Chapitre 9: Novembre (7)

La pièce était très lumineuse. Peut-être un peu trop. Eloïse enfonça la tête dans son oreiller pour retrouver l'obscurité tant convoitée.

Elle se demandait quelle heure de la journée il pouvait être. Sûrement plus de dix heures. Voire plus de midi.

Puis un détail l'interpella. Son lit n'était habituellement pas aussi confortable. D'ailleurs, la dernière fois qu'elle s'était endormie, c'était sur le parquet d'un bateau.

Pas sur un matelas moelleux.

Eloïse se redressa d'un bond et jeta l'oreiller plus loin. La soudaine lumière l'obligea à fermer les yeux, mais elle s'y accommoda rapidement.

La magicienne balaya le lieu dans lequel elle se trouvait du regard. Une chambre spacieuse et assez simple, recouverte de fenêtres et composée de quelques meubles fait de bois clair. Eloïse n'avait aucune idée d'où elle pouvait se trouver.

Elle se leva avec précaution. Ses chaussures étaient posées au pied du lit et son téléphone un peu plus loin sur une petite table blanche.

La situation était plutôt étrange. Elle se faisait kidnapper et se réveillait ici, dans un lieu confortable, libre de ses mouvements, avec ses affaires à portée de main.

Eloïse alla chercher son téléphone. Elle ne parvint pas à capter de réseau. Voilà sûrement pourquoi on le lui avait laissé.

La porte de la chambre s'ouvrit sur une jeune femme à la longue chevelure platine. Eloïse fronça les sourcils.

- Tu es qui, au juste? Demanda-t-elle. Et où est-ce que je suis?

La fille la regarda, sourcils froncés. Il y un moment de silence.

- Meo an jamnseo ikta, répondit-elle. Meo an fanctisin manesea tullahu.

Elle ne parlait pas français. Eloïse dut se résoudre à changer de langue pour lui parler en Lysirien.

- Tu es? Demanda-t-elle une nouvelle fois.

- Levanna, répondit la jeune femme. Je suis votre dame de compagnie. Excusez-moi par avance, mais je ne parle pas un mot de votre langue.

- Dame de compagnie? S'étonna Eloïse, perdue.

- Je dois m'occuper de vous.

- Je sais ce qu'est une dame de compagnie, merci. Mais en général, quand quelqu'un se fait kidnapper, personne ne lui en donne une à disposition.

- Vous n'êtes pas captive, si c'est ce que vous vous demandez.

Eloïse tenta de comprendre la situation du mieux possible, aussi sordide put-elle être.

- Où est-ce que je suis? Demanda-t-elle.

- Dans la demeure de M. Anaxagoras.

La réponse eut le don de la refroidir. Elle se trouvait chez Caleb.

Voilà sûrement la raison pour laquelle elle s'était retrouvée dans un bateau. La magicienne n'était plus sur Eole, mais sur Ifraya.

- Je ne peux pas rester, déclara-t-elle.

- C'est un endroit charmant, je vous assure. Növa-Léig est la plus belle ville de la région.

- Ce n'est pas la question. Et puis arrête de me vouvoyer, j'ai quinze ans, pas quarante.

- Je ne me permettrais pas, je m'excuse.

Eloïse respira lentement pour se détendre. Il lui fallait faire un point sur la situation.

Caleb s'était servi d'elle, l'avait trahie, puis avait demandé à un employé des laboratoires de la kidnapper pour la ramener jusqu'à lui. Maintenant qu'elle était sur place, il lui fournissait une dame de compagnie qui lui affirmait qu'elle n'était pas séquestrée ici.

La magicienne avait envie de frapper sur quelqu'un ou quelque chose. Levanna n'était cependant pas la meilleure option. Même si elle était au service de Caleb, elle ne semblait pas méchante.

- Cela fait plusieurs jour que vous voyagez et que vous portez les mêmes vêtements, fit remarquer Levanna. Il serait bien de vous rafraîchir un peu.

- Peut-être.

Eloïse ne trouva rien de mieux à faire. Il lui faudrait un peu de temps pour échafauder un plan et ensuite s'échapper d'ici. Même si la chose serait loin d'être aisée.

Elle devrait se débrouiller seule.

Levanna l'invita à la suivre et elles quittèrent la pièce pour s'engouffrer dans un petit couloir. La Phébéienne ouvrit une porte située un peu plus loin et laissa Eloïse entrer à l'intérieur de la pièce avant de la refermer.

