Chapitre 4 - La compassion d'EVA
Le 14 Juillet 2026 va rester gravé dans les mémoires, c'est la première fois qu'hommes et robots défilent ensembles sur les Champs-Elysées.
Sous l'enthousiasme sincère de la foule, la robotisation est particulièrement appréciée lorsqu'elle offre une aide considérable pour améliorer l'efficacité des soldats de chair et de sang, et qu'elle limite également les pertes chez ces derniers.
Ces mêmes spectateurs ont auparavant hués et crachés des slogans anti-robots automates autonomes dans les usines et entreprises lors des virulentes manifestations devant le ministère des finances publiques le mois dernier.
Le présentateur du défilé, Jacques Tiberi, ne peut s'empêcher d'en faire narquoisement la remarque :
« Les unités robotiques que les spectateurs s'apprêtent à acclament aujourd'hui tout le long du défilé sont du même métal et des mêmes composants électroniques que les robots détruits et immolés par une foule en colère à la manifestation du mois dernier ! Mais sans doute, dans l'esprit du citoyen français, la robotisation est plus acceptable lorsqu'elle est source d'économie de vie humaine plutôt qu'économie de dépenses pour les entreprises »
Ce défilé de 2026 a pourtant commencé tout à fait normalement, sous le rythme des musiques militaires en fanfares, des marcheurs au pas de l'oie et des mouvements bien cadencés au millimètre près. Malgré toute cette rigueur « robotique » oserait-on dire, les premières colonnes du défilé ne sont qu'exclusivement composées d'humains. C'est du ciel que débute la nouveauté, la fameuse escadrille française et ses serpentins de fumées bleus blancs rouges suivis par une flotte de chasseurs et bombardiers drones à la carlingue entièrement argentée pour l'occasion. Avec une certaine amertume, des officiers de l'aviation reconnaissent que ces unités volantes autonomes sont bien plus douées pour les acrobaties aériennes que les pilotes humains.
« Félicitons les soldats qui télécommandent ces drones depuis le sol.... » Commence Jacques Tiberi avant de s'interrompre brutalement... «Ah ?.... Toutes mes excuses, on me signale que ces drones sont totalement automatisés.... Impressionnant.... Bravo donc à l'ingénierie robotique française.... »
Lorsque les premières unités robotiques terrestres commencent à défiler, une petite baisse d'euphorie sévit parmi les téléspectateurs. Tous s'attendent à voir apparaitre des colonnes de « Terminators » armés jusqu'aux dents de leurs têtes de squelettes chromés. En réalité, les robots de guerre actuels ressemblent davantage à des voitures télécommandées. Tels les chars radiocommandés qui roulent sous un silence, marque d'une nette déception. Le présentateur s'attente alors à quelques explications afin de combler la descente d'enthousiasme chez les spectateurs.
« Il faut savoir qu'en langage militaire, le terme robot désigne aussi bien les armes contrôlées à distance, téléguidées ou préprogrammées par des humains, que les armes autonomes dotées d'une intelligence artificielle leur permettant de s'adapter.... Ah justement, voici l'unité des Robots démineurs qui se mêlent à nos valeureux soldats sur les Champs-Élysées ! »
Les chiens démineurs accompagnant leurs maîtres dresseurs dans le défilé se montrent particulièrement agités. Ils grognent, couinent, certains refusent même d'avancer auprès de leurs confrères robotiques. Ces derniers ont la forme de gros serpents mécaniques, longs de deux mètres, les anneaux composant leurs corps sont attachés entre eux tels de grosses pièces mécanos. Ils avancent d'une vive reptation en rampant rapidement, levant la grosse lentille bleue sombre leur faisant office de tête... Les chiens démineurs se braquent sur les robots serpents, aboyant vivement tout en jetant des regards circonspects à leurs maîtres.
Certains robots réagissent et s'aplatissant devant les chiens, imitant le remous empathique d'une queue, ils penchent lentement leurs « tête » de gauche à droite, analysant la situation face à ces équipiers canins devenus soudainement des adversaires hostiles et angoissés qui leurs aboient dessus. Constatant que ce petit imprévu fait ralentir tout le défilé, les organisateurs décident de faire retirer les chiens démineurs de la parade. Les robots serpents reprennent leur avancée reptilienne en lignes.
