Chapitre 25: Novembre (21)

Mila regardait par la fenêtre d'un air inquiet. Depuis deux jours, les ombres étaient de plus en plus nombreuses aux alentours de leur refuge. Même si les subterfuges placés par les chasseurs de magiciens étaient efficaces, elle avait peur que ce ne soit bientôt plus suffisant tant les ombres étaient nombreuses.

- Tu t'inquiètes encore ? lui demanda Lysandre.

Elle hocha la tête, les yeux rivés sur le ciel gris terne.

- Je sens que la situation va dégénérer, dit-elle. Sans les magiciens pour nous aider, on est fichus.

Mila était, en plus de cela, en possession d'un objet recherché par les ombres. Elle se doutait d'être leur première cible si elles parvenaient à passer la défense des lieux.

- Ne t'inquiète pas, dit Lysandre à voix basse. Les chasseurs de magiciens ne savent pas que je suis un magicien. Je peux intervenir si besoin.

- Mais ils pourraient s'en prendre à toi après, objecta-t-elle.

Lysandre haussa les épaules.

- S'il y a un incident, je ne vais pas rester là à rien faire.

Mila soupira de découragement. A ce moment, Eugénie saisit une chaise pour s'asseoir entre eux à l'improviste.

- Ce que vous êtes moroses. J'ai envie de me pendre rien qu'à vous regarder.

- A ce point là ? demanda Mila.

- Disons simplement que vous n'inspirez pas trop la joie de vivre.

Lysandre tourna la tête au moment où une ombre passait au loin. Elles se retrouvaient de plus en plus près depuis quelques heures.

- Oh ! mais arrêtez de vous inquiéter pour ces trucs, dit Eugénie. Les chasseurs de magiciens ont la situation bien en main même si ça me coûte de l'admettre. Puis s'ils se foirent, ils vont pas nous laissez mourir, ils vont demander de l'aide aux magiciens.

- Ils ont bloqué leurs pouvoirs, fit remarquer Mila.

- Ça va, c'est qu'un bracelet, ça se retire. Ils ne sont pas non plus stupides. Je parie que ça les arrange d'avoir des magiciens sous leur main en cas de problème.

- Peut-être, je ne sais pas.

Lysandre, quant à lui, haussa les épaules.

Deux chasseurs de magiciens supposés être en repérage dehors traversèrent la salle pour rejoindre leur chef. La confusion de lisait sur leurs traits.

- Vincent, on vient de trouver trois magiciens dehors, dit l'une d'elle. Qu'est-ce qu'on fait ?

Il haussa les sourcils.

- Encore ?

Vincent se tourna vers le groupe de magiciens toujours isolé dans un coin de la salle.

- Vous attendiez d'autres de vos camarades ?

Jefferson consulta les autres du regard.

- Peut-être le Conseil des Cinq ? s'avança Evan.

- J'en doute. Ils ne se seraient pas séparés et ils n'avaient aucun intérêt à venir sur Terre.

Geoffrey se gratta le menton.

- Ça ne peut pas être les gens de l'académie puisqu'ils sont enfermés dedans, dit-il. Peut-être Synabella et Cara ? Ou alors quelques uns du AMI, l'équipe Alpha a l'habitude de se rendre sur Terre.

- Mais pourquoi ils viendraient ? demanda Lanehaërt. Thélis a bien plus besoin d'eux que nous.

Il y eut un silence. Finalement, Jefferson se tourna vers l'homme à lunette, qui attendait leur verdict.

- Nous ne savons pas de qui il peut s'agir, dit-il. Sans vouloir vous alarmer, il est possible que ce soient certains de nos ennemis.

Le chef des chasseurs de magiciens balaya ses paroles d'un geste de la main, puis se tourna vers les deux membres qui l'avaient interpellé.

- Amenez-les ici. Les magiciens pourront peut-être les reconnaître. Et si ce sont les ennemis en question, abattez-les.

Ils hochèrent la tête et disparurent hors de la salle un moment. A leur retour, quelques membres supplémentaires escortaient les trois magiciens trouvés dehors. Un hoquet de surprise traversa la salle.

- Très sympa, votre accueil, dit Miranda en fusillant les chasseurs de magiciens du regard.

