Chapitre 33: Décembre (5)
(Chapitre non corrigé par ma correctrice)
Heather commençait à sérieusement s'inquiéter du retard que prenaient leurs invités surprise. De plus, la présence du premier ministre parmi eux avait de quoi la stresser passablement.
- Mais détends-toi ! lui dit Eden. Ce n'est rien.
- On parle quand même du dirigeant de la Cité ! se défendit Heather.
- S'il t'intimide tant que ça, rappelle-toi que c'est aussi le beau père de Lucas. Tu n'as qu'à l'imaginer en train de lui changer ses couches.
Heather se passa une main sur le visage et Lucas, assis dans l'herbe deux mètres plus loin, renvoya un regard noir à Eden.
- Je t'entends, marmonna-t-il.
- Ravie de savoir que ton ouïe fonctionne, Spelmann, répondit Eden.
- Et ravi de voir que tu as toujours la capacité de débiter un nombre incroyable de conneries à la secondes, Samahel.
- C'est simplement pour que la petite Heather se détende.
- Je vais parfaitement bien ! se défendit Heather.
- Tu as pratiquement mangé tes ongles, si ça continue, dans deux heures tu n'as plus de mains.
Lucas jeta un œil à l'horizon, mais toujours aucune silhouette ne n'y dessinait. Sans doute le premier ministre devait-il faire face à quelques difficultés avant de pouvoir quitter la Cité.
Il tourna légèrement la tête. Dans leur coin, éloigné du groupe, le professeur Scremayeur et Anthropa Holloway semblaient perdus en pleine discussion. Derrière eux, Peter et Andromeda étaient assis dans l'herbe, aussi silencieux que des morts.
- Je vois des gens qui approchent, annonça Eden. Vu le nombre, ça doit être eux.
Synabella les avait prévenus qu'ils seraient nombreux. Pourtant, cela leur fit une drôle d'impression en voyant le groupe s'approcher d'eux.
- Ils ont dû faire pas mal de détours pour ne pas se faire repérer, imagina Lucas.
- Et se séparer en groupes, aussi, ajouta Eden. Ce qui explique leur retard.
Peu à peu, les silhouettes devinrent plus distinctes. Ils reconnurent immédiatement le premier ministre à sa taille impressionnante et à sa démarche assurée, puis le Conseil des Cinq, Synabella, Célèste, et deux membres de l'Ombre assez effacés – Felicia et Philéas.
Eden les salua d'un geste de main, faisant abstraction de toutes les convenances qu'Heather n'avait pas arrêté de lui rabâcher. Cette dernière se passa une main sur le visage, dépitée.
Synabella fut la première parvenue à leur niveau. Cependant, au lieu de les saluer, elle se rendit immédiatement voir Anthropa. Ce fut presque si elle lui sauta dessus pour l'assaillir de questions. Le professeur Scremayeur s'éloigna pour les laisser, soudain de trop.
Heather s'inclina légèrement devant le premier ministre en l'apercevant, ce qui lui arracha un sourire moqueur.
- Pas de ça, jeune fille, dit-il. Les convenances ne riment à rien, ici.
La magicienne se releva en hochant vigoureusement la tête, embarrassée. Elle s'effaça derrière Eden.
- Où est donc Anthropa ? demanda le ministre, curieux.
Lucas désigna Synabella d'un geste désinvolte.
- Je crois qu'on l'a déjà accaparée.
- Elle n'attendait que ça, déplora Evangeline en secouant la tête.
Si Synabella était considérée comme le génie de l'Ombre, Anthropa n'en restait pas moins son modèle de toujours. Savoir qu'elle était toujours vivante et, en plus de cela, immortelle, l'avait bien plus ravie que le jour où elle était parvenue à pirater le système informatique du Chao Ming pour la première fois.
- Où vous rendiez-vous, exactement ? demanda le professeur Scremayeur.
- Pour le moment, nulle part, indiqua le premier ministre. Nous avons juste besoin de matériel informatique supplémentaire pour que Synabella puisse pirater le réseau du Chao Ming et convaincre Jaon Chen d'enfin nous fournir de l'aide. Ensuite, nous irons là-bas.
- Vous avez suffisamment de ressources pour rester ici le temps qu'il faudra ?
Il jeta un rapide regard aux maigres sacs que portait le Conseil des Cinq pour appuyer son propos.
- Avec un peu de chance, ce sera rapide.
Eden sortit de son sac la tablette supplémentaire récoltée pour Synabella, que son père lui avait apportée avant de partir de son côté. Synabella semblait pendue aux lèvres d'Anthropa, mais Eden vint tout de même l'interrompre : l'heure n'était pas à la distraction.
- Il me semble que tu as le réseau du Chao Ming à pirater pour faire passer un message, dit la Madrigane.
Elle lui tendit la tablette et Synabella l'accepta aussitôt. Elle se détourna d'Anthropa dans une moue ennuyée pour chercher sa propre tablette, puis relia les deux à l'aide d'un câble.
- C'est maintenant que les choses sérieuses commencent, murmura Synabella en étirant ses bras.
Les minutes s'égrainèrent où elle tapa frénétiquement sur les deux écrans, ses yeux oscillant si rapidement entre l'un et l'autre qu'ils semblaient piégés dans un mouvement perpétuel.