Il s'agissait d'une gigantesque salle de bain ou trônait en son centre une baignoire qui ressemblait plus à une piscine qu'autre chose. Eloïse la fixa les yeux écarquillés, très peu à enjouée par la chose.

- Il n'y a pas de douche ici? Demanda-t-elle.

- Non, lui répondit Levanna.

Eloïse soupçonnait la dame de compagnie de ne pas connaitre le sens du mot "douche". S'il existait un équivalent en Lysirien, il ne devait être compréhensible que sur Eole.

- Ça fait beaucoup d'eau, poursuivit-elle.

- Vous trouvez? S'étonna Levanna. Il ne s'agit pourtant pas de la plus grande baignoire de cette demeure.

- Je ne rentre pas là dedans.

- Quel est donc le problème?

Eloïse ne connaissait pas le mot Lysirien pour "aquaphobe". Il lui fallut trouver un synonyme qui lui sembla ridicule.

- J'ai peur de l'eau.

- Peur de l'eau? S'étonna Levanna.

- Si on veut, oui. Enfin, je n'ai pas la traduction exacte du terme. Il faudra t'en contenter.

Levanna s'accommoda de la situation sans aucun problème. Elle semblait habituée aux diverses requêtes que l'on pouvait lui imposer.

- Il vous suffira de rester en dehors de la baignoire. Je me débrouillerais pour vous laver les cheveux.

- Je n'ai pas besoin de ton aide.

Levanna resta silencieuse une seconde.

- Je vais chercher un seau, déclara-t-elle.

Eloïse la regarda partir et refermer la porte derrière elle. Il y eut quelques bruits de pas dans le couloir, puis plus rien. Tachant de garder son calme, elle inspira lentement. Il lui faudrait trouver un moyen pour s'enfuir d'ici au plus vite. Malheureusement, elle soupçonnait Levanna d'être ici pour la surveiller, il lui serait donc difficile d'agir en sa présence. Pour le moment, Eloïse ne pouvait qu'attendre et réfléchir.

Levanna revint quelques minutes plus tard avec un seau d'eau chaude et l'équivalent d'un gant de toilette.

- Vous êtes sûre de ne pas avoir besoin d'aide? Demanda-t-elle.

Eloïse secoua la tête.

- Absolument certaine.

- Bon, très bien. Je serai derrière la porte si besoin.

Levanna pointa du doigt le fond de la pièce.

- Il y a là-bas des serviettes ainsi que des vêtements propres et du savon.

Puis elle s'en alla en refermant bien derrière elle.

Eloïse se dépêcha de se toiletter et se débrouilla du mieux possible pour ses laver les cheveux. Elle se sécha tout aussi rapidement et prit alors le temps d'observer les vêtements fournis par Levanna. Elle ne put retenir une grimace devant la longue robe blanche faite de dorures et de tissus ridiculement travaillés.

Non qu'elle n'aimait pas le blanc, mais cette tenue ressemblait plus à une robe de mariée qu'à autre chose. En tout cas du point de vue d'une humaine. En voyant la tenue déjà raffinée que portait Levanna en tant que simple dame de compagnie, elle n'imaginait même pas à quoi devaient ressembler les nobles. Ou en tout cas, elle en voyait un aperçu qui ne lui plaisait que moyennement.

La robe attirait tellement la lumière qu'Eloïse avait l'impression de briller. En plus de marcher sur le tissu trop long de la jupe. Car le vêtement était beaucoup trop grand pour elle.

La magicienne s'aventura en dehors de la salle de bain où l'attendait Levanna. La dame de compagnie jeta un regard rapide sur elle avant de se pincer les lèvres et de la raccompagner dans la chambre.

- Je m'excuse, dit-elle, je ne vous pensais pas si petite. Il me faudra rectifier cette robe.

Levanna se pencha pour saisir le tissu qui rampait sur le sol et ainsi voir les modifications à apporter.

Eloïse ne se vexa pas de la remarque quand à sa taille. Elle voyait bien que Levanna était une Phébéienne – du moins en partie, comme en témoignait sa peau métisse –, et ceux de son peuple étaient en général plus grand que la moyenne des magiciens, déjà plus élevée que celle des humains. La dame de compagnie devait faire au moins un mètre quatre vingt-cinq, elle avait donc dû être surprise du petit mètre soixante d'Eloïse.

