Chapitre 20: Novembre (17)

Eloïse se réveilla en sursaut.

Son cerveau fonctionnait au ralenti et elle se sentait incroyablement engourdie, comme si ses muscles avaient été remplacés par du coton. Elle mit quelques minutes avant de se rendre compte qu'elle était allongée sur un matelas, et encore plusieurs supplémentaires pour ouvrir les yeux. Tout était sombre et flou, mais le rai de lumière qui filtrait en dessous des rideaux suffisait à lui faire reconnaître sa chambre.

Lentement et avec quelques difficultés, elle roula sur le côté pour se redresser à l'aide de ses bras tremblants. Si son esprit redevenait un peu plus clair, Eloïse avait toujours l'impression d'être un tas de guimauve vivant. Rassemblant toute sa volonté, elle se mit debout, esquissa un pas mal assurée, puis ses jambes la lâchèrent et elle s'écrasa sur le marbre du sol.

Quelques minutes passèrent où elle ne bougea plus d'un pouce, perdue dans un état de semi-conscience. Ce fut seulement quand son corps retrouva quelques sensations qu'elle se réveilla brutalement. Le sol était gelé.

- Bordel de putain de merde, souffla-t-elle en essayant de se lever.

La tentative fut plus concluante, bien qu'elle dut se tenir au mur pour rester sagement campée sur ses deux pieds. La pièce bougeait autour d'elle.

- Je me suis fait droguer ou quoi ? articula-t-elle difficilement.

Eloïse ferma les yeux. La drogue n'avait rien à voir là-dedans, elle le savait. Caleb, par contre, avait une gigantesque part de responsabilité. Elle avait voulu le pousser du toit de son château et il l'avait endormie pour l'en empêcher. Chose certaine, il n'y était pas allé de main morte, puisque les effets de son sortilège peinaient à disparaître. Elle se frappa gentiment la tête contre le mur pour forcer son cerveau à coopérer.

Eloïse aperçut son téléphone soigneusement posé sur sa table de nuit et s'en saisit. A défaut de pouvoir envoyer des messages, faute de réseau, il pouvait toujours lui donner l'heure.

Trois heures cinq.

Elle qui avait voulu se coucher tôt pour se lever au beau milieu de la nuit, Caleb lui avait rendu service sans le faire exprès.

Quand les effets du sortilège semblèrent enfin se dissiper, Eloïse fouilla l'armoire à la recherche des vêtements qu'elle portait à son arrivée sur Ifraya. Levanna les avait normalement lavés la veille. Après les avoir enfilés, elle mit ses chaussures, soigneusement posées au pied du lit. La robe noire à la jupe découpée finit dissimulée dans un coin pour ne pas que la dame de compagnie la trouve. Du moins dans la mesure du possible.

Eloïse s'élança discrètement dans le couloir. Depuis quelques temps, elle s'étonnait du peu de bruit qu'elle produisait. Elle avait l'impression de flotter au dessus du sol, ou au moins de marcher dessus à la façon d'une plume.

Son objectif suivant était de ne pas croiser Haven, qui devait sans doute la surveiller quelque part, tapis dans l'ombre. En général, il ne se montrait pas, sauf quand elle sortait en direction des jardins. Il s'agissait d'une menace induite au cas où elle chercherait à s'enfuir. Mais Eloïse avait décidé de respecter son marché, aussi ses menaces ne servaient à rien.

Pour ne pas attiser sa curiosité cette fois, elle choisit de rester dans les couloirs du château. Même si Haven se trouvait à côté, elle aurait l'illusion d'être seule.

Enfin, chez Caleb, la solitude était relative. Peu importait l'heure, les couloirs n'étaient jamais vide. Eloïse esquiva un couple de nobles à une intersection et quelques domestiques avant d'atteindre les escaliers. Souvent, les étages supérieurs étaient les plus déserts.

Eloïse marcha silencieusement. Plus un bruit ne venait troubler la quiétude de la nuit. Elle finit par s'asseoir le dos contre un mur en soupirant et sortit son téléphone de sa poche. Elle avait quelques jeux installés dessus, de quoi l'occuper le temps de trouver autre chose à faire. Tant qu'elle ne restait pas enfermée dans sa chambre, elle ne demandait rien de plus que cette illusion de liberté.

Après une bonne dizaine de minutes où il n'y eut pas un bruit, une présence dans le couloir l'obligea à relever la tête. Eloïse soupira. Sûrement s'agissait-il encore d'un domestique se posant des questions sur sa tenue. Cela commençait à l'agacer.

Mais lorsqu'elle tourna la tête pour voir qui se trouvait dans le couloir, elle se figea.

Victorien.

Eloïse rangea son téléphone et se releva lentement, une main sur le mur. Il y eut une seconde de flottement où elle cligna furieusement des yeux pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un effet secondaire du sortilège de Caleb. Mais elle dut se rendre à l'évidence rapidement : Victorien était toujours là, debout à quelques mètres d'elle.

Le mage noir s'assura que personne n'était dans les parages, puis s'approcha. Eloïse fit à son tour quelques pas dans sa direction, et dès lors qu'elle se trouva assez proche, le prit dans ses bras.

