioche ? Du bacon ? Qu'est-ce que vous mangez le matin au Zhong ? Du riz ? »

Cela ne faisait pas cinq minutes qu'elle l'avait rejoint que le jeune Duc l'agaçait déjà. S'il ne tenait pas sa vie entre ses mains, elle l'aurait très certainement envoyé balader, mais la situation actuelle ne lui offrait pas ce luxe. Prenant sur elle, Meilin se força à sourire, mais s'abstint de répondre. 

Une alléchante odeur de petits pains lui monta aux narines, malheureusement elle n'avait pas faim. Aaron se racla la gorge. Meilin leva un sourcil en signe d'interrogation. L'autre prit certainement ce geste pour une invitation car il rompit l'espace qui les séparait. Inconscient de la révulsion de la jeune fille, il posa une main sur son genou.

« Est-ce que tu as déjà embrassé quelqu'un ? lança-t-il de but en blanc.

Meilin se trémoussa sur son siège dans un vain espoir de se libérer de ce contact. Elle voyait très bien où il voulait en venir et le simple fait d'y penser lui donnait envie de vomir.

- C'est possible.

- Et tu as aimé ?

- Plutôt, oui.

- Tu aimerais recommencer ?

Oui, mais pas avec toi.

- Je ne sais pas... »

Avant qu'elle ait pu finir sa phrase, Aaron l'avait plaquée contre le dossier du canapé et l'embrassait à pleine bouche. Meilin resta raide comme un piquet. Le contact de ses lèvres sèches contre les siennes et de sa main contre son flanc la répugnait et elle devait se faire violence pour ne pas le repousser. Constatant son absence de réaction, Aaron finit par s'éloigner.

« Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Je suis vraiment désolé si je t'ai brusquée. Visiblement, tu n'étais pas encore prête pour passer le cap de ton premier vrai baiser. »

Meilin se leva d'un bond. De quel droit estimait-il que les baisers qu'elle avait échangés avec Rollan n'étaient pas véritables ? Elle-même savait qu'ils étaient mille fois plus réels que celui-ci. Prétextant un mal de ventre, elle prit congé du jeune Duc et sortit presque en courant du salon. 

Arrivée dans sa chambre, elle se rinça la bouche et frotta avec du savon les endroits de sa peau qu'Aaron avait touchés, comme si ce simple geste suffisait à annuler tout ce qui venait de se passer. Elle se sentait horriblement coupable à l'égard de Rollan. Leur relation n'avait jamais été officialisée, mais ça faisait longtemps qu'ils se comportaient de façon très exclusive l'un envers l'autre. Avoir laissé Aaron l'embrasser lui semblait être la pire des trahisons. 

D'ailleurs, en parlant du loup, celui-ci n'allait sûrement pas tarder à venir s'assurer que tout allait bien pour elle. Meilin n'avait aucune envie de se retrouver de nouveau face à lui, aussi décida-t-elle d'aller faire un tour dans le château. Avec un peu de chance, le fils du Duc mettrait plus de temps à la trouver si elle allait explorer un autre lieu que celui de sa chambre. 

Elle jeta son dévolu sur la bibliothèque et se mit en route avant qu'une des insupportables femmes de chambre qu'on s'obstinait à lui attribuer ne pointe le bout de son nez.

En passant devant une porte de l'étage inférieur, elle entendit des éclats de voix familiers s'en échapper. Même s'il n'était pas très discret de rester en plein milieu d'un couloir aussi fréquenté, Meilin se laissa emporter par la curiosité et risqua un œil par l'entrebâillement. Rollan et Hortense étaient seuls dans la chambre de ce dernier. 

Essix était posée sur le lit et mangeait goulument les petits morceaux de viande que son humain lui tendait un à un. Hortense les regardait, lovée à l'autre extrémité du sommier. La jeune fille faisait son possible pour avoir l'air détaché, mais sa position était beaucoup trop cambrée pour être naturelle. Meilin se mordit les lèvres. Elle guetta le visage de Rollan en quête d'un regard, d'un sourire complice qui aurait pu témoigner d'un quelconque intérêt pour sa nouvelle camarade. 

