Vous êtes toujours là ?
C'est que le prologue vous a mis l'eau à la bouche.
Bienvenue dans la tête d'Angela.
Accrochez-vous, ça va faire mal.
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Angela
"Le coup le plus rusé que le diable ait réussi, c'est de convaincre tout le monde qu'il n'existe pas."
The Usual Suspects, Verbal KINT
Je ferme les yeux, le visage dirigé vers le soleil.
Que j'aime ce calme !
J'apprécie toujours le moment serein qui précède la tempête.
Je récupère la barre de fer que j'avais préparée la veille et condamne l'accès aux escaliers. J'ouvre la trappe d'une des climatisations et récupère le sac que j'y ai dissimulé.
L'heure tourne : dix minutes pour finaliser les derniers détails.
Je déploie la fine bâche au bord du toit et installe dessus mon bipied afin d'y déposer mon fusil. Je mets en route les drones et les déploie à chaque angle du bâtiment pour la surveillance des allées et venues.
À l'aide de mon téléphone, je verrouille leur position. J'attache mes cheveux, remonte la capuche de ma combinaison et la fermeture Éclair jusqu'à la base de mon cou.
J'attrape deux chewing-gums et les enfourne dans ma bouche. Mastiquer cette gomme à la réglisse est le seul moyen efficace qui m'empêche de succomber à mon seul vice durant mes missions.
Fumer.
Je m'allonge au sol, sur la bâche, pour me mettre en position. La plaque de touche contre ma clavicule, je réajuste mon placement et mon œil se presse sur la lunette de vision de mon fusil. Ma main s'enroule autour de la crosse, mon doigt prend place dans le pontet et quand la culasse touche ma joue, un sentiment de bien-être m'envahit.
Je ne me sens jamais aussi heureuse que lorsque je tiens, au bout de mon canon, une pourriture telle que celle du jour.
Vous avez bien compris. Je tue des gens.
C'est ça que je fais quand vous allez au bureau, sur vos chantiers ou encore lorsque vous partez travailler de la manière la plus légale qui soit.
Je bute des êtres vivants. Pas des êtres humains. Attention, on ne s'occupe que de personnes foncièrement mauvaises. Ce n'est pas une excuse, me direz-vous et, à titre de renseignement, je ne m'en cherche pas. J'aime ce que je fais, j'ai été formée pour ça et Dieu m'en soit témoin, je le fais bien.
Je suis la meilleure dans mon domaine et vous savez pourquoi ?
Parce que je sais le faire de toutes les manières possibles et imaginables.
Discrètement, empoisonnement, faux suicide, accident, torture, à bout portant ou à distance comme aujourd'hui. Je peux tout faire, du moment qu'on me paie.
Vous trouvez ça immoral ?
Oui, ça l'est.
Vous trouvez ça dénué de sentiments ?
Vous avez encore raison.
Mais, il y a des circonstances dans la vie où la morale et les sentiments n'ont pas leur place.
Prenez ma cible du jour par exemple. Regardez-le, assis à son bureau, sept-cents mètres plus loin. Regardez comme il semble parfait dans son petit costume bleu marine, finement rayé, sa chevelure brune coiffée en arrière dans un effet savamment négligé. Vous discernez son aura ? À quel point il transpire la réussite ? On sent que cet homme a travaillé dur pour arriver là où il est. Il le sait et il le montre.
Maintenant, observez la très belle, mais très effacée, femme blonde qui entre avec un plateau et une tasse dessus.
Vous pensez sûrement qu'il s'agit de sa secrétaire ? Il n'en est rien. Cette fragile créature n'est autre que son épouse, la commanditaire du jour.
Un "pourquoi" brûle vos lèvres. Je doute que vous ayez envie de savoir.
Si ?
OK ! Je m'avoue vaincue.
Cet homme d'apparence si charmante est en réalité, un monstre. En plus de fracasser sa femme toute la sainte journée, il prend un malin plaisir à violer régulièrement leur fille de sept ans.
Avez-vous, enfin, saisi mon rôle ?
Je suis le bras armé.
