12 : Coup du destin
Des femmes de chambre s'activaient autour de Meilin comme autant d'insectes surexcités. La jeune fille les regardait faire sans les voir. On les avait chargées de la coiffer et la maquiller afin qu'elle soit « plus présentable » au moment de son exécution. Pour Meilin, cette entreprise morbide ressemblait plus à un embaumement qu'autre chose. Une préparation à l'avance de son futur cadavre.
Une des maquilleuses lui ajouta une énième couche de poudre sur les joues. Meilin jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir. Tout ce rose et ces paillettes la faisaient ressembler à une poupée de petite fille. C'était ridicule.
Elle dû attendre une heure avant que les femmes de chambre n'aient fini de la pomponner et une autre encore le temps qu'on choisisse comment la vêtir et qu'on fasse les ajustements nécessaires à sa robe. Une fois parée, Meilin se retrouva seule.
La pièce dans laquelle elle se trouvait ne comportait qu'une coiffeuse et une penderie bien garnie. Elle avait peu de chance de dénicher de quoi se défendre là-dedans. Et puis, quand bien même, elle n'était plus certaine de vouloir lutter. Le Duc semblait pouvoir la retrouver où qu'elle aille alors à quoi bon chercher à lui échapper ? Elle se prit la tête dans les mains. Mourir ainsi, c'était vraiment lamentable !
Elle invoqua Jhi. Le panda tomba sur le sol dans un flash de lumière. Elle s'avança, pataude, et posa sa tête sur les genoux de Meilin. La jeune fille se sentit aussitôt un petit peu mieux. Elle aurait voulu arrêter le temps pour que la suite ne vienne jamais.
Hélas, un garde finit par venir la chercher. Il avait l'air aussi compatissant de sa situation que l'aurait été le Dévoreur. Au fond, Meilin préférait cela. Elle ne supportait pas être prise en pitié. Le garde lui fit signe de rappeler Jhi, puis lui passa les chaînes sans même la regarder, avant de la guida à travers le labyrinthe de couloirs qui constituaient le château du Duc.
Pour traverser Concorba jusqu'à la place où aurait lieu l'exécution, le garde fut rejoint par une dizaine de ses semblables qui encadrèrent Meilin en la menaçant de leurs armes comme si elle était en position de tenter quoi que ce soit.
∙
La place du marché était bondée. Les gens s'étaient déplacés depuis les quatre coins de la ville, parfois en famille. Meilin se demanda si c'était spécialement pour la voir mourir elle qu'ils étaient venus, ou simplement pour satisfaire leur curiosité en assistant au funeste spectacle de l'exécution d'une inconnue.
Au centre de la foule, bien en évidence, une estrade montée à la va-vite sur laquelle reposait une petite guillotine. Arrivés en bas de l'escalier, un garde poussa Meilin dans le dos en lui aboyant d'avancer. La jeune fille sentit ses jambes trembler, mais elle s'était promis de ne pas flancher. Quitte à mourir, autant le faire avec dignité.
Prenant son courage à deux mains, elle releva bien haut la tête et monta lentement les quelques marches qui la séparaient de son destin. La lame de la guillotine lui parut soudain immense et particulièrement aiguisée. Ce ne serait sûrement pas sans douleur, mais cela promettait d'être plutôt rapide. Bonne nouvelle.
Tandis que Meilin analysait la situation, un petit homme dodu et attifé de vêtements témoignant d'un rang important se mit à discourir. Il commença par rappeler ce qu'on reprochait à Meilin – non sans quelques exagérations pour faire bonne mesure – puis enchaîna avec une récitation interminable de différents textes de lois.
Pendant ce temps, Meilin eut tout le loisir de chercher dans la foule des visages familiers. Elle repéra très vite Abéké et Conor qui se tenaient près d'Olvan et d'autres Capes Vertes. Voir qu'ils avaient fait le déplacement pour venir la soutenir lui fit chaud au cœur.
