Chapitre 5 ~ Louisa

Lana se tient immobile, tout au bord. Elle sourit. Quelque chose en elle se débloque, une peur, une inquiétude peut-être. Tout autour d'elle n'a plus d'importance. Elle prend son envol. Et à sa plus grande stupeur, ses ailes sont magnifiques. Blanches, étincelantes, parfaitement soignées et d'une clarté qui embrase la jeune fille. Elle rit. Pour la première fois depuis très longtemps. Et pour la dernière fois.

Louisa prend son envol, depuis le balcon. Son rêve le plus cher a toujours été de partir. Elle regrette presque ce qu'elle va faire mais elle sait qu'elle n'a plus le choix. Elle serre son bébé contre elle. Hors de question de le laisser à ce monstre. Elle frissonne quand, jetant un coup d'œil à ses pieds, elle revoit le corps ensanglanté et meurtri de sa petite fille. Sa petite fille qu'elle a été incapable de protéger. Louisa se rappelle alors de sa vie.

Elle se rappelle sa mère, qui en était une bien meilleure qu'elle, qui la consolait, la protégeait, elle se rappelle son père, dont l'amour était infini, et qui n'a jamais levé la main sur elle. Elle se demande ce qu'elle a raté pour que tout cela finisse ainsi. Après tout, tout a commencé ici, sur le balcon. N'est-ce pas à cet endroit que tout doit se finir ? Elle se souvient de ses premières années de vies, bercée d'insouciance et de joie. Lorsqu'elle avait l'âge de sa petite fille, elle était dorlotée et innocente. Mais Lya n'a presque connu que la violence et la peur. Elle se souvient de son adolescence, de la mort de son père. Sa mère, dévastée, ne l'avait jamais pour autant délaissée. Louisa serre son fils contre elle, voilà au moins une personne qu'elle peut sauver de cet enfer. Elle se remémore ses premières soirées, l'alcool, la drogue, la dépression. Elle repense à ce soir-là, cette nuit où elle avait été prête à s'envoler, à enfin partir. Il lui avait agrippé le bras, sur ce balcon qui ressemblait à une cage. Il lui avait dit des mots doux, il lui avait demandé de rester. Elle avait accepté et elle l'avait épousé. Et c'était la pire erreur de sa vie.

Le balcon n'est pas le même mais il a la même saveur de prison et de souffrance. Il ne va pas tarder à revenir. Pour le moment, l'alcool le maintient tranquille. Mais pas pour longtemps. Les lèvres de la jeune femme tremblent. La pièce est envahie par l'odeur de la mort et le goût de la peur. La mère jette un dernier regard plein d'amour au corps sans vie de sa petite fille avant de se jeter dans le vide.

"Moi non plus la mort n'a pas voulu de moi."

Lana se retourne. Louisa se tient derrière elle, son visage défiguré. Elle parle d'une voix douce mais c'est une femme que la vie a brisée. Ses ailes ne se déploieront jamais. La jeune fille aurait presque de la pitié pour sa mère.

"Je ne savais pas que j'étais enceinte. Je n'étais pas capable de m'occuper de toi. J'étais une femme gravement blessée, mentalement instable et dont le fils avait réchappé de justesse à son salut, handicapé à vie. Je porte malheur à mes enfants Lana. Je ne voulais pas que ma dernière fille connaisse le sort de sa grande sœur."

Lana rit toujours.

"Mais ça n'a plus d'importance maintenant. Tu as ruiné ma vie. L'enfant que j'étais portais le poids des souffrances de personnes qu'elle n'a jamais connu. Je n'aurais jamais dû naître et j'en étais consciente. Je n'étais que le produit de douleurs et de haine.

- Lana. Arrête. Ne va pas faire ça. Tu  le regretteras.

- Morte, je n'aurais plus d'âme pour le regretter. Et puis quand bien même, qu'est-ce qui me manquerai ? Cette nouvelle famille qui est aussi proche du gouffre que moi ? Ne soit pas stupide. La mort n'a jamais voulu de moi mais elle n'en aura pas le choix. On ne résiste pas à son destin. Elle se jouait de moi tout ce temps parce que j'étais la proie facile. Mais regarde mes ailes : elles sont enfin prêtes. Tout ce temps, je voulais retrouver mes parents pour les serrer dans mes bras. Regarde ce que j'y ai gagné : une mère aussi instable que moi, voire pire et un père qui a détruit sa famille et qui croupit en cellule. Oh pardon, j'oubliais : un grand frère dont tu as gâché la vie que Lya avait eu tant de mal à épargner. Tu n'es pas la mère que je voulais. Et tu ne le seras jamais."

Lana rit encore une fois. Et ce rire, léger comme une plume, sonne comme une délivrance aux oreilles de Louisa. C'est le même rire que Lya. Le même rire mais dépourvu de son innocence. Le même rire, mais avec un goût amer, la saveur de la soumission, dont Lya était tout le contraire.

Lana sourit chaleureusement lorsque le petit ange s'approche d'elle pour lui prendre la main. Elle contemple ses ailes brisées. Lya aussi avait dû avoir cet envol plein de clarté. La jeune fille prend la minuscule main de sa grande sœur. Quelque part, loin, très loin d'ici, des ailes similaires aux leurs doivent pleurer. Loin très loin d'ici, réside leur dernier fragment de leur passé.

"Maman va bien ?

- Oui Lya. Maman est enfin délivrée de ses souffrances."

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