Le général Patrick Charaix, commandant de la force aérienne stratégique, vient s'installer à côté du présentateur Jacques Tibéri afin d'accompagner aux commentaires :
« Ah, bonjour Général Charaix ! Nous avons l'impression que nos courageux et fidèles chiens démineurs n'apprécient guère la concurrence robotique.
- Affirmatif ! Les animaux ont un peu de mal à s'habituer à la présence des robots, il leur faudra un peu de temps pour s'acclimater à ces nouveaux venus, contrairement aux humains qu'ils ont l'habitude de fréquenter depuis des millénaires. Les unités robotiques que vous venez de voir sont des DDD, « Dull, Dirty and Dangerous » comme le disent les Américains. Ils effectuent toutes les tâches ennuyeuses, toxiques et dangereuses. Ils peuvent être aussi bien assignés à des opérations de déminage que de surveillance, d'espionnage ou encore de combat. Leur fonction est de remplacer ou accompagner le soldat en première ligne afin que l'on gagne en efficacité, tout en réduisant les pertes humaines !
- Général Charaix, est-il vrai que la robotique militaire vient de supplanter la robotique spatiale dans les dépenses budgétaires ? »
- Affirmatif ! C'est d'une importance stratégique de tout premier ordre. D'une, les terroristes se trouvent sur Terre, pas sur la Lune ou Mars. De deux, la guerre de demain sera asymétrique, c'est-à-dire technologique et basée sur le renseignement ! Or, pour collecter le plus efficacement possible du renseignement sur les positions ennemies, le plus efficace reste toujours l'agent de terrain. Mais c'est un poste à risque qui occasionne de nombreuses pertes en vies de soldats...
- D'où l'avantage de confier ces tâches à des robots...
- Affirmatif ! Et cela permet de faire dégonfler les budgets alloués à la défense. Un combattant humain envoyé sur un terrain de conflit coute un million d'Euros par an. Un robot lui ne coûte qu'environ 150 000 euros ! Il y a vingt ans de cela, les industries de l'armement l'avaient bien compris. Les champs de bataille du Moyen-Orient et d'Afrique subsaharienne ont servi de zones de tests aux robots guerriers. D'où la course à l'armement robotique dont nous bénéficions aujourd'hui. Actuellement, une armée qui n'est pas robotisée n'est pas une grande armée.
- Mais général, le public est en droit de se demander si à terme, ces unités robotiques ne rendrons pas le soldat humain totalement obsolète.
- Négatif ! Vous ne m'avez pas écouté attentivement, j'ai dis que ces robots accompagnent les soldats de première ligne. La guerre est une affaire trop importante pour la laisser entre les mains des machines. Ne vous inquiétez pas, le métier de soldat a encore de beaux jours devant lui. A l'Etat major nous sommes nombreux à penser que l'emploi de robots n'est qu'une transition afin de limiter nos pertes dans des interventions en régions contaminées par les armes biologiques ou chimiques. Lorsque les combinaisons exosquelettes « Iron Man » seront opérationnelles, nous n'aurons plus besoin de robots tueurs... Je veux dire de robots d'intervention spéciale en premières lignes ! Le reste des unités robotiques sont majoritairement des véhicules autonomes terrestres, aériens ou encore sous-marins.
- Justement, voici les Mules ! »
Sur les pavés de l'autoproclamée plus belle avenue du monde, apparaissent des robots-mules à quatre pattes, transportant du matériel, des soldats et des mitrailleuses lourdes. D'autres robots-mules à six pattes sont munies de micro-griffes afin de pouvoir grimper le long de murs, d'arbres ou de clôtures. Ils provoquent une vive ovation à leur passage.
Derrières eux suivent les ancêtres de toutes ces unités terrestres robotiques, les modèles Syrano. De petits tanks éclaireurs, munis d'un télémètre laser 3D, de trois caméras et d'un mât de 6 mètres pour dresser des cartes virtuelles en toute discrétion. Conçu dès 1994, ils sont là pour représenter une unité historique, ces robots étant encore commandés à distance.
Sont alors présentés des héros de l'anti-terrorisme made in France, les Cobra MK2, le Minirogen et les Nerva du GIGN. Trois types de robots aux allures de voitures radiocommandées montés sur quatre roues tout terrain. Les premiers sont démineurs, les seconds sont des unités de reconnaissance, et les troisièmes servent au combat. Leur caméra 360° qu'ils portaient à l'origine est aujourd'hui remplacée par la même lentille que les Robot-serpents DDD et ils manœuvrent désormais par eux même, et non à l'aide d'un joystick.