Elle observa brièvement la salle et aperçut les magiciens de l'Ombre abandonnés dans un coin, sur une grande table isolée du réfectoire. La plupart avaient les yeux fixés sur Eloïse, qui tentait de ne croiser le regard de personne.

- Super ambiance, marmonna-t-elle.

L'homme à lunettes les observa les bras croisés, fixant Eloïse du coin de l'œil.

- Je suppose que vous n'êtes pas les ennemis en question.

Miranda ricana.

- Ceux des magiciens présents ici : non. Par contre, vous, j'ai quelques doutes.

- Tant que vous acceptez de vous plier à nos règles, je ne vois pas de souci. Vos noms ?

- Miranda Lowers, répondit-elle.

Rory répondit distraitement, l'air morose, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon. Vincent se tourna vers Eloïse.

- Je te reconnais, toi.

Elle haussa les sourcils.

- Beaucoup de gens me reconnaissent.

- J'ai tenté de te tuer dans un incendie il y a trois ans et tu as quand même réussi à me filer entre les doigts.

- Aucun souvenir. Et je suis presque sûre que je devrais m'en rappeler.

- Ton nom ?

- Eloïse.

Vincent dégagea le pistolet accroché à sa ceinture et le pointa sur le crâne de la magicienne.

- Eh bien, Eloïse, je crois avoir quelque chose à terminer.

Les réactions furent immédiates. Mais à l'étonnement de tout le monde, Orage fut la première à intervenir, se levant d'un bond de sa chaise.

- Vous allez regretter votre acte, dit-elle. Rangez-ça.

Le chef des chasseurs de magiciens se tourna vers elle, baissant légèrement son arme. Orage s'approcha d'Eloïse pour poser ses mains sur ses épaules. Cette dernière la regardait d'un air incrédule.

- Pourquoi ne menacer qu'elle alors qu'il y a une bonne dizaine de magiciens dans la salle ? poursuivit Orage.

- Simplement parce que si j'en crois mes sources, cette fille est à la fois humaine et magicienne, et j'ai bien peur que les deux n'aillent pas ensemble. Quant aux autres, ils sont utiles.

- Et bien pour le moment, excusez-moi, mais ils sont plutôt compatibles. Si c'est le cas, c'est d'ailleurs pour une raison précise. Je vous conseille d'éviter de vous aventurer en terrain glissant. Rangez votre arme.

- Mais au contraire, je suis curieux d'en savoir plus.

- Je vous le répète, rangez votre arme. Immédiatement.

Le chef de chasseurs de magiciens raccrocha son pistolet à sa ceinture.

- Expliquez-moi ce qu'il en est, Mme Amanda. Et arrêtez de prétendre être une humaine quand je vois bien que ce n'est pas le cas.

Orage soupira et lâcha les épaules d'Eloïse pour retirer ses lentilles de contact. Ses iris passèrent d'un brun clair à un bleu vif. Eloïse fit un pas en arrière en fixant celle qui avait été sa professeure de maternelle plusieurs années plus tôt.

- Effectivement, il va falloir que vous expliquiez des choses, marmonna-t-elle.

Orage se tourna vers le chasseur de magicien sans répondre à Eloïse.

- Cette fille ici présente est la pièce centrale du projet Alpha, dit-elle. Plus longtemps elle reste vivante, plus de temps nous gagnons pour contrer ceux qui veulent s'en prendre à notre monde et au vôtre. Si vous la tuez, alors vous aller devoir en assumer les conséquences, et laissez-moi vous dire qu'elles seront fâcheuses.

- Ce ne sont pas des magiciens qui vont réussir à s'emparer de la Terre, objecta Vincent.

- Vous ne savez pas à qui vous avez affaire. Vous ne ferez jamais le poids. Regardez-vous pour le moment, forcés de garder des magiciens sous votre main pour intervenir en cas de besoin ! Si nos ennemis décident d'attaquer la Terre demain, jamais vous ne ferez le poids.

Vincent lui jeta un regard intrigué. A contre-jour, la brûlure sur sa joue ressortait particulièrement.

- Parce que vous, magiciens, vous les vaincrez ?

