9. Rencontre au clair de lune
La journée fut longue, pour l'un comme pour l'autre. Les heures s'éternisaient jusqu'à la folie et les minutes narguaient les secondes. Un jeu pénible et plein d'espoir. Pourquoi ? Parce que le soir ne pouvait pas être si loin.
Jimin vécut cette période comme un supplice. Mu de cette envie irrépressible, toute autre pensée semblait interdite. Un monopole de l'attention tout particulier, une intégrité dévouée. Tous ses mouvements étaient accompagnés du même genre de réflexion.
Etait-ce un passage obligé que de jouir des vices de l'attente ? De se languir des heures durant d'un seul instant ? Le blessé se le demandait. Une interrogation de plus pour lui. Pourtant, l'excitation montait encore, jusqu'à atteindre d'affolants sommets. Dans ces moments, Jimin fermait les yeux, dans l'espoir de reprendre une pleine maîtrise de ses moyens. Qui était cet être pour lui être si important ? Une telle dépendance était-elle possible ? L'humain ne pensait pas pouvoir y survivre.
-Jimin ?
Ledit Jimin sursauta violemment, manquant de juste de laisser tomber le verre qui demeurait dans ses mains. Son patron se tenait là, sur le pas de la porte alors que le plus jeune était chargé de la vaisselle.
-Oui ? renchérit ce dernier, avec une assurance toute factice.
-Quelque chose ne va pas ?
Le ton n'était pas réellement accusateur ou même agacé. Le quarantenaire observait son employé avec tout ce qu'il y avait de plus aimable. Un brin d'inquiétude s'était glissé sur le plus âgé qui reprit, un brin moqueur :
-Ca doit faire un bon quart d'heure que tu laves le même verre.
Immédiatement, le concerné laissa tomber l'objet, sans égard à sa fragilité. Il soupira comme un condamné, la concentration n'était pas envisageable aujourd'hui. Jimin retira ses gants couverts de produits vaisselles, essuyant au passage son front humide. Il était dans un état d'euphorie profonde, bien que l'angoisse y subsiste.
-Désolé, j'étais ailleurs.
-Je vois ça.
Le plus jeune secoua la tête, gêné par son comportement irresponsable. Il avait eu de la chance de trouver un emploi aussi rapidement compte tenu de son état. Le perdre serait une catastrophe pour lui.
-Tu n'as pas l'air bien. Tu veux rentrer chez toi un peu plus tôt aujourd'hui ?
Jimin adressa un regard plein d'espoir à son homologue. Une envie irrépressible accrochant le moindre battement de son cœur. Son ainé dut le voir, le lire sur son attitude, puisqu'il reprit :
-Ton jour de repos est demain et il y aura peu de monde dans la soirée. Je devrai m'en sortir seul.
Cette fois, le blessé offrit un vrai sourire. De ceux qui se transmettent jusque dans le regard, un rictus sincère et véritable. En cet instant, rien n'aurait pu lui faire autant plaisir. L'après midi était déjà bien entamé et les clients se faisaient plus rares. La ville était encore pleine de vie à cette heure, les passants pressés ne perdaient pas un instant.
-Merci beaucoup.
Jimin s'inclina plusieurs fois avant de se retirer. L'air vicié de l'agglomération le heurta violemment. Il n'avait jamais été aussi conscient de cette pollution ambiante. Les rues se comblaient de citadins, semblables les uns aux autres. La tête baissée, le regard vague, les traits tirés et l'expression neutre. Parfois, des regards glissaient sur le jeune homme, rien que quelques secondes. Ce n'était pas un drame, il ne resterait dans leurs souvenirs qu'une impression vague de connaissance. Il avait appris à ne pas s'en formaliser.
Jimin traversa ainsi tout l'espace qui le séparait de son logement. Quelques longues minutes de marche dans cette ignorance bouillonnante et loquace. Après un rapide passage pour son appartement, il sortit à nouveau. Pas par simple envie, la compagnie d'autrui lui était toujours aussi insupportable. Il se contentait de laisser cette vie marquer son empreinte sur lui, puisqu'il n'en avait pas le choix.
Le temps passa et le blessé eut l'occasion de goûter à cette existence dont il ne voulait plus. Les vieillards s'amassaient dans le parc, douloureusement semblables dans leur âge avancé. Un regard autre sur toutes ces années passées. Et puis les enfants, l'exact opposé. Leurs cris agaçaient les nerfs, et leurs jeux n'avaient jamais semblé aussi idiots. Une absence totale d'intelligence aux yeux de Jimin. Il s'en voulait d'une part, trouver la vie elle-même défaite, décousue et fortuite ... Qui était-il pour penser cela ?