- Petit oiseau, pourquoi veut-elle pirater le réseau du Chao Ming ? demanda Anthropa en s'approchant d'Eden.
- Pour contacter leur dirigeant et s'arranger pour qu'enfin il aide la Cité et le reste du continent.
- Oooh. C'est vrai que le Seigneur Chen a largement la capacité militaire pour écraser quiconque. C'est l'une des cités qui a le mieux rebondi, après la grande guerre.
Eden haussa les sourcils. Elle avait rapidement découvert qu'Anthropa parlait très souvent de sa vie pendant la guerre 2000 ans plus tôt. Pour ne pas oublier, sans doute.
- Ah oui ? s'enquit Eden.
Anthropa hocha vivement la tête.
- Le Chao Ming résulte de la fusion de deux cités. Elles ont mis en commun toutes leurs ressources afin de garantir leur survie. Le résultat est assez probant.
- Gagné ! s'exclama Synabella en se relevant, une tablette dans les mains. Monsieur le ministre, je vous avance un tête à tête avec le Seigneur Chen.
Le premier ministre s'avança vers elle alors que la magicienne esquissait une révérence pleine d'ironie. Sur l'écran de sa tablette, le visage confus du dirigeant du Chao Ming se dessina.
- Armändo, grinça-t-il en voyant le premier ministre apparaître devant lui.
- Jaon, ravi de pouvoir discuter en ta compagnie. Nous avons beaucoup à nous dire.
- Je suppose que tu vas me demander des soldats pour repousser Pyros et le Futuro pour de bon.
- Pas exactement, non.
Le visage du Seigneur Chen demeura impassible, mais la lueur de curiosité dans ses yeux n'échappa pas au premier ministre. Celui-ci esquissa un sourire moqueur.
- J'ai appris des choses intéressantes, ces derniers jours, indiqua le ministre. Notamment que les laboratoires du Phoenix auraient conclu une alliance avec Pyros et le Futuro. Ils auraient ainsi attaqué les cités luttant contre eux.
Autour du ministre, les magiciens s'étaient rassemblés, curieux. Le Conseil des Cinq, Philéas et Célèste étaient particulièrement attentifs : ils savaient que le premier ministre avait reçu la visite d'alliés de l'Ombre avant leur départ de la Cité, mais pas ce qui s'était dit. L'occasion de le découvrir se présentait maintenant à eux.
- Astras, dans la lutte contre les laboratoires ? s'étonna Jaon Chen. Tu es bien certain de ce que tu avances ?
- J'ai même un témoin pour le confirmer.
Le premier ministre jeta un regard en direction de Célèste, une invitation pour qu'elle se joigne à la conversation. La jeune femme s'approcha pour se placer à ses côtés.
- Astras a conclu une alliance avec mon groupe de résistance, les Magiciens Seconds, expliqua-t-elle. Or, nous combattons les laboratoires pour le compte de l'Ombre.
- Je vous prie de m'excuser, mais quel est votre nom ? demanda le Seigneur Chen.
- Célèste Edessa, je suis la fiancée du prince Aaron d'Astras.
Le Seigneur du Chao Ming ne fit aucun effort pour contenir son étonnement.
- Je n'étais pas au courant, je m'excuse. Je suppose donc que nous allons devoir nous côtoyer lorsque vous serez couronnée reine.
Célèste esquissa un sourire qui laissa transparaître sa nervosité, mais aussi son ressentiment.
- Tant que le siège de ma cité ne sera pas renversé, j'ai bien peur de ne pas pouvoir être couronnée.
- Et il n'est pas question de ça pour le moment, reprit le premier ministre. Si mes informateurs ne se trompent pas, comme je l'ai dit plus tôt, les cités attaquées sont uniquement celles qui luttent contre les laboratoires, ce qui ne peut signifier qu'une chose.
Le Seigneur du Chao Ming devint plus grave en comprenant le sous entendu.
- Tu es le suivant sur la liste, Jaon.
- Très bien, déclara-t-il après un silence.
Les secondes s'écoulèrent où il parut en conflit avec lui-même.
- Armändo, reprit-il, je t'avais déjà dit à plusieurs reprises que je gardais mon armée pour l'opposition aux laboratoires qui s'annonce. Et c'était ici la raison de mon refus pour aider aussi bien la Cité qu'Astras.
- Sauf que ces conflits sont sans doute liés aux laboratoires, ce qui rejoint ce pourquoi tu économisais tes troupes, poursuivit le ministre.
- Ainsi, si tu ne te trompes pas dans leur implication et que le Chao Ming se trouve être la prochaine cité attaquée, je prendrais mes responsabilités. Je passerais à l'offensive, aussi bien sur mes terres que sur les tiennes et celles de la reine Célèste.
Le premier ministre hocha la tête comme seule approbation.
- Les laboratoires ont des idées tordues derrière la tête, poursuivit le Seigneur Chen. Il nous faudrait discuter plus en détails de leurs plans hypothétiques, associer les informations que nous détenons pour mieux les mettre à profit.
- Je suis en route pour le Chao Ming. Nous aurons tout le temps nécessaire.
Jaon Chen acquiesça.
- Fais attention à toi et à la reine Célèste. La Cité et Astras ont besoin de leurs dirigeants pour les épreuves qui vont suivre.
