1 : Reconstruction

Ce fut la douce lumière du soleil levant sur son visage qui réveilla Rollan. Il grogna et fourra sa tête sous l'oreiller. Il détestait devoir se lever et aurait tout fait pour pouvoir rester au lit encore quelques minutes. Hélas, c'était impossible et il le savait. 

Il finit par se traîner de mauvaise grâce hors des couvertures et descendit les escaliers, les yeux encore bouffis de sommeil. En bas, il trouva sa mère Aïdana attablée avec une jeune fille aux longs cheveux noirs. En l'entendant arriver, toutes deux se tournèrent vers lui et lui sourirent.

« Enfin réveillé, Marmotte ? lui lança gaiement Aïdana en guise de bonjour.

- Non. J'aimerais tellement retourner dans mon trou... Mais l'hiver est fini alors je vais devoir arrêter d'hiberner, malheureusement. » grommela le garçon en prenant place à la table.

Il se remplit un bol de lait, coupa deux tranches de pain, puis se tourna vers la jeune fille assise en face de lui.

« Et toi, bien dormi ? lui demanda-t-il.

- Bof... Figure-toi qu'un stupide oiseau a élu domicile sur ma fenêtre et a passé la nuit à taper contre la vitre. Tu ne te sens pas un brin concerné ?

Elle lui jeta un regard noir et le visage de Rollan se fendit d'un grand sourire. Il était parfaitement bien réveillé maintenant.

- Oups, je crois que j'ai oublié de laisser ma fenêtre ouverte pour qu'Essix puisse rentrer !

Essix était le faucon femelle de Rollan. Bête Suprême - une des Quatre Perdues plus précisément -, elle lui était apparue trois ans plus tôt lors de sa cérémonie du Nectar. Indépendante et très têtue, elle passait le plus clair de son temps à sillonner le ciel, loin au-dessus de son maître.

- Et donc, si je comprends bien, comme môôônsieur a le sommeil trop profond, c'est moi que ta stupide chouette est venue réveiller au beau milieu de la nuit !? »

Les yeux de la jeune fille lançaient des éclairs. Le sourire de Rollan s'élargit encore. Elle tenta de lui envoyer un coup de pied dans les tibias, mais Aïdana s'interposa.

« Ça suffit ! On dirait un frère et une sœur qui se chamaillent ! »

En vérité, Rollan et Meilin n'avaient rien d'un frère et d'une sœur. A part la couleur de leurs cheveux, ils étaient aussi différents qu'on pouvait l'être, elle jeune zhongaise à la peau pâle, aux traits fins et à la mine sérieuse, lui amayain basané aux épaules larges, toujours prêt à faire rire la galerie. 

Ils s'étaient rencontrés juste après l'apparition de leurs animaux totems - le panda géant suprême Jhi pour Meilin -, alors qu'ils venaient d'être recrutés par les Capes Vertes. Ensemble, ainsi qu'avec leurs amis Conor et Abéké et leurs animaux Briggan et Uraza, ils avaient dû sauver le monde d'Erdas de la menace que le Dévoreur et son armée de conquérants faisaient planer au-dessus de leurs têtes. 

Maintenant, la guerre était finie et la paix revenue, mais il leur restait encore beaucoup à accomplir avant de pouvoir enfin se reposer. Parfois, Rollan trouvait que sa vie était injuste. Oh ! bien sûr, elle avait pris un tournant positif depuis l'apparition d'Essix, mais il lui arrivait de regretter le temps où il vivait à la rue, ne serait-ce que pour ne plus avoir à porter le fardeau du monde sur ses épaules. 

Hélas, s'il était resté le petit vagabond de Concorba, il n'aurait jamais connu la plénitude d'une relation humain-animal totem, ni la satisfaction d'avoir fait quelque chose de sa vie. Il n'aurait jamais rencontré d'amis tels que Conor, Abéké ou Meilin. Meilin. Que serait-il advenu s'il ne l'avait jamais rencontrée ? Aurait-il toute sa vie ressentit le vide qui s'emparait de lui chaque fois qu'il était loin d'elle ? Nul ne le savait. 

