Chapitre 24: Eloïse & Victorien

Le 25/05/2012

Eloïse marchait en regardant ses pieds depuis une petite dizaine de minutes. La nouvelle paire de Doc Martens qui s'y trouvait avait beau lui plaire énormément, autre chose la tracassait et l'empêchait de s'en réjouir, ne serait-ce qu'un peu.

Elle avait tué quelqu'un.

Même après avoir vu plusieurs fois l'un des psychologues du AMI, la situation lui paraissait toujours aussi irréaliste, hors de son contrôle.

Bien-sûr, on lui avait sans cesse répété qu'en le faisant elle avait sauvé la vie de Julia, mais cela n'empêchait pas que pour ce faire, elle avait dû mettre fin à celle de quelqu'un d'autre. Eloïse se trouvait bien trop jeune pour ce genre de choses. A douze ans, elle n'était pas censée assassiner quiconque. Ni même se battre comme elle le faisait. Mais la vie de magicienne était bien différente de celle d'une humaine, surtout lorsque l'on travaillait pour le AMI.

Le peu d'importance que les magiciens accordaient à la vie de leurs semblables l'effrayait de plus en plus. Et la perte de Néophen, de l'équipe Zéta, qui était pourtant encore fraîche dans sa tête, semblait sortie de celles de toutes les autres.

Souvent, Eloïse avait du mal à se rattacher à la façon de penser des magiciens.

Et souvent, elle se sentait bien trop humaine pour encore rester parmi eux.

Malheureusement, elle ne pouvait pas prétendre ne plus être une magicienne. Toute la ville semblait au courant de sa particularité. Puis le AMI ne la laisserait pas disparaître ainsi. Après tout, Eloïse se trouvait sous leur tutelle.

Entre le départ de Lana et Valentine, la découverte de sa nature d'élue, la trahison de Julien, la mort de Néophen et son premier meurtre, Eloïse commençait à avoir des difficultés à réfléchir correctement.

Elle ne se rendit même pas compte lorsque des gens s'approchèrent d'elle, les écouteurs à fond sur une musique de Pink Floyd. Ses pieds restèrent sa principale préoccupation jusqu'à ce que l'une des personnes ne lui mette un sac en toile sur la tête.

Soudain reconnectée à la réalité, Eloïse lui donna un coup de coude dans les côtes et chercha à s'enfuir, mais avant qu'elle n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, elle reçut un coup sur la tempe.

Le réveil fut douloureux.

Eloïse avait l'impression que son crâne allait exploser tant elle avait mal. Heureusement, la luminosité de la pièce était très faible. Elle n'aurait sûrement pas supporté un éclairage trop puissant.

- La voilà réveillée.

Eloïse releva légèrement les yeux, apercevant une grande silhouette longiligne à moitié tapie dans l'ombre. Faute de la distance qui les séparait et de la lumière trop peu importante, Eloïse ne parvenait pas à voir son visage.

- Je te parle.

Elle tenta de bouger, mais ses mains ainsi que ses pieds étaient liés à la chaise sur laquelle on l'avait assise. Elle tourna la tête de gauche à droite pour analyser les lieux, même si une douleur puissante s'était installée dans son crâne. Dans la pénombre ambiante, l'endroit semblait totalement délabré : le sol était jonché de saletés, le papier peint à moitié arraché des murs, et les fenêtres recouvertes par des morceaux de cartons qui laissaient par endroit filtrer de faibles rais de lumière.

Où se trouvait-elle ?

Elle tira sur les cordes qui entravaient ses mains plus par réflexe qu'en pensant se libérer par ce biais.

Eloïse leva finalement les yeux lorsque l'homme en face d'elle s'avança de quelques pas. Sa silhouette, toujours en partie voilée par l'ombre, semblait avoir quelque chose dans les mains. Comme une sorte de bouteille en plastique de plusieurs litres.

