Le bal des hypocrites.

Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, 

S'exhale comme un son triste et mélodieux.

Alphonse Lamartine.

Vienne.

Point de vue d'Ivana.

De toute ma vie je n'avais été qu'à un seul enterrement. Le plus tragique de tous. Celui de ma mère.

Elle nous a quittées quand j'avais six ans, c'était le jour le plus triste de ma vie. Depuis, j'avais arrêté de sourire. Du moins, je ne souriais qu'à de rares occasions. Ma mère a été enterrée à Prague un trois Décembre.

Et aujourd'hui, un quatre Août, j'assiste à l'enterrement de mon cousin Arthur à Vienne. Le ciel était grisâtre en ce jour de deuil et il était même entrain de verser quelques larmes en l'honneur du défunt. J'aimais tellement Arthur, c'était un frère pour moi. Lorsque mes moyens me le permettaient, je venais à Vienne, pendant qu'Ian fumait des joints en regardant Bob l'éponge, Arthur, lui, me faisait découvrir la capitale.

Le discours funéraire allait bientôt commencer, on m'a installé à côté de la famille. C'est-à-dire les parents et le frère d'Arthur. Sa mère était complètement effondrée, je n'avais jamais apprécié la compagnie de cette snobinarde mais il faut reconnaître qu'elle faisait peine à voir : elle était blottie contre son mari et elle poussait des lamentations de douleur, elle semblait même avoir du mal à respirer tant elle avait pleuré. Son père, quant à lui, était un type détestable, il portait un beau costume de grande marque, il vérifiait toutes les cinq minutes si ses chaussures n'avaient pas prises une tâche de boue et avait profité de cette perte pour inviter tout ses collègues et ainsi donner une meilleure image de lui et de son entreprise. Quelle ordure !

Ensuite il y'avait Ian qui semblait complètement vide et qui arborait un regard dénué de la moindre émotion. C'était comme s'il avait déjà pleuré toutes les larmes de son corps et qu'il ne restait plus qu'un corps sans émotions ou perceptions, une coquille vide.

Je me rappelle très bien de l'enterrement à Prague, mon père avait discrètement pleuré et mon frère avait sangloté et crié pendant des heures. Et moi, je m'efforçais de rester forte, je n'avais pas versé une seule larme. C'était comme si toute la tristesse et la mélancolie étaient restées à l'intérieur de moi avec une incapacité de ressortir. J'étais incapable de rire, mais pire encore, j'étais incapable de pleurer et d'exprimer ma tristesse.

En plus de la famille, il y'avait aussi les amis et les proches.

Je pouvais entendre de loin les pleures et les cries de douleurs de Cassandra : la copine d'Arthur que Madame Stalinger a accepté d'installer avec la famille. Elle feignait probablement la douleur, elle n'en avait que faire d'Arthur, elle sortait avec lui uniquement pour sa popularité et elle voyait probablement cet enterrement comme l'occasion de se mettre en avant et de faire la pauvre « veuve » très affectée et ainsi gagner encore plus de popularité. J'avais envie de me défouler sur cette salope !

Ses cries sonnaient tellement faux. Elle avait tout de la mauvaise actrice qui sur-jouait. Je n'avais jamais aimé Cassandra, d'habitude en ayant une conversation avec quelqu'un, j'arrivais assez vite à plus ou moins déterminer si la personne en valait la peine ou pas. Cassandra je n'ais même pas eu besoin de gaspiller ma salive pour déterminer si c'était une bonne personne il m'a juste fallu l'observer pour voir qu'elle était fausse et narcissique. De toute façon, Arthur aussi sortait avec elle uniquement pour sa réputation. Elle a dû se dire « faisons durer ce mensonge jusqu'au bout ».

Le prêtre s'installa, un homme derrière lui se chargeait de lui tenir son parapluie, il se racla la gorge et entama  son discours :

« C'est aujourd'hui avec une immense tristesse que nous enterrons Arthur Stalinger parti trop tôt à seulement dix-sept ans. Arthur était un fils, un frère, un ami et un proche pour toutes les personnes présentes mais c'était aussi un bon catholique qui a toujours su garder foi en Dieu et qui a toujours prêté allégeance à notre seigneur Jésus Christ et tout cela malgré les tentations du pêché... »

Conneries ! Ce prêtre ne connaissait même pas Arthur. Comment pouvait-il parler d'une personne qu'il ne connaissait même pas ? Arthur était Athée. Il n'avait jamais prêté allégeance à qui que ce soit. Il était bien trop fier pour ça.