La communication coupa à ce moment. Le premier ministre laissa glisser son regard sur les magiciens autour de lui.
- Tout le monde ne pourra pas joindre le Chao Ming, déclara-t-il. Nous sommes trop nombreux, il va falloir se séparer.
Le Conseil des Cinq acquiesça.
- Nous allons retourner à la Cité pour surveiller les manœuvres ennemies, déclara Etan.
- Très bien. Philéas, poursuivit le ministre, j'aurais besoin de ta présence à leurs côtés pour que tu m'informes si tu découvres quoi que ce soit de judicieux.
Philéas acquiesça et rejoignit le Conseil des Cinq, qui s'était légèrement éloigné pour la constitution des groupes.
- Il va de soit que Célèste se rend également au Chao Ming en tant que reine d'Astras, indiqua le premier ministre.
La jeune femme se plaça à ses côtés, Felicia sur les talons.
- Felicia m'accompagne, décréta-t-elle. Il s'agit d'une ancienne membre de la garde d'élite du Futuro qui a rejoint l'Ombre et dont je suis responsable. Elle ne va nulle part sans moi.
Le ministre acquiesça. Felicia était de loin la meilleure combattante. Si un pépin survenait pendant le trajet, elle saurait réagir.
- Lucas ?
Son beau-fils leva la tête dans sa direction.
- Oui ?
- Tu nous accompagne.
- Quoi ? Pourquoi je devrais ? Je n'ai rien à voir avec toutes ces histoires.
- Tu es mineur, donc encore sous ma responsabilité.
Lucas se renfrogna. Il n'était absolument pas proche du premier ministre, mais il savait que sa mère aurait insisté pour qu'il le suive.
- Très bien, concéda-t-il.
Deux groupes distincts s'étaient formés. Le reste des magiciens, éparpillés entre eux, hésitaient sur quoi faire. En particulier Synabella. Elle n'avait aucune envie de retourner au Chao Ming, mais il se dirait sans aucun doute beaucoup de choses qu'elle était curieuse d'entendre.
- Vous aurez besoin de moi, dit-elle finalement à l'intention du ministre. Mais je ne garantis pas de rester longtemps.
Anthropa s'accrocha au bras d'Eden, puis à celui du professeur Scremayeur, qui sursauta, et suivit Synabella.
- Nous pouvons y aller, décréta-t-elle joyeusement. Les groupes sont constitués.
Peter, Heather et Andromeda échangèrent des regards indignés avant de joindre le groupe à destination de la Cité. Eden et Lucas devraient se débrouiller sans eux.
- Nous resterons en communication, indiqua le premier ministre. Au moindre soucis, prévenez-nous.
- Une partie de l'Ombre est sur Terre, poursuivit Synabella. S'ils contactent qui que ce soit ici, je veux le savoir dans les cinq minutes.
Les magiciens sur Terre n'avaient pas donné le moindre signe de vie depuis des jours, aussi Synabella se posait des questions.
Le groupe allant vers la Cité montra son assentiment, puis ils se séparèrent, chacun partant dans une direction opposée.
◊
Synetelle observait les ennemis, cachée derrière un tronc d'arbre dans les jardins du AMI.
Il semblait qu'après avoir découvert que le AMI avait fourni de l'aide à la Cité, Pyros et le Futuro avaient choisi le quartier général de l'organisation comme nouvelle cible de leurs attaques. Simplement, il y avait bien meilleure stratégie que de s'en prendre à un lieu rempli d'agents qualifiés à éradiquer des menaces.
Synetelle fit tourner son poignard entre ses doigts, prête à l'envoyer se nicher dans la chair. Le chasseur de prime au visage couvert d'un masque noir et blanc était presque dans son angle de tir. Une seconde, et elle le touchait dans la nuque.
Quand l'occasion se présenta à elle, Synetelle lança son arme, qui fendit l'air dans un faible sifflement. Suffisamment fort cependant pour que l'ennemi ne l'entende. Il bondit d'un coup sur le côté et le poignard finit sa course planté dans un tronc d'arbre. L'écorce vola et se répandit sur le sol dans une pluie de débris bruns.
- Raté, dit le chasseur de prime en se tournant vers Synetelle. Retente ta chance.
Synetelle le foudroya du regard. Certes, elle avait échoué, mais la partie suivante de son plan se mettait désormais en marche.
Framboise et Alicia surgirent de derrière les arbres, l'une armée d'un arc et l'autre d'un sabre. Seulement, alors qu'elles l'attaquaient, le chasseur de prime évita les flèches de mouvements fluides presque surnaturels et désarma Alicia si vite qu'elle ne comprit pas ce qui se déroulait sous ses yeux.
- Vampire, marmonna Synetelle. Comme si on avait besoin de ça.
Elle s'apprêta à venir aider ses coéquipières quand Kylliadelle sauta depuis les hauteurs de l'arbre où elle été dissimulée. Elle tomba sur le chasseur et le plaqua au sol avant de lui enfoncer un couteau dans la gorge sans perdre une seconde.
- Huit, fanfaronna-t-elle en se relevant. Qui pour me battre ?
Les trois filles ne répondirent rien.
- Tu as du sang sur le visage, grinça Synetelle.
Kylliadelle se l'essuya à l'aide de la manche de sa veste et prit la tête du groupe pour quitter les jardins et rejoindre le bâtiment principal du AMI.
