CHAPITRE 35 : L'épicerie

- Rassure-moi Jess, quand tu dis l'homme le plus recherché, c'est pour l'effet dramatique n'est-ce pas ?

Silence.

- Jess, tu comptes me répondre ?

Après quelques secondes d'hésitation pendant lesquelles elle prend un malin plaisir à me faire peur, mon amie reprend finalement :

- Bon, j'avoue que j'exagère un petit peu quand je dis l'homme le plus recherché, t'es peut-être le deuxième ? Continue-t-elle ironiquement. Crois-moi qu'il y a du monde qui aimerait t'avoir à portée de main.

On continue d'avancer dans les rues sombres en direction de l'épicerie pendant que j'essaye de faire le lien entre toutes les informations que j'apprends depuis que j'ai retrouvé Jessica.

- Mais.. Je me demande quand même, repris-je toujours autant perdu, il y a bien une raison pour laquelle je suis tant recherché, ce n'est pas étrange de vouloir me capturer alors que je suis le seul de toute ma famille à ne pas avoir de pouvoir ?

- Eh bien, justement mon cher Kyle, pourquoi le descendant des grands Vozt serait démuni de magie ?

- Alors on veut me kidnapper pour me faire des tests ? Comme un rat de labo si j'ai bien compris ?

- C'est presque ça, répond Jess étonnée par la comparaison que je viens de lui sortir.


Les portes de la petite boutique se dessinent de plus en plus nettement et nous rentrons très vite dans l'enseigne qui ne paie pas de mine.

Il me faut quelques secondes pour m'habituer à la violente lumière des néons au plafond qui éclaire la boutique. Très rapidement, je distingue sur la droite un homme presque endormi à la caisse, son téléphone à la main. L'endroit semble désert et il règne un silence presque inquiétant.

Une rangée d'une dizaine d'étagères parallèles très serrée sont face à nous, Jess s'arrête alors que je commence à m'engager pour choisir de quoi me rassasier.

- C'est quoi ton problème cette fois, tu n'as plus faim ? Lui dis-je en riant.

- Prends-moi la même chose que toi, j'ai besoin d'appeler quelqu'un, répond-elle.

Avant même d'avoir le temps de rétorquer quoi que ce soit, j'entends les portes se refermer. Ce bruit relativement sourd ne réveille pas pour autant l'employé qui commence presque à baver si l'on regarde de plus près. C'est devenu presque normal que Jessica passe un coup de fil au beau milieu de la nuit, je me serais inquiété si tout avait été normal.

Je trouve rapidement deux salades toutes prêtes avec trois bouts de poulet qui se courent après et un peu de maïs. J'avoue que je n'ai pas tellement envie d'épuiser le peu d'argent qu'il me reste de mon premier jour de cavale.

Au moment de m'approcher de la caisse, avant d'indiquer à l'homme assoupi que j'aimerais bien payer, je remarque le journal du jour posé à la fin du tapis roulant où l'on pose les articles. Une photo qui ne m'est pas du tout inconnue attire mon attention et me fige même sur place.

Au-dessus de la une qui parle de la construction d'un nouveau building en face du World Trate Center, je remarque une photo de ma mère qui enlace mon père avec le titre "La disparition de leur fils les plonge dans les remords".

Mon sang se glace. Je n'ai plus de nouvelles depuis que j'ai quitté la maison, je ne sais même plus quand est-ce que je suis parti, était-ce vraiment hier ? Toute cette fugue ne serait pas que le fruit de mon imagination ?

J'ouvre dans l'agitation la page indiquée en couverture. Je retrouve alors un article d'une page entière nommé "Témoignage d'une famille désemparée". J'ai l'impression de suivre une série dramatique. Ce n'est pas du tout du genre de mes parents de témoigner dans la presse et encore moins dans celle des bannets surtout aussi rapidement.

Je commence à lire :

" Avant de commencer à nous livrer avec émotions, ces premiers mots vont à notre fils Kyle. Nous espérons que tu peux nous lire et qu'il ne t'ait rien arrivé de grave. Nous sommes navrés de la situation et..."