- J'ai cru que tu viendrais jamais. Putain que je t'aime.

Victorien lui tapota l'épaule.

- Ce n'est pas le moment ni le lieu approprié pour les effusions sentimentales, vois-tu.

- Ton côté chiant m'avait aussi manqué.

- Pourrais-tu me lâcher pour que l'on puisse quitter cet endroit ?

- Ah, euh, oui, pardon.

Elle s'éloigna et se gratta la joue de façon embarrassée. Victorien, lui, ne perdit pas une seconde et quitta le couloir pour retourner vers les escaliers. Eloïse partit à sa suite, courant pour rattraper ses pas pressés.

En une seconde, la situation avait pris un tournant nouveau, si bien qu'elle avait encore du mal à y croire.

Elle allait retourner sur Eole.

- Les étages inférieurs sont pleins de monde, dit Eloïse en mettant le pied sur la première marche.

- Je sais.

- Je connais des recoins plus discrets, ajouta-t-elle.

Elle attendit de voir la réaction de Victorien. Il se contenta de hocher la tête. Elle prenait donc la tête.

A peine une voix parvint jusqu'à eux que Victorien se transforma en ombre et poursuivit la route collé au mur. Eloïse, seule, sourit en direction des deux domestiques qui parlaient entre eux. S'ils la regardèrent avec des yeux ronds, ils se désintéressèrent rapidement d'elle. C'était pour eux habituel de la croiser dans les couloirs, même s'ils n'en étaient pas moins outrés par sa tenue.

Eloïse traversa habilement les couloirs cartographiés dans son esprit, et en quelques minutes, parvint jusque dans la bibliothèque qu'Haven lui avait fait emprunter à peine deux jours plus tôt. Pour tomber nez à nez avec Levanna.

- Qu'est-ce que... ? s'étonna la dame de compagnie.

Eloïse se maudit. Peu importe ce qu'elle faisait, Levanna était toujours sur son chemin.

- Nous sommes en plein milieu de la nuit, pourquoi êtes-vous ici ? poursuivit-elle. Enfin, je vais vous ramener à votre chambre.

- Non, dit Eloïse.

Levanna fronça les sourcils. Sur le mur derrière elle, l'ombre de Victorien se décolla, prête à la neutraliser.

- Je vais vous ramener, insista-t-elle.

Elle saisit Eloïse par l'avant bras avec une poigne étonnante, mais avant qu'elle n'ait pu faire un pas, celle-ci l'attrapa par l'épaule et l'embrassa. Levanna se figea de surprise, avant de tomber par terre, inconsciente.

Victorien soupira, de nouveau sous sa forme magicienne.

- Tes diversions sont toujours aussi particulières, dit-il.

- Elle aurait pu crier, j'ai paniqué, se justifia-t-elle.

Victorien cacha la corps de Levanna dans une allée sombre de la bibliothèque. Normalement, elle devrait se réveiller quelques heures plus tard.

- Maintenant il y a un autre problème, dit Eloïse. Haven Redland me surveille et je doute qu'il me laisse partir aussi facilement.

Victorien haussa les sourcils.

- Redland n'est pas un problème. C'est un désagrément.

- D'accord très bien, j'ai rien dit.

Ils rejoignirent la porte menant vers les jardins, baignés par l'obscurité de la nuit. Au loin, les armures des gardes brillaient faiblement sous les lueurs de la lune et des étoiles.

- Reste derrière moi, cours, et ne t'arrête surtout pas, souffla Victorien.

- Que...

Elle eut à peine le temps de répliquer qu'il s'était élancé à travers les jardins, aussi silencieusement qu'une ombre. Eloïse partit à sa suite, tâchant de le rattraper alors qu'il était déjà assez loin. Si au début les gardes ne semblèrent pas les voir, la chevelure blanche de la magicienne finit par se démarquer dans la noirceur de la nuit. Le bruit des armures s'approcha d'eux.

- Victorien ! l'appela-t-elle. Ils se...

- Tais-toi et cours, la coupa-t-il.

Elle vit l'éclat d'une armure s'approcher à sa droite, mais avant que le garde ait pu s'approcher, le métal de sa protection se comprima sur lui jusqu'à le broyer dans un craquement sinistre.

Miranda.

Elle adressa un signe de main à Eloïse avant de se trouver une autre cible. De l'autre côté, Rory balançait des sphères rouges sur quiconque s'approchait trop près d'eux.

Grâce à leur intervention, Victorien et Eloïse quittèrent les jardins sans ralentir de rythme.

Le mage noir l'entraîna sur un large chemin terreux. Elle l'avait emprunté la fois où elle s'était rendue dans la ville, ainsi elle pensait savoir où il la conduisait.

Ils dévalèrent la route pendant ce qui sembla une éternité à Eloïse. Si Victorien était toujours en pleine forme, elle, en revanche, fatiguait. Son manque d'entraînement commençait à se faire un peu trop ressentir.

Au lieu d'entrer à l'intérieur de la ville, comme Eloïse s'imaginait, Victorien coupa à travers champs jusqu'à une sorte de petite forêt aux arbres morts. Le sol était jonché de feuilles brunes pour la plupart tombées en poussière.