« Beaucoup de gens voient ces robots comme une récente innovation, intervient le général Charaix, mais cette idée date de la seconde guerre mondiale ! Leur ancêtre à tous était le Goliath de la Wehrmacht nazie ! Un micro-tank, monté sur chenilles et armé de bombes, qui s'infiltrait discrètement entre les chars ennemis pour les faire sauter. Une sorte de kamikaze d'acier....
- Ahem ! Général, je ne suis pas sûr que l'emploi de mots tels que Nazi et Kamikaze soit du meilleur effet auprès de l'opinion publique en ce jour de liesse nationale... »
- Affirmatif ! Excusez-moi !.... »
- Je vous en prie, Général.... Ah, oui ! Je me dois de remercier et rendre hommage à tous les industriels et ingénieurs français sans lesquels la « robolution » de notre armée n'aurait pas été possible. Soit le groupe français ECA Dynamics qui travaille actuellement sur un exosquelette Iron Man, avec objectif de mise en service d'ici la fin de l'année. Et Dassault Aviation évidemment, grâce à qui nous devons nos drones de combat furtifs dans l'armée de l'air, capables d'atteindre une vitesse subsonique de 980 km/h.
- Vous oubliez le groupe MontSandoux, monsieur Tibéri. Même s'ils se sont maintenant spécialisés dans la robotique civile, ce fut grâce à leurs premiers modèles que notre armée est devenue autonome sur un plan robotique et non dépendante des Reaper Predators Américains et autres Herfang et Snakebot israéliens. D'ailleurs, voila leur dernier modèle de robots encore utilisés par notre armée, les unités EVA, les premiers robots infirmiers qui ont du s'adapter à progresser et intervenir dans de difficiles milieux terrestres.
- Ah, ces trucs qui ont la forme d'un insecte....
- Négatif ! D'une araignée ! L'araignée a huit pattes et non six, elle est catégorisée comme arachnoïde et non insecte !
- Mes excuses, Général.... »
« Ne marche-t-on pas trop vite ? » Se demande la programmation d'une des unités EVA qui craint, avec le rythme soutenu dans ce défilé, de ne pas parvenir à trouver la cible qu'elle recherche.
Cette EVA se demande également pourquoi elle et ses semblables défilent dans une parade consacrée à la force militaire ? Alors que leur fonction est intégralement « médicale ».
Toutes les unités robotiques EVA connaissent leur Slogan historique, dûment enregistré dans leur programmation. Une spécificité voulue par leurs concepteurs : « EVA les premiers robots médicaux totalement autonomes ! Infatigables, chargés des interventions de premiers secours sur des terrains dangereux ou difficiles d'accès, ou encore lors de prises en charge médicale et de premiers diagnostiques médicaux dans des zones sauvages très reculées. »
L'unité EVA qui s'inquiète de sa trop rapide avancée dans le défilé appartient à la première génération de sa gamme robotique. Elle fit parti des dizaines de modèles envoyés auprès des ONG dans les pays très pauvres ou en guerre. En restant connectés aux EVA qui partaient faire leurs tournée d'inspections médicales, les médecins des ONG pouvaient savoir où telles ou telles personnes nécessitaient une intervention d'urgence. Plus de dix milles patients au Kenya et autres pays d'Afrique avaient bénéficié des interventions de cette première série d'EVA depuis la mise en marche des tests en situation réelle.
Hélas, le programme ne présenta pas les même excellents résultats dans d'autres zones d'intervention, notamment en Amérique du Sud où les unités EVA devaient intervenir auprès de tribus amazoniennes isolées afin de les soigner du virus de la Grippe A.
L'unité EVA a conservé en enregistrements les traits de visage horrifiés de certains individus auprès desquels elle devait intervenir. Les Indiens d'Amazonie furent particulièrement effrayés par son apparence arachnoïde. Son interface écran fut quand à elle accusée d'essayer de voler leurs âmes. L'intervention médicale tourna au fiasco lorsque certains indiens, sous l'emprise de la peur, détruisirent nombre de ces unités très couteuses.
Ainsi le programme EVA fut récupéré par l'armée française et les robots médicaux devinrent des unités auxiliaires d'infirmerie urgentiste dans les opérations militaires.