Finalement, la nuit tomba. L'ombre se profilait sur la ville, et sur cette présence humaine. Une tâche d'encre sur tout cela, venue gâcher la perfection apparente d'un monde atroce et immonde. Mais cette fois, le jeune homme ne s'en formalisa pas. Pire, il en fut même heureux ! Sa longue attente, cette insupportable agonie allait finalement prendre fin.
L'Ange de la Mort fit son apparition, silencieux dans la Nuit. Il acheva son vol, dans un bruissement d'ailes imperceptible. Sa présence fut immédiatement remarquée, Jimin la sentit avant même de voir cette silhouette longiligne. L'humain se redressa, les sens aux aguets. Après de longues heures de patience, la créature signait enfin son grand retour. Il se tenait là, au beau milieu du parc où l'herbe s'était peinte de noir. Le blessé aurait pu en pleurer, mais c'est un sourire qui éclaira son visage.
-Tu es en retard.
Ce fut tout ce qui parvint à s'échapper de la gorge de celui-ci, une vaine tentative de reprendre contenance. Il s'était relevé, peut-être un peu maladroitement, et se tenait à quelques mètres de son vis-à-vis.
-Désolé, j'ai fait au mieux.
Jimin opina. De cela, il ne doutait pas un seul instant. Sa solitude passée lui semblait bien dérisoire en comparaison. Il se sentait alors bien égoïste !
Ce soir-là, Taehyung semblait fatigué, peut-être un peu las aussi. Comme si le poids des années agissait sur la perfection de ses traits. En altérait la beauté, dans l'illusion irréprochable de l'instant. Les ailes disparurent, alors que l'être se déplaçait lentement. Il s'assit sur le banc, bientôt imité par l'humain. Ce dernier s'enquit alors, en écho à ses pensées :
-Tu vas bien ?
L'Ange de la Mort garda le silence un moment, si bien que son homologue se vit obligé d'insister :
-Tu sembles fatigué.
La créature secoua la tête, comme désabusé par la situation. Il regardait face à lui, fuyant judicieusement le contact visuel :
-La situation n'était-elle pas étrange ? Tu es blessé, encore traumatisé par ton accident et complètement perdu. C'est moi qui suis suggéré de m'inquiéter pour ton état mental comme physique, pas le contraire.
Jimin fronça les sourcils, surpris par cet accès de parole. Ces paroles étaient dépourvues de sens, utilitaires et passablement inutiles. Le jeune homme comprit alors l'intention de son vis-à-vis. Il s'en sentit à la fois blessé et interdit.
-Tu évites ma question, asséna-t-il, presque durement.
Taehyung se rembrunit, ayant visiblement sous-estimé le plus petit. Sa volonté n'était pas mauvaise ou risible, mais la maladresse n'avait pu être évitée. Il reprit alors :
-Je suis juste un peu fatigué.
La tension présente dans l'atmosphère nocturne disparut à ces simples mots. Une légèreté appréciable la remplaça alors, accompagné par la l'exclamation spontané de Jimin :
-Qui aurait cru que la fatigue pouvait t'atteindre ? Moi qui pensais que rien ne pouvait t'atteindre !
-Je ne suis pas si différent des humains, Jimin.
Le regard de l'Ange de la mort s'assombrit. La nostalgie et les regrets s'y glissèrent, comme une ombre sur le tableau. Toute la complexité de cet être venu d'ailleurs.
-J'ai même été des vôtres, il y a longtemps. Je connais la fatigue comme le bonheur. La douleur comme la peur. Certaines de ces choses m'ont simplement quitté, quand la Mort est venue à moi.
-La Mort ... répéta Jimin, comme si ce mot lui était inconnu.
En vérité, cette notion ne lui était pas étrangère. Ce terme n'aurait du être qu'une chimère pour lui, mais c'était bien plus à présent. L'humain en ressentait tout le sens, dans chacun de ses membres dès lors qu'il se trouvait seul. Comme si la Mort tentait de s'émincer en lui, de reprendre ce dont on l'avait privé.
L'atmosphère était redevenue pesante. Comme rattrapée par la dure réalité, par celle qui menaçait l'existence de ces deux êtres. Taehyung ajouta, à mi-voix :
-Peut-être un jour seras-tu ? Je te raconterai un jour, si j'en ai le courage.
