Chapitre 3 ~ Ange
Lana se laissa tomber lourdement sur le sol blanc de nacre. Elle ne ressentit rien et c'était normal : ce n'était qu'un rêve. Le décor restait le même : clair et fade. Rien ne différenciait le sol du ciel, tout était aveuglant et monotone. L'adolescente espérait chaque fois que le paradis ne ressemblait pas à ça, parce qu'elle aurait été dépitée que ce soit un endroit si banal et angoissant. Face à elle, une petite fille était recroquevillée sur le sol. Ses ailes blanches était presque invisible dans ce décor accordé. Sa silhouette, elle, contrastait. Noire, une ombre frêle et enfantine.
Lana n'avait jamais observé ce petit ange brisé de près. Mais elle avait remarqué tout de suite que la petite n'avait jamais pu vole : ses ailes étaient déchirées. Des lambeaux de chair traînaient au sol lorsqu'elle les déployait et ses plumes tombaient comme de la neige lorsqu'elle marchait. C'était un être déchu. Une innocence meurtrie et incomprise.
La fillette se tourna vers elle, son ombre légère cachant quelque peu le blanc éblouissant des alentours. Elle la regarda sans même la voir, comme toujours. Elle ne parlait pas. Elle ne faisait rien de particulier que d'observer Lana chaque fois qu'elle la voyait en rêve. C'était étrange mais, sans qu'elle ne lui eut jamais adressé la parole, alors même qu'elle ne l'avait jamais approché et qu'elle ne savait même pas à quoi elle ressemblait, la jeune fille se sentait apaisée et comprise à ses côtés, comme si elle la connaissait depuis toujours.
Puis un réveil brutal. Une sortie du coma, rêche et frappante, comme d'habitude. Un visage bien connu : son éducatrice, Angèle, qui la fixait avec un mélange de peut et d'agacement. Dès qu'elle se serait remise, elle aurait droit à un savon rempli de reproches et de sermons inquiets. Lana aimait bien Angèle. Mais sans plus. Elle était la seule figure maternelle qu'elle avait connu mais n'était pas spécialement attachée à elle. Depuis qu'elle avait quitté le foyer, la jeune femme lui rendait visite presque tous les jours. L'adolescente savait qu'elle pleurait chaque fois qu'elle la croyait dans les bras de la faucheuse et qu'elle serait inconsolable lorsque cela finirait par arriver. Parce que cela arriverait. On n'échappe pas à la mort, même lorsqu'elle ne veut pas de vous. Et Angèle le savait tout autant. Et c'était cela qui avait détruit sa vie. Alors Lana s'était promis de ne pas s'attacher à elle, pour ne peiner personne.
Le docteur arrive dans la chambre aux cris de l'éducatrice. Il toise la jeune fille avec mépris. Pour lui, elle n'est qu'une pauvre imbécile qui n'a rien compris au prix de la vie. Lana pourtant est loin d'être une idiote. Elle sait très bien à quel point la vie est précieuse. Mais pas son existence. Non. Son existence est ridicule comparée à tout ce qui l'entoure. Et sa mort sera moindre et sans conséquence.
Les infirmières s'agglutinent autour d'elle. Certaines la connaissent bien et d'autres pas du tout. Celles-là la plaignent, s'inquiètent, se demande ce que "cette pauvre bichette" a fait pour mériter une vie si triste. Leurs collègues sont silencieuses, un sourire en coin. Elles ne sont pas méchantes, elles savent juste que Lana est condamnée, comme tous ceux qui sont entrés dans le cercle vicieux au centre duquel elle est. Elles sont conscientes que leur patiente a beau avoir survécu tant de fois que certains médecins l'appellent affectueusement "Immortelle", elle ne sortira pas des griffes de la Mort. Elle finira par sombrer, comme tous les autres. Parce que la chance tourne. Toujours.
Angélique recule prudemment. Elle non plus ne dit rien aux jeunes infirmières. Elles sont nouvelles et mieux vaut ne pas les traumatiser pour le moment. Dans quelques années, elles auront largement compris que le dernier étage de la clinique n'est pas un hôpital. Non. C'est un cimetière aux vivants. C'est l'endroit d'où l'on ne ressort pas. Son nom est cité dans là-plupart des registres de décès de ses patients. Et ça n'est pas un hasard.
La clinique a pourtant une très bonne réputation. Tous les patients des étages inférieurs ou presque ressortent soignés. Ceux que l'on place au dernier sont condamnés. Cet étage, on l'appelle le Couloir des Anges. Parce que c'est le royaume de la Mort. Parce que ses patients disparaissent toujours un jour ou l'autre. Et parce que les infirmières n'y restent que rarement plus que deux, trois ans, à cause des patients. On dit qu'elles deviennent folles, que leurs patients décédés viennent les voir dans leur rêves, avec de grandes ailes dans le dos. Lana sait que ce n'est pas un mensonge. Sans même être une infirmière, elle en connaît un.
Lana a beaucoup cherché à comprendre qui était cette petite fille. Le dernier étage reçoit peu d'enfants. Parce que là se trouvent là-plupart des patients suicidaires, fous à lier ou dépressifs. Ainsi, ce petit ange si fragile a peu de chances de s'être retrouvé là un jour. Mais qui sait...
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