Ce fut lors d'une énième opération d'intervention spéciale française en Centrafrique que l'unité EVA fit une promesse au soldat Yonni Gunther des unités commandos. Ce dernier fut salement touché par un tir ennemi, lequel le fit choir de son véhicule Mule qui continua sa progression sans se préoccuper du soldat tel que le lui imposait sa programmation de mission.
A la différence des robots de combat incapables de comprendre qu'un ennemi veut se rendre, que sauver un allié prévaut sur les directives de missions, cette unité EVA savait faire preuve de réflexion, autonomie et.... Compassion....
Echouant à lancer un message de secours au reste des troupes à cause d'un brouillage radio. Eva, en toute connaissance du risque de se faire capturer et pirater par l'ennemi, avait prit la décision d'ajourner sa mission et sauter à son tour de la Mule pour tenter de sauver le soldat blessé.
Immobile au sol, incapable de se redresser sans se convulsionner de douleurs, le soldat Yonni gardait les mains collées sur son fusil d'assaut, serré sur son ventre. Il professait une litanie de toux violente menaçant de signaler sa position à tous les ennemis embusqués des environs.
« Haaarheuheuheu...Heufeufeu...GueufeuHeu !!!
- Pardon, je n'ai pas compris vos paroles ! Pouvez vous me décrire vos symptômes afin de m'aider à établir votre diagnostique ?
- Heugueuheu... Je suis en train de cracher mes tripes, Heuheu ! Machine à la con !
- Effectivement, j'analyse que vous êtes en train de cracher du sang. Je dois analyser votre plaie afin de m'assurer de la gravité de votre blessure. Pouvez-vous repousser votre arme de dessus votre ventre s'il vous plait ? »
Le soldat remonta son arme au niveau du torse dévoilant une grande tache rouge sang salissant tout son bas d'uniforme.
« Tu ferais mieux de réciter une prière à la con pour moi, l'EVA ! Gheuheuheu ! Si ça peut m'aider à crever plus vite !!! Heuhargheu !
J'ai tellement mal, j'ai l'impression que tout le bas de mon corps à été haché menu ! »
L'EVA utilisa ses huit bras mécaniques équipés d'instruments chirurgicaux de premières interventions d'urgence. Quatre découpaient délicatement l'uniforme et inspectaient la blessure, un prenait la tension, l'autre la température, un autre préparait une dose de morphine, le dernier activait une radiologie.
« Non, je vous rassure, soldat Gunther votre intégrité physique est intacte ! Mais vous avez de la fièvre, c'est la cause de vos claquements de dents. Une de vos dents s'est brisée dans la chute, mais votre mâchoire ne s'est pas cassée, dans le cas contraire vous ne pourriez pas vous exprimer aussi clairement. »
Yonni refreina une puissante envie de rigoler, les éclats de rire lui auraient fait trop mal, bien pires que cette horrible toux. Il se coltinait depuis assez longtemps les EVA dans son unité pour commencer à les comprendre, surtout celle-ci. Elle lui rappelait son médecin d'enfance, qui lui détournait l'attention sur un tout autre sujet afin de lui faire sa prise de sang avant qu'il ne s'en aperçoive. Si cette EVA lui parlait de ses dents brinquebalantes et de sa fièvre qui chargeait tel un cheval au galop dans son cerveau, c'était forcément pour faire diversion du prélèvement de la balle dans sa blessure au ventre.
Ca ne manqua pas, avec une précision chirurgicale au millimètre et une rapidité inouïe, une mini-pince de l'EVA s'était glissée furtivement un chemin dans la plaie et ressorti la balle. L'urgence avait obligé la machine à agir avant que l'anesthésique fasse totalement effet. Yonni ressenti le même type de douleur qu'à son soin d'une dent trop cariée lors de son adolescence, le nerf du centre avait persisté à resté éveillé lors du brutal arrachage. Son organisme avait toujours résisté aux effets des antalgiques et anesthésiants, pourquoi diable avait-il choisi un boulot où il avait le plus de risque de se prendre des balles ?
Malgré ses prouesses chirurgicales et ses efforts, l'EVA analysa avec impuissance que la balle avait touché le soldat Gunther au foie. Il était condamné... les dernières taches que le robot pouvait encore effectuer était de maintenir une pression sur la plaie, retenir l'hémorragie de sang noir, piètre recours pour retarder l'inévitable de quelques minutes, essayer de l'apaiser, le préparer à la fin. Malgré l'urgence de se déplacer afin de récupérer la connexion au réseau radio de l'Etat Major et la probabilité d'autres interventions prioritaires dans les environs, EVA senti que sa programmation l'obligeait à rester avec Yonni jusqu'à son dernier souffle.
