13 : Hortense
Meilin était debout au milieu d'une chambre luxueusement meublée. Une servante se tenait devant elle et lui donnait des instructions, vraisemblablement au sujet d'une robe. Meilin ne semblait pas particulièrement inquiète.
Un peu rassuré, Rollan quitta la vision d'Essix qu'il venait d'emprunter pour aller jeter un coup d'œil dans la chambre où était retenue prisonnière la jeune fille. Il reprit possession de son corps, attablé près d'Abéké et de Conor. Debout devant le plan de travail, Aïdana faisait revenir des œufs à la poêle.
« Elle va bien ? demanda Abéké aussitôt qu'elle vit Rollan s'animer.
- Oui, enfin disons qu'elle n'est pas en danger dans l'immédiat.
- C'est déjà ça.
- Il nous reste combien de temps avant le bal ? s'enquit Conor.
- Un tout petit peu moins de vingt-quatre heures, répondit Aïdana en remplissant leurs assiettes d'œufs brouillés. Ça devrait être largement suffisant pour nous permettre à tous de nous trouver des partenaires. »
La liste des invités au bal en l'honneur du rétablissement d'Aaron s'était rependue comme une traînée de poudre. De nombreuses personnes y étaient conviées, mais pas Rollan et ses amis. Leur renommée internationale ne suffisait apparemment pas à les faire entrer dans les bonnes grâces du Duc.
Heureusement, les invités étaient autorisés à venir accompagnés et les quatre compères avaient bien l'intention de sauter sur l'opportunité. Pourtant, malgré le tour plutôt positif que prenaient les évènements, Rollan ne pouvait s'empêcher de se ronger les sangs. Les nouvelles furtives qu'il arrivait à glaner au sujet de Meilin par le biais de son faucon ne suffisaient pas à le réconforter et la pseudo magnanimité d'Aaron ne lui disait rien qui vaille. En attendant de pouvoir vérifier ses soupçons, il n'attendait qu'une chose : partir à la recherche de son futur billet d'entrer à la fête du Duc.
∙
A peine eurent-ils fini de manger que Rollan, Abéké et Conor se ruèrent hors de la maison. Aïdana leur cria qu'il était tard et qu'elle aurait préféré qu'ils attendent le lendemain, mais ils étaient déjà loin.
La place du marché était bondée. La plupart des gens conviés au bal étaient là, entourés des nombreux habitants qui tentaient de se détacher du lot afin d'être choisis comme cavaliers ou cavalières. Rollan joua des coudes pour accéder au premier rang, mais se rendit vite compte qu'il n'aurait pas beaucoup de chance auprès des amis quinquagénaires et pleins au as du Duc.
Dépité, il s'en fut rejoindre Abéké et Conor, qu'il trouva en pleine conversation avec deux riches jeunes gens de leur âge. Abéké s'était déjà faite invitée et ce n'était qu'une question de temps avant qu'il n'en soit de même pour Conor. Rollan pesta entre ses dents. Pourquoi fallait-il toujours qu'il soit le dernier ?
« Rollan ! l'appela Abéké en souriant de toutes ses dents. Je te présente Nicéphore. Sa famille et lui ont été invités au bal de ce soir et il m'a gentiment demandé si je voulais l'accompagner.
- C'est vrai ? Oh tiens, c'est étrange, toi qui n'étais pas du tout venue sur la place exprès pour te faire inviter, grinça-t-il en retour.
- Oh, ça va, tout le monde a envie d'aller à cette fête, toi le premier. D'ailleurs, Nicéphore m'a dit que sa sœur Hortense n'avait pas encore trouvé de cavalier.
- C'est vrai, confirma l'intéressé. On peut t'arranger le coup si ça te dit. »
Se rendre à un bal au bras d'une parfaite inconnue pour aller voir l'arrogant fils d'un Duc faire la cour à Meilin ne lui disait rien du tout, mais Rollan n'avait pas le choix. Il remercia Nicéphore, et Abéké et lui le suivirent jusqu'à chez lui, laissant Conor seul avec sa future cavalière.
∙
Même si elle ne valait pas Meilin, Hortense était une jolie fille. Un peu plus jeune que Rollan (d'un an tout au plus), elle était blonde comme les blés et gardait ses cheveux maintenus en deux tresses épaisses autour de son visage fin. Lorsqu'ils entrèrent, elle les fit s'asseoir sur les sofas luxueux du salon et leur servit une tasse de thé en observant Rollan à la dérobé. Le garçon fit de son mieux pour ignorer l'attention qu'elle lui portait.
« Alors comme ça vous connaissez personnellement le Duc ? demanda Abéké.
- Pas vraiment. Disons plutôt que nos parents ont plusieurs fois commercé avec lui et qu'ils restent en bons termes par intérêts professionnels. Nous, nous ne l'apprécions pas particulièrement, et j'ai cru comprendre que vous non plus, vu ce qu'il a fait à votre amie...
- Comment ça ? fit Rollan en se crispant.
- Bah, la mise à mort, tout ça. Nos parents nous ont interdit de venir voir, mais on nous a raconté. Ça a dû être impressionnant ! »
La maladresse intrusive du garçon donna à Rollan l'envie de lui envoyer le contenu de sa tasse au visage. Son regard croisa celui d'Abéké. Elle bascula légèrement la tête de gauche à droite pour lui indiquer de se tenir à carreaux.
