Chapitre 14 (suite et fin) : Envolée

Soudain, ils furent stoppés net par un fracas assourdissant et un éclair qui vinrent déchirer le silence de la nuit. Ils virent un halo éblouissant se former à quelques mètres d'eux. Marie se plaqua, effrayée, contre Angel. Bientôt, de ce halo, sortirent trois silhouettes à la clarté quasi-insoutenable. Les contours de leur corps se dissolvaient dans la puissance de la lumière qui jaillissait d'eux ; seuls les traits de leur visage étaient bien distincts. Il y avait un personnage jeune, un autre d'âge mûr et un vieillard. Tous les trois formaient une ligne et s'avançaient vers Angel et Marie.

- Qui est-ce ? demanda Marie tandis qu'Angel, dans un geste protecteur, la faisait passer dans son dos.

- Ce sont les trois Juges du purgatoire, les Soupeseurs d'âmes, lui souffla-t-il.

A peine Angel eut-il fini sa phrase que, d'une même voix comme directement sortie des cieux, les trois Juges dirent :

- Angel, nous sommes venus te chercher.

Aussitôt, dans un réflexe de révolte, Marie hurla « Non ! » et sortant de derrière le dos d'Angel, elle s'avança vers les Juges. Elle était effrayée, mais la colère qui grondait en elle depuis des mois dépassait sa peur en intensité. Elle cria à leur adresse :

- Non, il reste avec moi. Je ne veux pas qu'il parte ! Il n'a rien fait de mal ! Allez-vous-en !

Angel tenta de la modérer :

- Marie, tu ne dois pas parler aux Juges. Ce sont eux qui posent les questions et rendent la Justice.

- Justice ?? Elle est où la justice dans tout ça ? Tu parles d'une justice ! La justice c'est de t'enlever à moi parce que nous nous aimons ? Alors je me fiche de savoir si j'ai le droit de parler aux Juges. J'ai une question à leur poser.

Et faisant un pas dans leur direction, le regard droit, la tête haute, elle leur demanda :

- Qu'avons-nous fait de mal ? A nous aimer, que faisons-nous de mal ?

Ce fut le vieillard à la longue barbe blanche qui lui répondit, d'une voix sage et profonde qui semblait remplir tout le silence de la nuit :

- Le ciel et la terre ont des lois. L'une d'elle interdit qu'un ange et une humaine puissent s'aimer. A fortiori si c'est un ange Tentateur qui risquerait de condamner son aimée à l'Enfer.

Marie, que cette réponse, loin d'apaiser, révulsait, poursuivit :

- Ah oui ?! Alors vos lois sont stupides ! Que vaut une loi qui interdit l'amour ? Je croyais que votre Dieu était un dieu d'amour ? Un dieu d'amour qui interdirait l'amour ! Ça n'a aucun sens ! Nous nous aimons, nous ne faisons rien de mal ! En quoi l'amour est-il condamnable ?

Le plus jeune des Juges prit la parole :

- Nous appliquons les lois et l'une d'elle dit qu'un ange Tentateur est destiné aux âmes en perdition. Or vous êtes une âme pure.

- Je me fiche de vos lois ! Je me fiche d'être une âme pure ! Je veux bien être une âme damnée si c'est le prix à payer ! clama Marie.

- Vous ne pouvez dire cela, lui dit le Juge d'âge mûr.

- Oh si, je peux le dire ! Je n'ai aucun respect pour une loi qui n'a aucun sens ! J'aime Angel, expliquez-moi en quoi est-ce mal ?

- Votre amour n'a rien de mauvais. Simplement il est interdit et dangereux. Il contrevient aux lois du ciel et de la terre.

- Vos lois sont injustes ! Changez-les ! Elles ne peuvent pas condamner un amour ! poursuivit Marie toujours aussi à vif.

- Les lois sont garantes de l'ordre de l'univers. Elles permettent que le monde tourne à peu près rond. Chaque trouble à la loi menace l'édifice tout entier.

- Je me moque de troubler l'édifice ! Je veux seulement pouvoir aimer Angel...protesta Marie que des sanglots de rage firent trembler.

- L'ordre divin garantit par exemple que votre père, s'il venait à décéder bientôt, aurait sa place au Paradis. Voudriez-vous troubler cet ordre-là ? lui demanda le vieillard.

Marie se tut un instant. Elle ne savait si ces dernières paroles du Juge constituaient une menace à l'égard de son père. Lui faisait-on comprendre que si elle s'obstinait, elle condamnerait son père ? Cela lui semblait impossible tellement cela eut été injuste.

Aussi reprit-elle sur sa lancée :

- En quoi la présence d'Angel à mes côtés trouble-t-elle quoi que ce soit ? Nous ne faisons rien d'autre que nous aimer. Qui plus est chastement...

- La présence d'Angel à vos côtés est un trouble à l'ordre divin parce qu'elle contrevient à sa destination d'ange Tentateur et parce qu'elle constitue un danger pour deux âmes pures : la vôtre et celle de votre amie Sophie. Vous dites que votre amour est chaste. C'est vrai, pour l'instant. Mais combien de temps encore résisterez-vous à la tentation ? Vos désirs d'humaine vous poussent à succomber. C'est naturel et normal. Et tout en Angel attise la tentation. C'est ainsi. Il faudrait une force d'âme exceptionnelle pour résister indéfiniment. Ne présumez pas de vos capacités, ne péchez pas par orgueil, lui indiqua le vieux Juge.

- Je ne prétends pas posséder une force d'âme exceptionnelle, rétorqua-t-elle. Je connais seulement la force de mon amour pour Angel et je suis prête à tous les sacrifices pour pouvoir vivre cet amour.

- Marie, vous possédez une âme pure, belle et forte, intervient l'ange d'âge mûr. Mais votre amie Sophie n'est pas aussi forte. Elle est en grand danger. Sa rencontre avec Angel l'a pervertie. Elle n'est pas en mesure de résister. C'est un trouble à l'ordre que nous ne pouvons tolérer.

- Mais nous ne voyons plus Sophie ! Et nous ne la verrons plus. Nous partirons à l'autre bout de la terre s'il le faut, pour qu'elle nous oublie. Mais je vous en supplie, dit-elle implorante en tombant à genou, laissez-nous nous aimer.

- Partir à l'autre bout du monde ne changerait rien pour Sophie. Elle n'oublierait pas Angel. Le venin de la tentation continuerait de la pervertir.

- Alors aidez-là ! Réparez cette injustice !

- C'est ce que nous allons faire : nous allons vous aider.

- Nous aider ? Qu'allez-vous faire ? interrogea-t-elle, suspicieuse.

- Nous allons effacer de vos mémoires toute trace d'Angel. Vous vous réveillerez demain, comme tous ceux de votre entourage qui ont connu Angel, en ayant tout oublié de lui.

- Vous ne pouvez pas faire ça ! cria-t-elle.

- Telle est notre sentence. Qu'il en soit ainsi ! clamèrent solennellement les trois Juges en chœur, faisant vibrer l'air comme un roulement de tambours ou de tonnerre.

Marie poussa un « non ! » désespéré en s'effondrant.

[ FIN DE LA PREMIERE PARTIE]


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