- J'espère qu'il n'y en aura pas d'autres, dit Framboise, je commence à être vraiment fatiguée.
- Pourquoi ? répliqua Synetelle sur un ton sarcastique. Tu n'apprécies pas les nuits blanches à traquer les chasseurs de prime qui se croient chez eux à la Cité ?
- Pas particulièrement, figure toi. Je préfère dormir sur un matelas confortable jusqu'à ce que tu me hurles de me réveiller.
Synetelle fronça les sourcils.
- Je ne hurle pas.
- Non, c'est vrai, s'immisça Kylliadelle en ralentissant le pas. Tu nous jette des oreillers dessus.
- Estime-toi heureuse que ce ne soient pas des couteaux.
Kylliadelle secoua la tête. Avec Synetelle, ce n'était pas la peine d'argumenter.
Alors qu'elles arrivaient au bout des jardins et entrevoyaient la façade miroitante du AMI, les filles de l'équipe Alpha entendirent des bruissements de feuilles aux alentours.
- Qu'est-ce que c'est que ça encore ? s'agaça Synetelle.
Une silhouette masculine descendit de l'arbre le plus proche avec une aisance relative. Il fallut un instant aux magiciennes pour le reconnaître et brandir leurs armes en sa direction – mis à part Kylliadelle, qui se contentait de suivre le mouvement.
Phrixos, des laboratoires du Phoenix.
- Je viens en paix, se justifia-t-il en levant ses mains devant lui.
Il retira les feuilles de ses cheveux et les secoua en découvrant un insecte logé dedans.
- Qu'est-ce que tu nous veut ? demanda calmement Alicia.
- Je viens prendre des nouvelles de Julia. Elle ne répond pas à mes messages. Seulement, il semble que cet endroit soit infesté de chasseurs de prime.
Alicia abaissa légèrement son arme. Ses coéquipières l'imitèrent.
- Pourquoi est-ce que tu t'intéresses à Julia ? demanda Framboise.
Phrixos se pinça les lèvres.
- C'est moi qui était chargé de m'occuper des jumelles.
- Pardon ? s'exclama Synetelle.
- Elle ne vous a pas dit mon nom, n'est-ce pas ?
- Sinon on ne l'aurait pas laissée faire.
Synetelle s'avança vers lui, les yeux plissés, menaçante.
- Je te jure que si tu comptes t'en prendre à elle ou à ses enfants, tu ne vivras pas assez longtemps pour regretter tes actes.
- Je ne leur veux aucun mal, assura Phrixos, mais je m'inquiète pour elle. Elle n'a pas répondu à un message important et j'ai eu beau tenter de la joindre par tous les moyens, je n'ai eu aucune nouvelle. Vous savez ce qui lui prend ?
Synetelle se calma légèrement.
- Je ne sais pas, non. Normalement, elle n'a pas bougé du AMI.
Elle se tourna pour consulter Alicia et Framboise du regard. Seule Kylliadelle fronçait les sourcils, ne comprenant pas ce qui se déroulait sous ses yeux.
- Bien, déclara Synetelle. Si c'est vraiment important et dans son intérêt, on peut te conduire à elle, mais au moindre faux mouvement de ta part, je t'arrache la tête. D'accord ?
- Je ne tenterai rien, acquiesça Phrixos. Je ne suis pas ici de la part des laboratoires.
Synetelle ne répondit rien et le tira par le bras sans ménagement pour le mener vers le gigantesque bâtiment devant eux. Phrixos se laissa faire sans un mot.
Il était venu ici à cause d'un mauvais pressentiment. Les jumelles avaient été en présence de leur mère pendant un long moment, et vu la vitesse à laquelle l'état de Rachelle empirait, l'appréhension l'avait lentement gagné.
Phrixos n'avait certes pas le niveau d'un prêtre, mais il était capable de ressentir quelques changements dans les énergies. Et celui qu'il constatait ne lui plaisait pas du tout.
Les filles de l'équipe Alpha le menèrent à travers les couloirs sinueux du AMI jusqu'à atteindre les dortoirs du neuvième étage. Normalement, Julia devrait s'y trouver avec ses deux filles.
Pourtant, quand elles atteignirent les lieux, elles découvrirent la pièce déserte.
- Elle doit sûrement être avec les agents techniques ou dans la salle réservée aux Alphas, dit Framboise. Attendez ici, je vais allez jeter un œil.
La magicienne disparut dans les couloirs labyrinthiques. Les minutes s'égrainèrent avant qu'elle ne donne de nouveau signe de vie, laissant Phrixos et le reste de l'équipe attendre dans un silence extrêmement pesant.
- Je ne la trouve pas, indiqua Framboise.
Synetelle haussa les sourcils. Un mauvais pressentiment gagna peu à peu les filles de l'équipe.
- On va voir Jerome, déclara Synetelle.
Elle saisit de nouveau le bras de Phrixos et le traîna quelques étages en dessous pour rejoindre le bureau de leur supérieur. Seulement, avant qu'elle n'aient l'occasion de rejoindre le bon couloir, Jerome fondit sur elles.
- Je vous cherchais, déclara-t-il. C'est important.
Son regard s'attarda un instant sur Phrixos.