Auparavant, il n'aurait jamais imaginé pouvoir s'attacher de la sorte à quelqu'un. Pourtant, cette jeune fille arrogante et autoritaire qu'il avait trouvée si détestable lors de leur première rencontre faisait à présent partie intégrante de sa personne. Il ne s'imaginait plus vivre sans elle. D'ailleurs, pour son plus grand bonheur, elle habitait maintenant sous le même toit que lui depuis qu'Aïdana l'avait prise sous son aile. 

Depuis la mort de son père, Meilin était orpheline et elle en souffrait énormément. Si Aïdana ne remplaçait pas et ne remplacerai jamais sa mère morte en couche, elle faisait son possible pour aider la zhongaise et lui témoignait toute l'affection dont elle était capable. Rollan, même s'il se retenait bien de faire le moindre commentaire sur le sujet, était parfois secrètement jaloux de cette relation. Après tout, n'était-ce pas lui son fils biologique ? Celui qu'elle avait abandonné, certes pour le protéger, mais abandonné tout de même ?

« Tout va bien, Rollan ? lui demanda soudain sa mère, le faisant sursauter.

- Hein ? Quoi ? Heu... oui. Je réfléchissais.

- Tu avais les sourcils froncés.

- Ah bon ? Je ne m'en étais pas rendu compte.

- Tu peux me le dire, tu sais, si quelque chose ne va pas.

Meilin se leva et emporta son bol dans la cuisine, croyant bon de les laisser seuls un moment.

- Mais si, tout va très bien ! Pourquoi en serait-il autrement ? Je vis heureux entouré d'une mère qui m'aime, d'amis présents et d'un faucon au caractère de cochon !

Il avait parlé d'un ton un peu trop vif et tranchant. Il se radoucit.

- Tout va bien, murmura-t-il.

Aïdana fronça les sourcils. Elle aurait aimé pouvoir creuser la question, mais voyant Rollan se lever à son tour, elle n'insista pas.

- Bon, je crois qu'on va y aller. A ce soir Maman ! »

Sur ces mots, il déposa un baiser rapide sur sa joue, puis partit rejoindre son amie dans la salle d'à-côté.

« Tu es prête ? lui demanda-t-il.

- Presque. Je dois juste terminer cette vaisselle et j'arrive. Tu pourrais en profiter pour aller t'habiller, qu'est-ce que tu en dis ?

Rollan baissa les yeux sur sa tenue et pu constater qu'il était toujours en pyjama.

- Exact. J'y cours. On se retrouve ici dès que j'ai fini ! »

Cinq minutes plus tard, les deux enfants enfilaient leurs manteaux et sortaient. Dehors, un vent frais soufflait. Ils se dirigèrent vers la place. C'était là qu'ils avaient rendez-vous avec Conor et Abéké. Tous quatre devaient aller aider à la reconstruction de la ville. Bien sûr, personne ne leur avait demandé explicitement de le faire - ils avaient déjà tant accompli ! - mais ils étaient symbole d'espoir et tout le monde attendait d'eux qu'ils leur montrent comment réagir. 

Alors qu'ils traversaient une ruelle pavée, Rollan remarqua une petite fleur violette qui poussait entre deux dalles. L'une des premières du printemps ! Il la cueillit et l'offrit à Meilin. Elle lui sourit en retour et il sentit son cœur se gonfler de bonheur. Ils reprirent leur marche en silence et arrivèrent quelques minutes plus tard à destination. Leurs amis étaient déjà là, perchés sur un petit muret.

« Pas trop tôt, leur cria Conor en les voyant arriver. On a failli attendre.

- Des figures de courage tel que nous, les Sauveurs de l'Erdas se font toujours attendre. N'est-ce pas Madame Panda ? » lui répondit Rollan avec un clin d'œil tout en donnant un coup de coude à sa camarade.

Cette dernière le repoussa, puis s'éloigna à grandes enjambées en s'efforçant de ne pas rire.

