Chapitre 14 (3ème partie) : Envolée
Une fois dehors, tout en tenant la main de Marie, Angel se mit à courir doucement.
- Où va-t-on ? demanda-t-elle, curieuse.
Elle obtint pour toute réponse un grand sourire d'Angel, qui, quelques minutes plus tard, à son grand étonnement, s'arrêta soudain devant le porche d'un immeuble. Il tapa quelques chiffres sur le clavier du digicode et la porte s'ouvrit. L'emmenait-il dans une sorte de garçonnière ? Etait-ce là qu'il demeurait quand il n'était pas en mission ou auprès d'elle ? Lorsqu'une fois Marie s'était aventurée à lui demander où il logeait, il lui avait répondu « partout et nulle part » avec cet air ferme qu'elle connaissait désormais suffisamment pour savoir qu'il signifiait : c'est la vérité, ne cherche pas à savoir au-delà de cette vérité.
- C'est chez toi ? demanda-t-elle.
Au lieu de lui répondre, Angel lui intima le silence, de son index devant sa bouche, et la tenant toujours par la main, il la fit grimper les escaliers. Arrivé en haut des cinq étages, il prit sans bruit une échelle accrochée au mur, la déplia et l'installa à l'aplomb d'une trappe. Il se mit à escalader les barreaux, ouvrit la trappe et s'engouffra sur le toit. Quelques secondes plus tard, Marie le vit réapparaître. Il lui tendait la main en disant : « Viens ! ». A son tour, Marie s'aventura sur l'échelle et, aidée par la main tendue d'Angel, se hissa sur le toit.
La vue était splendide. Devant eux, se dressait fièrement la Tour Eiffel que son illumination nocturne faisait ressembler à une bougie d'anniversaire géante. Les milliers de petites flammèches qui paraissaient s'allumer sur sa longue silhouette les unes après les autres et se dédoublaient dans le miroir de la Seine, lui donnaient une allure féérique. Un peu plus à gauche, les ors du dôme des Invalides semblaient jouer avec les rais argentés de la lune. Plus loin encore, Marie apercevait les flèches de Notre-Dame et de la Sainte Chapelle qui donnaient l'impression de vouloir rejoindre le ciel. Au fond, elle devinait les contours ventrus du Sacré-Cœur qui, tel une religieuse dodue de pâtisserie, trônait majestueusement sur les hauteurs de la ville. Paris exerçait son envoûtement.
- C'est magique ! s'exclama Marie en tournant son visage vers Angel qui, placé derrière elle, la serrait dans ses bras.
- Prête pour la suite ? demanda-t-il.
- Oui ! C'est quoi la suite ? poursuivit-elle, trépignant presque comme une enfant.
- Tu n'as pas écouté ? Je l'ai dit à tes parents pour prendre congé...
- Si, j'ai écouté mais tu n'as rien dit de particulier.
- J'ai dit : « Vous permettez que je m'envole avec votre fille ? » Alors nous allons nous envoler...
- Nous envoler ?! répéta Marie, ébahie.
- Oui, nous envoler. Prête ?
- Oh oui !!! lâcha-t-elle en sautant de joie sur place.
Angel recula de quelques pas, leva les bras au ciel. A cet instant, tout son corps sembla transfiguré. Il se mit à briller d'une lumière d'une incroyable blancheur. Même la digne Tour Eiffel semblait pâlichonne en comparaison. Emanait d'Angel une clarté qui aurait pu être éblouissante, voire aveuglante tant elle était puissante, mais ses rayons purs atteignirent Marie comme de douces caresses soyeuses.
Il s'agenouilla et indiqua à Marie :
- Viens sur mon dos.
Marie obtempéra. Quand elle fut assise à califourchon sur le bassin d'Angel, les mains posées sur les épaules de celui-ci, elle eut la surprise de voir apparaître, dans un bruissement léger, deux immenses ailes neigeuses et duveteuses, dont chaque mouvement laissait tomber une poudre nacrée.
- Tu as des ailes ? s'exclama Marie, abasourdie.
- Oui, si tu veux.
- Si je veux ?
- Oui, n'est-ce pas ainsi que les humains imaginent les anges ? Avec des ailes ? Mais je peux les faire disparaître, précisa-t-il en joignant le geste à la parole.
Et il ajouta :
- Mes ailes sont uniquement là pour t'enchanter. Me veux-tu avec ou sans ?
- Avec !
Et les ailes réapparurent.
- Alors prête pour l'envol ?
Comme Marie ne répondit pas immédiatement, Angel devina une certaine appréhension chez elle. Il savait, parce qu'elle le lui avait raconté, qu'elle avait parfois le vertige.
- Tu as peur ? s'enquit-il doucement.
- Un peu... avoua-t-elle.
- Tu es en sécurité, tu ne pourras pas tomber. Tu vois ce halo blanc qui nous entoure ?
- Oui.