« En vérité, c'était bien plus que ça, affirma Rollan. Ils avaient fait faire venir un bourreau tout en noir avec une cagoule sur la tête et une hache énorme. Il était si impressionnant que personne n'osait parler. Quand l'homme chargé de donner les ordres le lui a ordonné, il a levé haut sa hache au-dessus de la tête de Meilin, prêt à l'achever. C'est alors qu'un coup de tonnerre terrible a retentit et que le fils du Duc est arrivé, entouré d'éclairs de feu. »
Nicéphore et Hortense regardaient Rollan avec des yeux ronds, ébahis. Malgré l'énormité de ce qu'il venait de leur balancer, ils semblaient y croire dur comme fer. Derrière eux, Abéké, à la fois amusée et horrifiée de le voir plaisanter de cet évènement encore tout frai dans leurs mémoires, se retint bien de les détromper.
« Je regrette de plus en plus de ne pas avoir pu venir, se lamenta Nicéphore. Comment Meilin a-t-elle réagit ? Est-ce qu'elle a eu peur ?
- Oh non ! Meilin n'a peur de rien. Et vu la façon dont elle a foudroyé son bourreau du regard, ça ne m'étonnerait pas que ce soit lui qui se soit fait dessus !
- Quoi qu'il en soit, ça n'a pas dû être une partie de plaisir. La pauvre ! Se retrouver sur le peloton d'exécution à cause d'un malencontreux accident !
- Elle a quand même faillit tuer le fils du Duc » souligna Hortense.
C'était la première fois qu'elle ouvrait la bouche depuis qu'Abéké et Rollan étaient entrés chez elle et ce dernier aurait largement préféré qu'elle s'abstienne de toute réflexion. Préférant ne pas entrer dans le débat, de peur de perdre toute chance de se faire inviter au bal par Hortense, Rollan préféra changer furtivement de sujet.
Il questionna le frère et la sœur sur leurs vies mais, se rendant vite compte qu'elles n'avaient rien de passionnant, enchaîna sur les faits d'actualité de ces derniers mois. Finalement, alors que la nuit commençait à se faire de plus en plus sombre, Abéké annonça qu'Aïdana devait se faire du souci et qu'ils feraient mieux de rentrer. Nicéphore raccompagna Abéké, mais Hortense retint Rollan alors qu'il s'apprêtait à les suivre.
« Attend !
Rollan se retourna.
- Mon frère m'a dit que tu aurais aimé assister à la fête du Duc...
- Oui, c'est vrai. Tout le monde en parle comme de l'évènement de l'année, alors je ne voudrais pas manquer ça ! »
Hortense se mit à danser d'un pied sur l'autre, rougissante. Il savait que cela n'était pas très moral, mais Rollan nota tout de même que la jeune fille semblait lui porter une affection particulière et qu'il serait simple comme bonjour de jouer là-dessus afin de l'inciter à poser la question qu'il attendait...
L'image de Meilin prisonnière se forma dans sa tête et il perdit tous ses scrupules. Il se rapprocha de la jeune fille et lui posa une main sur l'épaule. Elle leva un instant les yeux vers lui avant de les baisser aussitôt vers le sol.
« Tout va bien ? demanda innocemment Rollan tout en se détestant de profiter ainsi des faiblesses de cette fille.
- Je... oui, oui. C'est juste que je me demandais si... enfin si... tu vois...
Rollan leva un sourcil interrogateur.
- Est-ce-que-tu-voudrais-bien-m'accompagner-au-bal-du-Duc ? débita-t-elle d'une seule traite.
- Bien sûr, j'en serait très honoré, assura le garçon avec un grand sourire.
- Oh... Super ! Eh bien, à demain soir dans ce cas...
- A demain soir ! »
Rollan adressa un dernier clin d'œil à Hortense, qui se cacha le visage dans les mains, plus rouge que jamais, puis rejoignit Abéké qui l'attendait devant la maison.
« Alors ? le pressa-t-elle aussitôt.
- C'est dans la poche. Demain, j'irais au bal de Monsieur le Duc de Concorba en compagnie de Mademoiselle Hortense ! »
Elle lui envoya un coup de coude amical dans les côtes et il passa un bras autour de ses épaules, content de lui. Une dizaine de minutes plus tard, ils retrouvaient Conor qui jouait à la balle avec Briggan sur le tapis du salon d'Aïdana. Rollan, épuisé par sa longue journée, serait bien allé se mettre au lit directement, mais lorsque sa mère furieuse surgit de l'escalier, il comprit qu'il devrait attendre un moment.
Heureusement pour lui, Aïdana n'était jamais très longue dans ses réprimandes. Elle se contenta de leur reprocher l'heure tardive à laquelle ils rentraient en leur répétant que les rues n'étaient pas sûres, ce à quoi son fils lui répliqua qu'il y avait passé assez de nuit pour s'en être rendu compte par lui-même. Aïdana parut blessée. Rollan s'en voulu un peu de lui avoir rappelé cet échec dans son travail de mère, mais c'était après tout la vérité et il n'avait pas à s'en excuser. Sentant ses yeux se fermer tout seuls, il monta se coucher en baillant.
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