Victorien ralentit le rythme pour arriver au niveau d'Eloïse et la poussa légèrement pour qu'elle accélère.

- Ça va, dit-elle. Ils sont loin.

- Mieux vaut ne pas prendre de risques.

- Ouais, si tu le dis.

Il la poussa un peu plus et elle marmonna de mécontentement.

Enfin, à une clairière, Eloïse aperçut trois chevaux attachés à des branches mortes.

- Celui du milieu, lui dit Victorien.

Elle fit un dernier effort pour accélérer jusque là, avant de finalement se stopper, le souffle court. Tant bien que mal, elle essaya d'escalader l'animal, pendant que Victorien le détachait.

- C'est plus facile de monter sur des poneys, se plaint-elle.

Victorien retourna à son niveau et la poussa par les pieds pour qu'elle aille plus vite, puis monta derrière.

- Ah, parce qu'en plus on doit partager un cheval ? demanda-t-elle.

La magicienne dut se rattraper à la crinière de l'animal alors que le mage noir le faisait partir au galop. Le craquement des feuilles mortes et des branches devint comme un vacarme assourdissant.

- Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, il y a trois chevaux et nous sommes quatre, dit-il. Je ne pense pas que Miranda et Rory souhaitaient en partager un.

- Et tu crois que je le voulais, moi ?

- Depuis le temps, tu aurais dû savoir que je ne me soucie pas de ton avis.

- Ah, c'est vrai.

Elle resta silencieuse un instant. Avant de succomber à la tentation de se moquer.

- Avoue que tu ne veux juste pas que ta copine soit avec Rory.

- Eloïse, rappelle-moi qui ici a la possibilité de te ramener à Caleb ou au mieux de te faire tomber du cheval ? grogna-t-il.

- Oublie ce que j'ai dit.

- Bien.

Elle resta silencieuse, avant de finalement en rajouter une couche.

- Quand même, je trouve ça ridicule.

- Je n'ai pas envie que tu te volatilises alors que j'ai le dos tourné, comme tu as l'habitude de faire. Je prends des précautions.

- Comment ça, "comme j'ai l'habitude de faire" ?

- Dois-je t'énumérer toutes les fois où tu as disparu à la seconde où je regardais ailleurs ?

Un bon nombre de situations lui revinrent en mémoire aussi précisément que si elle regardait un film.

- Non, ça va aller.

Le cheval sauta au dessus d'un tronc d'arbre qui barrait le chemin et Eloïse s'agrippa à sa crinière quitte à lui en arracher une poignée. Il fila à travers la forêt, puis rejoignit une plaine verdoyante qui semblait n'en plus finir, pour finalement ralentir l'allure et marcher au pas.

- On est assez loin ? demanda Eloïse en relâchant un petit peu la pression de ses doigts sur le crin de l'animal.

- Ça devrait aller.

Pendant un instant, il régna un silence uniquement troublé par le bruit des sabots foulant la terre.

- Tu n'as rien ? s'enquit Victorien.

Eloïse fronça la sourcils.

- Que quoi ?

- Caleb.

- Ah, non ça va, il n'a rien tenté.

- Bien.

Il n'ajouta rien. Eloïse non plus. Même si elle hésitait à lui parler de quelque chose. Elle ne savait pas du tout quelle réaction il adopterait.

- Euh, Victorien ?

- Quoi ?

- Je... Pourquoi tu ne m'as pas dit que ta fille était mariée à Caleb ?

Il y eut un silence glacial. Aucun doute, elle venait de toucher un point sensible.

- Parce que ce n'est pas important.

- Je trouve que si, justement. Ça explique pas mal de choses.

- Dans ce cas, parce que j'estime que ça ne te regarde pas, dit-il d'un ton sec.

D'un coup, la situation devint pesante. Ce qui n'empêcha pas Eloïse de poursuivre sur sa lancée.

- Je l'ai vue.

Aucune réponse.

- Mahendra, précisa-t-elle. Je lui ai parlé, et tu lui manques.

Toujours rien.

- C'est avec Caleb que tu as un différend, pas avec elle, alors pourquoi tu ne lui parles plus ?

- Et toi, pourquoi tu te mêles de ce qui ne te regarde pas ? répondit Victorien d'un ton tranchant.

Eloïse se pinça les lèvres.

- Parce que justement ça me regarde. Mahendra est techniquement ma sœur et toi...

- Non elle ne l'est pas, la coupa-t-il. Puisque ça t'intéresse tellement, j'ai essayé de communiquer avec elle, mais je n'ai jamais obtenu de réponse de sa part. C'est son problème. Maintenant tais-toi.

Eloïse fixa ses mains enfoncées dans la crinière du cheval. Victorien l'avait délibérément coupée avant qu'elle ne parle de lui. Avant qu'elle lui dise qu'elle le considérait comme sa famille. Et même si elle ne voulait pas l'admettre, ce constat la blessait.

- Toujours aussi agréable, à ce que je vois, grinça-t-elle.

