Brisures.
Il y a une méthode artistique qui consiste à mettre des feuilles d'or ou de la peinture dorée sur les tranches des morceaux d'un object cassé. Lorsqu'on les recolle, ce qui était autrefois brisé est à présent embelli. Sublimé.
Qui mettra de l'or sur les miettes de mon cœur? Qui voudra bien recoller mon âme?
J'ai essayé, seule, une multitude de fois. Tout ce que j'ai gagné, ce sont des coupures. J'ai vu le liquide rougeâtre s'échapper et menacer de prendre ma vie. Comme si elle pouvait encore avoir une valeur, celle-ci...
Puis il est arrivé.
Un parmi tant d'autres.
Assise dans le train, Time guide mes pensées. Je revois ce fameux film, comment l'oublier? Cette scène sur les rails du train qui va bientôt passer. Je suis, moi, positionnée à l'intérieur. Et pourtant, je le sens vibrer en moi. L'impression d'avoir la tête posée sur ces morceaux de fer, d'attendre l'impossible.
La toupie ne cesse de tourner et j'ai envie de hurler. J'observe les gens lire, envoyer des messages, parler. Je les regarde et aucun ne sait que j'existe.
Pourtant je suis là.
La toupie
tourne,
tourne,
tourne.
L'horloge de mon appartement fait
tic, tac.
Tic, tac.
Tic, tac.
Indéfiniment.
Le temps... le temps guide nos pas.
Et cette musique me hante. Je suis malade, c'est un fait. Ça ne raccourcira pas ma vie, sauf si je le décide. Les mots qu'elle a prononcé dans son bureau impersonnel et trop bien rangé, ne changeront rien au fait que je vis tous les ans la date de ma naissance et celle de ma mort. C'est mon esprit qui est malade, le reste vie encore.
Peut-être vais-je mourir plus tôt que ce que je le crois. Je ne me suis jamais vue au-delà du présent. Tout le monde dit que c'est normal, que se projeter, c'est difficile.
Je me projette.
Sans arrêt.
Mais c'est pas très sain.
Il y a des garçons qui ont dit m'aimer. Et j'ai accepté ces mots car je n'étais pas capable de me les adresser. Des ados roucoulent sur une autre rangée. Nerveusement, je ne peux m'empêcher de me demander si je serai capable d'être l'amour de ma vie.
Est-on finalement obligé de céder cette place à quelqu'un d'autre?
J'ai arrêté cette relation car j'avais l'impression qu'elle m'empêchait de mourir tout en me tuant lentement. Je l'ai aimé, aveuglement, parce qu'il le fallait.
Comment vais-je survivre si je n'ai pas quelqu'un d'autre pour me dire ce que je vaux? Comment atteindre la surface si personne ne devient mon bateau?
J'ai accepté des mots que je pensais sincères parce que jusqu'ici personne ne m'en avait fait le sujet. Quand j'étais gosse, chez moi, on apprenait pas à
s'aimer.
Un garçon m'a dit « je t'aime », alors je l'ai aimé.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Quatre fois.
Mais qu'est-ce qu'ils voulaient dire par aimer?
Puis le dernier...
Le dernier...
Je l'aimais trop fort pour que ce soit sain. Ou peut-être l'était-ce, j'essayais juste de me sauver. La toupie n'a jamais vacillé, c'est comme ça que j'ai su qu'il mentait. C'est comme ça que j'ai compris que je l'avais inventé.
J'ai aimé une version de lui que j'avais créée, puis sur son visage, je l'ai collé. Mais le temps détériore tout...
Les feuilles d'automne sont tombées, et mon alibi aussi.
Et je suis malade.
C'est ce que je lui ai dit en sortant du cabinet. Je suis malade, on vient de me le dire. J'aurais voulu qu'il dise m'aimer à nouveau même si je l'avais jeté.
Même si je savais que c'était le genre de sentiment qui vous ronge jusqu'à la moelle, qui ne laisse rien d'autre qu'un vide et un désespoir immonde.
C'était tout ce que j'avais.
La toupie commençait à
divaguer.
Je suis malade.
Et il ne m'a probablement jamais aimée.
J'ai inventé toutes ces histoires d'amour auprès de ceux qui ne m'ont jamais appris à bien me traiter. Je vivais dans un mensonge parce que la réalité était déjà assez difficile à supporter.
Je les ai laissé mal m'aimer, parce que de toute façon je ne savais pas de quoi il s'agissait.
Et je suis malade.
C'est rassurant.
Peut-être que tout ça n'est pas de ma faute, finalement.
Les dernières notes de cette mélodie nostalgique résonnent dans mon cœur. Guident ses battements, et contrôlent ma tristesse. Le train s'arrête,
il faut descendre.
La toupie ralentie, et on ferme les yeux.
Je tourne le dos jusqu'à ne plus savoir si,
pendant mon absence...
elle s'arrêtera.
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