Chapitre 8: 15/10/13

La salle était bondée en cette soirée organisée pour la récolte de fond. Les élèves étaient mêlés à leurs parents et aux professeurs pendant que quelques animations avaient lieu.

Victorien observa chacun d'entre eux avec attention. Les laboratoires se trouvaient proches, il fallait donc se méfier de quiconque était présent.

- Excusez-moi?

Le mage noir tourna la tête pour être confronté à l'un des professeurs. Tout aurait pu sembler normal si Victorien n'avait pas senti un sortilège de Madrigan posé sur lui.

- Michaël, comprit-il.

Le magicien était ici pour sa mission, à savoir surveiller Eloïse au cas où les laboratoires tenteraient quelque chose lorsqu'elle se trouvait à son collège. C'était Salem, un ami proche de Victorien, qui lui avait confiée. Le mage noir était donc au courant des agissements de Michaël.

- Je suppose que vous n'êtes pas venus pour rien, dit ce dernier. Les laboratoires sont présents?

- Pas dans la salle, mais sûrement dehors. Je sais de source sûre qu'ils tenteront quelque chose.

- Pour le moment, nous sommes les deux seuls magiciens. Enfin, trois, si l'on compte Eloïse.

- Quatre, corrigea Victorien. L'un des gamins possède des pouvoirs, même s'il l'ignore.

- Lequel? S'étonna Michaël.

Le mage noir désigna Lysandre d'un signe de tête. Il se trouvait dans un coin avec plusieurs autres adolescents, occupé à discuter.

- C'est l'un de mes élèves, dit Michaël. Je suppose qu'il ne faut pas lui annoncer.

- Pas pour le moment.

Le directeur de l'établissement fit un petit discours de début de soirée, pour présenter l'événement et ainsi expliquer l'impact qu'il aurait sur le coût des futurs voyages scolaires. S'ensuivit quelques applaudissements de parents.

- Victorien, souffla Michaël.

Le mage noir tourna la tête pour voir Eloïse arriver sur eux, visiblement énervée. Elle se plaça devant lui et croisa les bras.

- Sérieusement? Dit-elle.

Victorien ne prit pas la peine de lui répondre. Michaël combla le silence, agissant en tant que professeur. Victorien était ici le seul à savoir sa nature de magicien.

- Eloïse, dit-il. Tu n'avais jamais dit que tu avais un oncle au courant de tes... Pouvoirs.

Le Madrigan la vit écarquiller les yeux.

- Mon oncle? Dit-elle à l'intention du Seigneur des Ombres. Vous n'avez rien trouvé de plus crédible que ça?

- C'est tout de même moins étrange que de dire que je suis ton ancêtre. De toute manière, je suis ton responsable.

Du moins, il avait une part de responsabilité dans l'apparition de ses pouvoirs et donc vis-à-vis de ce qu'elle était devenue. Ce n'était qu'une demi-vérité.

- Et depuis quand? Demanda Eloïse, visiblement sceptique.

- Depuis que tu as tes pouvoirs. Je ne voulais simplement pas d'une apprentie magicienne dans les pattes.

Encore une fois, il s'agissait d'une demi-vérité. S'il s'était tenu à l'écart pendant un peu plus de dix ans, c'était simplement parce qu'Ilyann avait dû l'informer de l'état de santé précaire de la jeune fille. Sinon, aucun doute qu'il aurait arrêté le projet Alpha en la faisant disparaître, s'effaçant par la même occasion.

Une professeure vint à leur rencontre, visiblement intriguée par ce qu'ils étaient en train de faire. Il fallait dire qu'Eloïse avait un peu haussé le ton, ce qui ne l'avait pas faite passer inaperçue.

- Je peux savoir ce qui se passe? Demanda-t-elle.

Victorien tourna le regard dans sa direction. La professeure se figea en le reconnaissant. Elle n'avait pas oublié le jour où le premier ministre de la Cité avait fait irruption dans le collège, et se rappelait donc de l'intervention du mage noir.

- Qu'est-ce que vous faites ici? Demanda-t-elle.

Eloïse répondit avant qu'il n'en ait l'occasion.

- Il s'en va, ce n'est pas la peine de vous inquiéter.

Victorien haussa les sourcils.

- Je ne vais nulle part.

La magicienne se pinça les lèvres avant de s'éloigner. S'il ne souhaitait pas partir, alors c'était elle qui le ferait. Dans tous les cas, elle ne voulait pas se trouver dans la même pièce que lui.

