Fête funèbre.
"Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée."
Arthur Rimbaud.
Vienne.
Point de vue d'Ian.
Je suffoquais chez moi. Je ne pouvais plus rester à la maison gentiment, l'air n'était plus respirable. J'ai alors pris le train et j'ai atterris dans la première boîte de nuit qui empestait le parfum cheap, l'alcool, la nicotine et la transpiration. La salle était pratiquement plongée dans le noir, quelques projecteurs colorés éclairaient une foule déchaînée, des femmes et des hommes se déhanchaient et relâchaient toute la tension et le stresse qu'ils avaient accumulé pendant la semaine, des tentatives de séduction et de drague se mettaient en place le tout sur un fond d'électro qui brisait les tympans.
Moi-même, j'étais au milieu de cette foule avec des amis et nous dansions sur la piste de danse comme des robots. J'avais tellement bu avant de venir, je me laissais doucement entraîner par la musique et je sentais mes jambes bouger toutes seules. Je voulais juste m'amuser et oublier. J'avais les yeux clos, un verre de je-ne-sais-quoi à la main et je bougeais doucement, j'étais comme possédé.
L'un de mes amis s'approcha de moi, il me prit dans ses bras et me montra un sachet de pilules roses en affichant son plus beau sourire. Le sourire de celui qui a une idée derrière la tête. Je rétorquai par un autre sourire niais, le sourire du gars en transe et je pris sa pilule. Sans réfléchir ou me poser la moindre question j'avalai cette drogue et bu une gorgée de mon cocktail pour la faire passer.
Je ne ressentais rien, toujours cette même sensation de flotter et de ne faire qu'un avec cette musique. Soudain, sans la moindre raison, je commençai à arborer un sourire qui se transforma en ricanement d'enfant puis en fou rire incessant. J'avais l'impression que mes muscles me lâchaient et que ma tête devenait plus légère. C'était un sentiment d'euphorie agréable qui s'empara de mon corps.
« Regarde-toi. On enterre ton frère jumeau demain et toi tu fais la fête comme si de rien n'était. »
Je reconnus la voix de mon interlocuteur. Je me tournai et ouvris les yeux...c'était Arthur ! Mon frère jumeau ! Il était là ! En chair et en os devant moi !
« Tu fais peine à voir frangin. »
Ajouta-t-il en arborant son sourire plein de dérision.
« Arthur ? »
Je me retournai encore et me frottai les yeux. Il avait disparu. Il n'y avait plus que ces inconnus qui dansaient ou qui bougeaient leurs corps avec frénésie.
Une panique et une grande anxiété s'installa dans ma tête, je cherchai alors mon défunt frère du regard dans tous les recoins : il était partout à la fois. Il était derrière le bar, dans la piste de danse, à la place du DJ, assit à une table dans un coin, devant la sortie...il était partout ! Et il avait ce même sourire moqueur au coin des lèvres.
Je sentis soudain quelque chose se poser sur mon épaule, pris d'une grande terreur je me retournai et vit une jolie fille devant moi. Elle était métisse, petite de taille et elle avait une petite poitrine mais qu'elle avait bien mise en avant. C'était tout ce que je suis arrivé à distinguer grâce à la lumière des projecteurs et aux peu de raison qui me restait.
« Pardon je t'ais fais peur. Tu veux danser ? »
Demanda la jolie fille en s'approchant de très prêt de sorte à ce que sa poitrine effleure la mienne.
Elle sentait très bon, une odeur sensuelle et pourtant qui m'était familière. Une odeur de jasmins.
Un peu hésitant et toujours angoissé j'acceptai sa proposition avec un sourire un peu forcé. Après tout, cette fille était plutôt ravissante et elle possédait de belles formes. Je me laissai de nouveau emporté par la musique qui raisonnait en écho.
La jeune fille m'entraina juste au milieu de la piste et avant même que je n'eus le temps de comprendre ce qui m'arrivait elle se colla à moi et bougea ses hanches de façon très sensuelle et très aguicheuse, par habitude, je posai mes mains sur ses hanches et bougeai un peu mes pieds pour ne pas demeurer immobile. Sa danse légèrement orientale et sur les bords de l'obscénité faisait monter un sentiment d'excitation en moi, je sentis mon corps qui se réchauffais au contacte du sien ainsi qu'un grand désir monter en moi.