Il ne lui fallut qu'une seconde pour comprendre qu'il s'agissait d'un bidon d'huile. Sortant enfin de sa léthargie, elle analysa l'environnement à la recherche d'une échappatoire.

- Quel est ton âge ? demanda l'homme.

Eloïse chercha ses yeux à travers ses épaisses lunettes, mais ne les aperçut pas au travers du reflet argenté de ses verres. Elle tira machinalement sur ses poignets et sentit sa peau s'éraffler.

- J'ai douze ans, indiqua-t-elle, espérant qu'il la laisserait partir en se rendant compte qu'il ne s'attaquait qu'à une enfant.

L'homme grimaça et se gratta la joue, visiblement embarrassé. Pourtant, il ne bougea pas d'un pouce, le bidon toujours fermement agrippé entre ses doigts.

- Tu es bien jeune, constata-t-il. Un peu trop pour mourir.

Eloïse tira un peu plus sur les cordes. Elle commençait à perdre toute sensation dans ses mains. Des fourmis parcouraient ses doigts.

- Pourquoi ? demanda-t-elle en espérant gagner du temps.

L'homme ouvrit son bidon d'huile et commença à en verser sur le vieux parquet, qui craqua sous ses pieds. Eloïse commença à réellement paniquer.

- Parce que tu es une magicienne, dit-il. Tu n'as pas ta place ici.

- Je suis humaine ! se défendit-elle.

- Désolé de te contredire, mais les humains n'ont pas de magie.

L'huile s'étala sur le sol tout autour d'elle, jusqu'à glisser en dessous de ses épaisses semelles. Eloïse n'arriva pas à détacher ses yeux du liquide, comme hypnotisée par la flaque ambrée qui s'étendait à terre. Sa respiration se fit plus laborieuse alors qu'elle cherchait désespérément un moyen de s'en sortir. Son cerveau était comme mis sur pause, incapable de lui fournir la moindre aide.

Une fois le bidon vide, l'inconnu le jeta sur le côté et sortit un paquet d'allumettes. Eloïse s'efforça de respirer normalement : ce n'était pas le moment de faire une crise de panique.

L'allumette s'enflamma, répandant une lueur orangée sur la flaque d'huile, qui, dans la pénombre, faisait penser à de la lave en fusion.

- Bonne journée, dit l'homme. Et mes excuses.

Il s'éloigna et jeta l'allumette à terre. Aussitôt, des flammes gigantesques s'élevèrent du sol, chassant pour de bon la pénombre des lieux.

Eloïse utilisa sa magie pour les repousser du mieux possible, mais l'abondance et la violence des flammes la submergea en un instant. La fumée âcre du bois brûlé lui irrita les yeux si bien qu'elle dut les plisser quitte à ne plus rien voir, et l'air devint irrespirable. Elle toussa à s'en décrocher les poumons.

Puis Eloïse sentit des mains s'affairer autour de son poignet gauche. Elle tourna la tête et se força à ouvrir les yeux : une silhouette noire encapuchonnée tentait de couper ses liens. Elle voulut dire quelque chose, mais ne parvint pas à articuler quoi que ce soit. A la place, elle se contenta de tousser.

Son poignet gauche se retrouva libre quelques instants après. L'inconnu – sans aucun doute un magicien, vu son accoutrement – porta une main gantée à sa bouche pour éviter de respirer la fumée.

- Tes pieds, dit-il d'une voix étouffée.

Eloïse hocha la tête, dans un état second. Elle se pencha en avant, délogea la petit lame cachée dans sa chaussure et, la main tremblante, commença à trancher la corde qui retenait son pied gauche à la chaise. Elle dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à couper quoi que ce soit tant elle tremblait et toussait.

- Dépêche-toi, lui dit le magicien qui venait de libérer sa deuxième main.

Aussitôt, Eloïse la porta à son visage pour couvrir sa bouche à l'aide de son pull. Le magicien se déplaça pour libérer son deuxième pied, tandis qu'elle ne parvenait toujours pas à défaire le premier.

