Chapitre 3: Novembre (2)
Margaux observa les murs à la peinture bleue relativement neuve, écaillée par endroits. Le lycée était assez peu ancien, mais avait été remis aux normes en vigueur établies quelques années plus tôt.
C'était la première fois de sa vie que la jeune fille entrait dans un lycée. Ou même dans une école. Ses parents lui avaient toujours fourni des cours à domicile, et maintenant, elle s'apprêtait à être inscrite dans un établissement public. Être confrontée à autant de personnes l'intimidait un peu: cela ne lui était jamais arrivé. En tant que fille de chasseurs de magiciens, elle avait vécu à l'écart du monde.
- Margaux, ma puce?
La blonde releva la tête vers Orage. La femme, assise à sa droite, lui lançait un regard bienveillant. Pour une fois, elle avait laissé Zéro et Scatach seuls pour l'accompagner jusqu'ici.
Margaux se demandait si elle avait déjà eu des enfants, car à vrai dire, elle avait eu une attitude plus maternelle à son égard que ne l'avait fait sa propre mère en dix-huit ans.
Le directeur de l'établissement, porteur d'une calvitie et d'une affreuse cravate verte, les observa tour à tour. Aucun doute là dessus, elles n'avaient pas la moindre trace d'une quelconque ressemblance physique. Celles qui se prétendaient mère et fille avait plutôt l'air de parfaites opposées: l'une, blonde claire aux yeux bleus, une aura fragile émanant d'elle, et l'autre, brune aux iris sombres, un air plus imposant collé au visage.
- Elle tient plus de son père que de moi, dit Orage comme si elle lisait dans ses pensées.
- Je vois, dit-il. Donc Mme. Amanda, vous souhaitez l'inscrire en terminale littéraire?
- Absolument.
Margaux hocha également la tête pour montrer son approbation.
- Quel était votre précédente situation? Demanda le directeur à la jeune fille.
- J'étais scolarisée à domicile à Montpellier, expliqua-t-elle. Puis nous avons déménagé ici.
- J'ai finalement décidé de l'inscrire à une école, reprit Orage, bien plus apte à mentir. Ma petite à pratiquement dix-neuf ans et je pense qu'il faut qu'elle apprenne à vivre entourée de monde.
- Je vois, dit le directeur. Son inscription sera finalisée d'ici quelques jours. En attendant, voici son futur emploi du temps, avec dessus le nom de ses professeurs et le numéro des salles.
Margaux le saisit et jeta un rapide coup d'œil dessus. Cela risquait d'être beaucoup plus amusant de faire cours avec une trentaine d'autres personnes plutôt que d'être seule face à un professeur.
Orage et le directeur se serrèrent la main et Margaux l'imita l'instant d'après. Les deux femmes sortirent de son bureau.
- L'établissement te plait? Demanda Orage.
- Je n'ai jamais été dans une école, je ne sais pas à quoi m'attendre.
- Je suis certaine que tout va bien se passer. Tu n'oublieras pas de m'envoyer des nouvelles?
Margaux sourit. Encore un contraste avec ses parents, qui eux, ne se souciaient pas de savoir comment elle allait lorsqu'ils n'étaient pas présents.
- Toutes les semaines, répondit-elle.
Une tornade de cheveux blancs passa à côté d'elles à la vitesse de l'éclair. Margaux fronça les sourcils et fixa celle qui venait de passer un peu près d'elles. La surprise se peint sur son visage.
- Mais... C'est une magicienne, s'exclama-t-elle. Une Lune Noire. Pourquoi...
La blonde comprit enfin pour quelle raison Orage avait insisté pour qu'elle se rende étudier à Lille.
- Tu as fait exprès de m'envoyer dans un établissement avec des magiciens? Pour que je change d'avis quand à votre proposition?