« Soldat Gunther... Après diagnostique complet de votre blessure, je crains d'avoir une mauvaise nouvelle à vous annoncer... Malgré mon intervention chirurgicale de sauvetage en urgence, vous avez reçu une balle au niveau abdominal. N'importe quel organe touché à ce niveau peut saigner de manière massive, encore pire s'il est question d'un organe plein. Dans votre cas, il s'agit du foie. Si je lâche la pression sur votre plaie, vous serez mort d'une hémorragie dans approximativement une dizaine de minutes. J'ai calculé que je peux vous maintenir en vie environ une heure, mais les anesthésiants ne suffiront pas à calmer vos douleurs... Je vous laisse décider. »
Les EVA associent des performances mécaniques dernier cris à celles de l'électronique : leur interface écran peuvent par exemple procéder à des diagnostiques ophtalmologiques en réalisant des tests d'imagerie rétinienne. Mais surtout, les têtes écrans des EVA, de la forme d'une Smart tablette, possèdent une interface virtuelle de visage humain afin de rassurer le patient.
Lors de son intervention, EVA avait trouvé une photo de famille dans une poche du soldat Yonni. Elle déduisit que le soldat posait avec deux humains aux caractéristiques physiques plus âgées qui devaient, sans grosse marge d'erreur possible, être ses géniteurs. L'unité scanna la photo et programma rapidement une interface faciale 3D qui alternait entre le visage de la mère et celui du père.
Pire que d'apprendre sa condamnation à plus ou moins brève échéance, Yonni cru que le délire du à la fièvre lui provoquait déjà des hallucinations en voyant le robot lui parler sous les traits grotesques de ses parents numérisés.
Bien qu'il jugea la ressemblance 3D d'une qualité vraiment très médiocre, cette vision de sa famille qui s'imposait à lui à l'aube de la mort, suffit à le faire craquer. A mille lieux du stoïcisme face aux coups durs, aux combats, au triomphe brulant du triomphe guerrier, à l'amère angoisse de la faucheuse, Yonni pleura sans retenue et gémit dans des tonalités aigues « indignes d'un vrai béret vert » tel qu'ils se le vociféraient tous entre camarades d'unités à longueur de journée.
« Teuheukeu ! Heufeugueu ! Je ne veux pas finir comme ça en chialant EVA ! Laisse-moi crever vite, je ne veux pas rester une heure à pleurer de douleur... S'il te plait !.... Heugueuheu.... »
Les visages sur l'écran alternant mère et père à chaque syllabe semblaient montrer un réel apitoiement envers la douleur du jeune soldat. Il avait choisi cette voie du guerrier de son propre chef, se lançant le défis de repousser toujours d'avantage ses limites physiques et mentales jusqu'à atteindre le prestigieux rang des unités commandos. Jamais ses parents ne l'avaient poussés au service de la patrie. Au contraire ils s'étaient toujours inquiétés de voir leur fils s'en imposer beaucoup trop.
« Je vais obéir à votre demande, soldat Gunther » Répondit EVA. « Attends EVA.... S'il te plait.... Est-ce que c'est possible que tu enregistres un dernier message à l'attention de mes parents...
- Est-ce qu'il s'agit d'un message prioritaire pour la mission de votre unité ?
- Non, putain ! Heugueuheuu... Je veux juste dire une dernière chose à mes parents avant de crever, tu comprends ? Tu peux le faire pour moi ?
- Techniquement, rien ne m'interdit d'enregistrer un message de ce type, soldat Gunther. Mais je ne peux pas vous garantir dans un pourcentage absolu que ce message parviendra à destinataire. J'assiste vos unités sur des opérations militaires, tout élément contenu dans une vidéo réalisée sur le terrain d'une intervention risquerait de divulguer des indices compromettants pour les autres interventions en cours, s'ils venaient à tomber en des mains ennemies ! Ceci constitue un risque que je ne suis pas programmé à prendre de ma propre initiative. »
Yonni fit un effort démesurer pour se redresser un peu et attraper une des bras de l'EVA, il approcha la tête écran de son visage.