Jimin ne comprit pas la lourdeur présente dans la voix grave de son vis-à-vis. Comme s'il portait toute la souffrance du monde sur ses épaules. Il voyait sur les traits de la créature le masque qui l'avait tant suivi. Une mascarade sourde et puérile, que la survie avait rendue nécessaire. L'humain était certain que cette silhouette n'était pas Taehyung !
Les épaules de celui-ci s'abaissèrent avant qu'il ne se reprenne, subitement. Il se redressa et lança :
-Mais oui, j'ai parfois besoin de me reposer. C'est différent que pour les humains, je n'ai pas besoin de longues heures tous les jours. C'est un avantage considérable.
Jimin pouvait l'imaginer, tout ce temps perdu au service d'un corps qui nous trahissait ... Y échapper serait une chance pour n'importe qui ! Une aubaine que l'esprit humain ne pouvait concevoir. Il savait que cette exclamation manquait de naturelle et n'avait pour but que de détendre l'atmosphère. Mais elle lui fait étrangement de bien, la légèreté de Taehyung ne semblait pas feinte.
-Ca doit être bien pratique, reprit l'humain, un sourire enfantin naissant au creux de ses lèvres.
-Oui, mais le temps passe moins vite. Mais je peux venir te voir ainsi, la Nuit.
-Les humains peuvent te voir ?
-Non.
La question et sa réponse avait fusé, rapide en sans appel. Un peu sourde sûrement, comme un regret profond implanté en la créature. Jimin vit dans le regard de son homologue un éclair de conscience, de réalité. Et il songea, pour la première fois, que la situation pouvait aussi lui être douloureuse. Il se sentit égoïste, lui qui, blessé, s'était tellement apitoyé sur son sort. Avait-il, à un seul instant, songé à la position qu'occupait l'Ange de la Mort ? Non, cette idée ne l'avait pas même effleuré.
Le silence s'était installé, sans qu'il n'en devienne dérangeant. La Nuit offrait ce qu'elle avait à proposer de plus beau : le Néant total. Cette ombre terrestre que Jimin avait appris à apprécier à sa juste valeur. La part de ce monde que les humains s'évertuait à fuir, illustrant leur parfaite couardise. Cette noirceur était l'Ange de la Mort, et la lumière devait se trouvait derrière le masque. Kim Taehyung en était certainement l'illusion née.
Le blessé se leva, doucement, évitant le moindre mouvement brusque. En cet instant, il rêvait d'un contact avec l'être qui l'accompagnait. Il ignorait d'où venait son pouvoir, mais les rares touchés l'avaient profondément bouleversés. Il serra les points, dans l'espoir de maîtriser cette ardeur réelle et incompréhensible.
-Taehyung.
La voix de Jimin résonna dans tout son corps avant de se répandre dans les méandres de la Nuit. Il frissonna, rattrapé soudain par la fraicheur de la brise.
Le dénommé se tendit imperceptiblement. Son nom était tombé si longtemps dans l'oubli qu'en entendre la sonorité lui était étrange, interdit. Il s'humecta les lèvres, frappé de plein fouet par ce qu'il l'avait caractérisé jadis. Des petites habitudes, des réactions pleinement humaines. Mais la créature n'était pas encore prête à renouer avec tout cela. Les décennies avaient marqué son être au fer rouge, une cicatrice immense et immonde !
-Oui ?
La voix semblait encore plus rauque qu'à l'accoutumé. Comme sortie des entrailles de la Terre, de cette plaie béante qu'il représentait.
-Je-
Jimin se stoppa sans l'aide de quiconque. Son mal être était certain, une gêne perceptible et naturelle. Il était humain après tout, accompagné de ses doutes et ses faiblesses. Mais il mourait de besoin de lui faire part de ses pensées. De toutes celles qui lui collaient à la peau depuis de longues journées. La Nuit le laissait libre d'exprimer cela. La Lune le muselait encore, comme en désaccord avec l'envie du blessé. Ce dernier trouva la force de se lancer, de défier l'astre dont la pâleur l'atteignait encore :
-Je voulais te ... remercier.
Long chapitre qui se termine sur une note plutôt douce.
Une certaine fragilité de la part de Tae qui peut paraître étonnante dans le sens où il n'est plus censé être humain. Jimin est conscient du contraire et ils commencent à s'appuyer l'un sur l'autre (c'est de plus en plus le cas).
Dans le prochain chapitre, intitulé "Contact nocturne", on retrouve le même genre d'ambiance mais avec une petite surprise en fin de partie. Je vous laisse imaginer quel genre de surprise (promis, ça vous fera plaisir ;3) ~
Je vous embrasse !
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