Le baiser.

J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer :
J'ai peur d'un baiser !

Paul Verlaine.

Paris.

Point de vue de Ron.

En sortant de la maison de Cassandra, ma chemise sous le bras et une cigarette au coin de la bouche, j'aperçu Ian dans un coin, les mains dans les poches de son Jean troué. Il arborait un air songeur et triste.

« T'as une cigarette ? »

Demanda-t-il presque soulagé de me voir apparaître devant les grilles.

Sans lui répondre je sortis mon paquet de ma poche et lui tendit une cigarette. Il fit un signe de tête en guise de remerciement et chercha désespérément un briquet dans les poches de son jean tout en sachant pertinemment qu'il n'allait pas en trouver. Il n'avait juste pas envie de me le demander et voulait que je lui propose de mon gré.

« Feu ? »

Dis-je en sortant mon briquet.

Il mit sa cigarette en place et s'approcha de moi pour que je puisse l'allumer.

Nous marchâmes silencieusement devant la maison accompagnés du brouillard de fumée que nous laissions échapper de nos cigarettes. Je sentais qu'il voulait me dire quelque chose mais que les mots avaient du mal à sortir de sa bouche.

« Je vais sur le bord de la Seine. Tu veux venir avec moi ? »

Proposai-je en écrasant le mégot de ma cigarette qui commençait à me brûler les doigts.

« D'accord... »

La voix d'Ian était étouffée, je crus entendre un son étrange, une petite mélodie, en guise de réponse. Si je n'avais pas lu sur ses lèvres je n'aurais pas pu déchiffrer ce qu'il venait de me dire.

Et c'est ainsi que nous continuâmes notre petite marche de vagabonds silencieux, direction de la Seine. Je n'avais rien à lui dire. A vrai dire, je n'ais jamais été spécialement proche d'Ian, je l'ais toujours vu comme un personnage de roman secondaire qui faisait quelques rares apparitions pour dire au lecteur « regardez, malgré tout, j'existe même si ma présence n'apporte rien à l'intrigue ». Un figurant. Je n'ais jamais cherché à le connaître, aujourd'hui encore, je ne vois pas l'intérêt de chercher à le connaître. Ian est un faible. Du moins, je l'ais toujours vu comme un faible qui voulait échapper la réalité et qui était constamment défoncé et caché dans sa chambre tel une tortue dans sa carapace. Il était si diffèrent d'Arthur. Arthur. Lui j'avais tant de choses à lui dire.

Nous arrivâmes. Des lampadaires éclairaient un paysage qui était terne, sombre et légèrement macabre à mon goût. Au moins il avait l'avantage de nous procurer une certaine quiétude. La vue de la Seine m'avait rappelé toute ma haine pour Paris. Je n'avais jamais aimé Paris. Peut être parce qu'elle était plus célèbre que Genève et que j'en devenais jaloux. Ou peut être parce que j'étais de mauvaise foi et de nature pessimiste : je ne voyais que la pollution, l'extravagance, les habitants qui étaient tous des clichés insupportables ou encore le métro qu'on ne prenait que par obligation sans le moindre plaisir. Tout à Paris m'inspirait le dégoût. Le spleen. Ou alors j'avais juste du mal à m'attacher à quelconque lieu. J'étais un vagabond.

Nous fîmes encore quelques pas, un vent tiède et favorable nous berçait et nous réchauffait, c'était encore l'été. Nous rencontrâmes Karl qui était en charmante compagnie. En effet, il était entrain d'enlacer deux charmantes jeunes filles avec des corps de rêve et habillées comme des poules de luxe. Je lui fis un signe de la main, Ian fit de même et nous nous installâmes par terre après s'être bien éloigné de ce cliché ambulant et insupportable qu'était Karl.

Je pourrais très bien détester Karl. Mais le haïr serait une perte inutile de temps et d'énergie. Pour vous faire un résumé : imaginez la caricature du riche parisien de droite qui veut faire Science Po et qui regarde tout les autres de haut, avec mépris et sans oublier de prendre un air supérieur. Vous le trouver détestable ? Et bien figurez-vous que ce Nicolas Sarkozy 2.0 était le meilleur ami d'Arthur. Au même temps ça n'avait rien d'étonnant, ils avaient presque le même caractère. Des bourgeois avec beaucoup d'ambitions enfermés dans leur petite bulle de futurs politiciens.

Je fermai les yeux afin de profiter de ce petit moment de tranquillité et de cette atmosphère estivale et qui avait une certaine beauté que j'essayais de cerner. En les ouvrant, je vis Ian rouler un petit joint et l'allumer sans crainte, sans même prendre la peine de le cacher par peur qu'il y'ait quelques policiers. Un joint. Voilà ce qu'il me fallait pour mettre un terme à cette agitation dans ma tête et à cette vague de pensées négatives.