- J'ai changé de continent pour venir te chercher parce que tu n'es pas fichue de te défendre. Je n'ai pas particulièrement envie d'être agréable.

Sous le coup de la colère, elle essaya de descendre du cheval, mais Victorien l'en empêcha.

- Arrête tes conneries.

- Je pensais que pour une fois, vu les circonstances, tu aurais pu être sympa. Il faut vraiment que j'arrête de croire aux miracles.

Il allait répliquer, mais l'arrivée de Rory et Miranda l'en empêcha. Les deux magiciens firent ralentir leurs chevaux en arrivant à proximité, jusqu'à ce qu'ils continuent à avancer au pas.

- Les gardes étaient coriaces, dit Miranda. On voit bien la différence avec ceux de la Cité.

Elle et Rory avaient l'air très fatigués. Aucun doute, ils avaient dû se donner pour revenir en un seul morceau.

- Eloïse, tu tires une tête bizarre, fit remarquer Miranda. Ça va ?

- Super, oui.

La mage noire haussa les sourcils, peu convaincue, mais n'insista pas.

- J'ai entrevu Caleb, dit-elle. On s'est sauvés avant qu'il n'ait le temps de prendre part à la bataille.

- Le cas contraire, vous ne seriez pas ici, indiqua Victorien.

Miranda lui jeta un regard appuyé, avant de soupirer.

- Arrêtez un peu de faire la gueule, râla-t-elle. Ça fait même pas une demi-heure que vous vous êtes retrouvés et on dirait que c'est déjà trop.

- Miranda, demanda Eloïse, ça te dérange si je m'incruste sur ton cheval ?

- Oui.

Eloïse lui envoya un regard noir, auquel Miranda répondit par un nouveau soupir.

- Vous êtes agaçants.

A ces mots, elle fit avancer son cheval plus vite pour dépasser le groupe et s'installer quelques mètres devant.

Eloïse passa ses mains dans la crinière du cheval pour penser à autre chose. Cela aurait été déplacé de demander à Rory de l'accueillir avec elle alors même qu'ils s'étaient disputés avant qu'elle ne se fasse kidnapper. Elle gardait donc le silence.

Un silence incroyablement pesant, puisque personne n'ouvrait seulement la bouche. L'intégralité du retour sur Eole risquait de se dérouler dans ce même climat froid. Miranda était l'unique personne à s'entendre avec tout le monde, ce qui la plaçait malheureusement au milieu des conflits.

Au bout de quelques minutes à avancer sous la brise nocturne, Eloïse commença à somnoler, son esprit voguant déjà vers les côtes d'Eole. Sa tête se balançait au rythme de la marche du cheval alors qu'elle tombait de sommeil.

Son propre éternuement la réveilla. Elle soupira et un petit nuage de buée sortit de sa bouche.

- Il fait froid, non ? marmonna-t-elle.

- Tu es à peine couverte, fit remarquer Victorien.

Contrairement aux autres magiciens, enroulés dans leurs capes – veste de Madrigan pour Rory –, elle ne portait qu'un jean noir et un pull en laine totalement délavé.

- Ah, c'est vrai.

Elle décida d'ignorer le froid et se rendormit quelques minutes. Lorsqu'elle reprit conscience, une couverture était posée sur ses épaules. Ou plutôt, une cape noire. Elle se tourna vers Victorien, qui regardait devant lui d'un air indifférent.

- Tu n'as pas froid ? demanda-t-elle.

- Non.

Elle s'enroula un peu plus dans le tissu et sourit légèrement. Même si elle lui en voulait toujours.

- Merci.

Aux abords d'un petit village, Miranda se stoppa, aux aguets. Les autres magiciens, en file derrière elle, l'imitèrent.

- Qu'est-ce qui se passe ? lui demanda Rory en la rejoignant.

- Des torches s'approchent, là-bas. Et je ressens beaucoup de métal.

Elle plissa les yeux, les mains bien agrippées à ses rennes. Une seconde, deux, puis trois s'écoulèrent.

- Barrez-vous ! cria-t-elle d'un coup.

Au même moment, des gardes armés débarquèrent de tous les côtés. Miranda leva une main, et la première ligne fut violemment propulsée en arrière. Certains finirent embrochés par les lances de leur camarades derrière eux.

Les chevaux de Victorien et Rory firent demi-tour avant de partir en galop là où Miranda créait des brèches. Seulement, des gardes finirent par tirer sur les chevaux qui hurlèrent avant de s'effondrer. Les trois magiciens roulèrent sur le côté pour éviter de se faire écraser.

Victorien fit sortir des ombres de terre pour créer une barrière entre eux et les gardes, tandis que Rory et Eloïse se relevaient.

- C'est qui, eux ? demanda Rory, des flammes rouges naissant entre ses mains.

- Des partisans de Caleb, je suppose, répliqua Eloïse.

Les gardes tendaient des lances dans leur direction, prêts à les transpercer à la moindre occasion. La plupart des ombres les repoussèrent, mais ils étaient bien trop nombreux pour que Victorien parvienne à créer un passage entre eux. Il se retrouva rapidement surmené.