Plus loin, elle repéra également Rollan et Aïdana. Elle l'entourait de ses bras et il se reposait sur elle comme si ses jambes ne pouvaient plus le tenir. Des torrents de larmes coulaient sur les joues du garçon. Meilin en fut toute retournée. La seule fois où elle l'avait vu pleurer comme ça, c'était lorsque sa mère avait tenté de le tuer, sous l'emprise de la bile.
Elle se sentit soudain affreusement coupable. Coupable vis-à-vis de Jhi, qu'elle allait laisser seule avec son lien rompu, coupable auprès de ses amis qu'elle abandonnait, coupable auprès de Rollan à qui elle infligeait tant de mal. Elle s'en voulait de lui avoir fait miroiter une histoire qui n'aurait jamais lieu.
Elle l'imagina seul à table avec Aïdana, puis mis à l'écart devant la complicité d'Abéké et Conor, ou errant sans but dans les rues de Concorba. Son cœur se serra, mais ce n'était rien en comparaison de la douleur qu'elle éprouvait en l'imaginant se reconstruire. C'était peut-être égoïste de sa part, mais l'idée de le voir rire de nouveau, sans elle, l'oublier peu à peu et commencer à se tourner vers d'autres filles lui était insoutenable.
L'homme de loi décrivit en détails la façon dont Jhi allait être traitée après la perte de sa compagne, comment ils comptaient canaliser sa folie. Un mouvement de foule eut lieu lorsqu'il commença à énumérer ce qu'il considérait comme des mesures révolutionnaires et Meilin espéra que cela était la manifestation de la révolte du peuple. Malheureusement, elle fut bien vite détrompée.
En effet, si les gens bougeaient, c'était pour faire place au convoi du Duc de Concorba qui s'avançait en direction de Meilin d'un pas lent mais sûr de lui, ses yeux emplis d'éclairs braqués sur elle. La jeune fille aurait voulu sauter à bas de l'estrade et aller lui faire ravaler sa fierté, mais elle était entravée. En revanche, Rollan, lui, ne l'était pas.
Lorsqu'il aperçut le Duc, il se libéra des bras d'Aïdana et remonta la foule dans sa direction en écartant avec rage quiconque se trouvait en travers de son chemin. Craignant qu'il ne fasse une bêtise, Abéké et Conor se jetèrent à sa poursuite, aussitôt suivis des autres Capes Vertes. Ils rattrapèrent Rollan au moment où celui-ci atteignait la hauteur du Duc. Conor eut tout juste le temps d'attraper Rollan par la taille pour l'empêcher de sauter sur son ennemi, et par la même occasion sur les lances pointées sur eux des soldats chargés de sa sécurité.
Meilin était trop loin pour entendre ce qu'il se disait, mais elle n'avait aucun mal à en deviner la teneur. Rollan balançait sûrement toutes les insultes de son répertoire au visage du Duc tandis qu'Olvan tentait tant bien que mal de modérer les dégâts. Finalement, en s'y mettant à trois, Conor et deux autres Capes Vertes parvinrent à maitriser Rollan et à l'éloigner du convoi.
Lorsqu'ils retraversèrent la foule en sens inverse, Rollan ancra son regard dans celui de Meilin et ne le quitta plus. Il pleurait. Meilin réalisa soudain qu'elle aussi. Elle aurait voulu crier le nom du garçon, lui dire qu'elle était désolée et qu'elle l'aimait, mais un garde lui asséna un grand coup de masse dans le dos pour la forcer à s'agenouiller.
Alors qu'elle se laissait tomber par terre, il lui enfonça sans ménagement un sac en toile sur la tête et la fit s'incliner en avant jusqu'à ce que son cou repose sur quelque chose de dur. La guillotine, pensa-t-elle en sentant la panique la gagner peu à peu.