Il tira plusieurs fois sur sa substance toujours en laissant échapper une marre de fumée qui se répandait dans les airs puis s'évaporait dans le noir.

Je lui fis signe de me passer sa drogue. Il prit une dernière taffe comme pour profiter de quelque chose dont il allait être privé et me tendis le joint que je m'empressais de fumer à mon tour.

La première taffe généralement n'avait pas énormément d'effet. En revanche, je pouvais sentir la forte odeur d'une drogue qu'il avait probablement achetée au premier dealeur rencontré dans les rues de Paris et la fumée de cette substance psychotrope envahir et brûler mes poumons. A partir de la troisième taffe, je sentais déjà un sentiment de bien être et d'euphorie petit à petit s'emparer de chaque parcelle de mon corps. Un sourire se dessina de lui-même sur mon visage et mes muscles se relâchèrent.

Au bout de la cinquième taffe, j'étais presque dans un état second, je n'avais plus la moindre autorité sur mes muscles et mes yeux étaient clos. Je savais bien que j'étais sensé être de bonne humeur ou du moins calme et paisible et c'était le cas en apparence. Je ressemblais à un légume. Mais intérieurement, je m'agitais et j'avais la voix insupportable et agaçante d'Arthur qui me répétait en boucle « Dis lui Ron. Dis-lui. Il doit savoir. Dis-lui. Dis-lui. Dis-lui. »

Arthur t'es vraiment un enculé. Même à six pieds sous terre t'arrive à me faire chier !

« Dis-lui »

Sors de ma tête Arthur !

« Dis-lui »

L'enfoiré !

« Ian...articulai-je doucement, Ian...il y'a des années de ça j'étais très amis avec ton frère... »

Je tirai de nouveau une taffe comme pour me redonner du courage et retrouver mes mots avec l'espoir que les bons viennent de façon spontanée.

« Je le sais ça. »

« Attend. Écoute-moi. Ecoute moi jusqu'au bout s'il te plaît. J'étais très ami avec ton frère. Il me confiait tout et on avait vraiment de très bonnes relations. Et...et une fois à treize ans il...il a tenté de m'embrasser. »

Au moment de prononcer ces derniers mots je sentis mon corps trembloter.

« Oui...continuai-je avec une voix étouffée, il a essayé de m'embrasser et m'a avoué qu'il avait peut être des sentiments pour moi parce qu'il était bisexuel. Je...j'avais treize ans à l'époque...je ne savais pas comment je devais réagir alors...alors... »

Mon anxiété devenu plus grande et les mots sortaient de ma bouche avec une grande difficulté.

« Alors je l'ais rejeté. J'ai eu peur, j'étais con et ignorant à l'époque...alors j'ai violement rejeté ton frère...je lui ais dis que c'était dégueulasse et qu'on ne pourrait plus être amis...Ian...Ian...je suis désolé ! Si tu savais comme je culpabilise maintenant...je regrette énormément...s'il y'avait un bouton sur lequel appuyer pour revenir en arrière je le prendrai...Ian ! Je me sens si coupable. »

Mon aveu petit à petit se transforma en crise d'angoisse qui me prit par les tripes et me rendit incapable de respirer convenablement et à un rythme régulier. J'étais complètement affolé et paniqué.

Je regardai Ian en espérant trouver cette même expression de résignation sur son visage mais petit à petit je vis les marques de colère s'y dessiner. On pouvait à présent lire dans ses yeux un mélange de mélancolie et de grande rage. Je crus pendant un moment qu'il allait exploser en larmes encore mais sa première réaction fut de se lever et de me donner un énorme coup de point.

Il n'était pas spécialement rapide mais comme j'avais perdu précédemment mes reflexes de défense à cause de la drogue je ne sentis pas le coup venir. En revanche je sentis la douleur sur mon nez qui commençait à saigner.

Je voulus me relever mais Ian me donna un autre coup puis me rua de coups de pieds sur le ventre. Mes gémissements de douleur et mon corps qui rompait par terre ne l'avaient pas arrêté. Il continuait et frappait de plus belles. J'étais son défouloir, je sentais qu'il déversait toute sa rage sur moi. Je n'avais ni la force ni la volonté de m'opposer à lui ou de résister parce qu'au fond de moi, je sentais que je le méritais. J'en étais même à souhaiter qu'il m'achève sur place.

Mon visage était à présent couvert de vilains bleus et de cicatrice, je saignais de toutes parts...quel pitoyable spectacle.