Michaël fit un geste discret à l'intention de Victorien pour attirer son attention.

- Il y a une trace de magie inconnue dehors, chuchota-t-il.

Autant dire que si Eloïse sortait, elle aurait une mauvaise surprise.

- Et toi non plus, ajouta Victorien avant qu'elle ne soit trop loin.

La brune se retourna, énervée. Elle retira le collier qui lui permettait d'appeler le mage en cas de besoin.

- Reprenez ça, dit-elle. Il ne sert à rien et je n'en veux pas. La dernière fois que j'ai essayé de vous contacter avec, vous n'êtes pas venu, alors je ne vois pas l'intérêt de le garder. Maintenant, je veux que vous partiez, que vous ne reveniez jamais ici et que vous ne me contactiez plus.

Victorien grommela intérieurement. Elle ne lui facilitait pas la tâche.

- Garde le collier, tu en as besoin, dit-il. Il faudra que tu comprennes que je cherche simplement à t'aider.

- Ah oui? Dans ce cas, dites-moi ce qu'est le projet Alpha. Je sais que vous avez la réponse.

Le mage fronça les sourcils.

- Comment tu es au courant de ça?

- Ce n'est pas la question.

La magicienne espérait obtenir une réponse que Victorien ne lui fournirait pas. Au moins, il avait désormais une excuse pour sortir à la recherche des laboratoires.

- Tu as gagné, dit-il, je m'en vais.

Il se tourna et partit en direction de la sortie. Eloïse fit quelques pas dans sa direction.

- Vous n'avez pas répondu, fit-elle remarquer.

- Et je ne répondrais pas, ce n'est pas la peine d'essayer.

Victorien quitta les lieux en vitesse.

A cette période de l'année, le soleil se couchait de plus en plus tôt, il faisait donc déjà nuit à l'extérieur. Si cela aurait dû être problématique pour repérer les laboratoires, cela arrangeait au contraire Victorien. Pour lui, il était toujours plus aisé de repérer ceux qui étaient tapis dans l'ombre.

Il y avait effectivement une légère trace de magie dans l'air. Le mage se demandait comment Michaël avait fait pour la repérer aussi facilement. Elle était tellement faible que même lui avait un peu de mal à la percevoir de cette distance.

Victorien fit un rapide examen des alentours, cherchant à travers les ombres ceux qui s'y étaient réfugiés. Il ne trouva rien. Soit la personne s'était doutée de sa venue et s'était donc dissimulée dans la lumière, soit elle s'était exposée pour une autre raison. Dans tous les cas, elle était forcément visible depuis un point précis. Restait juste à la trouver.

Un cri étouffé lui parvint depuis l'autre côté de l'établissement, là où se trouvait la cour. De nouvelles traces de magie provenaient de ce lieu. Seulement, chose étonnante, elles n'émanaient que d'une seule personne.

Le mage noir se déplaça à la façon d'une ombre sur les murs pour faire face à deux magiciens. L'un était un employé des laboratoires, un couteau logé dans la jambe et une main tendue devant lui. Il était celui en train d'utiliser de la magie. En face se trouvait Eloïse, entourée d'un halo noir qui semblait l'étouffer.

Sans perdre de temps, Victorien envoya un sortilège sur l'employé des laboratoires. Ce n'était pas le lieu propice pour se débarrasser de lui, aussi se contenta-t-il de le faire fuir pour se charger de lui plus tard. Un peu de magie rouge et le sang qui s'écoulait de sa jambe serait plus efficace que n'importe quelle balise.

Eloïse tomba par terre en reprenant son souffle. Elle ne renvoyait aucune trace de magie à travers le flux telluriques, indiquant qu'elle n'en avait pas utilisé, chose inhabituelle. La jeune fille ne pouvait décemment pas choisir un combat armé au détriment d'un duel de magie sans une très bonne raison. Car si elle excellait dans un domaine, elle avait en revanche un niveau bien médiocre dans l'autre. Ce n'était pas avec un simple couteau envoyé dans une jambe qu'elle serait parvenue à sauver sa vie.

Quand Eloïse se redressa légèrement, son regard croisa celui de Victorien. Il se détourna aussitôt pour partir à la recherche de l'employé des laboratoires. Mieux valait l'éliminer au plus tôt.