- Qui est-ce ?
- Personne, répondit Synetelle. Qu'est-ce que tu voulais nous dire ?
- C'est à propos de Julia.
- Il lui est arrivé quelque chose ? s'inquiéta Framboise.
Jerome resta silencieux un instant, comme s'il cherchait ses mots. Finalement, il secoua la tête, résigné.
- Elle est morte. Sa fille Camille également.
- Quoi ? s'exclama Synetelle.
La capitaine de l'équipe Alpha se tourna aussitôt vers Phrixos, le regard noir.
- Je ne savais pas, se défendit-il, l'air effaré.
- Qu'est-ce qui leur est arrivé ? demanda Alicia, soudain pâle.
Jerome se pinça les lèvres. Encore une fois, il hésita avant de parler.
- Rachelle les a tuées.
- Rachelle ? s'exclama Synetelle. Sa fille ?
- Elle, oui.
Phrixos secoua la tête, l'air contrit. Il aurait dû prendre en compte cette éventualité. Il aurait dû insister auprès d'Anthéon pour ne pas laisser les jumelles sans surveillance aussi longtemps.
- Où est Rachelle ? demanda-t-il.
Jerome fronça les sourcils.
- Vous la connaissez ?
- J'étais celui qui m'occupait des jumelles pour leur apprendre à maîtriser leur magie rouge. Où est-elle, maintenant ?
- Elle s'est enfuie.
Phrixos écarquilla les yeux.
- Elle est dangereuse, dit-il, vous ne pouvez pas la laisser se promener en liberté. C'est la réincarnation d'un Chevalier à la santé mentale plus que douteuse !
Jerome et lui restèrent un instant à se fixer, perdus dans un échange silencieux. Derrière, Alicia tentait de réconforter Framboise, dont les joues étaient couvertes de larmes.
- Je vais trouver mon adjoint, déclara Jerome. Nous allons envoyer des agents à sa recherche.
Phrixos hocha la tête pour le remercier, puis Synetelle le saisit par le bras.
- Je crois que tu as des choses à faire, dit-elle sèchement, je te raccompagne à la sortie.
Il se laissa tirer sans broncher, conscient qu'il ne pourrait rien faire de plus.
Ici, il n'était plus qu'un indésirable.
◊
La ville était totalement déserte. Eloïse ne l'avait presque jamais vue sans les passants traversant les trottoirs et les voitures avançant sur la chaussée.
- C'est glauque, dit-elle.
- Ça le serait bien plus avec un tas de cadavres, répliqua Miranda.
Eloïse reconnaissait le quartier à travers lequel ils marchaient. Pour cause, ils étaient en plein centre ville. Alors elle était plutôt contente de ne trouver aucun corps. Cela signifiait que la population avait trouvé un moyen de se cacher.
- Où est le point de saturation ? demanda-t-elle.
- A toi de me le dire, répondit Victorien.
Eloïse soupira. Il était vrai que Victorien avait accepté qu'elle vienne uniquement pour qu'elle s'entraîne à la magie rouge. Elle se concentra et chercha la trace de magie dans l'air – ce qui se révéla bien plus simple qu'elle ne se l'était imaginé.
- C'est sur la Grand Place, déclara-t-elle.
Elle prit la tête du groupe aux côtés de Miranda, consciente qu'elle était celle qui connaissait le mieux le chemin – même s'il n'avait rien de compliqué, une ligne droite tout au plus. Ils parvinrent en quelques instants sur la Grand Place, elle aussi parfaitement déserte. Autour d'eux, cafés, librairies, galeries et autres magasins étaient totalement fermés.
- Ça vient de la fontaine, dit Eloïse, non ?
Victorien hocha la tête, nullement impressionné.
- C'est bien ça.
A mesure qu'ils gagnaient le centre de la place et donc s'approchaient de la grande fontaine, l'air devenait de plus en plus pesant.
- Mais c'est super puissant, dit Eloïse en fronçant les sourcils.
Elle avait soudain l'impression de se trouver dans un désert à la fois brûlant et glacé.
Arrivés à la fontaine, ils se stoppèrent. En haut de la grande colonne au centre de l'eau, la sculpture féminine de bronze semblait les observer attentivement, son boute-feu en main.
Miranda se concentra pour repérer l'infime trace métallique de l'aiguille dissimulée quelque part sur le monument, centre du point de saturation.
- Tu t'en sors ? demanda Eloïse.
- Tu parles. Je cherche cent grammes de fer sur une place remplie de métaux. Laisse-moi quelques instants.
Mais à peine eut-elle refermé sa bouche qu'elle leva sa main en l'air et l'aiguille métallique vola jusqu'à elle depuis le haut de la sculpture. Miranda l'observa rapidement avant de la serrer entre ses doigts.
- Vous êtes prêts ? demanda-t-elle.
Les deux autres montrèrent leur assentiment. Aussitôt, Miranda brisa l'aiguille d'une simple pression de la main, et les filaments de magie rouge coagulés en nuages dans le ciel s'écrasèrent sur le dallage dans des gerbes d'étincelles.
Quatre ombre.
- Seulement ? s'étonna Miranda.
- C'est coriace, cette merde ? l'interrogea Eloïse.
- Ça dépend. Tu t'appelles Victorien ?
- Je vois.