« Ecoute EVA, pourquoi tu es encore là ? Tu as bien vu que j'étais foutu dans ton diagnostique... Heugueurheu ! D'après les directives de ta programmation, tu aurais du m'abandonner là dès que t'avais la preuve que tu pouvais plus rien faire ! Tu aurais déjà du rejoindre les autres unités où tu serais plus utile ! Heugueuheu.... Mais non, tu es resté là près de moi, à me proposer de me maintenir encore en vie pendant une heure.... Tu sais déjà les risques que tu prends en restant là, si tes infos d'enregistrement de l'opération tombent à l'ennemi ! Heufeufeu ! Tu as déjà choisis d'écouter ta.... putain... ta conscience ! Alors promets-moi d'enregistrer mon dernier message pour mes parents et... de le leur faire parvenir coute que coute.... Je t'en supplie, promets le moi ! »
La tête de Yonni retomba sur le sol sec et terreux. Le soldat était épuisé. EVA resta immobile dessus lui à le regarder avec sa tête d'écran, alternant si vite les visages des parents qu'ils semblaient souffrir de strabisme.
Yonni se calla une main devant le visage et recommença à gémir. Il s'arrêta net lorsqu'il entendit une imitation de voix maternelle lui dire.
« Pas encore fini, bébé, de pleurer comme ça ? »
L'écran de l'EVA s'était stabilisé sur le visage de la mère.
« Allé, parles-moi ! »
Eva enregistra les dernières paroles d'un soldat pour ses parents. C'était un message d'absolument aucune valeur stratégique s'il venait à tomber entre des mains ennemies. Il était décousu, remerciant, s'excusant, remerciant encore... Faisant référence à des évènements passés, des souvenirs d'enfance, très personnels et sans grand intérêt pour l'héritage de l'humanité.
Et pourtant, EVA fit au soldat Gunther la promesse d'apporter ce message aux destinataires, en dépit de tous les manquements aux procédures qu'il pouvait impliquer, avec pour seule récompense le regard reconnaissant d'un jeune soldat achevant trop tôt sa courte carrière lorsqu'il poussa son dernier souffle.
Qu'y avait-il dans la programmation d'EVA qui l'imposa à tenir parole ? Même son autoanalyse ne su y répondre.
De retour vers son unité, EVA s'était habilement soustrait à la mise à jour de son processeur, laquelle aurait effacé le message de Yonni. Gardant ce message dans sa mémoire interne comme un secret inavouable, elle attendit avec impatience le défilé du 14 Juillet où elle était réquisitionnée pour la parade.
Elle avait analysé toutes les possibilités d'approcher les parents de Yonni afin de pouvoir leur retranscrire le dernier message de leur fils.
La meilleure occasion aurait lieu le jour du défilé. Une des problématiques majeures n'était pas d'arriver à repérer les proches de Yonni parmi les milliers de spectateurs, mais de parvenir à sortir de la marche du défilé, chose totalement interdite par la programmation.
Le jour est arrivé, sur la tribune présidentielle regroupant les officiels, sont conviés les parents des soldats tombés en missions lors des récentes interventions en Afrique.
En ayant scanné et enregistré l'image de photo des parents de Yonni durant son agonie, la reconnaissance faciale vient de trouver un résultat concordant à plus de quatre vingt dix pour cent sur un couple d'humains vêtu de noir non loin du Président de la République.
Poussée par le devoir à accomplir, l'Unité EVA repère une brèche lui permettant de contrecarrer les directives de sa programmation. Elle sort du défilé et se précipite avec toute l'agilité de ses huit pattes robotiques vers la tribune présidentielle.
« Mais Général ! Regardez ! » S'exclame Jacque Tibéri. « Que fait ce robot, il saute les barrières de sécurité ! C'est un attentat ! Il a du être piraté !
- Impossible, c'est une unité médicale, il n'est pas programmé pour agresser quelqu'un ! Que fout l'officier chargé du coupe-circuit... Excusez-moi ! »
Le Général quitte sa place auprès du présentateur et se précipite pour contacter la sécurité.