- C'est un peu trop tard pour penser ça, dis-je relativement fort.

Je trouve assez grotesque de leur part de mentir sur mon départ. Ils savent très bien pourquoi je suis parti, je leur ai tout dis dans ma lettre. Je ne sais pas à quoi ils jouent, je n'arrive pas à m'imaginer ce qu'ils ont bien pu dire de plus sur ma soi-disant disparition.

Sûrement réveillé par mes agitations, et avant même d'avoir pu finir de lire l'article, le vendeur me lance soudainement quelques mots qui me ramènent à la réalité :

- Si tu lis, tu payes mon gaillard.

- Rajoutez-moi le journal avec les courses s'il vous plaît, lancé-je déjà prêt à reprendre ma lecture avec Jessica.

Après avoir tendu quelques billets verts et récupéré ma monnaie, je me dirige vers l'extérieur du magasin toujours bouleversé par le début de ma lecture.


À ma grande surprise je ne retrouve pas Jess en arrivant dehors. Je regarde partout autour de moi, aucun signe. Avant même d'avoir le temps de l'appeler, une voix me coupe dans ma lancée :

- Kyle, ici, derrière le muret, dépêche-toi, dit la voix de Jessica.

Je me retourne et me dirige derrière une grosse poubelle où je retrouve sa silhouette.

- Tu ne devineras jamais sur quoi je suis tombé Jess dans la boutique ! Mais d'abord, tu peux m'expliquer ce que tu fous accroupie derrière une benne à ordures ?

- Tais-toi donc pour fois je t'en prie, et bouge tes fesses à côté de moi, réplique-t-elle agressivement.

Je me mets alors à chuchoter pour essayer de ne pas l'énerver davantage.

- Tu es en train de délirer, tu psychotes de nouveau et tu as besoin de dormir, c'est ça ma petite ?

- Arrête de rigoler Kyle, la situation n'est pas drôle. Je les ai vu m'observer pendant que je téléphonais et j'ai entendu des murmures.

- Et tu t'es dit que derrière une poubelle tu étais immunisée, c'est ça ?

- La ferme, il faut qu'on file d'ici.

- Tu crois que ce sont tes petits sombros Jess ?

- Je suis convaincue que non, et ça me fait flipper de ne pas savoir à quoi j'ai à faire.

- Très rassurant tout ça, aller on dégage !

Je commence à fermer le sachet qui contient mes petites courses quand j'entends soudain tout prêt de mon oreille :

- Vous n'irez nulle part vous deux.

Je crois que je n'ai jamais crié aussi fort de ma vie. Je me lève d'un bond laissant derrière moi le journal posé sur la murette, et je me mets à courir de toutes mes forces sans apercevoir Jessica me suivre, je hurle son prénom de toute mes forces. Aucune réponse. Je continue ma course encore et encore, toujours plus vite.

J'ai l'impression de ne pas m'arrêter pendant de longues minutes, je réalise assez vite que plus personne ne me suit. Plus aucun bruit, de nouveau un grand silence. Je me retrouve en plein milieu dans une ruelle sombre, seul et évidement complètement perdu.


Je cherche jusqu'au petit matin le repère où Jess m'avait emmené quelques heures auparavant. Les rues sont tellement nombreuses et semblables. Je ne connais pas ce coin de la ville, et je n'ai pas fait attention à notre itinéraire pour aller à l'épicerie. Je repasse devant cette dernière qui est étrangement fermée. Aucun trace de Jess, ni mon journal.

Quand j'arrive enfin devant la petite maison dans la bonne ruelle, personne ne m'attend. Je toque violemment plusieurs fois. Aucun signe de vie, aucun signe de Jess. Mais j'en ai assez de me laisser abattre à chaque fois que je rencontre un obstacle, après tout suis-je vraiment du style à abandonner ? Je me retrouve dans la situation la plus irréelle qui ne puisse exister : mes parents sont sorciers, moi non, du coup je m'échappe et je retrouve mon ancienne meilleure amie qui m'explique que je suis recherché dans le monde sorcier et je vais m'arrêter devant une porte fermée ? C'est mal me connaître.