- Non, avoua Orage. Il faut s'en prendre à eux différemment. En commençant par garder Eloïse en sécurité. Je sais bien que magiciens et chasseurs de magiciens ne sont pas supposés nouer d'alliance, mais pour le moment, il va falloir faire des concessions.

Un silence incroyablement lourd emplit la salle. Magiciens et chasseurs semblaient peser le pour et le contre chacun de leur côté. Seule Eloïse, les bras croisés et l'air agacée, avait ses pensées tournées vers un autre sujet.

- Vous êtes qui, au juste ? demanda-t-elle à Orage. Parce que je doute que votre vrai nom soit Mathilde Amanda et j'aimerais bien comprendre.

Orage se tourna vers elle, lui adressant un petit sourire désolé.

- Sur Thélis, on me surnomme Orage.

- Mais ça je m'en fiche. C'est votre vrai nom que je veux.

La magicienne se pinça les lèvres, hésitante. Cela faisait un bon nombre d'années qu'elle ne l'avait pas révélé.

- Mahendra Aprehensen, dévoila-t-elle.

Eloïse fronça les sourcils.

- C'est pas possible. Je l'ai croisée sur Ifraya.

- L'autre Mahendra Aprehensen, précisa Orage.

- Comment ça, l'autre, il...

- Sa mère, la coupa-t-elle.

Cette fois-ci, Eloïse écarquilla les yeux. Elle mit quelques secondes à trouver ses mots.

- Alors celle là, je m'y attendais pas.

Orage secoua la tête.

- Je suis vraiment désolée, Eloïse. Il y a encore beaucoup de choses qu'il faut que tu saches.

- Ça fait toujours plaisir de les apprendre de cette façon.

- Tu es sur les nerfs, je peux comprendre avec ce que tu as traversé récemment, mais comprends que je n'avais pas trop choix.

Eloïse soupira.

- La seule chose que je sais pour le moment, c'est que je n'ai pas dormi depuis trois jours et que j'ai beaucoup de sommeil à rattraper.

Elle s'éloigna pour rejoindre le coin des magiciens en ignorant quiconque souhaitait lui parler – en particulier ses parents – et s'installa sur une chaise vacante avant de s'endormir sur la table.

Vincent, après s'être entretenu avec certains de ses collègues, reporta son attention sur Orage, toujours plantée au milieu de la salle.

- Venez, dit-il. Je crois que nous devons parler affaires.

Avec la guerre qui venait juste de se déclarer en son sein, la Cité était loin d'être un endroit sûr. Pourtant, Synabella avait tenu à y retourner malgré tout. Le Chao Ming avait été pour elle une expérience désagréable sur le long terme et il avait été temps d'y mettre fin.

En sa compagnie, Cara l'avait donc suivie, un peu moins enjouée à l'idée de retourner dans sa cité de naissance. Cela signifiait qu'elle allait devoir s'entretenir avec son père et faire un choix entre lui et l'Ombre.

Elle était totalement perdue entre les deux.

Les deux filles, logeant dans le quartier Fantôme pour éviter de se faire surprendre par les chasseurs de prime qui envahissaient les rues, avaient échangé quelques messages avec le Conseil des Cinq, quand à eux barricadés au palais, avant d'aller dormir un peu.

Quand Cara estima que Synabella dormait à poings fermés, elle se leva discrètement et quitta leur habitat improvisé sur la pointe des pieds.

Dehors, l'air frais de la fin du mois de novembre repoussait légèrement la frange de son front et chatouillait son cou dénudé. Elle frissonna et traversa quelques rues en rasant les murs.

Enfin, elle aperçut la silhouette de son père entourée par deux de ses gardes du corps. Même s'ils n'étaient illuminés que par la faible clarté des étoiles, Cara les reconnaissait sans souci. Elle s'avança rapidement jusqu'à eux.

Dès que son père la vit arriver dans sa direction, il s'avança pour la prendre dans ses bras.

- J'ai eu peur que tu aies croisé des ennemis, dit-il. Tout va bien ?

- Ça va. Et toi ?

Il hocha la tête.

- Tu as pris ta décision ? demanda-t-il.

Cara se pinça les lèvres.

- Je ne sais pas, avoua-t-elle. L'Ombre est vraiment importante à mes yeux et ils ont besoin de moi, mais...