- Pas si vite, dit la magicienne en le coupant dans son élan.

Victorien l'ignora. Il aurait de toute manière une petite discussion avec elle plus tard.

Eloïse avait la fâcheuse réputation d'être une personne incroyablement têtue. Elle s'obstina à appeler le mage noir pour qu'il daigne s'arrêter et finit par lui barrer la route en s'apercevant qu'il ne se souciait pas d'elle le moins du monde.

- J'ai encore des questions, dit-elle, et vous avez intérêt à me répondre.

Victorien la poussa gentiment pour l'écarter de son chemin. La magicienne croisa les bras d'un air vexé.

- Pourquoi je n'ai plus de pouvoirs? Demanda-t-elle.

Cette fois-ci, Victorien se stoppa. C'était donc pour cette raison qu'Eloïse n'avait pas utilisé de magie: elle ne lui répondait plus. Au moins, il en connaissait la cause. La pierre Alpha logée dans son crâne recommençait à faire des siennes.

- Probablement un effet secondaire, lui dit Victorien.

- Un effet secondaire de quoi?

- De tes pouvoirs.

Eloïse fronça les sourcils. La réponse qu'elle venait d'obtenir ressemblait plus à une énigme qu'autre chose.

- Ça n'a aucun sens, fit-elle remarquer.

Victorien, toujours dos à elle, reprit sa route. L'employé des laboratoires commençait à s'éloigner un peu trop, et il voulait l'achever avant qu'il n'ait eu le temps de se vider de son sang.

- Cela n'en a pas encore, répondit-il pour lui poser une nouvelle énigme.

Eloïse comprendrait sûrement ce qu'il sous-entendait le jour où les réponses viendraient finalement à elle. Pour le moment, il valait mieux la laisser dans l'ignorance. Si les laboratoires apprenaient qu'elle avait tout découvert, ils risqueraient de vouloir avancer l'échéance du projet Alpha. Et le temps était un atout précieux qu'il ne fallait pas gaspiller.

Victorien disparut à travers les ombres. Encore un magicien gênant à éliminer, et il reviendrait pour la fin de la soirée de collecte de fond du collège. Eloïse pourrait alors le renseigner sur ce qu'il souhaitait.

Même si elle ne s'en rappellerait pas.

L'employé des laboratoires fut simple à retrouver. Son sang avait mené Victorien jusqu'à la Porte des Mondes à l'intérieur du petit parc. Le perturbateur n'eut pas le temps de passer de l'autre côté que sa tête roula sur le sol, tranchée net. Victorien envoya des ombres faire disparaître son corps, puis reprit tranquillement sa route vers le collège. Il espérait simplement qu'Eloïse ne s'était pas volatilisée entre temps. Cela ne lui faciliterait pas les choses.

Par un coup de chance, il la croisa alors qu'elle retournait vers le Centre. Une veste de velours rouge sombre sur les épaules, elle se frictionnait les bras en fixant ses pieds. Visiblement, elle n'avait pas pensé à prendre des vêtements plus appropriés pour une soirée d'octobre. En plus de ça, l'adolescente traversait le quartier seule en sachant qu'elle n'avait plus de pouvoirs pour se défendre. Victorien soupira devant son incroyable manque de prudence et traversa la rue pour lui toucher quelques mots.

Au moment où elle aperçut une silhouette approcher, Eloïse releva la tête, puis fronça les sourcils en constatant qu'il s'agissait de Victorien.

- Je rêve ou vous me suivez? Dit-elle, agacée.

- Stupide gamine incapable de réfléchir convenablement.

Eloïse se stoppa net, de l'incrédulité remplaçant son irritation pendant quelques instants.

- Pardon?

- Se promener seule le soir sans aucun pouvoir en sachant que des magiciens s'en prennent à toi n'est pas franchement la meilleure idée que tu aies eu, dit Victorien. Ce serait trop te demander d'arrêter de te mettre constamment en danger?

- Je ne me rappelle pas avoir demandé votre avis, fit-elle remarquer.

- Nous avons à parler.

- Vous avez refusé de répondre à mes questions tout à l'heure, je ne vois pas pourquoi j'accepterais de vous parler maintenant.

- Je ne me rappelle pas avoir demandé ton avis.

Eloïse reprit sa route les lèvres pincées. Victorien la rattrapa en deux pas et la saisit par le bras.

- Mais lâchez-moi! S'énerva-t-elle.

