Bonus : Chapitre 16 (1ère partie) : Solitude
Les jours passèrent et filèrent, s'étirant dans une pénible langueur et une lancinante douleur. Rien ne venait plus les distinguer les uns des autres. Ils s'écoulaient, identiques, noyés dans une sorte de brume. Marie s'était retirée en elle-même. Elle se sentait plus isolée et abandonnée que jamais : Angel l'avait laissé tomber et elle ne pouvait en parler à personne, sous peine de passer pour folle à lier. Elle restait donc seule avec la tourmente de ses pensées, avec la torture de sa peine, dévastée par le manque. Tel un fruit privé d'eau et de lumière, elle se ratatinait, comme happée de l'intérieur par un mal mystérieux.
Toutes les nuits, elle pleurait longuement en se demandant : « Angel, pourquoi m'as-tu abandonnée ? ». Elle maigrissait à vue d'œil, commençait à perdre ses cheveux et son teint, de diaphane, virait au blafard. On aurait dit quelque créature vidée de son sang, anémiée, émaciée. Son mal-être ne pouvait passer inaperçu. Tout son entourage s'en alarmait, d'autant que personne n'obtenait de réponses quand ils l'interrogeaient sur ce qui n'allait pas. Mais qu'aurait-elle pu leur dire ? Qu'elle se mourait d'amour pour un ange que le Ciel ne l'avait pas laissée aimer ? Qu'ils avaient connu Angel mais que les Juges avaient tout effacé de leur mémoire ?
Le poète Lamartine a écrit : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » C'était plus que vrai pour elle. Son amour inavouable et impossible la coupait du monde. Elle ne pouvait que se replier sur elle-même en compagnie de son désespoir et du souvenir de sa nuit d'anniversaire, seules traces vives de son histoire avec Angel.
Incessamment, à partir des quelques bribes que les Juges n'avaient pu effacer, elle tentait de reconstituer son passé. Elle s'y attela avec rigueur et méthode, passant un à un en revue les détails de cette nuit. Ses tentatives répétées finirent par être couronnées de succès. A partir d'un fil, elle parvint à plusieurs reprises à dérouler l'écheveau entier d'un souvenir. Au fur et à mesure, elle finit par reconstituer un puzzle, certes incomplet, mais suffisamment fourni pour qu'une trame apparaisse et que ses certitudes soient renforcées. C'était un peu comme un film dont trop de scènes auraient été coupées au montage mais dont l'essentiel du scénario aurait été conservé.
Ainsi, à partir du mot « Louisiane » prononcé dans son « rêve », Marie avait pu se souvenir du viol de la sœur d'Angel, du lien avec ses missions d'Ange Tentateur, du soir où il lui avait raconté tout cela après qu'elle l'eut appelé dans la forêt. S'interrogeant sur ces missions, lui étaient revenues en mémoire les disparitions d'Elodie et de Sandra. Partant d'Elodie, elle s'était rappelé les premiers jours de leur rencontre.
Le moment de la nuit où elle avait remercié Angel d'avoir réalisé son rêve l'avait menée vers d'autres rives connues : elle avait compris qu'elle avait rêvé auparavant d'une envolée vers Etretat et qu'Angel avait eu accès à son rêve. De là, elle se souvint qu'ils communiquaient par la pensée, puis qu'à défaut de pouvoir s'aimer physiquement et réellement, ils s'étaient aimés virtuellement dans des jeux de pensées érotiques raffinés.
La remarque du Juge sur Sophie fit remonter à la surface la trahison de cette dernière jusqu'à l'esclandre lors d'une soirée, où elle avait traité Angel de « pute ».
C'était sans doute là le seul avantage de la situation actuelle : Angel disparu et effacé, Marie avait retrouvé son amie fidèle, égale à elle-même, dévouée corps et âme pour tenter de l'extirper de son insondable tristesse.
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