Les ombres s'élancèrent dans leur direction et Miranda les esquiva sans difficultés. Eloïse, de son côté, tenta de les abattre de front à l'aide de magie rouge, mais ce furent au tour des ombres de l'éviter.
- Ces trucs savent se défendre ? s'étonna-t-elle. Vous n'auriez pas pu me prévenir avant ?
Victorien, assis sur le bord de la fontaine à les regarder, lui jeta un regard noir.
- Je t'avais prévenue que ça ne te plairait pas. Arrête de te plaindre et détruis-les.
Eloïse essaya vainement d'en toucher une, mais toutes anticipaient ses réactions et s'esquivaient en coups de vent pour tenter de l'atteindre dans le dos. Elle passait ainsi le plus clair de son temps à se retourner pour ne pas se faire avoir par surprise.
- Et tu ne comptes pas nous aider ? demanda-t-elle à Victorien.
- Non. Débrouille-toi.
Elle se retint de lui faire quelconque remarque et retourna à sa préoccupation principale : les trois ombres qui la collaient un peu trop. Était-ce parce qu'elle avait usé de magie rouge que la plupart la prenaient pour cible ? Car de son côté, Miranda ne croulait pas sous les adversaires.
Eloïse réussit à en éliminer une par coup de chance, alors qu'un de ses sortilèges ricocha sur les pavements sans qu'elle ne comprenne trop comment. Des gerbes d'étincelles rouges s'évaporèrent dans l'espace alors que les trois dernières ombres semblèrent gagner en assurance.
- Bouge-toi, marmonna Miranda, qui s'essoufflait de plus en plus à force de bouger dans tous les sens.
- Tu crois que c'est facile à éliminer ? répliqua sèchement Eloïse.
De plus, la magie rouge commençait à lui donner sérieusement mal au ventre à force d'utilisation déraisonnable. Si au moins elle avait su s'en servir plus correctement, la tâche n'aurait pas été aussi complexe. Ou du moins aussi désagréable.
Les deux ombres qui lui faisaient face s'écartèrent d'elle d'un seul coup et disparurent dans le sol. Eloïse n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que deux mains glacées lui saisirent les pieds pour la faire tomber sur le dos et que deux autres immobilisèrent ses épaules sur les pavés. Une décharge de magie rouge la traversa et elle sentit son souffle le couper sous le choc de l'afflux.
Eloïse jeta des sortilèges sur ses pieds et détruisit l'ombre qui lui étreignait les chevilles. La seconde en profita pour la soulever du haut de ses deux mètres et pour s'éclipser. Eloïse l'abattit avant qu'elle n'en ait l'occasion d'une sphère de magie rouge dans le dos et s'écrasa lourdement au sol. Elle s'étonna elle-même de ne pas vomir sur le dallage.
L'ombre qui accaparait Miranda fonça sur elle dès que la magicienne se retrouva sans opposant, l'obligeant à reprendre contenance rapidement. Elle leva la main, plus par réflexe de défense qu'avec l'intention de contre-attaquer, et sa propre ombre s'éleva du sol pour lui servir de bouclier. La créature adverse poussa un cri perçant à s'en arracher les tympans et Eloïse l'acheva en vitesse. Les dernières étincelles rouges s'évaporèrent dans l'air et le silence revint à la charge.
Elle finit par se relever après avoir inspiré l'air frais pour faire refluer son mal de ventre.
- Merci, marmonna-t-elle à Victorien.
Il n'avait toujours pas bougé du rebord de la fontaine.
- Je n'ai rien fait, répondit-il, son regard intrigué braqué sur elle.
Eloïse fronça les sourcils. Cela voulait dire qu'elle avait réussi à contrôler son ombre une seconde fois sans même s'en rendre compte.
- Je ne savais pas que tu parvenais à user des ombres, ajouta Victorien.
- C'est plus dû au hasard qu'à autre chose. Par contre, je rêve ou il y a un spectre qui a tenté de m'enlever ?
Victorien retrouva son visage sévère à la mention de cet épisode.
- Tu ne rêve pas, répliqua-t-il. Ces choses sont contrôlées par les laboratoires, alors c'est également un de leurs objectifs.
Eloïse croisa les bras, plus pour masquer son mal de ventre que pour paraître agacée.
- Et tu le savais.
- Bien évidemment.
L'esprit d'Eloïse devint d'un seul coup très clair.
- Une seconde, ne me dit pas que tu as accepté que je vienne uniquement pour que je m'en rende compte ?
- C'était exactement le but de la manœuvre, dit sèchement Victorien. Pour que tu comprennes enfin que si tu n'es pas conviée quelque part, c'est pour une raison précise et qu'il n'est pas question que tu la discutes.
- Donc j'ai galéré pour rien.
- Pense ce que tu veux, ça m'est égal. Tant que tu retiens la leçon.
Miranda revint vers eux d'un pas léger, ignorant royalement leur altercation.
- Il serait peut-être temps de passer au prochain point de saturation, dit-elle.
Victorien se releva.
- Suivez-moi.
- Laisse-moi deviner, lui dit Eloïse, tu ne comptes pas nous aider ?
Victorien lui renvoya un sourire acerbe.
- Je t'avais prévenue, dit-il, tu vas en baver.