Je suis appelée quand la justice ne peut rien faire, ou pire ne veut rien faire.
Vous n'approuvez toujours pas ?
Je vais vous dire un secret. Votre avis, vous pouvez vous le garder.
Je fais ce que je fais et si un jour, vous changez d'avis, que vous avez besoin que je m'occupe de l'agresseur de votre mère, de l'assassin de votre enfant. Vous saurez bien assez vite où me trouver.
Pour l'heure, monsieur Anthony Craze a des comptes à rendre à l'Empyrée.
Allongée sur le toit d'un immeuble de vingt-deux étages, à sept-cents mètres de ma cible, je vide mon esprit. De toutes les méthodes de meurtre, celle-ci reste ma préférée. Savoir que je détiens au bout d'un mètre de métal la vie d'un démon, alors qu'il est à mille lieues de se douter de ma présence, me donne une sensation de puissance indescriptible.
Il représente le mal et moi, je suis l'Ange de la justice divine.
Ma montre bipe. Il est temps d'établir la connexion.
J'active mon oreillette en faisant éclater une bulle de mon chewing-gum. Un grésillement, suivi du râle caverneux de "mes yeux".
— Rochel ! Tu me reçois ?
Je sais que c'est lui, c'est toujours lui. Chaque Ange a une paire d'yeux en plus reliée en permanence à sa personne. Il est celui qui contrôle les images renvoyées par mes drones, qui gère ma position en temps réel et prend le contrôle des caméras de vidéosurveillance des alentours. Il est mes yeux et mes oreilles. Et, n'ayons pas peur de l'avouer, mon Sextoy, quand le besoin se fait sentir.
— Cinq sur cinq ! En place ?
— Comme toujours. T'as le visuel ?
— Les quatre drones sont O.P, les caméras de la ville sont verrouillées sur l'immeuble de ton client.
— Les voyants ?
— Tous au vert. Circulation fluide. Une équipe en place pour ralentir les forces de l'ordre si besoin. Lynus t'attend au troisième sous-sol pour récupérer ton matos et ta moto est prête. À toi de jouer.
Savez-vous ce qui fait le succès d'une mission réussie ?
L'organisation.
Et, dans ça aussi, j'excelle.
Vous pensez que j'ai beaucoup d'ego ?
Vous n'avez encore rien vu.
J'ai été formée à l'excellence. Aucune erreur n'est acceptable, ni par les autres et encore moins par moi.
Mon attention se reporte enfin sur ma mission. Le corps de Craze est dissimulé par celui de sa femme. Elle est debout devant son bureau et me tourne le dos.
Les instructions sont claires, je dois attendre qu'il soit debout et le plus près d'elle possible. Viser une première fois ses parties génitales et ensuite lui tirer une balle dans la tête. Sa femme a exigé d'être aux premières loges, quitte à être aspergée du sang de celui qui a détruit l'innocence de son bébé, a-t-elle précisé.
Concentrée sur la scène qui se déroule dans mon viseur, seul, le bruit des bulles de mon chewing-gum se fait entendre.
Ma cliente se décale sur la droite et contourne le bureau. La discussion semble s'envenimer. La cible se lève très en colère, son écran d'ordinateur est placé pile dans mon champ.
Allez, madame Craze, il faut reculer.
Et, comme si elle m'avait entendue, elle fait deux pas en arrière. J'actionne le levier d'armement, la balle prend sa place dans la chambre.
Mon Dieu que j'aime ce bruit.
Il avance vers elle, la gifle au visage, j'appuie sur la détente. Moins d'une seconde après, l'entrejambe de Monsieur Craze explose. Il s'écroule sur son fauteuil de bureau, je réarme mon fusil, réajuste ma visée, doigt sur la détente, j'appuie.
Balle entre les deux yeux.
Le sentiment du travail bien fait ainsi que la certitude d'avoir mis une femme et une enfant en sécurité galvanise mon énergie. Je sourirais presque si je n'étais pas dénuée d'émotion. Mais, il n'y a pas une seconde à perdre.
— Rochel.