« Tout le monde s'en rappellera comme d'un jeune homme respectueux : fidèle aux principes que lui ont inculqué ses parents, fidèle à ses proches et surtout fidèle à sa religion. »

Le prêtre semblait réciter un texte qu'il avait apprit ce matin. Ca faisait peine à voir : la mémoire de mon pauvre cousin salie, souillée et écrasée dans la boue par un mec qui ne le connaissait même pas. Arthur était loin de correspondre à la description de ce prêtre. N'importe quelle personne ayant fréquentée Arthur un minimum saurait que ce prêtre ne faisait que déblatérer un stupide discours appris. Il n'était pas parfait, c'était un humain comme les autres avec ses défauts et ses qualités.

« Il est peut être mort dans le pêché, mais rappelez-vous que Dieu condamne le pêché et non le pêcheur. Au moment même où je vous parle, le seigneur lui a déjà ouvert les portes de son paradis. Il ne faut donc pas voir cet enterrement comme la fin, mais le début, le début d'une nouvelle vie probablement meilleure que celle-ci ici bas. Tu es né poussière, tu retourneras poussière. Amen.»

Et sur ces mots pleins d'hypocrisie et de mensonges, les gens s'empressèrent de jeter des roses sur la tombe de mon pauvre cousin « le pêcheur ». La seule raison qui me retenait de ne pas casser la gueule à ce connard de prêtre c'était le respect que j'avais pour mon cousin et pour sa mémoire.

Je vis la tombe s'enfoncer sous terre et tous les souvenirs de l'enterrement de ma mère ont resurgis d'un coup. J'avais l'impression que dés que je m'attachais à quelqu'un cette personne mourrait, j'étais comme la peste, j'étais à fouir. Une fois le cercueil enfoncé six pieds sous terre, il fallut creuser. Les mots ne suffiraient pas pour décrire toute la mélancolie et la tristesse qui s'empara de moi devant ce spectacle pitoyable et désolant.

« J'ai quelques mots à dire. »

Ajouta le père d'Arthur en se mettant à la place qu'occupait l'homme d'église avant lui.

« J'ai passé la nuit à essayer d'écrire un petit discours pour rendre hommage à mon fils. Mais finalement après avoir passé des heures à noircir des feuilles et à les jeter, je me suis rendus compte que tout les mots sur terre qui expriment la tristesse ne suffiraient jamais à décrire mon bouleversement et ma souffrance face à la mort de mon fils. Alors, j'ai décidé de parler de façon spontané. Il n'y a pas pire pour un parent que de perdre son enfant. Notamment un enfant comme Arthur. »

Lui aussi semblait réciter un texte apprit hier entre deux réunions de travail. Décidément, cet enterrement était le bal des hypocrites.

« Arthur était l'enfant que tous les parents rêvent d'avoir : il était pleins de vie, toujours souriant, il débordait d'énergie, c'était un élève brillant toujours soucieux de rendre ses parents fiers de lui. Mon fils et moi avions une relation privilégiée. Pourtant, l'adolescence est un âge difficile. Jamais Arthur ne m'a causé le moindre problème. »

Mensonge ! Ils ont passé les dernières semaines avant sa mort à se disputer et à se déchirer avec Arthur si bien qu'il était allé habiter avec Cassandra pendant un moment. Il voulait juste faire le bon parent devant ses collègues. En plus, quand il était enfant, Arthur me confiait toujours que son père l'étouffait et qu'il lui arrivait même d'être violent verbalement.

« On dit souvent que Dieu cueille ses plus belles fleurs en premier. Je me console avec la pensée qu'il est probablement dans un monde meilleur et qu'il nous regarde. »

J'espère vraiment pour lui qu'il ne regarde pas cet enterrement d'en haut.

« Et j'aimerais finir ce petit discours par remercier tout les gens présents d'être venus jusqu'à Vienne pour honorer la mémoire de mon pauvre Arthur : merci à la famille, aux amis, aux proches et aux collègues. »

A peine eut-il achevé sa phrase qu'Ian quitta son siège et s'en alla en courant sous les regards choqués de toutes les personnes présentes. Comme je le comprenais !

Il se mit à pleuvoir de plus belles.

Je me levai également de ma chaise et couru le rejoindre sous la pluie. Il était monté en haut d'une colline, du haut de cette colline on avait une vue sur l'ensemble du cimetière. Malgré son côté lugubre et morbide, la vue était à en couper le souffle.

« Ian ! Criai-je, Ian ! »

Il était de dos et il tentait désespérément d'allumer une cigarette.