Eloïse faisait de son mieux pour créer une barrière de cristal et les empêcher de venir jusqu'à eux, mais la tâche était compliquée tant ils s'approchaient. Rory l'aidait du mieux qu'il pouvait, mais cela ne faisait pas grande différence. A trois contre une centaine, ils ne pouvaient rien faire.

En plus, ils n'avaient aucune idée d'où se trouvait Miranda.

Un homme fendit la foule de gardes pour se poster devant le groupe. Grand, peau d'ébène, portant une veste de Madrigan d'un ton ocre qui paraissait bleu sous le ciel nocturne : un noble.

- Bonsoir, dit-il dans un très mauvais accent Lysirien.

Les magiciens s'étaient immobilisés, toute leur attention portée sur lui.

- Je vous prie de bien vouloir excuser le dérangement, mais l'un d'entre vous est convoité par M. Anaxagoras pour une très belle somme d'argent que je ne compte pas laisser passer.

Eloïse se força à ne pas bouger.

- Seulement, reprit-il, je ne sais pas de laquelle de ces deux charmantes jeunes filles il s'agit.

Trois gardes arrivèrent en tirant Miranda. Elle semblait épuisée d'avoir tant repoussé les gardes.

- M. Anaxagoras a lancé un avis de recherche sur une fille de petite taille aux cheveux blancs, peau claire et yeux bleus, poursuivit le Madrigan. Ici, ça ne court pas les rues.

Il regarda alternativement Eloïse puis Miranda d'un air curieux.

- Pourtant, vous êtes deux ici à remplir ces critères. Laquelle est recherchée ?

Les deux magiciennes se fixèrent sans répondre. Même si elles remplissaient toutes les deux les critères de Caleb, Miranda était plus grande qu'Eloïse et ses yeux presque trop sombres pour paraître bleus. Le Madrigan aurait vite fait de trouver qui était qui.

- Vous ne répondez pas ? dit-il d'un air faussement attristé.

Miranda fit comprendre à Eloïse de continuer à se taire d'un seul regard. De leur côté, Victorien et Rory n'étaient pas plus bavards.

- Bien, déclara le noble. Puisque vous ne voulez pas coopérer, vous allez tous les quatre me suivre. Nous verrons bien qui se joue de moi.

Il fit un signe aux gardes pour qu'ils s'avancent et se saisissent d'eux. Les magiciens, déjà encerclés, n'eurent plus la moindre chance de s'en sortir. Eloïse serra nerveusement les pans de la cape sur ses épaules.

Jusque là, tout avait été trop facile.

- La décision est prise, déclara Anthéon. Il n'y a pas à revenir dessus.

Cassandre resta immobile, les poings serrés. Elle se sentait trahie. A côté, son amie Roxanne avait totalement changé de teinte, passant d'un rose marquant sa bonne santé à un blanc livide.

- Pourquoi vous vous obstinez ? demanda Cassandre.

- Parce que cela fonctionne.

- Non. Vous ne voyez pas l'état de Raven ? On dirait un cadavre.

Anthéon croisa les bras.

- Raven est vivante. Ses pouvoirs vont bien. Elle les maîtrise de mieux en mieux. Quel est le problème ?

Cassandre faillit laisser échapper un rire nerveux. Mais son visage refusa de coopérer. A côté d'elle, Roxanne se retint à son bras, totalement silencieuse. Au bord du malaise.

- Vous ne pouvez pas faire ça, insista Cassandre.

Elle posa son regard dans celui d'Anthéon, puis dans celui d'Isidorh, en retrait derrière lui. Elle eut envie de hurler. Ils étaient tous deux supérieurs au même titre, pourtant, Isidorh se contentait de suivre Anthéon, alors même qu'il aurait pu arranger les choses. Lui non plus ne voulait pas en arriver là, elle en était persuadée.

Alors pourquoi continuait-il à se taire ?

- Si j'ordonne le projet c'est bien parce que j'en ai la possibilité, s'agaça Anthéon. Roxanne.

La magicienne leva des yeux vides vers lui. D'habitude, elle s'opposait à son avis, quitte à lui hurler dessus. Pas cette fois. Anthéon lui fit signe de s'avancer, mais elle ne bougea pas, agrippée au bras de Cassandre.

- Roxanne, répéta-t-il.

Toujours aucun mouvement de sa part. Alors Isidorh s'avança pour lui saisir doucement les mains. Roxanne lâcha son amie pour se retenir à son bras.

- Ça va aller, lui chuchota Isidorh. Je ferai attention à toi.

Roxanne hocha la tête, toujours aussi blanche. Isidorh la guida doucement hors du couloir sous le regard satisfait d'Anthéon.

Cassandre regarda son amie disparaître. Peut-être était-ce la dernière fois qu'elle la voyait de sa courte vie.

Roxanne, le nouveau projet Gamma.

Cassandre s'assit au beau milieu du couloir, ses longs cheveux bruns traînant par terre. Elle avait vu tellement de ses camarades mourir. Elina, morte embrochée. Dimitri, tué par la pierre Alpha. Ronan, assassiné lors de l'attaque au AMI. Elle et Roxanne étaient les deux seules survivantes de leur groupe.