« Bon, maintenant que tout le monde est là, c'est parti pour une énième journée de bagne ! » lança Abéké en sautant de son perchoir.

En vérité, leur travail n'avait rien d'insurmontable : ils passaient le plus clair de leur temps à courir d'ouvrier en ouvrier pour souhaiter bonne chance et donner de petits coups de mains plus symboliques qu'autre chose, mais les quatre enfants se plaisaient à le dramatiser.

Vers onze heures, alors que le soleil commençait à réchauffer l'atmosphère, Rollan s'autorisa une petite pause. Il regarda un moment ses amis et eu un pincement au cœur en les voyant regarder furtivement l'horizon à tour de rôle. 

Il savait qu'ils auraient préféré se trouver chez eux, dans leurs pays respectifs, plutôt qu'ici en Amaya, mais ils restaient pour lui. Il leur en était reconnaissant, mais craignait que Conor, Abéké ou Meilin ne se sente prisonnier. Il se promit de leur parler dès que possible et de leur proposer de rentrer chez eux. 

Finalement, Rollan leva les yeux vers le ciel et chercha Essix du regard, une main en visière. Elle était introuvable, malgré la vue de faucon dont Rollan avait hérité en bonus de son lien avec cette tête de mule. Le garçon la soupçonnait de lui en vouloir pour le coup de la fenêtre. Il soupira d'agacement, puis courut prêter main forte à Conor qui transportait une brouette chargée de briques.

Plus tard, alors que le jour commençait à décliner et que les enfants avaient été renvoyés chez eux, Rollan alla se poster sur le toit de la maison d'Aïdana - son refuge lorsqu'il souhaitait être seul - afin de s'efforcer de renouer avec son têtu de faucon totem. Il scruta le ciel pendant une bonne dizaine de minutes en plissant les yeux avant d'enfin remarquer la silhouette gracieuse qui décrivait des cercles, loin au-dessus de lui.

« Eh ! Essix ! cria-t-il, les mains en porte-voix devant la bouche. Ça te dirait de descendre un moment ? Je t'ai apporté de la viande.

Un cri moqueur lui répondit. Apparemment, le rapace n'avait pas l'intention de se laisser acheter de la sorte.

- Aller quoi, continua le garçon. C'est celle que tu préfères. Je l'ai achetée exprès pour toi. C'était la plus chère de toutes.

Nouveau cri.

- Ah ouais, c'est comme ça ? Je fais tous les efforts du monde pour qu'on se réconcilie, je viens me traîner à tes pieds pour te supplier de pardonner mon erreur et tu n'es toujours pas cont... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une boule de plumes au bec et aux griffes acérés plongea en piquet vers lui et lui arracha le morceau de viande qu'il tenait toujours. Puis Essix vint se poser sur son épaule, engloutit son butin et tira affectueusement une mèche des cheveux de son maître avant de pousser un cri aigu pour réclamer un autre morceau. 

Attendri, Rollan passa une main dans son plumage moucheté tout en lui tendant de l'autre le contenu de sa sacoche. Une fois qu'Essix eut terminé son repas, ils rentrèrent tous deux dans la maison, chose plutôt rare : le faucon détestait les espaces clos, elle s'y sentait enlisée. En les voyant entrer dans le salon, bras dessus, bras dessous, Meilin, qui démêlait ses cheveux mouillés, enveloppée dans un peignoir de bain, ricana.

« Tiens, mais que vois-je ? Les deux têtes de mule se sont enfin réconciliées ? »

Rollan et Essix se retournèrent vers elle d'un seul mouvement et lui jetèrent le même regard acéré. La jeune fille faillit tomber de sa chaise tant elle riait. Jhi, qui somnolait aux pieds de sa maitresse, releva la tête à ce moment-là et leur jeta tour à tour un regard apeuré. Est-ce que tout le monde est devenu fou dans cette maison ? semblait-elle dire. Le rire de Meilin redoubla et bientôt, Rollan et Essix - par ses hurlements amusés - se joignirent à elle.

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