« Non mais t'es malade ! »

Je reconnus la voix de Karl qui accourait me sauver. Mon prince !

« Ian arrête ! Cria-t-il, tu vas le tuer...Ian ! Putain arrête ! »

Karl, de toutes ses forces, essaya de repousser Ian qui commença à se débattre et à désespérément tenter de me donner encore quelques coups de pieds. On aurait dit un animal acharné sur une pauvre proie sans défense et qui s'agitait dés qu'on l'éloignait de son repas.

« IAN ! »

Karl poussa le jeune autrichien et ce dernier s'étala par terre avant de se relever, de me lancer un regard noir, et de s'en aller avec une démarche de soldat qui revenait du front, me laissant avec mon pauvre corps gisant par terre et qui se noyait dans son propre sang.

« Merde...Ron ? Ron ? »

Toujours la voix insupportable de ce connard de Karl.

Mes yeux se fermèrent encore une fois sans le consentement de mon cerveau qui était trop endommagé pour donner des ordres. Puis, ce fut le noir.

Plus aucune perception ne rentrait. J'étais plongé dans le chaos.

Au réveil, j'étais agonisant, c'était comme si des morceaux de verres étaient plantés dans ma chair. J'ouvris doucement les yeux, je n'avais aucune idée de l'endroit ou je pouvais bien me trouver. Je distinguai un petit bar presque désert, un billard en lambeaux abandonné et qui a l'air d'avoir souffert du passage de tous les clients et des petites tables en bois. Le tout accompagné d'une charmante musique à l'accordéon mais que je n'arrivais pas à entendre à cause des douleurs que je ressentais dans les oreilles. J'étais à moitié sourd. Et je me trouvais actuellement dans un bar de marin avec des encres accrochés au mur, des maquettes de bateaux en guise de décoration et des hommes grands et tatoués qui fumaient des mégots au bar.

Comment j'ai fais pour me retrouver ici ?

Je me relevai doucement en essayant de me rappeler des derniers événements : la drogue, la bagarre avec Ian, l'intervention de Karl...oui tout me revenait.

Je scrutai les alentours, ma table se trouvait au milieu de l'établissement, une table ronde et en bois, tout ce qu'il y'avait de plus normal. Puis je regardai en face de moi. Je n'étais pas seul. Arthur se tenait devant moi. Il était entrain de remettre quelques mèches rebelles en place.

« T'es mort. Pourquoi tu t'occupe encore des tes cheveux ? »

Demandai-je.

« Ce n'est pas parce que je suis mort que je dois forcement me négliger. »

J'avais oublié ce que c'était d'avoir une vraie conversation avec ce petit bourge prétentieux.

« Pourquoi tu as fais ça Arthur ? Pourquoi ? »

Une terrible mélancolie s'empara de moi au moment ou je prononçai ces mots qui étaient encore plus douloureux que les coups que j'avais reçus.

« Je veux dire...tu étais quelqu'un de plutôt heureux et comblé. Je ne comprends pas ton geste. »

Un tendre sourire se dessina sur le visage de mon ami défunt, il me lança un regard apaisant et calme puis me pris la main.

« Des gens m'ont beaucoup fait souffrir. »

« Qui ? Arthur ? Qui t'as fais souffrir au point que tu veilles mettre fin à tes jours. »

Il baissa les yeux au sol, toujours avec ce même sourire presque fraternel aux lèvres.

« Je te rassure. Ce n'est pas toi. »

Une larme coula.

« Ron. Je vais bientôt m'en aller. Je voudrais que tu saches que même en haut je veille sur toi. D'ailleurs, je n'ais jamais arrêté de veiller sur toi. Même après que tu ais mis fin à notre amitié. »

Il se leva et s'approcha de moi. Il était désormais très proche. Je me levai également sans comprendre ce qui se passait. Je plongeai mon regard dans les sien, ses yeux étaient si purs et aussi brillants que des étoiles. Les miens s'étaient éteins depuis belle lurette. Il afficha un large sourire emprunt d'une grande douceur, s'approcha encore jusqu'à ce que ces belles lèvres fines effleurent les miennes.

« J'ai toujours rêvé de ce moment. »

Et sur cette confession il déposa le plus beau et le plus doux des baisers sur mes lèvres. C'était un moment intime, beau et magique. Un de ces moments qui sont si poétiques et si uniques qu'on douterait de leur véracité. Je m'adonnai corps et âme à ce baiser. Mon corps entier se laissa emporter par le délicieux parfum d'Arthur, par la chaleur de son corps et par ce baiser que je ne pourrais décrire par des mots tant il était de l'ordre du sacré et du divin.

Nos corps frêles ne faisaient plus qu'un.

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