Chapitre 7: Novembre (6)
Une touffe de cheveux roux se dressa à l'horizon. Longueur inégale et apparence revêche. Une seule personne connue de Lana pouvait posséder une chevelure pareille.
Elle s'élança vers la fille en question.
- Synetelle! Cria-t-elle.
La rousse se retourna et écarquilla les yeux en apercevant son ancienne capitaine d'équipe.
- ... Lana?
- Ravie de te revoir, Synetelle, dit cette dernière.
- Je ne pensais pas un jour recroiser ta route.
- Il s'est passé beaucoup de choses depuis notre dernière rencontre.
- Je me doute, oui.
Des passants les bousculèrent sans ménagement. Synetelle les insulta ouvertement et récolta des regards noirs comme simple réponse.
- Nous sommes au milieu du passage, fit remarquer Lana. Il serait peut-être plus judicieux de se déplacer.
Synetelle haussa les épaules et fit quelques pas sur le côté.
- Ravie de voir que tu n'as pas changé, en tout cas, dit Lana en lui emboîtant le pas.
- Comment je dois prendre la chose?
- De la façon dont tu la perçois.
- Négativement, donc.
Synetelle s'adossa contre la devanture de briques d'un magasin d'alimentation. Lana l'imita, des souvenirs du AMI resurgissant de sa mémoire. Celle à qui elle avait légué son poste de capitaine avait gardé le même tempérament, même plusieurs années après.
- Alors, qu'est-ce qui t'amène ici? Demanda Synetelle. Je suppose que tu n'as pas dû quitter le Désert Blanc pour rien.
- Cela va sûrement te paraître idiot, mais comment se passe la vie au AMI?
Synetelle arqua un sourcil.
- Tu as fait tout ce chemin uniquement pour me poser cette question?
- Non, bien-sûr! Il y a des choses que je dois mettre au clair avec le reste des Alphas. C'est juste un début.
- Les derniers mois ont été tumultueux, de grands changements ont eu lieux. A commencer par une nouvelle direction et le renvoi de pratiquement la moitié des employés basés sur place.
Lana entrouvrit la bouche. Il lui fallut quelques instants pour trouver ses mots.
- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé pour que vous en arriviez là? La moitié des employés, c'est surréaliste! Et qui dirige l'association, désormais?
- Ce qu'il s'est passé? Beaucoup de choses. Jerome et Eelis gèrent le tout ensemble et se font aider par quelques supérieurs et agents techniques dignes de confiance. Bon nombre de haut-placés que tu as connus ont dû être évincés.
- Il faudra que tu me donnes plus de détails, Synetelle. J'ai l'impression d'avoir manqué quelque chose d'ahurissant.
- C'est le cas. Mais l'affaire est plus compliquée que tu ne le penses. Je ne peux pas te donner les détails sur le moment présent. En attendant, quelle est la raison exacte de ton retour?
- Le AMI. Il y a des choses que vous ne savez pas sur la raison de notre départ, à Valentine et moi. J'aimerais en discuter avec le reste de l'équipe Alpha, si c'est possible.
- Sans problème. Enfin, l'équipe d'origine ne sera pas tout a fait au complet, mais on fera avec.
Lana fronça les sourcils, soudain inquiète.
- Ne me dis pas qu'il y a eu des décès lors de missions? Je préférerais que l'accident de Néophen reste un cas isolé.
- Aucun décès, rassure-toi. Dans l'équipe Alpha en tout cas. Je te parle d'une démission.
- D'autres sont parties?
- Eloïse, oui. Et une fille désagréable arrivée après ton départ.
- Elle a démissionné? S'étonna Lana. Mais elle est toujours mineure et le AMI l'avait sous sa tutelle...
- C'est une longue histoire, la coupa Synetelle. Assez sordide, il faut l'admettre. Je t'expliquerais tout à un autre moment. Là n'est pas le bon.
- Bon, très bien. Mais qu'elle ait quitté le AMI ne signifie pas qu'elle ne peut pas être présente. Tu as un moyen de la contacter?
- Sur le moment présent, non. Ce n'est pas la peine d'espérer sa présence avant un petit moment. Tu te rappelles l'aisance avec laquelle elle s'attirait des problèmes?
La dernière fois que Lana l'avait vue, Eloïse avait traversé le Désert Blanc pour regagner le Chao Ming. Pour cause: le premier ministre de la Cité.
