Chapitre 4 ~ Famille
Lana inspire profondément. C'est étrange de sortir de la clinique. Mais elle était bien obligée. Elle doit savoir. Voilà deux mois qu'elle s'efforce de se comporter bien pour avoir le droit de se promener. On ne l'a pas pour autant changée d'étages. Parce que la liberté est souvent le dernier pas avant la chute.
L'adolescente prend la main d'Angèle. Elle se fiche bien des regards de travers des gens dans la rue. Elle est si maigre, si pâle, si frêle que ça n'y changerait rien. Quelques personnes lui lancent des coups d'œils désolés. Elle ne veut pas de leur pitié. Elle claudique péniblement jusqu'aux marches de la mairie. Le bâtiment est imposant et grand. Elle le connaît bien. Cette ville, elle ne l'a jamais quitté. Elle y est née, elle a été dans l'orphelinat rural, sa grand-mère y habitait, son foyer est aussi ici et la clinique se trouve à proximité du bâtiment communal.
Lana sourit bêtement en pensant qu'elle ne sortira sûrement jamais de cet endroit. Mais en vérité, ça ne lui fait pas grand chose. Elle se doute que toutes les villes se ressemblent et qu'aucun endroit sur Terre ne lui fera passer son envie de quitter cette vie. Parce que l'habit de ne fait pas le moine et que le soleil n'efface pas le froid logé dans le cœur.
Le maire accueille la jeune fille en haussant un sourcil. Il ne la connaît pas. Bien évidemment. Il n'a jamais vu ni de près ni de loin cette enfant enfermée qu'elle est. Elle non plus ne l'a jamais vu d'ailleurs. Angèle prononce son nom. Le regard du député s'illumine sombrement. Bien évidemment. Son image est celle d'une inconnue mais son nom est tristement célèbre. Elle est passée dans le journal, dans les gros titres "Une adolescente déchirée échappe pour la vingtième fois à la mort". La presse aime bien exagérer.
L'élu lui fait signe de s'asseoir et elle obéit. Elle lui adresse sèchement sa requête. Il la regarde, surpris.
"Lana, demande Angèle, tu es sûre que c'est ce que tu veux ?"
Hochement de tête.
"Soit, marmonne le maire, mais tu sais que tu n'es pas née sous X, n'est-ce pas ? Et que tes parents t'ont reconnue et sont encore dans cette ville ? Tu es sûre de vouloir savoir ?
- Réfléchis bien s'il te plaît, Lana, supplie Angèle, ne vas pas te faire du mal sur un coup de tête."
Ricanements. Se faire du mal sans réfléchir, c'est du elle-même tout craché après tout. Mais elle ne reviendra pas sur sa décision. Elle veut savoir, elle veut comprendre. Elle ne peut plus rester ainsi dans l'ignorance.
Lana a toute son enfance imaginé ses parents. Parfois, elle mourrait d'envie de les connaître, et parfois elle les détestait. Ils avaient gâché sa vie. Parfois, elle était totalement indifférente. Elle se fichait de qui ils étaient parce qu'ils n'étaient pas là pour elle et qu'elle n'avait pas à regretter ceux qui avaient fichu sa vie en l'air. Mais en vérité, elle n'était pas sûre de vouloir connaître leur identité... C'était peut-être lâche, mais ainsi, elle n'avait pas à souffrir parce qu'elle les connaissait depuis toujours.
Lana en avait l'intime conviction depuis sa plus tendre enfance : elle avait déjà rencontré ses parents. Elle aurait voulu que ce soit ce vieux couple riche qui lui donnait parfois des gâteaux lorsqu'elle passait devant leur jardin avec sa grand-mère. Mais c'était impossible. Parce qu'ils étaient trop vieux pour ça. Et puis, en réfléchissant, elle avait réalisé que ce ne pouvait pas être des gens que sa grand mère fréquentait puisqu'elle avait coupé les ponts avec sa fille.
Au fil du temps, elle avait abandonné l'idée de les trouver et préférait s'imaginer des gens hideux qui ne la méritaient pas. Seulement, aujourd'hui, Lana allait savoir qui ils étaient. Lana allait découvrir qui l'avait lâchement abandonnée. Et surtout, elle allait pouvoir leur demander pourquoi.
Un nom. Un nom simplement écrit. Un nom insignifiant et pourtant si important. Seulement voilà, ce nom ne dit rien à Lana. Angèle esquisse un sourire. Évidemment. Lana ne retient jamais les prénoms des gens. Elle ignore tout de cette Laura et de ce Xavier. Ce sont ses parents et elle ne sait même pas qui il sont. Bizarrement, son estomac se noue et ses yeux trahissent sa déception. Une immense déception. Elle ne les connaît pas. Ce sont de parfaits étrangers par leur nom.
Angèle lui tient fermement la main. Derrière le portail, un jeune homme d'un vingtaine d'années la regarde, curieux. Ce ne peut pas être son père pourtant Lana est frappée par sa ressemblance avec le reflet qu'elle évite dans son miroir.
Et pourtant, il y a autre chose. Ce jeune homme là semble frêle, mal, brisé. Il lui rappelle quelqu'un. L'adolescente plisse les yeux et, soudain, son visage s'assombrit. Tout est clair désormais dans sa tête. C'était évident.
Ce jeune garçon brisé et l'ange déchu qu'elle voit en rêve sont ses aînés.
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