11 : Un retour prématuré

« Si tu avais pu choisir ton animal totem, tu aurais pris quoi ? interrogea Rollan.

Meilin et lui avaient terminé leurs tâches de la journée. Avant qu'on ne les réquisitionne pour telle ou telle nouvelle corvée, ils étaient partis faire un tour. Ils ne s'étaient pas aventurés trop loin de peur de se perdre, mais juste assez pour être cachés du regard des Ardus. 

Assis côte à côte contre une corniche enneigée, ils regardaient Jhi qui faisait méticuleusement sa toilette. Meilin avait enfin pu la libérer après un long moment sous sa forme de tatouage. Elle passa avec amour une main dans la fourrure de son panda avant de répondre :

- Aucun. Jhi est la seule que j'aurais voulu avoir comme amie. »

L'intéressée releva la tête et adressa à la jeune fille ce qui ressemblait à un sourire.

« Et si tu avais dû choisir un autre compagnon de route, tu m'aurais choisi moi aussi ? demanda innocemment Rollan.

- Tu veux rire ? Bien sûr que non ! Tu n'imagines pas à quel point c'est pénible de t'avoir dans les pattes à longueur de journée !

- Sûrement pas aussi pénible que de devoir supporter tes grands airs de princesse ! »

Meilin le poussa sans ménagement sur le côté. Rollan la saisit par la manche et ils basculèrent ensemble dans la neige. Elle voulut le faire rouler loin d'elle, mais il intercepta son geste. Leurs visages se retrouvèrent à quelques centimètres l'un de l'autre. Rollan éprouva soudain un étrange sentiment de déjà-vu. Il s'attendait presque à voir Abéké sortir de terre pour les séparer. 

Mais rien de tel ne se produisit. Meilin posa une main sur son torse. La tension était palpable. Les yeux de Rollan plongèrent dans ceux de la jeune fille. Elle inclina la tête. Une mèche de cheveux lui tomba devant les yeux. 

Rollan tendit le bras pour la remettre derrière son oreille, maladroit à cause de ses moufles. Son effort ne servit à rien car la mèche rebelle reprit immédiatement sa place. Meilin ne s'en préoccupa pas. Elle se pencha encore un peu plus au-dessus de Rollan. Si près qu'il lui suffisait de tendre les lèvres pour toucher celles de la jeune fille. Ce qu'il fit. 

Quand il l'avait embrassée au temple de Tellun, Meilin avait aussitôt eut un mouvement de recul, surprise. Aujourd'hui, elle s'y attendait et ne se déroba pas. Au contraire, elle se pressa de toutes ses forces contre le garçon et l'embrassa comme si sa vie en dépendait. Le cœur de Rollan était prêt à exploser. Il enroula ses bras autour de la taille de Meilin et la serra fort contre lui. 

Il aurait voulu que cet instant dure toujours, mais ce ne fut hélas pas le cas. Un bruit résonna soudain dans le silence, suivit de dizaine de cris. Rollan et Meilin se séparèrent précipitamment l'un de l'autre. La jeune fille bondit sur ses pieds.

« Il se passe quelque chose au campement ! s'exclama-t-elle, soulignant l'évidence.

- Oui. On doit aller les aider !

Meilin se tourna vers son panda qui s'était éloigné de quelques pas pour leur laisser un peu d'intimité.

- Jhi, reste là, tu veux ? J'aurais besoin de tes capacités si jamais nous sommes amenés à devoir nous battre. »

Rollan leva les yeux vers le ciel. Essix était là. Elle volait haut afin de rester discrète, mais elle ne l'abandonnait pas. Rassuré, le garçon se lança à la suite de Meilin qui courait déjà en direction des igloos.

La place du village était le théâtre d'un bien funeste spectacle. Les habitants avaient été mis en ligne, les mains sur la tête. Des hommes arborant le seau de Concorba les tenaient en joue. Les envoyés du Duc. L'un d'eux, qui devait être le chef, faisait les cent pas, visiblement furieux. En face de lui se tenait un adolescent brun à la tête basse. C'était vraisemblablement contre lui que se défoulait la colère de l'homme. Lorsqu'il releva furtivement le menton, Rollan le reconnu. Heinz ! Quel sale traître !

« Tu nous avais dit qu'ils seraient là ! scandait le chef.

- Ils l'étaient !

- Ah oui ? Alors comment m'explique-tu que nous ne les aillons trouvés nulle part ?

- Ils ont dû partir juste avant que vous n'arriviez...

- Comment ça partir ? Partir où ?

- Je ne sais pas !

- Vraiment ? Laisse-moi donc te rafraîchir la mémoire... »

L'homme pointa son sabre en direction de la mère de Heinz. La femme pâlit, mais ne broncha pas.

« Parle ou je la décapite ! menace-t-il.

Il tapota le bout de la lame contre le cou de son otage. Meilin bondit à découvert.

- Arrêtez ! Nous sommes là.