- Aucune chance que je ne l'oublie, affirma Lana. Qu'est-ce qui lui est encore arrivé?
Synetelle laissa échapper ce qui ressemblait à un rire nerveux.
- La question est plutôt: qu'est-ce qui ne lui est pas encore arrivé? Parce que ça, je me le demande sérieusement.
Lana garda le silence pendant un instant. Synetelle évitait beaucoup ses questions, chose inhabituelle venant de part. En règle générale, sa franchise ne lui faisait pas garder beaucoup de secrets. A moins qu'ils ne soient importants.
Que s'était-il donc passé de si grave en son absence?
- Au fait, où est-ce que tu loges? Demanda Synetelle pour changer de sujet.
- Chez les gardes de la Cité. Il m'avaient au départ fourni une chambre pour une semaine, mais comme je ne vous trouvais pas, cela s'est un peu prolongé. J'ai passé plusieurs jours à arpenter les rues du quartier Ivoire en espérant vous croiser.
- Si tu nous cherchais, aller à la réception du AMI était le plus simple. Tu devrais pourtant le savoir. Même le Centre était une meilleure option. Je sais que je me rends souvent dans le quartier Ivoire, mais tout de même, le lieu est vaste quand tu ne cherches qu'une personne.
- Je ne pouvais pas me rendre dans les endroits sous le contrôle du AMI. Enfin, si les changements là-bas ont été aussi importants que tu le sous-entends, cela ne devrait désormais plus poser de problèmes. Mais je ne pouvais pas prendre le risque.
Synetelle la regarda les sourcils froncés.
- Tu as eu une altercation avec les supérieurs avant ton départ? Demanda-t-elle.
- En quelque sorte, expliqua Lana. Disons que Valentine et moi avons découvert certaines choses. Cela nous a mené à notre renvoi.
- Attends, vous n'êtes pas parties de votre plein gré?
- Sakura nous a obligées à vous faire croire le contraire.
Synetelle comprit un peu mieux. Si Sakura avait obligé Lana et sa sœur à quitter le AMI, alors elles devaient avoir découvert des choses en rapport avec les laboratoires.
- Sakura n'est plus là, dit-elle. Ceux qui partageaient son opinion non plus. Tu peux revenir au AMI sans souci.
- Vous avez découvert des choses aussi, je me trompe?
- Nous avons découvert bien plus que tu ne l'as sûrement fait. Tu n'imagines même pas les secrets qui étaient enfouis au AMI.
- Vous, les Alphas qui n'êtes pas originaires de Thélis, le AMI compte vous utiliser dans un but précis.
- Je n'ai jamais su lequel, malheureusement, ajouta Synetelle.
Lana s'étonna de sa réaction.
- Tu le savais?
- Je te l'ai dit, beaucoup de secrets étaient enfouis au AMI. Ça, c'est rien.
- Il faut que tu m'expliques. Et s'il te plait, arrête d'éviter mes questions. J'ai répondu aux tiennes.
Synetelle se décolla de la façade et fit quelques pas en avant.
- Suis-moi. Ce n'est pas très sûr pour toi de rester à découvert ainsi, même si tu en sais relativement peu. Au AMI, tu ne risqueras plus rien.
- Tu en es sûre?
Lana n'était pas particulièrement rassurée à l'idée de retourner dans l'association qui l'avait menacée, même si elle semblait avoir radicalement changée.
- Certaine. Quand il est trop dangereux de rester dans la lumière, mieux vaut entrer dans l'Ombre.
◊
Rory regarda les nuages gris parcourir le ciel, poussés par le vent froid. Une pluie violente s'annonçait. Peut-être même un orage.
- Ça t'amuse de manquer les réunions de l'Ombre pour aller bronzer? Demanda Miranda en s'essayant à côté de lui, au beau milieu des plaines bordant la Cité.
L'herbe longue leur chatouillait les mains. Rory en arracha une poignée et la jeta au loin. Les brins s'envolèrent au gré du vent.
- Pourquoi? Il s'est dit quelque chose d'important?
- Ta copine s'est faite kidnapper. Mais sinon, tout va bien, pas de soucis.
- Pardon?
Rory se redressa d'un bond, soudain plus concerné.
- D'où l'intérêt de ne pas manquer les réunions de l'Ombre, dit Miranda.
- Qu'est-ce qui s'est passé?
- Les laboratoires. Sauf que cette fois-ci, ils l'emmènent un peu plus loin.
- Où?
- Selon Victorien, sur Ifraya.