- Je sais que cela peut porter à confusion, mais ce n'est pas le cas. Si tu te trouves à Lille, c'est simplement parce que c'est l'une des villes les plus éloignées de Montpellier et la seule dans laquelle je possède un lieu pour te loger.
- Tu as habité ici?
- Il y a quelques années, oui. J'étais enseignante dans une école maternelle.
C'était l'une des premières fois où Orage lui avait révélé une information à son propos.
- Allez, dit la femme comme pour que l'on arrête de parler d'elle, je te ramène à ton nouveau chez-toi.
Margaux hocha la tête et la suivit jusqu'en dehors de l'établissement. Elle devrait rester sur ses gardes, même à plusieurs centaines de kilomètres de Montpellier. Les chasseurs de magiciens avaient des yeux partout, et ils avaient vite fait de la retrouver.
◊
Lysandre alla ouvrir la porte de sa maison lorsqu'il entendit le tintement caractéristique de la sonnette retentir. Sa surprise ne fut pas des moindres lorsqu'il vit Vénérios – son demi-frère qu'il avait du mal à apprécier – posté juste devant lui.
- Bonjour Lysandre, dit-il. Je peux entrer?
L'adolescent le laissa passer, bien qu'un peu réticent en premier lieu.
- Qu'est-ce que tu veux? Demanda-t-il.
- Te demander un service de la part de l'Ombre.
Lysandre fronça les sourcils. Il ne savait pas grand chose à propos de l'Ombre, mais en connaissait suffisamment pour être étonné de les voir le réquisitionner. A part des prédispositions à la magie rouge dont il se servait de façon très médiocre, il ne savait rien faire qui pourrait les aider – en tout cas à sa connaissance.
- Pourquoi est-ce qu'ils voudraient mon aide? Demanda-t-il.
- Il est temps de parler un peu de tes origines de magiciens, petit frère. Je n'en sais pas énormément non plus, je dois l'admettre, mais il y a eu quelques découvertes récentes à ce propos. Tu comprendras alors pourquoi ils te demandent à toi.
Lysandre invita Vénérios à le suivre dans sa chambre, bien que l'idée ne l'enchante pas le moins du monde. Il n'aimait pas beaucoup le voir arpenter sa maison, même s'il venait en tant que porte parole de l'Ombre.
L'adolescent referma ensuite sa porte par précaution. Il ne voulait pas que son père ne croise la route de Vénérios.
- Alors? Demanda Lysandre.
- Alors tu es le fils de l'une des anciennes supérieures des laboratoires du Phoenix, l'organisation qui s'en prend à ta copine. Naheri Anaxagoras est elle-même la fille de leur directeur, Caleb Anaxagoras.
- Tu veux dire que je suis le petit-fils de celui qui veut tuer ma meilleure amie?
- Exactement.
D'un coup, Lysandre se sentit coupable, même s'il n'avait absolument rien à se reprocher, vivant totalement en dehors – ou presque – de tous les conflits qui opposaient l'Ombre aux laboratoires. Il s'assit sur son lit. Apprendre ses origines n'était pas aussi plaisant que dans son imagination.
- Nous descendons d'une famille de Phébéiens – des magiciens aux origines très anciennes et très rares, lui expliqua Vénérios. Plus précisément du frère d'un magicien de légende, Lysandre Anaxagoras.
- C'est pour ça que je porte ce prénom?
- Oui, et si ça peut te rassurer, je porte aussi le nom d'un magicien légendaire. Je suppose que c'était notre mère qui les a choisi.
- Et en quoi tout ça concerne l'Ombre?
- Les magiciens légendaires possédaient des armes, et quand ils sont morts, leurs âmes sont restées coincées à l'intérieur. Nous avons besoin de libérer celle de Lysandre Anaxagoras pour lui poser des questions. Tu es le mieux placé pour le faire.
Lysandre fronça les sourcils.
- N'importe qui serait mieux placé que moi pour le faire. Et si c'est une question d'origines, tu peux aussi essayer.