Je décidai de prendre le dessus, je fis remonter mes mains et caressai son corps de haut en bas pour replacer mes mains sur ses hanches et les caresser pendant que son corps entier, qui devait aussi bouillir de désir, vibrait au rythme de la musique. Je m'approchai d'elle et baissai légèrement la tête, de sorte à ce que mes lèvres puissent effleurer les siennes, elle se laissa faire et rapprocha son corps.
Nous nous embrassâmes entraînés par ce grand désir qui dévorait nos deux corps de l'intérieur. Un grand baiser langoureux sans la moindre honte, la moindre gêne, le moindre embarras ou la moindre pudeur. Un grand baiser empreint d'une grande sensualité avec les langues qui se touchent et les salives qui se mélangent. Je ne pouvais plus me retenir.
Je pris sa main et l'entraînai jusqu'aux toilettes, elle se laissa faire et me suivit presque en courant.
Les toilettes pour garçons étaient presque désertes.
Je l'entraînai dans l'une des cabines après avoir couvert son cou de baisers, elle se mordit la lèvre inférieure et me suivit. Une fois dans la cabine, je la plaquai doucement contre le mur, un petit gémissement suivit d'un rire s'échappa de sa bouche. Je caressai sa charmante poitrine qu'elle avait mise en valeur en me délectant de son doux parfum. Je remontai ensuite son top tandis qu'elle posa une main sur mon entre-jambe et qu'elle s'apprêtait à défaire ma braguette. Je fermai mes yeux un instant pour savourer ce beau moment empreint d'une grande sensualité et qui m'avait toujours fait fantasmé.
En les ouvrants, je vis de nouveau Arthur qui se tenait debout à côté de moi toujours avec ce même sourire et cet air détaché qui lui était si familier et qui avait un peu coutume de m'agacer. Mon anxiété et mon affolement refirent surface de nouveau.
« Alors frangin. T'es fier de toi ? Coucher avec une belle inconnue dans les toilettes avant l'enterrement de ton frère. Bravo. »
Je fermai de nouveau les yeux et les rouvrit très vite avec l'espoir qu'il s'en aille. Cependant, il était toujours présent et il n'avait pas l'intention de partir.
« Je t'en pris continue...te gêne pas pour moi. »
Pris d'une grande épouvante je repoussai violemment la fille que j'étais entrain de caresser et je sortis de la cabine à pas de course pour fuir le fantôme de mon frère qui me harcelait. La pauvre jeune fille atterrit par terre et commença à me menacer et à m'insulter de tous les noms.
Cependant, je n'avais pas le temps de l'écouter, je devais à tout prix fuir cet endroit. Je me faufilai dans la foule et j'essayai désespérément de me freiner un chemin et de courir au milieu de ces gens qui bougeaient frénétiquement leurs corps et qui sautillaient quitte à en pousser certains et à user de la violence. J'étouffais. Une seule envie me dévorait l'âme et le corps : partir.
Après avoir, non sans grande peine, réussi à passer au milieu de la foule en délire je pris une bouteille de vodka sur le bar et continuai ma course jusqu'à la sortie ignorant les cries épouvantables du barman qui me demandait de rendre cette bouteille.
L'un des videurs voulu me stopper dans ma course infernale mais il me rata de peu à cause de ma grande rapidité. Quelque chose à l'intérieur de moi me brûlait, je ne pouvais plus m'arrêter, tout ce que je pouvais faire c'était courir encore et encore.
Je n'avais jamais autant couru de ma vie mais je sentais qu'il le fallait. Je devais fouir. J'étais en cavale. Je devais fouir cette immense douleur qui refaisait surface et qui me faisait l'effet de petites pinces enfoncées dans le cœur et je devais fouir le fantôme de mon frère qui était partout.
Quand je fus à cours de souffle et sur le point de m'effondrer par terre tant l'épuisement et l'accablement étaient grands je décidai enfin de m'arrêter. Enfin, mes jambes s'étaient arrêtées toutes seules de façon presque spontanée quand je fus écarté de tout danger.
Je regardai autour de moi, des lampadaires éclairaient le centre ville et donnaient à Vienne ses couleurs et son atmosphère nocturne. Les rues étaient désertes j'étais dans le complexe du château mais j'étais incapable de reconnaître quoi que ce soit. J'étais incapable de réfléchir à quoi que ce soit, mon cœur battait tellement fort à l'intérieur de ma poitrine et mon corps était couvert de sueur.