Rory se releva et commença à faire les cent pas, soucieux. Des mèches de cheveux se collèrent à son front à cause du vent.
- Je ne comprends pas pourquoi ils vont là-bas.
- Caleb.
Rory se crispa.
- Quel rapport avec lui?
Miranda soupira, agacée.
- Encore une fois, il y a un certain intérêt à ne pas manquer les réunions de l'Ombre.
- Epargne moi tes sermons ridicules et explique-moi la situation. Comme tu l'as si bien dit plus tôt, c'est de ma copine dont on parle.
Des gouttes de pluie tombèrent sur le front de Miranda, qui leva les yeux vers le ciel nuageux. Elle les reposa quelques secondes plus tard dans ceux dorés de Rory.
- Caleb n'est pas n'importe qui. C'est le directeur des laboratoires du Phoenix et du AMI, celui qui a conçu le projet Alpha. Il ne veut pas simplement fricoter avec ta copine, il veut aussi la tuer. Et il habite sur Ifraya, la raison pour laquelle c'est là-bas qu'elle va.
Rory eut un peu de mal à digérer la nouvelle. Miranda venait de lui faire un résumé en quatre phrases de pratiquement tout ce qui s'était dit lors de la réunion.
- Il faut aller la chercher, déclara le magicien.
- Non, tu penses?
Rory lui jeta un regard noir.
- Victorien et moi en avons déjà grandement discuté, poursuivit Miranda. Célèste peut nous obtenir un bateau vers Ifraya. On partirait là-bas ensemble.
- Je viens avec vous.
- Plus on est nombreux, plus ce sera compliqué.
- A deux, vous n'y arriverez pas, même avec le Seigneur des Ombres.
Un rideau de pluie tombait désormais sur les deux magiciens. Cependant, ils ne semblaient même pas s'en rendre compte.
- J'en parlerais avec lui, décréta Miranda.
- Il dira non. Il me déteste.
- Je ne peux pas nier le fait que tu sois un bon magicien, Rory, et il ne le peut pas non plus. De la plupart des magiciens de l'Ombre, tu es sûrement l'un des plus doués, en tant que Madrigan. Mais ça ne veut pas dire que quelqu'un de meilleur que toi ne se présentera pas. Victorien est objectif, il choisira le plus fort, pas le boulet.
- Je ne suis pas un boulet.
- Mais tu n'es pas non plus le meilleur. D'autres seraient bien plus adéquats que toi.
- Qui?
- Maximilien, principalement. Mais aussi Lanehaërt et Lanehäden. Ou encore Jivan, Ilyann, même ton père. Et eux ont effectivement l'avantage de ne pas se faire haïr par Victorien.
Rory grommela des mots incompréhensibles. La haine que le mage noir éprouvait contre lui ne jouait pas en son avantage. D'ailleurs, il ne savait même pas pourquoi le Seigneur des Ombres le détestait tant. C'était à peine s'il lui avait un jour adressé la parole. Et il était de plus le fils d'un de ses amis.
- J'en parlerais avec lui, répéta Miranda.
- Essaye de le convaincre, dans ce cas.
- Je devrais en être capable.
La mage noire recula de quelques pas, les gouttes de pluie glissant sur son visage comme des larmes pour retomber dans l'herbe scintillante. Un sourire un coin se dessina sur ses lèvres, en parfait contraste.
- Si je réussis mon coup, j'espère que tu seras présent le jour où j'aurais besoin d'un service.
- On verra ça, soupira Rory. Essaye déjà d'y arriver et on en rediscutera.
Miranda acquiesça et s'éloigna sans attendre plus de temps. Rory l'imita tout en prenant une direction différente. Seule sa veste de Madrigan, toujours parfaitement sèche, le protégeait encore de la pluie torrentielle.
Un éclair tomba au loin dans un grondement sourd, marquant le début de l'orage.
◊
Le décors tanguait de façon étrange.
Eloïse ouvrit les yeux, mais tout autour d'elle restait noir. Ce fut après les avoir cligné plusieurs fois qu'elle se rendit compte qu'un morceau de tissu lui obstruait la vue.
La magicienne voulut le retirer, mais elle était incapable de bouger. Ses mains étaient liées derrière son dos et quelque chose faisait pression sur sa tête pour qu'elle reste allongée par terre. Elle se trouvait sur ce qui ressemblait à un parquet de bois.
- Arrête de bouger, lui intima Haven Redland.