Elles avaient grandi ensemble. S'étaient battues ensemble.

Elles mouraient ensemble.

Lorsque Synabella s'ennuyait, elle avait la fâcheuse habitude d'examiner tout ce qui se trouvait à sa portée. Étant actuellement dans la bibliothèque du Chao Ming, c'étaient les livres d'histoire qui s'enchaînaient entre ses mains à une vitesse incroyable. Il fallait dire qu'en plus de lire très rapidement, elle sautait presque la moitié des pages en grommelant qu'elle était déjà au courant de leur contenu. Et cela la frustrait énormément, elle qui adorait en apprendre beaucoup sur tout et rien.

Cara l'observait s'activer dans son coin pendant qu'elle jouait à des jeux sur sa tablette. Jeux qu'elle avait elle-même programmés pour combler son ennui. Rester au Chao Ming lui évitait des problèmes, c'était certain, mais le temps commençait à devenir long. Sûrement plus pour Synabella que pour elle : la magicienne semblait sur le point d'imploser.

Depuis son arrivée au Chao Ming, Synabella était de plus en plus tendue. Quand elle ne courrait pas entre les étagères de la bibliothèque ou ne tournait pas les pages des ouvrages à la façon d'un ouragan, elle parlait toute seule. Cara se doutait que Clémence était à l'origine de son comportement actuel. Synabella lui avait un jour expliqué que l'esprit de l'ancienne élue étant "récessif", il dormait la majeure partie du temps. Mais cette visite prolongée au Chao Ming avait dû tirer Clémence de ce sommeil et créait un conflit entre les deux esprits.

- Un truc intéressant, pour une fois, grommela Synabella.

Cara leva la tête pour la voir repousser tous les ouvrages autour d'elle au bout de la table. Un seul resta ouvert face à elle.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Cara.

- Un ouvrage qui relate du système politique en place jusqu'à la grande guerre.

- C'est quelque chose de connu. Tu ne le savais pas ?

- Bien sûr que si ! Ça m'avait juste échappé parce que jusqu'à maintenant cette information n'avait aucun intérêt.

- Elle en a maintenant ?

- Oh que oui. Ça va même être très, très utile.

- Explique un peu, sinon je ne risque pas de comprendre ce que tu veux dire.

Synabella avait la fâcheuse tendance de considérer la moindre de ses paroles comme une évidence. Ce qui n'était souvent pas le cas.

- Les élus au pouvoir, dit-elle, c'est ça qu'il nous faut.

- Que quoi ? articula Cara.

Synabella saisit sa tablette, en équilibre au bord de la table, puis prit une photo de la page du livre qui l'intéressait.

- Qu'est-ce que tu fiches ? insista Cara.

- Une minute, s'il te plait.

Synabella ouvrit un dossier et commença à écrire le fond de sa pensée à une vitesse presque surréelle. Deux paragraphes plus tard, elle reposa sa tablette et se massa les tempes.

- Bordel de mal de tête. Si l'autre pouvait se taire, ça m'aiderait.

Elle ramassa d'un coup les ouvrages en bord de table qui lui étaient immobiles et les rangea à leur place exacte dans les allées en à peine une minute. Les rayonnages de la bibliothèque étaient cartographiés dans son cerveau avec une précision presque terrifiante. Elle retourna ensuite s'asseoir face à sa tablette.

- Synabella, qu'est-ce que tu...

- La loi concernant les élus accédant au trône n'a jamais été abolie après le massacre de ceux au pouvoir au début de la grande guerre. A savoir donc que selon la loi d'Eole toujours en vigueur les élus natifs sont les véritables héritiers de la couronne au détriment des familles royales aujourd'hui au pouvoir.

Cara cligna des yeux. Quand Synabella commençait ses monologues, elle reprenait à peine son souffle.

- Et donc ? demanda Cara.

- De quoi, "et donc" ? Réfléchis un peu, bon sang. On veut prévoir un coup d'état à la Cité et je te dis que les élus sont plus à même de réclamer la couronne que le dirigeant en place !

- Donc tu es en train de me dire que tu veux prendre le pouvoir au premier ministre sous prétexte que tu es une élue et que tu peux ?

Synabella fronça les sourcils comme si Cara venait de dire une idiotie.

- Bien sûr que non. J'ai dit les élus natifs et je suis née à Mestrine. Par contre, Jefferson est un élu originaire de la Cité qui est parfaitement capable de diriger.

- Mais si les élus n'ont pas repris le pouvoir depuis 2000 ans, peut-être que c'est parce qu'ils sont arrêtés avant.

- Ou peut-être que c'est simplement parce qu'on est persécutés, catalogués, et presque forcés à se cacher pour vivre comme n'importe qui. Et qu'il est vraiment temps, après 2014 ans, qu'on se sorte les doigts du cul et qu'on reprenne ce qui nous revient de droit.

Cara fronça les sourcils.

- Tu es pour la monarchie absolue des élus ?