- Nous avons à parler, petite. Je ne te laisse pas le choix.

Le mage noire la tira alors qu'Eloïse tentait en vain de se dégager. Sans magie, elle était grandement désavantagée. Mais même en plein possession de ses pouvoirs, elle aurait été incapable de vaincre Victorien.

Il la fit asseoir sur un muret et resta debout devant elle pour ne pas qu'elle cherche à s'échapper dès la première occasion venue. Le regard que la magicienne lui renvoya montrait son agacement.

- De quoi vous voulez parler, au juste? S'impatienta-t-elle. J'ai pas toute la nuit.

- Miranda est-elle présente au Centre?

- Pourquoi ça vous intéresse?

- Répond à ma question.

- Si vous répondez à la mienne. Qu'est-ce que le projet Alpha?

Victorien soupira. Il posa une main sur sa nuque et, avant qu'elle n'ait eu le temps de faire le moindre mouvement, chercha les réponses qu'il souhaitait dans son esprit. Sans sa magie, Eloïse ne pouvait empêcher personne de fouiller dans sa mémoire.

- Elle est la seule présente, remarqua-t-il. Bien.

Eloïse chercha à remuer, mais était presque totalement paralysée. Elle ne réussit qu'à pencher sa tête en avant.

Victorien remonta dans ses souvenirs. Du moins, dans ceux qui l'intéressaient. Il observa l'agression par l'employé des laboratoires depuis le début, puis retourna plus loin dans le passé.

Il découvrit qu'Eloïse avait posé des questions sur le projet Alpha à Julien, et également qu'elle et d'autres magiciens avaient trouvé le nom de Maximilien. Plus loin encore, elle avait questionné la sœur de Valentiana Katalina, toujours au sujet des laboratoires, et, quelques temps plus tôt, elle avait découvert des lettres écrites par Hayden Rivière faisant référence au projet Alpha.

Victorien quitta son esprit. Eloïse tomba au sol comme une masse, sonnée. Le mage noir était resté longtemps dans sa tête, ou en tout cas un temps suffisant pour embrouiller totalement ses réflexes.

Victorien était soucieux. La brune en avait découvert un peu trop et s'était aventurée là où elle n'aurait pas dû. Les laboratoires devaient déjà être au courant de ses découvertes et cherchaient sûrement un plan d'attaque pour passer aux phases suivantes avant qu'elle ne leur file entre les doigts. Victorien, lui, s'assurerait qu'ils échouent.

Eloïse remua en grognant. Aucun doute qu'elle devait être prise d'un affreux mal de crâne. Néanmoins, elle se redressa pour faire face au mage noir, les sourcils froncés.

- A quoi vous jouez? Dans quel camp vous êtes?

- Dans le tiens. Et tu me remercieras plus tard.

Il apposa une main sur son front alors qu'elle esquivait un mouvement de recul, mais parvint tout de même à lancer son sortilège.

Eloïse resta un moment à fixer le vide, les traits de son visage se détendant totalement. Elle semblait perdue, la mémoire des vingt dernières minutes de sa vie volatilisée.

Avant qu'elle ne puisse se rendre compte de sa présence, Victorien lui asséna un coup de poing au visage suffisamment puissant pour l'assommer. Il la ramassa après qu'elle ait chuté de nouveau et la balança sur son épaule.

S'il ne connaissait pas bien la ville, il se rappelait en revanche de la route qui menait vers le Centre, assez proche de son emplacement actuel. Se fondant dans l'ombre, il arriva quelques minutes plus tard devant le bâtiment. Une lumière était allumée à l'un des étages.

Lorsque le bruit de la sonnette envahi le Centre, Miranda se dépêcha d'aller ouvrir la porte. Elle fronça les sourcils en reconnaissant celui qui avait un jour partagé sa vie.

- Victorien? Mais qu'est-ce que tu fous ici?

Miranda remarqua alors la présence de son amie sur son épaule. Elle haussa les sourcils.

- Ne te pose pas trop de questions pour le moment, lui recommanda Victorien.

Il reposa Eloïse au sol et recula d'un pas. Miranda fixa le corps de son amie pendant une seconde, puis plaça son regard dans celui de Victorien.

- Là, il va quand même falloir que tu m'expliques.

- Quand elle aura les réponses, alors toi aussi.

Sans attendre de réponse de la part de la mage noire, il s'effaça dans l'obscurité.

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