La seule idée que j'ai c'est de retrouver mon amie, mais je n'ai aucune piste, aucun indice et elle pourrait se retrouver dans n'importe quel endroit de la ville. Elle est peut-être même en danger, et cette pensée me terrorise sans arriver à m'imaginer une seule seconde cette situation.

Je rassemble les souvenirs que j'ai pour me souvenir dans quelle direction nous aurions dû nous rendre pour retrouver Irinka qui devrait nous faire entrer dans Andore.

- New Jersay, Bogota, marmonné-je dans la rue déserte, à peine illuminée par un vieux lampadaire qui menace à tout moment de s'éteindre.

Sans téléphone ni aucun autre objet connecté, je me dirige sur le pont Washington guidé par mon instinct. Après tout, si Jess a réussi à fuir à notre attaque, elle sera probablement partie dans cette direction, du moins je l'espère au plus profond de moi.

Étonnement, je n'ai pas peur de la rue, enfin je n'ai plus peur de la rue s'il fallait que je sois plus précis. Alors que je cours apparemment un grand danger, je me retrouve sans aucune protection, si une attaque arrivait maintenant, il me serait incapable de trouver une cachette dans l'urgence. Mais je m'en moque, j'ai besoin de me sentir libre.


J'ai l'impression que chaque pas que je fais en avant, ce sont deux qui se font en arrière dans ma tête. Je pourrais décider de tout arrêter, de rester dans l'indifférence. Il ne me suffirait que d'attendre le petit matin, de trouver un métro qui me ramènerait juste devant Central Park, à vingt mètres de chez moi. Je retrouverais alors ma mère, mon père, mon frère et ma sœur si elle n'est pas à Andore, je n'aurais qu'à m'excuser d'avoir fugué, je pourrais dire que tout va bien et reprendre ma vie telle on a l'habitude de me la dicter. Mais cette solution n'est même plus envisageable aujourd'hui, j'ai décidé d'être maître de mon destin et ça commence en allant à Andore pour comprendre pourquoi je me retrouve sans pouvoirs. 

Je n'ai même plus la volonté de retrouver le journal pour lire le pseudo-témoignage de mes parents « désespérés », je me rends surtout compte qu'ils ne me manquent pas le moins du monde.

De temps à autre j'entends un taxi passer dans les rues adjacentes à celles que je traverse, je n'y fais presque plus attention, connaissant par cœur ce bruit de ces moteurs. Je me sens terriblement seul et je réalise surtout à quel point je me suis de nouveau attaché à Jessica en un rien de temps. C'est assez inexplicable, au fond, je sais qu'elle fera toujours partie de ma vie, mais ce discours est tellement répété par les adolescents de mon âge persuadé d'avoir trouvé leurs meilleurs amis qui ne leur feront jamais aucune crasse, qu'il en devient très supericiel.

Tout en continuant mes réflexions plus ou moins philosophiques, j'ai la sensation d'être suivi, je crois entendre les pas d'une personne qui se rapproche de moi. Je ne suis pas en capacité de dire depuis combien de temps je n'ai pas dormi, je ne serais pas étonné que ce soit à mon cerveau de me jouer des tours.

Je m'arrête un instant. Les pas continuent. Je me trouve au milieu d'un pont on ne peut plus silencieux au beau milieu de la nuit, mais ce petit cliquetis étrange ne cesse pas. Je me retourne après de longues secondes, comme si je n'en avais pas été capable avant. Rien. Je reprends ma route d'un pas peu rassuré, je me sens sale, je suis presque convaincu qu'une odeur poisseuse se dégage de mon corps.

« Ma main me pique terriblement » dis-je à voix haute. Je ne comprends même pas pourquoi je me mets désormais à parler tout seul comme si j'avais besoin de partager ma petite vie. Malgré la nuit profonde, les éclairages de New-York sont d'une puissance que je distingue très facilement quelques gouttes de sang le long des doigts de ma main droite. J'ai bien peur de ne même plus réagir quand je me fais mal, je ne me souviens pas m'être blessé durant ma fuite. 

Une main se pose soudain sur mon épaule, une pression si forte que j'en tombe presque par terre.

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