◊
Rachelle jaugea du regard l'imposant bâtiment qui lui faisait face, les yeux plissés. Un gigantesque grillage électrifié l'entourait comme une barrière infranchissable. Pourtant, l'inconnue qui l'accompagnait – sa sauveuse qui lui faisait désormais du chantage – passa à travers la porte ancrée dedans en usant d'une simple carte magnétique.
- Dépêche-toi, dit-elle froidement. Tu m'as assez fait patienter durant le trajet.
- Nous sommes attendues ? demanda platement Rachelle.
- Absolument pas. Mais l'effet de surprise est le meilleur que nous pourrons produire. Mon retour va faire des vagues.
- Aurais-je droit à des explications ?
L'inconnue lui renvoya un regard plein de mépris non dissimulé.
- Si tu es une gentille et que tu la fermes cordialement.
Rachelle resserra le tissus rouge autour de ses épaules. Se noyer dans cette teinte sacrée la calma sensiblement. Elle emboîta le pas de sa pseudo sauveuse.
L'intérieur du bâtiment était vide. Murs blancs, sol gris, sans décoration. Des portes étaient encastrées dans le mur et des escaliers de béton desservaient les étages supérieurs.
- Ridicule, grinça Rachelle. Toi qui respire le prestige, tu te rabaisse à cela ?
- Je t'avais ordonné de la fermer, siffla l'inconnue sans un regard pour elle. Et pour ton information, j'ai été élevée par des nobles. Je ne me rabaisse jamais.
Elle avança légèrement dans le couloir, mais en voyant que personne ne daignait venir à sa rencontre, changea de tactique.
- Anthéon ! hurla-t-elle. On a des comptes à rendre !
Les murs résonnèrent de son éclat de voix dans un faible écho. Elle eut cette fois des réactions, mais pas celles escomptées. Les pas d'Isidorh parvinrent jusqu'à elle depuis les escaliers, ses boucles blondes dissimulant son œil amélioré rebondissant à chacun de ses pas. Il se figea en apercevant les deux filles.
- Hayden ? s'étonna-t-il. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Tiens, Isidorh. J'ai quelque chose qui pourrait fortement vous intéresser. Où est Anthéon ?
Isidorh se crispa, les bras croisés. A force de rester effacé, il semblait qu'on ne le prenait pas assez au sérieux.
- Il n'est pas là, mais je suis supérieur au même titre que lui. Tu peux m'en parler également.
Hayden s'approcha de lui et posa une main amicale sur son épaule avant d'esquisser un sourire.
- Tu es supérieur au même titre que moi également. Je n'ai besoin d'aucune approbation de quiconque, hormis de celle du directeur qui me voue déjà une confiance aveugle. Si je veux voir Anthéon, c'est parce que j'ai des comptes à régler avec lui et qu'il ne va pas s'en tirer si facilement.
Isidorh arqua son sourcil visible.
- Tout le monde a des comptes à régler avec Anthéon.
- Certes, c'est une enflure et tout le monde s'accorde à le dire. Mais je t'assure que les miens ne sont pas matière à patienter. Sais-tu au moins de quoi je l'accuse ?
Isidorh soupira. Hayden passa son bras autour de ses épaules et le guida à travers le couloir, faisant signe à Rachelle de les suivre en silence. Elle s'exécuta dans un regard meurtrier, ses doigts crispés aux articulations blanchies fermement agrippés à son tissus rouge.
- Anthéon a tenté de m'évincer de mon titre de supérieure lorsque mon identité de professeure à l'académie Adénora Calléor a été compromise, expliqua-t-elle. J'ai dû retourner sur Ifraya pour en discuter avec le directeur en personne. Il est passé outre les accusations d'Anthéon, mais je compte bien me venger.
- Le directeur tient beaucoup à toi, à ce que je vois, répondit Isidorh.
- Je suis sa conseillère la plus précieuse depuis onze ans, jamais il ne se serait passé de mes services. Pas même pour les beaux yeux d'Anthéon, ajouta-t-elle sur ton sarcastique.
Isidorh tourna son regard vers elle. Il n'avait jamais été en conflit avec Hayden auparavant, mais jamais excessivement proche non plus. Sans doute cherchait-elle en lui un allié.
- Tu étais sur Ifraya récemment, donc, dit-il. Tu as croisé la petite Aprehensen ?
- Le directeur m'a expressément demandé à ce qu'elle ne me voit pas, ce qui est tout a fait légitime. Je l'ai donc aperçue de loin, mais rien de plus.
- Elle s'est échappée.
- Oh, je suis au courant. Je soupçonne mon cher Haven d'avoir eu quelques arrières pensées en l'amenant sur Ifraya, par exemple en ne cherchant pas à la retenir dès son salaire empoché.
Isidorh acquiesça sans grand enthousiasme. Il connaissait plutôt bien Haven et ce genre de pratique était sa spécialité.
- Il a eu raison, dit-il néanmoins.
Hayden laissa échapper un léger rire, doux et grave. Isidorh s'attendit à ce qu'elle le contredise dans ses propos, en tant que fervente collaboratrice du directeur, mais il n'en fut rien.
- Il a eu raison, répéta-t-elle.
Sans doute mentait-elle pour attirer ses faveurs.
Comme si elle comprit le fond de sa pensée, Hayden en rajouta une couche.