- Non, mais je suis pour le changement et, actuellement, celui au pouvoir n'est ni un élu ni un membre de l'ancienne famille royale. Et comme il n'y a plus de famille royale, le trône revient aux élus. Si les gouvernements ne voulaient pas qu'on en arrive là, ils n'avaient qu'à abolir la loi plutôt que de nous narguer avec. Puis comme je l'ai dit, il est temps que les élus cessent de se faire persécuter. Ça dure depuis trop longtemps.

- Tu comptes en parler à Jefferson à notre retour ?

- Oh que oui, et cette fois, hors de question de suivre les ordres du Seigneur Chen. Guerre à la Cité ou non, j'en ai rien à foutre, on rentre. J'en ai plus qu'assez de devoir supporter Clémence en permanence : il est temps qu'elle se rendorme.

Une nouvelle fois, Synabella se massa les tempes en grommelant. Cara s'en rendait de plus en plus compte, mais l'éveil de Clémence fatiguait considérablement son amie. A force, elle finirait par tomber de fatigue.

Philéas était allé voir le Conseil des Cinq après que le premier ministre le lui a demandé. Il les guidait présentement vers son bureau, où le ministre les attendait pour s'entretenir en leur compagnie. Philéas n'aimait pas particulièrement servir de messager quand le dirigeant pouvait très bien se déplacer lui-même, mais ne se voyait pas contester ses ordres pour si peu.

- Tu sais ce qu'il nous veut ? demanda Etan.

- Des nouvelles de la future reine Célèste, sans doute.

- Sauf que nous n'en avons pas eu depuis la dernière fois.

Philéas haussa les épaules.

- Il ne m'a pas dit grand chose. Vous verrez bien.

Ils parvinrent devant le bureau du ministre et Philéas ouvrit la porte sans même toquer. Le premier ministre ne s'en formalisa pas le moins du monde.

- Merci, Philéas, dit-il.

- Vous souhaitez que je m'en aille ?

- Fais ce qui te plaît.

Il hocha la tête et alla s'installer dans un recoin d'ombre. Là où il essayait sûrement de se faire oublier.

- Que voulez-vous ? demanda Evangeline, toujours aussi acerbe à l'égard du ministre.

- Des nouvelles, indiqua-t-il. De vos camarades sur Ifraya.

- Nous n'en avons pas.

- Voilà qui est fâcheux. Elles auraient été bienvenues.

Il abordait un fin sourire moqueur, comme à son habitude. Mais cette fois, il semblait presque teinté d'appréhension.

- Que se passe-t-il ? demanda Andromède.

- Le temps passe, dit le ministre. Il s'écoule vite et les solutions ne se pointent toujours pas. Le Futuro et Pyros continuent à m'envoyer des lettres de menaces, mais ils se lassent. Ils vont agir sous peu. J'ai besoin de conclure un accord avec Jaon Chen rapidement sous peine de voir la Cité sombrer de la même façon qu'Astras. D'où la nécessité de pouvoir m'entretenir avec votre amie Célèste.

Son sourire disparut pour de bon, pour ne laisser qu'un visage lisse, étrangement dénué d'expression.

- Je ne vais vous blâmer pour cela, indiqua-t-il. Ce n'est en aucun cas votre faute, et la présence de Célèste sur Ifraya est une bonne chose si elle permet de soustraire Eloïse à Caleb. Mais le temps devient long, et je n'ai pas beaucoup d'autres recours.

- Vous ne pouvez vraiment rien faire d'autre ? demanda Etan. Au moins pour retarder l'attaque.

- Au mieux, je peux leur faire croire que je compte rejoindre leur alliance, les faire languir, puis revenir sur ma décision. Nous pouvons gagner une semaine, peut-être deux. Mais les représailles iront en conséquence. Je préférerais simplement éviter d'en arriver à cette extrémité.

- Donc il vous faut Célèste, conclut Tomas.

Il se tourna vers Etan.

- Tu crois qu'on pourrait réussir à lui envoyer un message ? Elle avait montré à Synabella comment accéder au réseau crypté d'Ifraya, non ?

- Sauf que Synabella n'est pas là non plus, et je doute qu'elle revienne bientôt puisque le Seigneur Chen l'incite à ne pas rejoindre la Cité, déplora Etan.

Le premier ministre se redressa légèrement, témoignage de son intérêt.

- La réincarnation de Clémence Chen est au Chao Ming ? Il fallait l'indiquer, cela change les choses.

- Si c'est ce que vous souhaitez savoir, Synabella a déjà essayé de le convaincre de se joindre à la guerre, dit Evangeline. Elle n'a pas réussi.

Le ministre croisa les bras.

- Bon sang, le continent est en train de couler et malgré tout Jaon reste campé sur ses positions. Mais bien évidemment, quand la guerre sera aux portes de sa cité, il n'hésitera pas à agir comme un héros.

- Nous pouvons lui demander de réessayer, dit Etan. Mais je ne pense pas que nous puissions faire beaucoup plus que ça.

Andromède lui attrapa le bras, une idée en tête. Il la regarda sans comprendre.

- Si j'ai bien compris, vous avez simplement besoin de gens pour le convaincre de nous venir en aide, dit-elle.

- C'est ça, confirma le ministre.

- Donc peu importe que ce soit Célèste, Synabella, ou même le prince Aaron ?