- Mais tu n'es pas en sécurité à leurs côtés, poursuivit son père. Cara, tu dois m'accompagner, même si ça ne te plaît pas. C'est pour ta sécurité.

Cara soupira. Elle savait que son père la prenait pour une personne incapable de se défendre – ce qui était plutôt légitime vu son absence de talent à la fois en magie et en combat – mais elle était majeure et suffisamment alerte du monde qui l'entourait pour prendre ses propres décisions en parfaite connaissance de cause. Elle n'allait pas le suivre uniquement parce qu'il estimait que c'était pour son bien quand elle serait sûrement plus en sécurité avec l'Ombre à ses côtés.

Ses pensées confuses se démêlèrent enfin.

- Écoute... commença-t-elle, avant de se faire interrompre.

Synabella débarqua dans la ruelle, son sabre incroyablement aiguisé à la main. Ses talons claquaient sur le dallage uniquement illuminé par la lune rouge.

- Bonjour M. Weber, dit-elle. Quelle atrocité planifiez-vous en cette belle soirée ?

Cara la regarda s'approcher d'un air incrédule, avant de porter un regard vers son père. Il ne semblait pas du tout étonné.

- Je savais que tu poserais problème, répondit-il. Tu es un peu trop observatrice.

- Allons, vous devriez le savoir, rien de ce qui se déroule à la Cité n'échappe à ma vigilance.

Synabella se tourna ensuite vers Cara, la toisant de son regard acéré.

- Je savais que tu n'allais pas nous trahir, mais pendant un moment j'ai eu des doutes. Ce petit voyage au Chao Ming a au moins eu le mérite de m'éclairer sur tes intentions.

Cara écarquilla les yeux.

- Pardon ?

- Je ne t'ai jamais totalement fait confiance. Je voulais simplement analyser tes réactions dans des situations où tu aurais pu trahir une allégeance autre qu'à l'Ombre. Et tu n'as absolument rien vu alors que cela n'avait rien de discret.

- Que...

- Oh, allez, un peu de jugeote. Tu pensais vraiment que je comptais mettre Jefferson sur le trône ? D'accord il est très débrouillard et ferait un bon roi, mais il n'est pas formé pour diriger une Cité entière. Je voulais juste savoir ce que tu ferais de cette information.

- Je n'en ai rien fait ! s'exclama Cara, indignée.

- Bien évidemment, sinon ton père aurait tenté de l'éliminer. Saches-le, j'étais en contact avec le Conseil des Cinq pendant toute la durée de notre voyage au Chao Ming. Ils ont établi une alliance avec le premier ministre, et à partir de là, notre petit projet de coup d'état a été mis sur le côté. J'ai peut-être une aversion pour lui, mais le premier ministre sait diriger.

Cara laissa ses yeux voguer entre Synabella et son père, envahie pour un soudain mal de ventre.

- Synabella, tu me connais, dit-elle, comment tu as pu penser une seconde que je trahirai l'Ombre ?

- Parce que M. Weber est ton père.

- Et alors ?

- En le suivant, tu nous aurais involontairement trahi au profit du Phoenix.

Cara fronça les sourcils à la mention de l'ennemi commun créé par l'Ombre, accidentellement parti en dehors de leur contrôle. Elle comprit mieux en voyant les capes portées par les deux gardes du corps de son père, en retrait dans les ténèbres. Malgré la pénombre, il était possible d'apercevoir le dégradé de couleur de leur capes, dont le motif ressemblait énormément à celui de plumes.

On lui avait trop souvent répété qu'elle ne faisait pas assez attention aux détails.

Synabella détourna son attention de Cara pour la focaliser sur M. Weber. Ses yeux se plissèrent légèrement alors qu'elle faisait quelques pas en avant.

- Vous. Il faut qu'on parle. Vous avez osé penser un seul instant que je ne saurais rien de vos petites manigances ?

- Non, répondit M. Weber. Je savais que tu étais un problème. On pourrait te crever les yeux que d'autres repousseraient immédiatement.

- C'est pour cette raison que vous avez tenté de m'assassiner à plusieurs reprises.

- Tu as fait quoi ? s'exclama Cara en dévisageant son père.

- Laisse-nous discuter et indigne-toi plus tard je te prie, lui dit Synabella. M. Weber, nous avons des comptes à régler.