Elle fut soulagée de constater que toute l'attention du garçon semblait tournée vers son oiseau. Hortense aussi devait s'en rendre compte, car elle tentait de s'imposer en le taquinant de façon grotesque. La plupart des réponses de Rollan se faisaient par monosyllabes, mais quand il eut fini de nourrir Essix, il s'assied tout de même juste à côté de la jeune fille – bien trop près au goût de Meilin – et lui souffla quelque chose qui la fit rire aux éclats. 

Meilin s'éloigna à ce moment-là, à la fois rassurée par la distance que Rollan s'appliquait à garder entre Hortense et lui, et travaillée par ce que l'insistance de cette dernière pourrait venir à faire naitre en lui.

La bibliothèque était immense, presque autant que celle du Havre Vert, mais Meilin avait perdu toute envie d'étudier. Elle prit tout de même un livre au hasard sur une étagère et se mit à le feuilleter pour se donner une contenance. Ses yeux suivaient le texte sans rien imprimer de ce qu'ils voyaient, l'esprit de la jeune fille étant encore focalisé sur la scène à laquelle elle venait d'assister.

Elle devenait de plus en plus obsédée par Rollan. Elle s'en rendait compte et se détestait pour cela. Quelle faiblesse d'esprit que de se retrouver dans un état pareil à cause d'un garçon, fût-il aussi fascinant que Rollan ! Pourtant, elle avait beau essayer de s'en convaincre, elle savait qu'elle ne serait pas tranquille tant qu'elle ne l'aurait pas revu en face à face. 

Meilin jeta un coup d'œil par-dessus la couverture de son livre. Sur une table en bois verni se trouvaient un encrier et quelques feuilles vierges. Après une seconde d'hésitation, elle s'en saisit et rédigea un court billet. 

A peine eut-elle eu le temps de se demander comment faire parvenir le message à son destinataire qu'Aaron pénétra dans la bibliothèque. Un instant, Meilin fut tentée de prendre la fuite dans les rayonnages, puis elle remarqua la tignasse de cheveux blonds qui accompagnait le jeune Duc. Conor ! Il était au bras de sa cavalière, une minuscule fille d'une quinzaine d'années au teint olivâtre. 

Meilin était si contente de le voir qu'elle aurait pu lui sauter dans les bras s'il n'avait été en si mauvaise compagnie. Optant pour une approche plus appropriée, elle adressa un signe de tête poli à son ami et laissa Aaron venir lui prendre le bras.

« Tu vas mieux ? s'enquit-il d'une voix qui paraissait sincèrement intéressée.

- Oui, je crois que ce n'était qu'une petite douleur passagère.

- Parfait, dans ce cas tu es de nouveau assez en forme pour venir te promener avec nous ? Si tu préfères rester ici pour te reposer, je comprendrais parfaitement, s'empressa-t-il d'ajouter.

- Je vais vous accompagner, Conor et toi, ainsi que... je suis navrée, mais j'ignore comment vous vous appelez.

La deuxième jeune fille la gratifia d'un sourire lumineux qui réchauffa le cœur de Meilin.

- Je m'appelle Perle. Les parents d'Aaron et les miens sont des amis plutôt proches.

- C'est vrai, confirma l'intéressé. Bon, on y va ? »

Les autres acquiescèrent et le suivirent hors de la bibliothèque. Sur le chemin, Meilin attrapa Conor par la manche pour le forcer à ralentir. Lorsque Perle et Aaron eurent pris quelques mètres d'avance, elle se pencha vers le berger.

« Est-ce que tu pourrais faire passer ça à Rollan ? lui demanda-t-elle en glissa le message plié en quatre dans sa grande main calleuse.

Conor la regarda en plissant les yeux, amusé.

- Qu'est-ce que c'est ? Une lettre d'amour ?

- Quelque chose d'approchant, répliqua-t-elle, irritée. Tu penses pouvoir lui donner, oui ou non ?

- Oui, dès que je le verrais. Franchement, j'ai hâte que nous soyons tous sortis de cet enfer : je n'ai pas l'intention de jouer les auxiliaires de votre relation toute ma vie.

- Comment ça ?

- Hier soir, Rollan m'a demandé de veiller sur toi. C'est pour ça que nous sommes ici, Perle et moi : elle n'aime pas plus Aaron que nous. »

Meilin prit un air courroucé, mais lorsque Conor accéléra le pas pour rejoindre les autres, elle s'autorisa à sourire un instant dans le vide. 

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