— A.
— Mission accomplie ! Situation ?
— R.A.S.
Je dévisse mon viseur et replie mon bipied. Je range mon fusil et ses accessoires dans leur mallette, je rappelle mes drones, les désactive et les range dans mon sac à dos. Je replie la bâche et tout ce qui traîne dessus sur elle-même, douilles y compris. Je déverrouille la porte, descends les escaliers jusqu'à l'étage inférieur et m'infiltre dans l'ascenseur. Contrôlée à distance par Rochel, la cabine descend d'une traite au troisième sous-sol.
L'informatique causera la perte de la race humaine.
Lynus est là, en attente.
Si Rochel est mes yeux et mes oreilles, Lynus, est mon nettoyeur. C'est comme cela que l'on fonctionne dans la Sphère.
En Trinité.
Il récupère mon sac à dos et la mallette de Mon STEYR SS G 69 puis range le tout dans sa voiture. J'étale de nouveau la bâche au sol, me place dessus, retire ma combinaison et mes fringues du jour pour enfiler celles de rechange que me donne mon acolyte. Je me débarrasse de mes gants et jette le tout dedans avant de reproduire exactement les mêmes gestes que sur le toit. Je la replie précautionneusement et Lynus la met dans le coffre, direction l'incinérateur du Sanctuaire.
Il me tend mon casque et mes clés à l'instant où je remonte la fermeture de ma veste.
— Putain, A, t'es vraiment trop...
— Ta gueule Lynus. Si tu termines cette phrase, je te colle une balle et gratis en plus.
Il rit avant de prendre le volant et s'en aller.
C'est un rituel entre lui et moi. Dans la Sphère, nous nous autorisons de relations charnelles qu'avec l'un ou les deux partenaires de notre trio. C'est comme cela.
Pas d'implication, pas de sentiment, pas de problème.
Que ce soit des relations hétéros ou homosexuelles, peu importe, nos trios ne sont formés que lorsque nos goûts sont affirmés.
Personnellement, cette situation me convient. J'ai deux hommes pour moi toute seule, ils savent tous les deux ce que j'aime et ce que j'attends. Ils n'ont pas besoin de moi pour s'amuser et à trois personnes, quatre possibilités.
Quatre ? pensez-vous.
Allez, faites un effort.
Bon OK, je vous donne un coup de main.
Moi et l'un – Moi et l'autre – Eux deux sans moi – Nous trois.
Le pied assuré, alors pourquoi s'encombrer d'une personne supplémentaire ?
C'est froid, calculé, en somme, c'est Parfait.
J'enfile mon casque et enfourche ma bécane. Avec ma caisse et Barney, c'est la seule chose qui a de l'importance dans ma vie.
Je la démarre, le bruit du moteur se répercute dans mes oreilles, la vibration dans mon corps. J'appuie sur la pédale d'embrayage, accélère et je détale rapidement.
Une fois à l'extérieur, j'entends les sirènes de police retentir dans le brouhaha de la ville. J'actionne plus vigoureusement l'accélérateur, m'immisce dans la circulation pour me fondre dans la masse. Quand la ville disparaît dans mes rétroviseurs, je pousse ma bécane au maximum.
Il n'y a qu'au volant de mes bolides que je me sens libre.
Je roule une heure avant d'apercevoir le chemin qui mène à mon chalet perdu en forêt. À quelques mètres de l'entrée de chez moi, je prends la télécommande pour désactiver le système d'alarme, ouvrir la grille à distance avant de réactiver son verrouillage.
On n'est jamais trop prudent.
J'ai un appartement en ville pour brouiller les pistes et servir de couverture pour ma vie officielle, mais c'est ici, mon chez-moi. D'habitude, c'est là-bas que je file après une mission, mais pas cette fois. Ma voisine est en travaux jusqu'à la fin de la semaine et moi, j'exècre le bruit, alors j'ai préféré m'avaler plus de kilomètres pour être bercée par le silence.