- Qu'est-ce que vous faites ? intervint l'homme à lunettes en criant depuis l'autre bout de la pièce.

Eloïse s'activa pour décrocher sa jambe, mais fit tomber sa lame dans la précipitation. Elle toussa de plus belle à cause de la fumée de plus en plus épaisse. Lorsqu'elle tenta de la ramasser, elle se coupa à cause de ses tremblements. Des gouttes de sang perlèrent sur le sol

Un coup de feu retentit et Eloïse retint un cri. Le magicien à côté d'elle poussa un grognement de douleur et se leva en vitesse. Un grand crépitement traversa la pièce, et ce fut l'homme aux lunettes qui cria avant que tout bruit ne s'évanouisse derrière celui des flammes dévorant les lieux.

Eloïse sentit sa tête tourner. Elle se pencha en avant et manqua de tomber sans se rendre compte qu'elle était complètement libre. Le magicien la souleva sur son épaule sans aucun ménagement et s'élança hors de la maison en feu.

L'air frais fut une bénédiction. Eloïse sentit ses poumons arrêter de brûler et ses tremblements se calmer un peu. Elle garda les yeux fermés pour ne pas voir le spectacle des flammes qui devaient s'étendre devant elle.

Le magicien s'éloigna pendant ce qui lui sembla une éternité avant qu'il ne la fasse s'asseoir sur le banc d'une table de pique-nique. Ils étaient visiblement dans un parc.

- Tes mains, dit-il.

Eloïse mit un temps avant de comprendre ses paroles. Elle finit par tendre ses paumes au magicien, tâchant de dissimuler les derniers tremblements qui l'agitaient.

Ce fut à ce moment qu'elle se rendit compte de l'état déplorable de ses poignets. Totalement éraflés et entaillés par ses liens. A la vue du sang séché qui s'était écoulé de ses plaies, la douleur se réveilla, comme un picotement d'aiguilles lui traversant la chair.

- Tu es en état de choc.

Eloïse releva la tête vers le magicien. Elle en était venue à oublier sa présence. Dépourvu de sa capuche, elle put l'observer en détail, seulement, son visage ne lui disait absolument rien. Le magicien ignora ses regards et se contenta d'inspecter les plaies de ses mains gantées.

- Vous êtes qui ?

- Le Seigneur des Ombres, Victorien Aprehensen, ton pire cauchemar, peu importe. Tu l'auras oublié dans quelques minutes.

Eloïse fronça les sourcils. Elle oubliait très difficilement les choses, et cet épisode ne ferait pas exception, bien au contraire. Il reviendrait sûrement la hanter.

Le Seigneur des Ombres retira ses gants puis prit les poignets d'Eloïse entre ses doigts. De cette façon, ils paraissaient frêles et minuscules quand la magicienne était tout l'opposé d'une personne fragile. Encore quelques jours plus tôt, elle avait mis au tapis un adolescent qui s'était cru malin à venir la harceler.

Le picotement dans ses poignets s'intensifia, jusqu'à finalement disparaître complètement. Lorsque le magicien lâcha ses poignets, la moindre trace de blessure avait disparu et l'atmosphère était devenue presque étouffante suite à l'utilisation de magie rouge.

- Tout va bien ? demanda Victorien.

- Euh, oui, je crois.

Elle fixa ses poignets de nouveau lisses, puis son regard dérapa sur les mains du magicien accroupi face à elle. Des traînées de sang semblaient descendre d'un de ses bras pour goutter par terre. Eloïse se rappela alors le coup de feu tiré par l'homme aux lunettes.

- Il vous a tiré dessus ?

Victorien remit ses gants sans répondre.

- Je dois te ramener, annonça-t-il.

Eloïse voulut répliquer, mais à peine eut-elle entrouvert la bouche que Victorien l'endormit d'un sort.

Il prit grand soin d'effacer cet épisode de sa mémoire.

03/08/2012.