Eloïse essaya quand même de se redresser, mais la pression sur sa tête augmenta. Sûrement la chaussure de Haven. Elle arrêta de gigoter et resta allongée au sol.
- Où est-ce que je suis? Demanda-t-elle.
- Loin.
- Loin? Loin de quoi?
- Très loin.
Elle soupira. Ce n'était pas avec une réponse pareille qu'elle arriverait à déterminer sa position.
Le décors tangua de nouveau. La sensation lui rappelait quelque chose de désagréable. Un bruit de vague heurtant une surface envahit ses oreilles.
- On est sur un bateau? S'étonna-t-elle.
- On est sur un bateau, confirma Haven.
Eloïse voulut absolument se relever. L'amener au beau milieu de l'océan était loin d'être une bonne idée compte tenu de sa phobie de l'eau.
- Si tu continues à t'agiter, je te rendors.
- Je préférerais à la limite. L'océan, c'est vraiment pas mon truc.
- Aquaphobe?
- Très aquaphobe.
- Alors détend-toi et pense à autre chose.
- Facile à dire, grommela-t-elle.
Le mouvement du bateau et le fait qu'elle soit incapable de voir quoi que ce soit ne faisait pas en sorte de la calmer, bien au contraire. La magicienne aurait presque demandé à Haven de l'assommer.
- Où est-ce qu'on va?
- Un peu plus loin.
Eloïse gigota un peu plus. Elle avait l'impression que l'eau allait la recouvrir d'un instant à l'autre. Le bateau tangua un grand coup et elle ne put retenir un petit cri de panique.
- Calme-toi, dit Haven agacé. Tu ne vas pas te noyer.
- Ça, vous n'en savez rien.
- Rendors-toi, Eloïse. Ça vaudra mieux.
- J'ai l'impression que je vais mourir ensevelie sous plusieurs milliers de litres d'eau. Je ne suis pas sûre que dormir soit judicieux.
- Tu ne vas pas te noyer. Tu ne vas pas mourir. Tu comprends?
- Moi, oui. Mon cerveau, non.
Les vagues vinrent frapper le bateau. Eloïse se crispa et se força à respirer lentement.
- On est bientôt arrivés? Demanda-t-elle.
- Pas vraiment, non.
- Combien de temps?
- Moins d'une journée.
Eloïse soupira. Une journée encore à subir ça. Elle hésitait de plus en plus à faire en sorte qu'Haven de l'assomme.
- Et je dors depuis combien de temps?
- Presque deux jours.
La blanche sentait effectivement son estomac lui intimer de le nourrir. Par contre, elle n'avait pas soif. C'étai déjà ça.
- J'ai faim.
- C'est dommage.
- Ce serait gentil de me détacher. Ou simplement de retirer votre pied de mon crâne.
Haven fit mine de réfléchir un instant.
- Non.
- Pourquoi?
- Parce que tu vas te mettre à bouger.
- Je suis déjà en train de bouger.
- Si tu te détendais un peu ça irait mieux.
- Je ne peux pas!
Haven soupira et finit par retirer son pied. Eloïse se sentit un peu mieux. Seulement, ce fut de courte durée. Une vague fit tanguer le bateau un peu trop fort et elle se recroquevilla au possible en se retenant de pleurer. Elle avait vraiment l'eau en horreur.
- Tu veux du tranquillisant? Lui demanda Haven.
- Oui, répondit-elle après un silence.
A choisir entre être consciente de ce qui lui arrivait et ne pas l'être, elle préférait prendre la deuxième solution. De toute manière, qu'elle soit éveillée ou non ne faisait pas grande différence. Elle ne pouvait pas bouger et ne voyait rien. L'eau, par contre, lui donnait envie de hurler.
La blanche entendit le magicien se lever et le parquet craquer sous ses pas. Il y eut un silence pendant quelques instants, puis le grincement et le son des épaisses semelles sur le sol revint jusqu'à son niveau. Eloïse comprit qu'il devait s'être accroupi à côté d'elle. Une main sur son cou vint confirmer sa théorie.
- Ça va piquer, lui dit Haven.
L'aiguille se planta sous sa peau. Eloïse ferma les yeux sous le tissu qui les couvrait et put enfin se détendre. Elle avait l'impression de flotter.
- Ça va mieux? Lui demanda Haven.
- Génial.
Eloïse resta ce qui lui sembla un bon moment à somnoler avant de s'endormir pour de bon.
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