J'enclenche l'ouverture de la porte du garage, gare ma moto, me libère de mon casque et me déchausse devant la porte qui donne sur mon cellier. Je déteste le désordre et la saleté. Ma veste retrouve son cintre dans le placard et je passe du cellier à la cuisine ouverte sur le salon.
Je ne vois rien à l'horizon, mais je ne suis pas dupe.
Les fenêtres sont fermées, il n'y a aucun courant d'air et pourtant la structure au-dessus de mon canapé bouge encore.
Barney ne doit pas être bien loin.
Je souris.
S'il y a bien être vivant qui me rend heureuse. C'est lui. Je m'assois sur mon canapé et ne dis rien. J'attends sagement, les bulles de mon chewing-gum comme seule distraction.
Le tintement léger d'une clochette, un bruit de pas feutrés. Je sens sa présence dans mon dos et quand une chaleur se fait sentir sur ma nuque et mes épaules, je souris plus franchement.
Un museau frétille sur ma joue gauche quand le chatouillis d'une queue à la fourrure blanche et noire titille l'autre côté de mon visage. Il se pelotonne telle une écharpe et mon nez vient frotter son museau.
— Tu étais caché petit coquin.
Il émet son "pout-pout" charmeur et se cale autour de mon cou, comme tous les soirs quand je rentre et que je lui ai manquée.
Vous ai-je déjà dit que l'organisation était le moteur de ma vie ?
Oui. Vous allez en avoir la preuve.
Je pose les pieds sur ma table, basse et lance le décompte.
3
2
1
Mon téléphone sonne. Nul besoin de consulter l'écran. Je décroche à l'homme qui m'a formée.
— ALLO ! entamé-je la conversation.
— Angel...
Son sentimentalisme le perdra.
Dans la Sphère, on m'appelle A ou Angela. Il est le seul à m'appeler comme cela. Comme si ce privilège lui octroyait un lien qui n'existe que dans sa tête.
Je souffle de dépit avant qu'il ne poursuive.
— ... bravo pour la mission d'aujourd'hui. La cliente a viré les fonds, tu ne devrais pas tarder à recevoir ta part.
Le ding de mon portable confirme ses dires. J'en ai déjà marre de cette conversation. Si je vis recluse, loin de la civilisation, c'est pour une simple et bonne raison.
Je déteste les gens. Lui y compris.
Mon problème, c'est qu'il s'en fiche.
— OK ! lui réponds-je froidement, afin qu'il comprenne que ma patience s'est déjà étiolée.
— C'est toujours un plaisir de discuter avec toi, Angel.
— Je n'ai pas été formatée et on ne me paye pas pour bla-blater.
— Mais qu'ai-je fait de toi ?
— Tu voulais que je sois la meilleure. C'est le cas. Maintenant, j'ai besoin de silence, Ézéchiel. On se voit demain.
— C'est pour ça que je t'appelais Angel. Harahel m'envoie à l'étranger quelque temps. Je serai de retour la semaine prochaine. Toi, tu as sept jours de repos. Profites-en...
— Ça marche. Rappelle-moi quand tu seras de nouveau parmi nous, le coupé-je en lui raccrochant au nez.
Enfin du silence.
Je prends un bain bien chaud, que je savoure avec une clope et un jus à la fraise.
Lorsque j'ai mangé, nourri Barney, que tout est propre et rangé, je vérifie mon système de vidéosurveillance et m'assure que le système d'alarme est fonctionnel. Je vais me coucher, accompagnée de mon compagnon, mon furet.
Je m'allonge sur le dos et contemple un instant les ombres qui dansent sur mon plafond. Après avoir touché du bout des doigts mon Glock 17 sous mon coussin, je m'endors comme un bébé.
Vous pensez que je suis un monstre ?
Dans mon monde, on dit que je suis un Ange, et croyez-moi, c'est pire.
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Il est toujours temps pour vous d'abandonner.
Je ne vous en voudrais pas.
Cette fois-ci, il va falloir avoir le coeur bien accroché.
Allez, on oublie pas ⭐️, ça fait plaisir, ça encourage et ça booster l'algorithme.
Je vous dis à mercredi mes cailles.
K.S
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