- Je vais rectifier ça, ne bougez pas, dit Levanna.

La jeune femme se leva et alla chercher des épingles dans un coin de la pièce. Elle s'agenouilla pour les placer sur la robe afin de la raccourcir.

- Je ferai les coutures plus tard, dit-elle. En attendant, je laisse les épingles dessus pour ne pas que vous marchiez sur le tissu.

Eloïse hocha la tête. De toute manière, elle n'avait pas vraiment le choix. Elle se rendit au pied du lit pour enfiler ses chaussures sous le regard étonné de Levanna.

- Je peux vous fournir une autre paire, indiqua la dame de compagnie.

- Non merci.

Eloïse possédait cette paire – des doc martens rouge foncé – depuis au moins trois ans et ne s'en séparait pratiquement jamais. Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait commencer.

- Bon, qu'est-ce que je suis censée faire maintenant? Demanda-t-elle. Attendre que Caleb ne m'assassine?

Levanna écarquilla les yeux.

- M. Anaxagoras ne se permettrait pas de lever la main sur vous, mademoiselle. Il m'a lui même demandé de vous servir avec le plus grand des soins. De plus, il est très occupé et ne pourra pas vous voir pour le moment.

- Génial. Ce serait bien qu'il ne vienne jamais. Et aussi qu'il me ramène chez moi. Je déteste cet endroit.

La dame de compagnie resta parfaitement impassible, bien que sa patience se soit sûrement écourtée.

- Je vais vous faire visiter les lieux, dit-elle pour changer de sujet. Mais il me faut m'occuper de vos cheveux avant.

Eloïse esquissa une moue agacée puis passa une main à travers ses mèches encore humides pour les démêler un peu. Elle ne réussit qu'à se coincer les doigts à travers les nœuds.

Levanna s'éloigna un instant, puis revint avec une brosse à cheveux et quelques élastiques. Elle fit s'asseoir Eloïse sur une chaise située plus loin et commença à la coiffer. Elle était très soigneuse et incroyablement rapide à tresser les mèches, montrant l'étendue son expérience en tant que dame de compagnie. En quelques minutes, le travail était fini.

- Nous pouvons y aller, décréta Levanna. Suivez-moi je vous prie.

Eloïse se leva en soupirant.

Si la demeure de Caleb était décrite comme étant un château, aucun doute que la visite qui s'annonçait risquait d'être longue.

Tout comme son séjour sur Ifraya.

Miranda s'avança en direction de Rory. Ces derniers temps, le Madrigan avait tendance à passer beaucoup de son temps libre au milieu des plaines en bordure de la Cité. Il était donc aisé pour la mage noire de mettre la main sur lui lorsque cela était nécessaire.

Rory se tourna vers elle en la sentant arriver.

- Encore toi? Dit-il.

- Bien le bonjour à toi aussi, mon cher, lui répondit Miranda. Ma présence t'incommode-t-elle?

- C'est pas le moment pour les leçons de politesse. Tu as des nouvelles de Victorien?

La mage noire croisa les bras devant elle, dos au vent. Un sifflement agréable emplit l'air.

- Il a accepté ta présence pour le voyage.

Rory soupira de soulagement.

- Mais uniquement parce qu'Ilyann a refusé que Maximilien s'y rende, s'empressa-t-elle d'ajouter. Et aussi parce que Lanehaërt et Lanehäden ne peuvent pas abandonner l'un ou l'autre. Sans oublier Jivan, Salem et Ilyann, qui devront gérer les affaires de Victorien durant son absence.

- J'ai compris, marmonna Rory, j'étais le dernier choix.

Miranda esquissa un sourire en coin.

- Pas le dernier, non. Enfin, pour Victorien tu l'étais. Mais tu nous accompagnes tout de même. Tu peux remercier mes arguments convaincants.

- Merci de ton aide, dit sincèrement Rory. Même si je suppose que je te dois quelque chose pour ce service.

Le sourire de Miranda s'agrandit un peu plus.

- Effectivement, tu m'en dois une belle.

Elle reprit son air sérieux et lui lança un regard entendu.

- On part dans deux jours vers les îles, indiqua-t-elle. Célèste peut nous obtenir un bateau pour Ifraya avec l'aide de sa famille. Tiens toi prêt, parce que selon ses dires, changer de continent risque d'être une expérience particulière.

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