- Je suis bien d'accord avec toi. Malheureusement, l'un de nous deux ne survivra pas à cet entretien.

Synabella laissa échapper un sourire et fit tournoyer son sabre dans les airs. La lune rouge renvoya des reflets écarlates sur la lame.

- J'en suis désolée pour vous, M. Weber, souffla-t-elle.

Elle fondit sur lui tel un éclair déchirant la nuit. Elle rencontra un garde du corps avant d'atteindre son point d'impact souhaité et lui trancha un bras sans aucun ménagement. Un coup de sabre supplémentaire et sa tête de retrouva pratiquement décrochée de son corps. Le même sort fut réservé au deuxième garde du corps malgré ses tentatives pour se défendre.

Synabella s'approcha dangereusement de l'ancien ministre de la Cité, des éclats de sang maculant son visage à l'air sombre.

- On ne se joue pas de moi, M. Weber, dit-elle en penchant la tête sur le côté.

Elle s'apprêta à fondre sur lui quand un coup de feu déchira la nuit. Un silence assourdissant s'en suivit, ponctué par une montée de la tension dans l'air.

Synabella et l'ancien ministre se retournèrent de concert pour voir Cara tomber par terre, le corps secoué de spasmes. Derrière elle, un homme masqué sauta du toit d'une maison, son pistolet toujours à la main.

Un chasseur de prime du Futuro.

Synabella ne perdit pas une seconde, se retourna vers l'ancien ministre, dont le regard était perdu sur le corps de sa fille, et lui trancha la gorge.

Elle s'enfuit dans les ténèbres alors que de nouveaux coups de feu la prenaient pour cible.

Le palais de la Cité avait été totalement barricadé, les personnalités qui y vivaient rassemblées dans les sous-sols pour plus de sécurité. Seul le premier ministre, accompagné par Philéas et le Conseil des Cinq, ne quittait pas son bureau, protégé par quelques chasseurs de prime. Ils tentaient d'établir une stratégie de défense de la Cité au mieux de leur possibilités.

Comme d'habitude, l'obstacle majeur à contourner se nommait Jaon Chen, Seigneur du Chao Ming, qui refusait obstinément de leur fournir la moindre aide.

- Nous n'avons toujours pas de nouvelle des Magiciens Seconds, dit Etan au ministre, donc aucune du prince Aaron. De même pour Célèste. Comment vous comptez réussir à le convaincre ?

Le premier ministre secoua la tête.

- Je ne sais pas. A force d'insistance, sûrement. Le problème est que nous n'avons pas le temps pour ce genre de stratégie qui démontre plus de chantage que d'autre chose. Je crois simplement qu'il va falloir offrir au Seigneur Chen quelque chose de conséquent en échange de son aide.

- La Cité a beaucoup d'argent en réserve, non ? se hasarda Andromède.

- Elle en a, oui. Mais le Chao Ming également. L'argent n'intéressera pas Jaon.

- Et vous savez ce qui donnerait le change ? demanda Tomas.

Le premier ministre avait l'air particulièrement agacé par la situation. Sans doute savait-il ce qui ferait changer d'avis le Seigneur Chen et ne voulait pas se résoudre à le lui accorder.

- Une relique ayant appartenu à Adénora Calléor. Je ne lui céderais qu'en dernier recours.

- Je ne savais pas que la Cité avait ce genre d'objet en sa possession, fit remarquer Evangeline. Vous faites des cachotteries au peuple ?

- Non, Evangeline, ce n'est simplement pas le genre d'information que l'on dévoile à autre qu'un nombre restreint de personnes de confiance sous peine de voir ledit objet volé.

- C'est un point de vue qui se tient, marmonna-t-elle.

Le téléphone d'Etan sonna alors qu'ils allaient une énième fois aborder leurs problèmes avec dans l'espoir qu'ils finiraient, grâce à un quelconque miracle, par se démêler d'eux-mêmes.

- Synabella ? s'étonna Etan en voyant le visage de la jeune fille apparaître à l'écran.

Avec la pénombre de la nuit, il était presque impossible de la reconnaître.

