Chocolarcadia - Valentine
Le capitaine Harlock était face à un dilemme.
Il était forcé de l'admettre, il avait commis une erreur. Tout s'était pourtant déroulé conformément à ses plans jusqu'à présent : il avait transmis à son contact le nom du cargo avant son décollage, il avait abordé ledit cargo « alors qu'il croisait fortuitement sa route », il avait trouvé la caisse à l'endroit exact où il avait demandé qu'elle soit, et il l'avait rapatriée dans ses quartiers sans que personne ne remarque rien.
Puis, tandis que son équipage était occupé à transvaser le contenu des soutes du cargo dans celles de l'Arcadia, il s'était octroyé une pause bien méritée. La porte de ses quartiers verrouillée, il s'était donc installé confortablement dans son fauteuil avec une de ses meilleures bouteilles de brandy pour profiter au mieux de sa prise. Après avoir ouvert la caisse, il en avait sorti une première boîte, avait un peu râlé sur l'emballage farfelu – rose avec des paillettes, c'était n'importe quoi –, sans parler de la forme de la boîte, mais bon... ce qu'elle contenait valait bien une petite entorse à la sobriété esthétique. D'autant qu'il y avait de la liqueur, là-dedans ! s'était-il aperçu tout en prenant un deuxième, puis un troisième chocolat pour s'en assurer.
Il avait alors posé le regard sur le couvercle de la boîte, auquel était attachée une étiquette avec un nom.
Qui n'était pas le sien.
Harlock stoppa son geste alors qu'il tendait la main pour saisir un quatrième chocolat et fixa la boîte avec horreur. Retourner l'étiquette pour la mettre à l'endroit n'y changea rien. Il était écrit en lettres capitales : « Kei Yuki ».
... Okay. Pas de panique.
Première constatation, il était en train de se servir en friandises dans une boîte qui ne lui était pas destinée. Deuxième constatation, ce n'était pas comme s'il ne connaissait pas le destinataire (auquel cas il n'aurait eu aucun scrupule). Tout ceci ne lui laissait pas beaucoup d'options. Un : garder la boîte et faire comme si de rien n'était. Deux : rendre la boîte (et faire comme si de rien n'était).
À vrai dire, le capitaine était très tenté par la première solution. D'abord parce qu'il n'avait encore jamais goûté cette variété de chocolats (a priori, des cerises à la liqueur enrobées de chocolat noir), et qu'il s'y connaissait assez pour savoir qu'il ne s'agissait pas de production industrielle. Ensuite, parce que la deuxième solution entraînait de facto bien trop de questions.
Bien sûr, il était toujours possible d'espérer que l'explication la plus simple se révélerait celle qui était juste, à savoir que Kei et lui s'approvisionnaient au même fournisseur. Le gars avait dû estimer plus profitable et plus discret pour ses affaires de n'effectuer qu'une seule livraison (il ne devait pas non plus se vanter d'avoir des pirates parmi ses clients). N'empêche. Si Kei était incluse dans l'équation « trafic de chocolat », pourquoi n'en avait-elle rien dit ? Pourquoi son contact n'en avait-il rien dit ?
Et surtout : pourquoi cette boîte était-elle en forme de cœur ?
Harlock envisagea une série d'hypothèses toutes aussi peu satisfaisantes les unes que les autres. Quoi que Kei ait prévu pour cette boîte, les perspectives étaient loin d'être agréables. Soit la navigatrice avait l'intention d'offrir ça à quelqu'un, auquel cas le capitaine allait devoir se justifier devant un prétendant quelconque d'avoir mangé une partie des chocolats à l'intérieur. Soit elle avait l'intention de lui offrir à lui, auquel cas cette boîte était en forme de cœur. Rose. Chocolats ou non, une boîte en forme de cœur rose (avec des paillettes) signifiait des attentes de dîner romantique aux chandelles, de mots doux susurrés à l'oreille, de sourires béats et de poèmes déclamés d'une voix sirupeuse. Et... non, il n'était pas prêt pour ça.
En outre, tout ceci présupposait que Kei avait commandé ces chocolats elle-même et qu'il ne s'agisse pas d'un cadeau promotionnel, de l'envoi groupé d'un amoureux opportuniste ou d'une blague tordue du vendeur. Harlock grimaça : il ne se voyait pas du tout remettre à Kei une boîte rose en forme de cœur (avec des paillettes, et tout ce que cela impliquait), sans être totalement sûr qu'elle en attende effectivement une.
D'un autre côté, s'il ne rendait pas cette foutue boîte au plus vite, la jeune femme pourrait s'étonner ouvertement de ne pas avoir été livrée, et par-là même révéler toute cette délicate affaire à l'ensemble de l'équipage.