Andromède avait délibérément insisté sur le nom du nouveau dirigeant d'Astras, et la lumière se fit dans l'esprit d'Etan.

Ils savaient où se trouvait le prince Aaron. Orage allait l'amener jusqu'à eux.

- C'est ce que je m'efforce de vous faire comprendre, oui rétorqua le ministre.

Le Conseil des Cinq se jeta des regards à la dérobée. Devaient-ils en parler au ministre ?

Etan soupira. Au point où ils en étaient, autant jouer la carte de la franchise. Il y avait beaucoup trop en jeu pour cacher une information avec autant de valeur.

- Nous avons peut-être une solution à votre problème, déclara-t-il, mais nous avons besoin de la plus grande discrétion de votre part.

Le premier ministre l'incita à poursuivre.

- Nous savons où est le prince Aaron. Il va être sous la protection des Magiciens Seconds.

Le sourire moqueur du premier ministre fit son grand retour pour étirer légèrement son visage.

- Il fallait commencer par là, déclara-t-il. Nous avons possibilité de trouver un terrain d'entente, n'est-ce pas ?

Julia rentra au Centre en se rongeant les ongles jusqu'au sang. Synetelle, avachie sur un fauteuil, une tablette sur les genoux, la regarda d'un air sceptique.

- Toujours en train de te stresser pour rien ? demanda-t-elle.

Julia fonça sur elle et lui attrapa le bras.

- Synetelle ! Vous êtes rentrées de mission ?

- Il y a quelques heures, oui, pourquoi ça ?

- J'ai absolument besoin de vous parler.

A ces mots, elle recommença à se ronger les ongles. A ce rythme, il ne resterait bientôt plus que de la peau en lambeaux au bout de ses doigts.

Synetelle ne se posa pas plus de questions et hurla aux filles de "ramener leurs fesses en bas" suffisamment fort pour être entendue jusqu'au deuxième étage. Presque aussitôt, des bruits de pas dévalant les escaliers retentirent jusqu'à arriver au rez-de-chaussée. Alicia et Framboise débarquèrent dans le petit salon.

- Où est Kylliadelle ? demanda Synetelle.

Framboise se gratta la joue.

- Eh bien... c'est qu'elle est plutôt de mauvaise humeur aujourd'hui. Enfin, tu sais pourquoi.

- Et donc ?

- Donc elle nous a demandé de te dire d'aller te faire mettre.

Synetelle haussa les sourcils.

- Donc Madame se prend un œil en plein visage et elle boude dans son coin ? Très bien, on voit tout de suite la maturité.

Framboise lui renvoya un regard gêné.

- Synetelle, c'est toi qui lui as balancé à la figure. Et c'est un peu dégueulasse.

- Surtout quand le nerf optique plein de sang est toujours accroché, ajouta Alicia.

Synetelle les foudroya du regard, avant de reporter son attention sur Julia.

- Qu'est-ce que tu voulais nous dire ?

- Est-ce que l'une de vous a jeté un sort de magie rouge sur mes filles à la maternité ?

Les trois magiciennes ne firent aucun effort pour contenir leur surprise.

- Pas dans mon souvenir, non, dit Synetelle.

- Je suis pas certaine de pouvoir jeter un sortilège de magie rouge sans mourir, indiqua Framboise.

- De même, ajouta Alicia.

Julia se gratta l'avant bras dans un geste nerveux. Cela ne devait pas être la première fois puisque de longues traînées rouges s'étendaient sur sa peau.

- Et Kylliadelle ? demanda-t-elle.

- Aucun risque, grommela Synetelle.

- Tu en es certaine ?

- Je pars du principe que si tu mets le feu à la cuisine en voulant faire cuire un vulgaire plat de pâtes, tu es incapable de maîtriser le moindre sortilège de magie rouge. Y'a comme une différence de complexité entre les deux.

Julia se pinça les lèvres. Si ce n'étaient pas les quatre filles de l'équipe Alpha, il n'en restait qu'une également présente le jour de l'accouchement.

- Vous êtes toujours en contact avec Eloïse ?

Synetelle plissa les yeux.

- Si tu veux lui poser la question pour la magie rouge, ça risque d'être potentiellement problématique.

- Comment ça ?

- On va dire qu'elle est en voyage. Loin.

- Très loin, ajouta Framboise.

Synetelle se tourna vers sa coéquipière, debout derrière elle.

- Tu te sens toujours obligée d'en rajouter une couche ?

- Eh, oui ?

- Est-ce qu'on peut tout de même la contacter ? demanda Julia d'une voix un peu plus forte.

Synetelle reporta son attention sur elle, mais ce fut Framboise qui répondit.

- Alors là j'en suis pas certaine. C'est compliqué...

- Non, indiqua simplement Alicia.

Julia recommença à maltraiter son avant bras.

- Prévenez-moi dès qu'elle est de retour, s'il vous plaît.

Alicia acquiesça, puis accompagna Julia jusqu'à sa chambre pour qu'elle se repose, l'obligeant au passage à laisser en paix son pauvre bras meurtri.

Les filles de l'équipe Alpha l'avaient rarement vue aussi mal.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top