- Eh bien vous voyez quand vous voulez ! s'exclama le chef de la garde. Approche donc jeune fille que je t'examine de plus près... Tu n'es pas bien grande. Pourtant, il paraît que tu as causé pas mal de dégâts au fils du Duc. Comme quoi, il faut parfois se méfier des femelles. »

Meilin serra les poings. Rollan savait qu'elle n'avait qu'une envie : envoyer cet arrogant au tapis. Mais ça aurait été un pari un peu trop risqué. Au lieu de cela, elle se contenta de relever la tête et de déclarer :

« Je me rend. Emmenez-moi avec vous, mais laissez ces pauvres gens tranquilles. Ils ne vous ont rien fait et ne méritent pas de souffrir par ma faute.

- Comme tu voudras ma jolie. Gardes, attachez-lui les mains dans le dos, et son petit copain également. Nous partons sur-le-champ. »

Le trajet du retour fut beaucoup moins long que celui de l'aller temporairement parlant, mais Rollan le trouva infiniment plus angoissant. Après avoir rejoint à pied le premier port, Meilin et lui avaient été enfermés dans des cellules individuelles. Ils n'avaient pas eu de contact avant l'arrivée à Concorba. 

De là, ils avaient été conduits jusqu'aux prisons du Duc par une escouade digne des plus grands criminels. Rollan ne savait pas s'il devait prendre cela comme un honneur ou une offense. En attendant de trancher, il regardait un gros rat racler le sol non loin, assis contre un mur de sa cellule.

« Rollan ? appela soudain une petite voix.

Le garçon releva la tête.

- Oui ?

- Tu penses que je vais être mise à mort ? demanda Meilin d'un ton tremblant qui ne lui ressemblait pas.

- Bien sûr que non ! » assura Rollan.

Pourtant, une brève hésitation dans sa réponse laissait penser qu'il n'était pas si sûr de ce qu'il avançait. Avant que Meilin n'ait pu répliquer quoi que ce soit, des pas se firent entendre dans le couloir jusque-là resté désert. Rollan se recroquevilla inconsciemment sur lui-même. Heureusement, ce n'était pas des gardes. Enfin si, mais un seul, et il était accompagné de...

« Abéké ! Conor !

Rollan et Meilin se pressèrent contre les barreaux de leurs cellules respectives, un grand sourire plaqué sur le visage.

- Qu'est-ce que vous faites là ?

- On a reçu l'autorisation de te rendre une... dernière visite. Oh Meilin, je suis tellement désolée !

Abéké tomba à genoux devant la cellule de Meilin, en larmes. Derrière les barreaux la jeune zhongaise resta stoïque.

- Une « dernière visite » ? Comment ça, une « dernière visite » ?

- Meilin... commença Conor d'une voix infiniment douce. On a tout essayé, je t'assure. Mais le Duc ne veut rien entendre. Il a prévu une exécution publique demain matin sur la grande place du marché.

- Non. Non, c'est impossible ! s'écria Meilin. Il ne peut pas faire ça ! Son fils n'est même pas mort !

- Je sais bien, mais il a été gravement blessé. Le Duc veut faire de ta punition un exemple.

- Il n'a pas le droit de me faire tuer ! Il n'a pas assez de pouvoir !

- C'est aussi ce que nous nous sommes dit, mais ça ne marche apparemment pas comme ça.

- Je ne vous croit pas ! Je veux parler avec le Duc en personne ! »

Mais Meilin avait beau protester, la réponse de Conor et Abéké ne changeait pas. Elle allait mourir. Et elle ne parvenait pas à assimiler cette pensée. Rollan pour sa part la comprenait très bien. Incapable de bouger, il fixait l'air devant lui, le visage impassible, vidé. Meilin allait mourir. Pour de vrai. 

Sauf qu'il n'était absolument pas prêt à la laisser partir. Il avait encore tant de choses à partager avec elle, tant de blagues à inventer pour la taquiner, tant de questions à lui poser. Et tant d'amour à lui donner. Il n'avait même pas eu le temps de lui dire une seule fois « je t'aime ». La cruauté de la situation lui donnait envie de vomir. Conor se tourna vers lui.

« Rollan, pour toi, on a réussi à s'arranger. Tu seras libéré tout à l'heure et tu auras le droit d'assister à l'exécution, mais de loin uniquement, pour s'assurer que tu ne tentes pas d'intervenir.

Le garçon serra les dents.

- Super ! C'est vraiment censé me réjouir ? »

A peine eut-il fini de parler que cinq gardes armés jusqu'aux dents firent leur apparition. Ils firent sortir Meilin de sa cellule. La jeune fille se débattit, mais elle avait les pieds et les mains liés et ils étaient plus nombreux. Elle n'eut d'autre choix que de les suivre. Juste avant qu'elle ne tourne au coin du couloir, Rollan l'appela, le cœur en miettes.

« Meilin !

Elle se retourna.

- A propos de l'autre jour... Je... C'était très cool, et... Enfin...

- Allez, on avance ! » le coupa l'un des hommes en poussant Meilin dans le dos.

Elle lui résista juste le temps de souffler à Rollan : « Je sais ». Puis elle disparut. 

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