- Ne paniquons pas, lance-Jess d'un ton apeuré et totalement contraire à ses indications.

Je sèche rapidement mes larmes, comme pour être sûr que Jessica ne les voit pas couler le long de mon visage. Je ne veux pas qu'elle se sente en danger, même si ça à l'air d'être bien trop tard.

Je comprends rapidement qu'une des multiples capacité d'Irinka doit être de voir à travers les murs. Je l'observe de manière insistante en espérant qu'elle propose une solution. Un instant à peine avant de l'interpeller pour la faire réagir, elle se met à se rapprocher très lentement et dangereusement de la porte d'entrée. Tout en essayant d'être la plus discrète possible, elle nous chuchote à tous les deux :

- Allez-vous cachez à l'étage immédiatement, je tâche de les ralentir. Mademoiselle Jessica, je compte sur toi pour que vous disparaissiez tous les deux dans les plus brefs délais. On se donne rendez-vous ici même à vingt heures tapantes pour finaliser rapidement nos affaires. Vous passerez par la porte arrière pour plus de discrétion tout à l'heure. Allez du vent qu'est-ce que vous fichez encore là ?

Son monologue me paraît durer une éternité. En réalité il n'a dû se passer que quelques secondes depuis l'arrivée des sombros. Sans réfléchir plus longtemps, je sens Jessica qui tire mon bras pour me faire monter à l'étage.

Nous empruntons un escalier en bois massif situé au bout du couloir donnant sur la porte d'entrée. Je me stoppe un instant et me retourne. Je constate Irinka prête à ouvrir la porte et affronter je ne sais ce qui l'attend.

- Qu'est-ce que tu fous, Kyle bordel ? Me lance Jess d'une voix mi-énervée mi-chuchotée.

Nous reprenons notre course dans ces escaliers qui n'en finissent plus. Arrivés en haut de ces derniers se trouvent deux portes closes côte à côte. L'une d'elle parait grise avec une poignée noire tandis que l'autre doit être en marbre, mais plus rien ne me choque. L'endroit est très sombre, seule un peu de lumière se dégage du rez-de-chaussée par les escaliers.

- C'est quoi le programme maintenant mon amie ? Tu ne peux pas nous téléreporter loin ?

- Si seulement, me répond Jessica. Déjà, on va se cacher dans une pièce le temps que je trouve un moyen de nous faire disparaître.

- Attends Jess, t'es en train de me dire qu'en plus de ne pas pouvoir nous téléporter loin de ce merdier, t'as aucune idée, ni plan de secours ?

Elle me lance un regard noir, puis pousse soudainement la porte grise de gauche et m'invite à entrer sans traîner. Au moment où elle va refermer la porte derrière nous, et avant même de regarder ce qu'il y a dans la pièce, j'entends Irinka enlever les verrous en bas. Je bloque alors avec mon pied la porte de la pièce dans laquelle on vient d'arriver, et tends l'oreille pour distinguer au loin :

- Messieurs, bonjour, puis-je vous aider ? Lance Irinka d'un air innocent à l'étage juste en dessous.

- Vous êtes seule ma vieille dame ? Réponds une voix d'homme qui m'est inconnue.

- Et comment ! Réplique Irinka. Je me sens seule et m'ennuie comme un rat mort. Vous venez me rendre visite ou me cambrioler et ligoter ? Essaye de plaisanter la vieille femme.

Je me retourne pour demander à Jessica si elle reconnaîtrait la mystérieuse voix, mais elle n'est plus à côté de moi. Je n'ai pas le temps de me retourner non plus pour la chercher qu'elle me lance :

- Tu vas fermer cette porte, ou tu comptes peut-être aller discuter avec eux en bas et te livrer directement aux sombros ?

Tout en fermant la porte, je fronce les sourcils pour lui répondre :

- Tu es sûr que ce sont des sombros ? Il a peut-être une voix grave le m'sieur en bas, mais il n'a pas l'air terrifiant tu sais, peut être même qu'ils...

- Je t'arrête tout de suite Kyle, les sombros prennent l'apparence qu'ils veulent à l'instant qu'ils le souhaitent. Prendre une apparence humaine pour discuter avec un humain, c'est plutôt logique et même rusé, donc laisse moi me concentrer pendant que j'essaye de nous sauver, UNE FOIS DE PLUS, tu veux bien mon cher ?

Je n'ai plus rien à répliquer. Mon amie est assise en plein milieu de cette pièce rectangulaire sur un parquet très foncé à l'allure très usé. Seules trois armoires décorent cette salle qui dégage une odeur de renfermé. Trois gros cadenas identiques garantissent probablement les secrets d'Irinka bien gardés dans ces trois meubles à l'allure de l'armoire de Narnia.

Désormais je n'arrive plus à entendre un quelconque bruit venant d'en bas. C'est encore plus difficile psychologiquement de s'imaginer ce qu'il peut bien se passer un étage juste en dessous de nous.

Instinctivement, je m'assois près de Jessica, comme pour lui montrer que dans ce moment de stress intense, on reste une équipe elle et moi.

Je l'observe longuement, ses cheveux bouclés brillent par les quelques rayons du soleil qui se glissent à travers le velux au-dessus de nous. Je ne sais pas si elle est en train de chercher un sortilège, d'appeler à l'aide ou encore de créer un plan d'évasion dans sa tête, mais je n'ose pas la déranger. Ses yeux sont fermés et ses sourcils froncés. Elle paraît tellement concentrée qu'on pourrait la croire en transe. Les paumes de ses deux mains sont collées face à son visage comme si elle créait une connexion avec je ne sais qui ou je ne sais quoi.

Je suis presque perdu dans mes pensées à m'imaginer ce qu'il peut se passer dans la tête de Jessica quand des craquements réguliers me font rapidement revenir à la réalité.

Ce sont des bruits sourds qui se répètent, quatre cliquetis à chaque fois. Je reconnais rapidement que c'est le bois des escaliers qui craque sous le poids de pas. Je comprends très vite que les deux hommes ont réussi à entrer chez Irinka et qu'ils sont en train de se diriger vers l'étage.

Mon sang se glace et mon cœur se sert, viennent-ils de tuer Irinka ? Est-ce vraiment des Sombros ? Dois-je prévenir Jessica ?

Je touche délicatement le genou de mon amie,  celle-ci ouvre les yeux et en un regard comprends ce qu'il se passe. Elle prend la parole d'une voix désemparée et en continuant de chuchoter :

- Je suis tellement désolé Kyle, je ne trouve aucune solution.

À ces mots, le peu d'espoir qu'il me restait s'efface entièrement. Je ressens alors quelque chose d'unique se passer dans mon corps. C'est inexplicable. En baissant la tête, je constate que je sers d'une manière très forte mes poings et que les poils sur mes bras sont tous hérissés. J'ai l'impression de fortement transpirer, d'avoir presque le souffle coupé.

Je n'entends plus aucun bruit. Les deux hommes sont arrivés au sommet des escaliers et ils s'apprêtent à entrer dans une des deux pièces.

- Kyle ? Me lance Jessica, presque à haute voix.

- Quoi ? Répondis-je en regardant mon amie dans le blanc des yeux.

- Mais qu'est-ce que tu viens de faire ?

- Hein ?

- TU ES INVISIBLE KYLE, IN-VI-SI-BLE.