Eloïse courait à travers la forêt de la Cité, lançant des flèches dès qu'elle estimait une cible intéressante. Le cristal se formait dans ses mains sans interruption, lui fournissant des projectiles qui ne se tarissaient jamais. L'écorce des arbres volait à chaque impact comme un feu d'artifice miniature.

Alors qu'elle s'était beaucoup éloignée de l'entrée de la Cité, elle décida de faire une pause, à bout de souffle. Elle retransforma son arc en bague et s'adossa à un arbre, s'autorisant à refermer les yeux quelques minutes.

Le bruissement des feuilles sous les bourrasques du vent la bercèrent et sa respiration redevint régulière.

- Debout.

Elle sursauta et se releva d'un bond. Un homme encapuchonné se tenait en face d'elle, les bras croisés.

- Vous êtes qui ? demanda-t-elle.

- Aucune importance, répondit-il.

- Ah mais si, justement.

Il soupira.

- Victorien. Tu t'en contenteras ? Je suis fatigué de le te répéter à chaque fois.

Elle fronça les sourcils.

- Comment ça, à chaque fois ? Je...

- Ne cherche pas à comprendre et arrête de me faire perdre mon temps à poser des questions inutiles, la coupa-t-il.

Il sortit un objet de sa poche et lui tendit. Un petit cristal rouge, sans doute un rubis selon les quelques connaissances d'Eloïse.

- Prends-le, dit-il.

Eloïse chercha à s'éclipser furtivement, mais il lui attrapa le bras avant qu'elle n'en ait l'occasion.

- Lâchez-moi ! s'écria-t-elle, à moitié paniquée.

Certes, ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait aborder par un inconnu, mais la plupart du temps, il se contentait de lui poser quelques questions avant de déguerpir aussi sec.

En l'occurrence, cette fois-ci était une exception à la règle. Et elle ne savait pas trop comment gérer la situation.

Victorien fourra la pierre dans les mains d'Eloïse de force. Il s'était donné suffisamment de mal pour la soustraire au gouvernement de Pyros pour qu'elle refuse de la prendre ainsi.

- Mais ! s'indigna-t-elle.

Le mage noir l'obligea à garder les paumes fermées alors qu'elle ne souhaitait que s'enfuir. Puis il posa un doigt sur son front. Eloïse chercha à le frapper, mais ses mains furent d'un coup parcourues par de la magie noire, de quoi la stopper dans son élan. Elle sentit sa tête tourner.

- Tu as trouvé la pierre Tétra ici, dans la forêt, même si c'est totalement absurde, dit-il. Tu ne sais pas pourquoi ni comment elle est arrivée là, mais celui qui l'y a laissé est sans doute un idiot fini.

Eloïse avait pâli à vu d'œil. La magie noire ne lui réussissait vraiment pas.

- Pourquoi... ? demanda-t-elle.

- Tes questions m'agacent et je n'ai aucun envie d'y répondre. Tu as retenu ce que j'ai dit ?

Elle ferma les yeux.

- Réponds-moi, insista-t-il.

- Oui, souffla-t-elle.

Victorien lui envoya encore un peu de magie noire, de quoi la faire dormir quelques minutes. Eloïse tomba comme une masse. Il la tira pour l'adosser à un tronc d'arbre avant de disparaître.

Quelques minutes plus tard, Eloïse se réveilla, l'esprit totalement embrumé. Il lui fallut un instant pour se rappeler de l'endroit où elle se trouvait : elle devait s'être endormie par inadvertance.

Elle voulut se relever, mais remarqua la présence d'un cristal rouge juste à côté d'elle qui accapara toute son attention.

- Mais, c'est...

Elle laissa sa phrase en suspens et prit l'objet entre ses doigts pour l'analyser. Les reflets rouges de la pierre illuminèrent ses mains comme des flammes sombres naissant entre ses paumes.

Il fallait vraiment être un idiot fini pour abandonner une pierre Pierre Élémentaire en plein milieu d'une forêt.

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