- Ce n'est pas exactement ça. Il faut avoir le plus de points communs avec le magicien légendaire. Nous sommes tous les deux des Phébéiens, mais la seule différence entre nous est la couleur de nos pouvoirs. Tu es un Alpha, exactement comme Lysandre Anaxagoras, quand je suis un Zéta.
- Je crois comprendre. Mais je ne pense pas en être capable.
Vénérios alla s'asseoir à côté de lui tout en gardant une certaine distance.
- Nous avons besoin de libérer son âme, et tu es notre meilleur élément pour y arriver, Lysandre. Nous en avons besoin pour tacler les laboratoires tant qu'on le peut encore.
Lysandre reconsidéra la proposition.
- Si je vous aide, ça va vous permettre de lutter contre les laboratoires? Demanda-t-il.
- Exactement. Nous allons pouvoir les doubler sur un projet qu'ils veulent réaliser. Seulement, il faut qu'on le fasse rapidement, sinon ce sont eux qui vont nous doubler.
Lysandre réfléchit à toute allure. Il voulait bien aider, même s'il ne s'en sentait pas totalement capable. Mettre à mal les laboratoires du Phoenix serait en soit une victoire pour lui après tout ce qu'ils avaient causé.
- D'accord, dit-il. Je veux bien tenter.
Et essayer était le moins qu'il puisse faire pour y parvenir.
◊
Eden fit tomber un ouvrage voluptueux sur le sol de pierre de la bibliothèque du quartier Doré. Heather, juste à côté, lui lança un regard mauvais.
- Eden, fais un peu attention! Ces livres coûtent une fortune.
La blonde le ramassa en vitesse et le rangea dans l'emplacement où elle l'avait trouvé.
- Il m'a échappé des mains, se défendit-elle. Puis il n'est pas abîmé.
- J'espère bien, car sinon tu aurais dû le rembourser.
Les filles se trouvaient dans le deuxième quartier le plus aisé de la Cité. Aucun doute que pour rembourser l'ouvrage, Eden n'aurait jamais eu assez d'argent, même en vendant tous ses biens.
Lucas et Peter arrivèrent dans leur rayon, l'un, les mains dans les poches et l'autre, un air fatigué collé au visage.
- Vous avez trouvé quelque chose? Leur demanda Eden.
Peter hocha la tête.
- J'ai parcouru plusieurs ouvrages et pris des notes sur mon téléphone, expliqua-t-il.
- Et toi? Demanda Eden à Lucas.
- Je l'ai regardé faire.
- Tu te fiches de moi? On était censé venir ici pour se renseigner un maximum.
- Si je voulais travailler, je serais simplement resté à l'académie. Et puis ce n'est pas comme si tu avais fait grand chose non plus.
- J'ai lu l'un des livres, expliqua-t-elle.
- Tu l'as fait tomber et tu l'as rangé immédiatement, nuança Heather.
Lucas lui lança un regard satisfait pendant qu'Eden maudissait son amie en silence.
Heather reposa le livre qu'elle tenait entre les mains et soupira. Après avoir lu toute l'après-midi et toute la soirée, elle tenait un puissant mal de crâne. Cela devait en être de même pour Peter.
- Je propos qu'on rentre avant que les arches ne soient plus disponibles, dit-elle.
- Pourquoi? Il est quelle heure? Demanda Lucas.
- Presque minuit.
Le magicien soupira.
- Ça veut dire qu'on devra encore escalader la grille de l'académie en douce. On aurait pas simplement pu se contenter de la bibliothèque de l'école?
- Cara a déjà fait tous les ouvrages sur Anthropa et le courant Sigma qui s'y trouvaient, répliqua Heather, on devait aller voir ailleurs.
- Très bien, admit Lucas. Mais on se dépêche de prendre une arche parce que je ne veux pas en plus faire la moitié de la cité à pieds.