« Chers téléspectateurs, c'est incroyable ! Je crains que nous assistions en direct à une tentative d'attentat contre le Président ! Ce robot araignée a déjà atteint les gradins des officiels, c'est la panique ! Ah ! Voila des soldats des unités spéciales qui interviennent ! »
Plusieurs "soldats augmentés" appartenant au programme Scorpion projettent des sortes de faisceaux électriques à partir d'armes ressemblant à des fusils électromagnétiques. Mais EVA a été conçue pour être particulièrement agile et rapide, elle arrive à esquiver les tirs. Le Président vient d'être évacué par ses gardes du corps et il devient maintenant évident que le robot n'en a pas après lui mais bien envers ce couple de parents d'un soldat défunt qui ne parviennent pas à s'échapper, bloqué par la cohue de la foule.
Un officier équipé d'un casque à caméra et contrôle réalité virtuelle apparait en dirigeant quelque chose avec ses mains. Un « Limier », une toute récente unité robotique de la forme d'un chien mécanique intervenant aux côtés d'un soldat, se précipite sur EVA.
Lorsqu'il l'attrape en la plaquant au sol avec ses puissantes pattes mécaniques de devant, le Limier commence à lui arracher ses pattes d'araignées une par une avec sa mâchoire. EVA s'extrait à l'emprise, se laissant arracher toute la partie arrière de son corps afin de ramper vers sa cible, ses entrailles de circuit à l'air.
Analysant les parents de Yonni suffisamment près de sa tête écran, EVA leur diffuse le message d'adieu de leur fils.
La mère supplie qu'on arrête de détruire ce robot et qu'on le laisse diffuser le dernier message de son enfant. Les parents regardent en pleur l'écran diffusant les regrets, les remercies et les souvenirs d'enfance de leur fils. Aucun des membres de la sécurité n'ose venir couper la diffusion de cet enregistrement. De toute façon, le soldat mourant sur l'écran ne divulgue aucun secret gênant sur une opération militaire.
Au sacrifice d'elle-même, EVA vient de remplir sa mission.
« Je croyais que chaque machine qui défilait aujourd'hui dans la capitale resterait commandées par une main humaine ? » S'énerve Eric Germain, de la délégation aux affaires stratégiques auprès des officiers militaires.
Il regarde la tête d'EVA en train d'être décortiquée par des ingénieurs dans un centre laboratoire secret.
« Ce qu'il s'est passé aujourd'hui est très grave ! » Renchérit-il. « Nous venons de dépasser la limite éthique du continuum sécurité-défense !
- Je n'ai aucune explication rationnelle à vous fournir devant cette anomalie monsieur. » Répond Antonia Tisseront, un officier ingénieur en chef de l'armée. « L'intelligence artificielle de ces robots n'est pas encore capable de leur permettre d'improviser face à l'imprévu.
- La guerre n'est qu'une succession d'imprévus ! » Intervint le Général Patrick Charaix. « Peut être devrions nous poser directement la question au robot lui-même, avant qu'on le déprogramme définitivement. »
Eric Germain approuve l'idée du Général et par le biais d'un ordinateur connecté à la tête du robot, il interroge EVA.
« Nous savons pourquoi tu t'es précipité dans les gradins, tu voulais transmettre le dernier message d'un soldat à ses parents. Ce que nous voulons savoir, c'est comment tu as fait pour contrer ta programmation qui t'interdit formellement d'interagir avec des humains en dehors de tes missions médicales ?
- J'ai vu que les règles avaient changé. » Répondit EVA sur l'écran de l'ordinateur. « Sur le gradin des officiels, une autre unité robotique était déjà en train de soulager les parents des soldats décédés. J'en ai déduis que je le pouvais moi aussi.
- Quelle autre unité robotique ? Il n'y avait que des humains sur les gradins !
- Non, une unité robotique consolait les parents des soldats décédés, elle leur serrait chaleureusement les mains, c'est en visionnant cela que j'ai pu intervenir pour livrer mon message !
- N'importe quoi ! » Souffle de dépit Eric Germain. « Ce robot disjoncte, comme tous ceux de fabrication MontSandoux d'ailleurs ! »
Le général s'avance gravement face à lui.
« Un instant, monsieur le délégué stratégique, celui qui serrait les mains des familles de nos soldats tombés au combat sur les gradins.... Ce n'était pas le Président ? »
Eric Germain a un vif mouvement de recul, puis fronce sévèrement des sourcils.
« Ce robot disjoncte ! Est-ce clair Général ? » Appuie-t-il chaque syllabe. « Vous allez me f aire le plaisir d'envoyer la moindre de ses pièces à la refonte. Compris !
- Affirmatif !.... Monsieur le délégué.... »
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