- J'étais trop jeune pour être présente aux fondations du projet Alpha, dit-elle, mais j'ai toujours fortement dissuadé Caleb de le poursuivre. Il est assez têtu, il faut avouer.
- Je vous dérange, peut-être ? s'exclama d'un seul coup Rachelle en se plaçant devant eux, le regard incendiaire. Ji klimnye fe ju alyokha manes dabrao uyatah fe di bareknyi.
Isidorh fronça les sourcils.
- Range un peu ton dieu de la terre, marmonna Hayden. Et, pour information, ce n'est pas parce que tu n'es plus au centre de l'attention durant cinq minutes que je t'ai oubliée, bien au contraire.
- Qui est-ce ? demanda Isidorh, même s'il connaissait déjà partiellement la réponse.
- La réincarnation d'un Chevalier, Aletheï Rosenwald. Je présume que tu connais déjà son hôte.
- La petite dont Phrixos s'occupait.
Hayden hocha la tête.
- C'est ça.
Elle se pencha vers Rachelle et lui tira les joues presque affectueusement. Seul son regard tranchant démontrait de sa sympathie entièrement feinte.
- Vous cherchiez des magiciens puissants après les trahisons de Vénérios et Maximilien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle à Isidorh. Parce que vous avez ici présent la meilleure candidate possible.
◊
Eloïse prit quelques instants pour reprendre sa respiration. Elle avait la désagréable impression que ses poumons voulaient sortir de son corps.
- C'est un peu mieux, dit platement Victorien.
Eloïse lui jeta un regard noir. Certes, sa maîtrise de la magie rouge s'était quelque peu améliorée, mais cela ne retirait rien au fait qu'elle était la seule ici à faire des efforts. Même Miranda se trouvait maintenant en régime minimum.
Six ombres avaient eu le don de l'achever.
- Ne me dis pas qu'on doit aller à un troisième point de saturation, grinça-t-elle.
- Heureusement pour toi, non, répondit Victorien. On part pour Thélis.
Eloïse se figea.
- Quoi ?
- Il était hors de question de rester ici plus longtemps, surtout maintenant que les ombres doivent avoir communiqué tes coordonnées aux laboratoires.
- Elles ont fait ça ?
- Bien évidemment. Il t'arrive de réfléchir ?
Eloïse soupira. Victorien avait été absolument infecte depuis leur départ du refuge, et même Miranda s'était mise à lui faire des réflexions – bien que plus constructives et moins agressives. Elle commençait à en avoir ras le bol.
- Je ne comprends pas ta logique, s'énerva-t-elle. Tu acceptes que je vienne pour m'en faire baver alors même que ça informe les laboratoires de notre position. Pourquoi ?
Victorien se décolla du muret où il était adossé pour se planter devant elle.
- Je sais parfaitement ce que je fais, si tu sous-entends le contraire. Comme je n'ai pas utilisé de magie et Miranda non plus, les ombres n'ont dû notifier que ta présence. Ils te croient seule sur Terre. Autant partir pour Thélis et les mener sur une fausse piste.
- Je rêve ou tu as basé ton plan sur le fait que j'allais insister pour vous accompagner ?
- Tu ne rêves pas, non.
Eloïse s'assit sur le goudron et posa sa tête sur ses genoux. Elle avait de plus en plus envie de hurler.
- Et qu'est-ce qui se serait passé si je n'avais pas demandé à venir, au juste ? Ton plan aurait été nul ?
- J'aurais affronté les ombres et serais retourné te chercher ensuite. L'issue aurait été similaire et les laboratoires auraient su que je n'étais pas en ta présence.
- Qu'est-ce qui te fais dire qu'ils te penseront ailleurs ?
- Parce qu'en temps normal, je ne t'aurais jamais laissé te débrouiller seule et ils en sont parfaitement conscients. Maintenant, debout.
Il se détourna sans même attendre qu'elle se lève. Miranda se dirigea vers Eloïse et lui tendit sa main pour la hisser sur ses pieds.
- Tu sais ce qui lui prends ? demanda Eloïse.
Miranda haussa les épaules et marcha à la suite de Victorien. Eloïse la suivit de façon peu enjouée.
- Je crois qu'il n'a pas beaucoup dormi ces derniers temps et qu'il a besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un, indiqua la mage noire.
- Et bien évidemment, il faut que ça tombe sur moi.
- J'ai surtout l'impression que dès qu'il est sympathique avec toi, il ressent le besoin d'ensuite être désagréable. Du coup, tu es sa victime parfaite.
- Et à quel moment il a été sympa ?
- Sur le trajet de retour d'Ifraya.
Eloïse se renfrogna. Elle enfonça les mains dans les poches de son jean noir pour les réchauffer.
- Ah, oui, c'est vrai. Chez Victorien, être sympa s'apparente à être neutre.
- Avec toi, oui.
A ces mots, Miranda s'avança pour rejoindre le mage noir et lui saisit la main. Eloïse resta seule à ruminer sa mauvaise humeur, trois mètres derrière eux.
Elle aurait pu disparaître qu'ils ne s'en seraient pas rendu compte.
(Bonjour ! Juste pour vous informer que j'ai posté une nouvelle histoire dérivée de celle-ci, si ça vous intéresse. Elle raconte l'histoire des magiciens légendaires ^^)
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