Les quatre magiciens quittèrent la bibliothèque en vitesse. Ils se hâtèrent d'arriver jusqu'à l'arche la plus proche, où le passeur s'apprêtait à quitter les lieux. Ils purent rentrer dans le quartier Lumineux de justesse.
La route qui les séparait de l'académie n'était plus très longue. Elle se trouva être étonnamment calme, comme s'ils étaient les seuls êtres vivants présents. Les seuls bruits troublant le calme plat étaient les semelles de leurs chaussures d'uniforme claquant contre les pavés. En tout cas jusqu'à ce qu'un nouveau son suspect ne leur parvienne depuis la grand place du quartier.
- On aurait dit que quelqu'un frappe du métal lumière, fit Eden.
- La statue d'Adénora Calléor, non? Se demanda Lucas.
- Je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre. Et j'ai envie d'aller y jeter un œil.
- Je te suis.
Heather et Peter échangèrent un regard rapide en voyant leurs deux amis se diriger vers la grand place, puis se résignèrent à les suivre, peu enjoués à la perspective de faire un détour.
Eden jeta des regards furtifs autour d'elle. Lorsque la statue d'Adénora Calléor entra dans son champ de vision, elle aperçut une silhouette occupée à l'escalader, ses pieds frappant contre le métal qui composait la colonne pour trouver des points d'appui afin de se hisser plus haut. Le bras de la personne en question – une fille qui semblait assez frêle – réussit enfin à atteindre les pieds de la magicienne de métal.
- Mais qu'est-ce qu'elle fait? Se demanda Eden.
La silhouette saisit la baguette qu'Adénora tenait entre ses mains avec un peu de mal et la brandit devant son visage. Le métal lumière, même dans une pénombre presque totale, réussissait tout de même à renvoyer les faibles rayons de la lune rouge à la façon d'un prisme, illuminant la chevelure cuivrée de la fille.
- Elle est en train de voler la baguette d'Anthropa, dit Lucas.
- Non mais pour qui elle se prend? Ce n'est pas sa propriété.
Eden accourut jusqu'à la statue et commença à envoyer des sortilèges sur la silhouette qui se tenait en haut. Lucas vint lui donner un coup de main. La fille leur renvoya des sorts à l'aide de la baguette volée et se jeta du haut de la colonne pour atterrir tranquillement sur ses pieds, utilisant un sortilège pour amortir sa chute. Son allure frêle toujours présente, elle semblait pourtant solide.
- Qu'elle ne croie pas s'en tirer si facilement, dit Eden.
Elle s'élança à la suite de la fille, qui cherchait à s'enfuir. Sa course était maladroite, mais tout de même rapide.
Dans l'obscurité ambiante, Eden finit par la perdre de vue. Elle se retourna dans toutes les directions mais ne put qu'apercevoir ses trois amis accourant vers elle.
- Elle a disparue, dit la blonde. J'en reviens pas.
Lucas posa une main sur son épaule.
- Comme quoi tu devrais arrêter de sécher les cours de sport, lui dit-il.
Eden esquissa un geste brusque qui l'obligea à retirer sa main.
- On parle d'une relique qui vient d'être volée, répondit-elle. Tu aurais au moins pu venir m'aider, puisque visiblement tu cours vite.
- Elle était trop rapide pour qui que ce soit, admit-il. C'était peine perdue.
- Il y a juste une petite incohérence dans tout ça... Dit Heather.
Les trois magiciens se tournèrent dans sa direction.
- Tout a l'heure, j'ai lu dans un des ouvrages sur Anthropa que la baguette en métal lumière avait été faite sur mesure par Anthropa pour elle-même, poursuivit la jeune fille.
- Et donc? Demanda Eden.
- Anthropa est morte il y a plusieurs centaines d'années. Et si la baguette a été faite sur mesure, j'aurais besoin qu'on m'explique comment cette personne a réussi à s'en servir, parce qu'à moins qu'elle soit justement Anthropa, ce n'est pas possible.
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