Harlock soupira. Le choix était cornélien, et ne résolvait pas le problème principal : il avait mangé une partie des chocolats à l'intérieur.
Frustré d'avoir ainsi gâché un petit moment de plaisir personnel, Harlock se rabattit sur sa bouteille de brandy tout en examinant plus précisément les dégâts. Il ne fallait pas se leurrer, ce n'était pas brillant : chaque chocolat disposait d'une place individuelle sur le présentoir doré, et ça se voyait, que certains emplacements étaient vides.
... mais peut-être était-il possible de réarranger tout ça pour rendre les chocolats manquants moins visibles, songea-t-il. Tiens, par exemple, en mettant les trous sur les côtés, comme ça, et en enlevant ce chocolat pour que ce soit symétrique, et puis ces deux autres, là... Voilà.
Harlock se recula pour admirer son œuvre. Bon, il manquait toujours des chocolats, mais maintenant cela pouvait éventuellement passer pour une erreur d'emballage. Ou une économie du vendeur.
Satisfait, le capitaine se resservit un verre de brandy.
Ne restait plus qu'à mettre en présence Kei et sa boîte en forme de cœur sans que cela ne puisse donner lieu à aucune interprétation le concernant.
Il fallut encore deux verres de brandy pour que le capitaine de l'Arcadia décide d'un plan d'action. Les caméras de surveillance des coursives lui interdisant toute possibilité de déposer incognito la boîte devant la porte de la chambre de Kei, il s'était résolu à lui apporter le paquet en mains propres. Et comme il était hors de question qu'il donne à qui que ce soit une boîte rose en forme de cœur (avec des paillettes), un peu de camouflage s'imposait. Il plaça donc la boîte incriminée dans un carton qui, lui, avait au moins la décence d'être de forme et de couleur normales pour un carton d'emballage, et ôta avec soin l'étiquette de la boîte rose pour l'accrocher bien en vue.
Puis il se rendit chez Kei. L'important, c'était de ne pas lui laisser le temps de poser des questions, se répéta-t-il tandis qu'il sonnait à la porte.
— Capitaine ? s'inquiéta la jeune femme. Que faites-vous là, il y a un problème ?
— J'ai trouvé ce paquet lors de l'abordage, répondit Harlock. Il y a ton nom dessus, ça te dit quelque chose ?
Kei haussa un sourcil, puis son visage s'éclaircit d'un grand sourire.
— Oh, c'est vous qui l'avez ramassé, capitaine ! Le vendeur m'avait dit qu'il le placerait dans le prochain cargo que nous aborderions, mais j'avoue que j'étais dubitative sur la façon dont il allait s'y prendre... En tout cas, je suis vraiment contente que ça ait fonctionné !
La jeune femme fronça les sourcils tandis qu'elle récupérait son paquet.
— ... mais je me demande quand même comment il a fait pour savoir quel cargo serait abordé, termina-t-elle.
— Mmm. L'essentiel, c'est que tu sois livrée, non ?
— Bien sûr ! Merci de me l'avoir amené, capitaine ! Je suis contente que ce soit vous qui l'ayez trouvé et pas un des gars... Il l'aurait gardé, expliqua-t-elle avec un clin d'œil.
— Possible, marmonna Harlock.
Le capitaine fit un vague geste de la main qui pouvait être interprété n'importe comment avant de se sauver dans la coursive sans se retourner. Il ne voulait surtout pas attendre que Kei se pose des questions supplémentaires (forcément gênantes pour lui), et il ne voulait surtout pas être là lorsque la jeune femme ouvrirait son colis.
En clair, quoi qu'il arrive à présent, il ne voulait surtout plus entendre parler de boîte rose en forme de cœur, avec des paillettes.
Même s'il allait regretter les chocolats qu'elle contenait.
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Kei Yuki était face à un dilemme.
D'un côté, elle était soulagée d'avoir récupéré son carton et de ne pas avoir dû subir un interrogatoire serré sur le mode de livraison par cargo abordé interposé, voire sur l'objet de la livraison (ce qui aurait été pire). De l'autre, elle était à peu près certaine que le colis avait été ouvert : non seulement l'emballage était légèrement abîmé, mais en plus il manquait des chocolats à l'intérieur.
La jeune femme se mordit la lèvre inférieure. Pouvait-elle raisonnablement aller accuser le capitaine d'avoir mangé ses chocolats ? Kei hésita un long moment avant de renoncer. Non, avouer être en possession de chocolats face à quelqu'un qui en avait possiblement déjà mangé entraînait une très forte probabilité de devoir partager le butin (d'autant qu'elle se voyait mal refuser quoi que ce soit à Harlock s'il le lui demandait).
Et ça, avec tout le mal qu'elle s'était donné pour se procurer des chocolats de cette qualité, c'était absolument hors de question.
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