« Il l'a toujours préféré lui ! Tout le monde a toujours préféré Arthur ! Tu crois qu'il aurait dit la même chose à mon enterrement à moi. »

« Ian...tu n'as pas à prendre ce qu'il vient de dire au premier degré. Tout cet enterrement n'est qu'une mascarade ! Une mise en scène ! »

Il se tourna et s'approcha de moi. Je pense qu'il pleurait, ce n'était pas des goûtes de pluies sur ses joues mais des larmes.

« Mais une mise en scène qui avait une part de vérité. Papa a toujours préféré Arthur, ils ont toujours passé tant de moments ensemble ! Moi il ne m'a jamais emmené pécher avec lui. Si ça avait été mon enterrement tu crois qu'il aurait eu le même discours. Bien sur que non ! Il m'a toujours traité comme une sous-merde ! »

Il respirait avec une grande difficulté et pourtant ça ne l'empêchait pas d'hurler très fort.

« Finalement c'est peut être moi qui aurait dû mettre fin à mes jours...c'est vrai ! Moi je ne sers à rien, je passe mon temps à prendre du crack et à glander dans le métro ! Arthur lui il a toujours été plus beau, plus intelligent, plus intéressant, plus ambitieux, plus populaire, plus raisonnable. Les parents l'ont toujours préféré, tout le monde au lycée l'a toujours préféré ! Même toi Ivana c'était ton préféré ! »

« Arrête ! Je n'ais jamais eu de préféré ! C'est juste que la nature de notre relation avec Arthur était différente de la nature de notre relation à nous. »

« Arrête de me prendre pour un con ! Tu l'as toujours préféré lui. »

« Mais qu'est ce qui te fait dire ça bordel ? On a toujours passé de bons moments nous aussi !»

« Il y'a un an, tu te rappelle...quand ton frère Sergei est venu vivre à Vienne parce qu'il avait des problèmes avec un groupe de mafieux ou je ne sais quoi. Tu voulais que quelqu'un fasse le sal boulot à ta place et veille sur lui à Vienne ! Tu te rappelle ? »

« Oui...répondis-je en baissant la tête un peu honteuse, je t'avais demandé de veiller sur lui. »

« Demander ? Tu ne me l'as même pas demandé tu m'as carrément menacé avec un couteau dans le train ! J'ai été obligé d'accepter. Tu n'aurais jamais menacé Arthur avec un couteau ! C'était ton préféré. »

« C'est faux ! Complètement faux ! Si je ne l'ais jamais demandé à Arthur c'est...c'est...c'est parce que j'ai dû faire des choses horribles pour envoyer mon frère à Vienne. Des choses comme voler, racketter ou encore...coucher pour de l'argent. Voilà. Je ne voulais pas qu'Arthur soit au courant, j'avais trop peur que notre relation change après ça. Je savais que toi tu serais plus tolérant. »

Je m'arrêtai un moment pour reprendre mon souffle, je sentais une boule dans ma gorge et une moue se dessiner toute seule sur mon visage.

« J'aimais Arthur...j'aimais beaucoup Arthur... »

« Ivana ! Répliqua Arthur en s'approchant de moi, tu...tu pleure ? »

« Ne sois pas ridicule. Je ne pleure jamais. »

Oui je pleurais. Je sentais les goûtes amères envahir mon visage et couler tel une cascade. Mon cousin s'approcha alors de moi et me serra fort contre lui comme lorsque j'étais enfant et que j'étais triste ou malade. Son corps était glacial. Mais j'avais trouvé refuge dans ses bras. C'était la première fois depuis des années que je pleurais, j'avais oublié ce que ça faisait. C'était doux et violent à la fois mais ça procurait un sentiment de bien-être. C'est comme si je trainais un rocher sur mes épaules toutes ces années et que d'un coup il disparaissait me permettant enfin de me reposer. Bien évidement le repos viendrait avec son lot d'agonie et de douleur extrême.

« Et si...et si on allait en Tchécoslovaquie...dans le village de ma grand-mère pour se changer les idées. Rien que toi et moi... »

Proposai-je entre deux sanglots en prenant le visage d'Ian dans mes mains.

Ma grand-mère habitait un village charmant sur les frontières entre Vienne et Prague, c'était un endroit tranquille avec de belles petites maisons colorées, beaucoup de verdure et une petite rivière. Le genre d'endroit qu'il nous fallait pour retrouver un peu de paix après tant d'agitation.

« D'accord... »

Chuchota-il en embrassant mon front.

Je pense que la mort d'Arthur n'était pas un vrai suicide à proprement parlé. J'avais bien l'intention de mener mon enquête. Mais avant, je devais reposer mon corps et mon esprit, j'avais besoin de calme.

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