J'ouvris la bouteille de vodka que j'avais dans la main et d'un geste aussi brusque que rapide je bus la moitié de la boisson d'une traite. Je sentis cette boisson au goût âcre et amer irriter mon palais puis descendre réchauffer ma gorge et mes poumons après m'avoir laissé un goût désagréable dans la bouche. Je bus la moitié.
Les picotements, les nausées aiguës, la tête qui tourne et une grande envie de vomir...toutes ces sensations que je sentis dés la première gorgée ne m'avaient pas empêché de continuer. J'en avais besoin.
« Regarde toi...descendre une demi-bouteille de Vodka au centre ville c'est pathétique...même pour toi ! »
Arthur était toujours présent en face de moi.
« Laisse-moi tranquille... »
Dis-je en articulant avec une grande difficulté entre deux respirations bruyantes.
« T'es vraiment pitoyable Ian. C'est toi qui aurait dû mourir et pas moi, même les parents m'ont toujours préféré moi. C'est vrai j'ai toujours été plus populaire, plus intéressant... »
« Ta gueule ! »
Criai-je à m'en arracher les poumons et tellement fort que ma voix raisonna en écho dans cette ville fantôme.
« Ta...ta...gue... »
Avant même de comprendre ce qui m'arrivait je me retrouvai par terre, à genoux, entrain de vomir mes tripes. Je me dégoûtais, ce n'était pas uniquement cette horrible boisson qui sortit de ma bouche je sentis également quelque chose, comme un démon qui était à l'intérieur de moi et qui quitta mon corps après l'avoir procédé.
J'étais en quelque sorte allégé mais je ne me sentais pas mieux. Je levai mes yeux au ciel et je vis la grande croix de l'église catholique. L'église terne et lugubre avec ses allures gothique.
Toujours avec difficulté et peine, je me levai et traînai mon pauvre corps fatigué jusqu'au lieu de culte qui était à deux kilomètres.
En entrant, je sentis une douce odeur d'encens me caresser les narines et une grande chaleur me bercer. Je contemplai toutes les bougies, ce pauvre Jésus crucifié et toutes ces peintes : Mari entourée d'anges et de petits chérubins.
Cette église me rendit nostalgique, on y allait souvent avec mon frère, en y entrant je sentis tout l'amour filiale dont j'allais être privé, c'était comme si une mère ou un frère venait de me prendre dans ses bras, je me sentais en sécurité.
Je m'installai à l'église et me mis en position de prière. Mais je ne fis aucune prière, je voulais juste savourer ce moment de paix, d'amour et de chaleur agréable.
Quelques minutes plus tard, je quittai mon refuge. Je lançai un dernier regard à l'église, elle était immense et très imposante, mon frère réapparut sur son seuil, mais cette fois, il n'arborait pas un sourire taquin ou moqueur mais une expression de deuil et empreinte de mélancolie. Le même regard qu'il m'avait lancé sur son lit de mort quand on l'a retrouvé. Il me tendit la main avec un sourire forcé et chaleureux et quand je voulus la prendre...il s'évapora d'un coup.
Je me mis de nouveau à genoux et j'éclatai en sanglot, cette fois sans la moindre retenue. C'était la première fois de toute ma vie que je pleurais autant. Mais ça devait bien sortir. Ces larmes et ces cries d'agonie c'étaient toute la tristesse, la nostalgie et le chagrin que je m'étais forcé à refouler et à garder enfouis quelque part. Ce genre d'émotion venait de m'éclater en pleine face d'un coup.
Une fois un peu calmé je décidai de prendre un train au hasard. Pour aller ou ? N'importe. Je voulais prendre le premier train et me perdre au milieu de la nuit. Le problème c'est que je connaissais trop Vienne et partout dans cette ville je verrai mon frère. C'est comme si Vienne et mon frère ne formaient qu'un.
Je pris le premier train qui s'arrêta sans même payer mon ticket (de toute façon il n'y avait jamais de contrôleurs le soir).
Le train était désert, il y'avait seulement un groupe de touristes qui s'étaient probablement perdus et deux jeunes filles en noir avec des casques sur les oreilles. Des gens qui n'avaient nulle part ou aller ou qui ne savaient pas par ou aller.
Je demeurai assit, seul, entrain de fixer mon hublot quand soudain, une fille s'approcha de moi et s'assit juste à mes côtés en face de moi. C'était Ivana. Ma jeune cousine était apparut comme par enchantement de nulle part.
« Viens, on s'en va. »
Dit-elle doucement en prenant ma main.
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