L'homme de loi lui demanda d'un ton qu'il voulait magnanime si elle avait une dernière chose à dire avant de mourir. Meilin ne répondit rien. C'était inutile. Elle ferma les yeux et serra les poings pour s'empêcher de trembler. Elle attendit. Quelqu'un prononça quelques mots. La lame allait tomber d'un instant à l'autre. Dans moins d'une minute, elle...
« Attendez !
La voix qui venait de crier ne portait pas très loin, mais à peine avait-elle retentit que tout le monde se figea. Enfin, Meilin le supposait, puisqu'elle ne voyait rien.
- Attendez, répéta la voix, plus proche cette fois. Ne faites pas ça !
- Aaron ! s'exclama le Duc. Que fais-tu ici ? Tu es encore souffrant, tu devrais être au lit.
- Je vais bien, Père, je vous assure. Mais il fallait que je vienne vous arrêter.
- Pourquoi donc ? Cette jeune fille a attenté à ta vie, elle est un danger pour nous tous !
- Je sais bien cela, mais la tuer est-ce vraiment une solution ? La blessure qu'elle m'a faite était un accident. Accident que j'ai moi-même engendré en venant la provoquer publiquement. Je ne pense pas que cela vaille une sanction aussi exutoire.
- Serais-tu en train de remettre en question mon autorité, fils ?
- Jamais, Père, j'essaye simplement de sauver la vie d'une jeune fille qui a elle-même su sauver nos vies à tous lorsqu'il y en a eu besoin. »
Etant donné le silence total dans lequel s'était muré l'assistance, Meilin devina que le spectacle devait être ébahissant. Elle aurait aimé pouvoir retirer ce fichu sac de sa tête et y assister également plus pleinement.
« Meilin du Zhong a peut-être accompli quelques actes honorables lors de ces derniers mois, mais cela n'efface en rien ce qu'elle a fait.
- « Quelques actes honorables » ? C'est vraiment comme ça que vous qualifier tout ce qu'elle a fait pour sauver l'Erdas entier ? s'indigna quelqu'un dans la foule.
Meilin cru reconnaitre la voix de Rollan. Personne ne releva.
- Je sais bien qu'elle a failli me tuer, mais en attendant je ne suis pas mort, alors je ne vois pas pourquoi elle devrait l'être. Garde, enlevez donc ce sac ridicule qui doit être en train de l'étouffer !
- Comment ? s'offusqua le Duc. Tu oses donner des ordres à ma place, maintenant ?
- Je suis navré si cela vous offense, mais je crois que cette histoire ne nous concerne que moi et cette jeune fille. Par conséquent, il me revient de décider du sort que je veux lui réserver. »
Le garde retira le sac et Meilin, médusée, regarda Aaron monter les marches de la guillotine jusqu'à elle. Elle n'arrivait pas à cerner ce que ce garçon avait derrière la tête. Aaron vint se placer devant elle en grimaçant, une main posée sur sa blessure à l'abdomen. Meilin, toujours à genoux, le regardait avec méfiance.
Il lui tendit une main pour l'aider à se relever, puis, réalisant qu'elle avait les poignets entravés, la laissa retomber. Il fit tout de même un signe au garde qui se trouvait dans son dos et ce dernier attrapa Meilin par les épaules et la hissa sur ses pieds comme si elle ne pesait rien.
« Meilin du Zhong, déclara solennellement Aaron. Tu aurais pu avoir ma peau. Aujourd'hui, c'est moi qui ai le pouvoir de t'envoyer passer le bonjour à nos ancêtres. Pourtant, j'ai une autre proposition à te faire. Ce soir, un grand bal est organisé par mon père en l'honneur de mon prompt rétablissement. Si tu consens à m'y accompagner, je m'engage à faire annuler toutes les charges qui pèsent contre toi. Qu'en dis-tu ? »
Meilin était trop éberluée pour ne serait-ce qu'envisager une réponse.
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