- Ce sont nos deux auras qui sont entremêlées. Le temps de notre vol, nous formerons un tout indissociable. C'est une bulle impénétrable, une protection infranchissable. Rien de fâcheux ne peut t'arriver.
Ces paroles rassurèrent Marie, qui savoura l'idée d'être si étroitement liée à Angel. Elle se laissa aller contre son dos.
Angel prit alors son envol. Il déploya ses majestueuses ailes et s'éleva haut dans le ciel. Après avoir lancé un « c'est parti ! », il fondit en piqué vers la Tour Eiffel autour de laquelle il tourna à toute vitesse. Il glissa vers la Seine où naviguaient des bateaux-mouches, déboula sur la place de la Concorde. Il s'arrêta un instant sur le haut de l'Obélisque pour que Marie puisse contempler d'un côté l'avenue des Champs Elysées, l'Arc de triomphe et de l'autre le jardin des Tuileries, sa grande roue, le Louvre et sa pyramide. Il fila ensuite vers l'Opéra dans lequel il s'engouffra jusqu'à se tenir en l'air au beau milieu de la salle de spectacle où Marie put assister quelques minutes au ballet « Songe d'une nuit d'été ».
Elle était émerveillée, elle en avait plein les yeux. Mais pragmatique, elle finit par demander tandis qu'ils sortaient de l'Opéra :
- Et les gens ? Ils ne nous voient pas ?
- Non, ils ne nous voient pas. Certains auront l'impression d'une image un peu troublée quand nous passons, d'autres croiront apercevoir un feu follet ou une étoile filante, d'autres encore percevront une brise légère à notre passage. Mais aucun ne peut nous distinguer.
Angel reprit ensuite la Seine en rase-motte. Ils passèrent devant le musée d'Orsay, la Conciergerie, entre les deux tours de Notre-Dame. Angel leur fit faire le tour de l'île Saint Louis pour remonter la Seine en sens inverse, passant tantôt sous les ponts, tantôt au-dessus, faisant cliqueter les cadenas du pont des Arts déposés par les amoureux du monde entier. Ils dépassèrent le Grand Palais, les Invalides, le Trocadéro et la Tour Eiffel. Lorsqu'ils arrivèrent près de la statue de la Liberté, réplique de celle qui fut offerte aux Américains, Angel annonça : « Accélération ! »
Ils filèrent à toute allure le long du fleuve, rapides comme le vent. Après les lumières de la ville, Marie put admirer celles de la nuit. Etoiles et astres se miraient dans les plis et les vagues de la Seine, la faisant ressembler à un long dragon aux écailles argentées. Lorsqu'elle levait les yeux au ciel, Marie voyait le doux sourire que la lune arborait telle une mère attendrie. Elle était à la fois grisée, enivrée par la vitesse, par la vue de tous ces paysages qui s'offraient à son regard, et pleine d'une bienfaisante paix, enveloppée par la douce chaleur d'Angel et de leurs auras. Elle aurait voulu que ce moment de plénitude dure pour l'éternité.
Lorsqu'ils arrivèrent au Havre, Angel se mit à longer le littoral en direction du nord. Ils volaient juste au-dessus de l'écume blanche, au point où les vagues rejoignent la terre. La nuit déployait son camaïeu de noirs et de bleu marine ; le ciel et la mer rivalisaient de beauté dans leur palette de lumières nocturnes. L'eau s'offrait comme une étoffe de satin agitée par le vent, déployant des nuances allant du blanc au noir le plus sombre, accueillant en son sein la nuée scintillante des étoiles. La blancheur mousseuse de l'eau s'ornait de la traînée de poudre pailletée laissée par les ailes d'Angel.
Bientôt celui-ci s'engagea sous une grande arche. C'était celle d'Etretat. Il s'éleva ensuite jusqu'au haut des falaises où il finit par délicatement se poser. Il fit descendre Marie de son dos et la fit passer devant lui pour mieux la prendre dans ses bras. Tous les deux face à la mer, il leur semblait être seuls au monde. Deux êtres rendus uniques par l'immensité qui les entourait. Face à l'étendue de la mer et de la voûte céleste, ils percevaient avec acuité la présence l'un de l'autre. La mer, la terre, la lune, le firmament, tout semblait accueillir et bénir leur amour.
- C'est comme dans mon rêve ! dit-elle en reconnaissant dans ce moment la réalisation d'un de ses rêves auxquels Angel avait eu accès.
Elle ajouta :
- Merci de réaliser mes rêves et de les rendre encore plus beaux !
En disant cela, elle se tourna vers Angel, se hissa sur la pointe des pieds pour lui donner un baiser. Elle lui sourit avec gratitude. Angel prit son visage entre ses mains et lui rendit son baiser. Ils s'embrassèrent avec fougue, mais en même temps avec retenue, car ils voulaient contenir les sensations qui montaient avant qu'elles ne les mènent vers l'interdit. Ils restèrent un long moment à jouer de leurs lèvres explorant toutes les nuances de l'échange.
Soudain...
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