- Est-ce qu'il y aurait moyen pour que vous m'accueilliez au palais ? demanda-t-elle. Je suis en très mauvaise posture là maintenant.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Les chasseurs de prime ennemi me poursuivent. Ne pose pas de question et contente-toi de m'ouvrir la porte je te prie. J'expliquerai tout à mon arrivée.

Elle raccrocha aussitôt.

Avant même qu'Etan ne demande son accord au ministre pour accueillir Synabella, celui-ci s'était levé pour aller donner des ordres aux chasseurs de prime qui gardaient la pièce.

- Il vont aller la chercher, indiqua-t-il. Ce sera ainsi une bonne occasion d'échanger quelques mots avec elle à propos de Jaon.

Ils patientèrent vingt longues minutes leur retour. Durant cette attente, les conversations ne menèrent pour la plupart à rien d'autre qu'à des silences. Le Conseil des Cinq était particulièrement inquiet, se demandant à chaque instant si Synabella allait un jour arriver sous leurs yeux ou si elle se serait fait abattre en chemin.

Enfin, les chasseurs de prime revinrent, retenant entre leurs bras une Synabella pleine de sang qui peinait à tenir sur ses deux pieds. Andromède et Jeremy accoururent pour la soutenir et l'aider à s'asseoir sur une chaise vacante.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? demanda Etan.

Synabella cligna plusieurs fois des yeux.

- J'ai perdu mon sabre en chemin, répondit-elle. C'était mon préféré.

- Synabella, ce n'est pas le moment de plaisanter.

- J'ai interrompu un petit rendez-vous entre Cara et son père. Les chasseurs du Futuro se sont invités eux aussi. Cara est morte. Son père aussi. Mais pour lui, c'est moi qui l'ai tué. Ils m'ont coursé et j'ai perdu mon sabre en chemin.

Elle voulut se redresser et réprima une grimace de douleur.

- Et je me suis prise deux balles dans ma fuite. Donc si vous pouviez me soigner avant que je ne fasse un malaise avec tout le sang que j'ai perdu et que je ne meure, ce serait très aimable de votre part.

Le premier ministre s'approcha d'elle avec dans les mains une boîte contenant de quoi la soigner – toujours à portée de main en cas de besoin.

- Vous, par contre, vous ne m'approchez pas, dit Synabella.

- Je suis un Madrigan. Tu sais que je peux te soigner mieux que tes camarades.

- M'en fiche.

Le ministre lui jeta un regard courroucé.

- Écoute, nous sommes en pleine nuit et je suis fatigué, alors arrête de jouer les difficiles ou j'attends que tu aies fait un malaise pour m'occuper des deux balles que tu as reçu.

Synabella le dévisagea un instant, vexée de ne pas avoir le dernier mot.

- Bon, très bien. Allez-y.

Le premier ministre se saisit de compresses et d'une longue pince pour retirer les balles. Synabella planta son regard dans le plafond et serra les dents.

- Donc le Seigneur Chen a refusé d'envoyer de l'aide à la Cité même lorsque tu as insisté ? demanda le ministre, autant pour la distraire de la douleur que pour lui soutirer des informations.

- J'ai déjà tout expliqué au Conseil des Cinq. Je n'ai rien de plus à ajouter.

- Est-ce que Clémence a essayé ?

Synabella se figea. Le premier ministre retira la deuxième balle, logée dans son bras.

- Oui. Elle a échoué. Je ne peux rien faire de plus, si c'est ce que vous voulez savoir.

Le ministre désinfecta les plaies et sortit du fil pour la recoudre.

- Alors comme ça tu as tué Leredy Weber ? demanda-t-il.

- Oui.

- Bien.

- Avouez que ça vous arrange.

Le premier ministre laissa échapper un demi-sourire moqueur et planta l'aiguille dans son bras.

- Grandement, oui. Je ne savais pas comment me débarrasser de lui discrètement.

- Prenez cela comme un cadeau venant de ma part. En échange, vous me devez quelque chose.

Le ministre l'observa d'un air intrigué. Il termina son premier point de suture.

- Et qu'est-ce que tu veux ?

Synabella sourit. Puis grimaça quand l'aiguille traversa de nouveau sa peau olive.

- Un nouveau sabre. Avec une lame en métal lumière, dans le style Anthropa Holloway.

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