Le premier ministre aurait dû se douter que Charlyne ferait son grand retour un jour ou l'autre. Après la façon dont il avait cru l'assassiner, et leur dernière rencontre où elle avait tenté de le tuer et menacé de s'en prendre à sa fille, ils avaient encore un certain nombre de comptes à rendre.
Charlyne, qui s'était glissée dans son bureau un peu trop facilement au goût de ministre, s'approcha de lui et se stoppa à deux mètres, bras croisés. Il semblait qu'elle avait encore plus de muscles qu'à leur dernière rencontre, même si la cape de chasseuse de prime qu'elle portait en dissimulait une grande partie. Les laboratoires continuaient à l'entraîner ?
Grand bien leur fasse, il y avait des cas désespérés, et Armändo savait que peu importe à quel point elle s'appliquait, Charlyne n'aurait jamais le niveau pour le vaincre. Elle était née avec très peu de magie et rien ne pourrait changer ce fait.
- Qu'est-ce que vous voulez, cette fois ? demanda-t-il platement.
- Je ne l'ai pas trouvé, répondit Charlyne, agacée.
- Qui donc ?
- Votre fille.
Ah, sa petite Scatach. Pourtant, il l'avait prévenue qu'il ne s'inquiétait pas à son sujet et qu'elle ne pourrait pas la trouver. Cela avait été optimiste de chercher quand même.
- C'est dommage, n'est-ce pas ? ironisa le ministre. La seule chose que vous pouvez utiliser contre moi, vous ne la trouvez pas.
- Ne faites pas trop le malin, asséna Charlyne, parce que tout ceci est loin d'être terminé. Je suis au courant, à propos des deux autres enfants de votre ancienne femme.
- Et ?
- Et eux, je sais où ils sont. L'un d'eux travaille comme cuisinier dans un restaurant et l'autre est élève à l'académie Adénora Calléor.
- C'est bien, vous savez fait vos recherches.
Autant le premier ministre ne pouvait s'empêcher de ressentir un élan de tristesse en pensant à sa femme décédée, autant les deux enfants qu'elle avait eu avant lui, Jonathan et Lucas, il n'en avait jamais été très proche et les voyait rarement. Lucas, en particulier, ne l'avait jamais apprécié. Si Charlyne voulait l'atteindre, il faudrait faire mieux que ça.
- Vous n'allez pas les approcher, dit calmement le ministre, parce que vous ne le pourrez pas.
- Je ne vois pas ce qui m'en empêche, objecta Charlyne. Si je ne trouve pas Scatach, je vais me rabattre sur eux. Tout ce que je veux, c'est retrouver mon trône.
- Ce qui vous en empêche ? La surveillance autour d'eux. C'est aussi simple que ça. Autant pour ma fille, presque personne n'est au courant de son existence, autant pour les deux garçons, il y a déjà plus de monde. Vous pensez vraiment que je vais les laisser sans la moindre protection ?
Le premier ministre plissa les yeux et la fixa avec une certaine satisfaction.
- Vous pensez sincèrement être la première personne à me menacer de la sorte, Charlyne ? Parce que je vais devoir vous décevoir.
L'ancienne reine contracta la mâchoire.
- Tout le monde vous déteste, je ne devrais pas être surprise.
- Faites-moi plaisir et retournez d'où vous venez. Je suis assez courtois pour ne pas attenter à votre vie une seconde fois, mais ne testez pas ma patience.
- Contrairement à ce que vous croyez, vous ne me faites pas peur. Je connais déjà tous vos petits secrets et je trouverai bien un moyen de les retourner contre vous pour récupérer mon trône.
- Pas tous, non, mais bien tenté.
Pas tous ? Charlyne avait découvert qu'il était un Madrigan et un Astréien et qu'il dissimulait sa fille quelque part. Aurait-elle dû s'étonner qu'il y ait encore autre chose ? Non. Il aimait tout ce mystère qui planait autour de lui. C'était parfaitement ridicule.
- Quel est ce petit secret ? demanda-t-elle.
- Si je vous le disais, ça perdrait de son charme, ironisa le premier ministre. Débrouillez-vous, trouvez toute seule. Je suppose que vous en êtes capables. Vous me connaissez un minimum, après ce temps partagé au gouvernement.
Oh, un temps qu'elle aurait bien aimé ne pas avoir à subir. C'était lui qui aurait dû mourir. C'était lui qui n'avait rien à faire au pouvoir de la Cité.
Bien sûr, Charlyne ne pouvait nier qu'il avait eu des qualités en tant que premier ministre, la plus étonnante étant sa mémoire extrêmement développée. Il était capable de réciter un texte sans faire la moindre erreur en ne l'ayant lu qu'une fois, ce qui avait souvent été utile lors de réunions avec les ministres et les députés. Et, quand il voulait, il savait faire preuve de diplomatie.
Par contre, il lui était aussi arrivé d'avoir des réactions démesurées face à certaines situations. Charlyne se rappelait très bien que pendant les campagnes de don du sang organisées par le gouvernement de la Cité, il avait toujours catégoriquement refusé d'y participer sans spécifier de raisons, parfois en devenant agressif, ce qui ne lui arrivait d'habitude jamais – son héritage génétique, supposait-elle désormais. Mais quel était le mal à avouer être un métisse Madrigan Astréien ? Personne n'en aurait rien à faire. À moins que ce ne soit autre chose ?
Une minute. Une pensée terrible envahit Charlyne.
La mémoire photographique. Cette manie à éviter les prises de sang. Le sens développé de ses propres pouvoirs qu'il avait l'air de posséder.
C'était impossible. Non ?
- Vous êtes un élu ?
Le premier ministre esquissa un sourire sans joie qui vint confirmer les soupçons de Charlyne. Elle en fut horrifiée.
- Il faut croire que vous êtes au courant de tous mes secrets, maintenant, dit-il. Vous voyez que vous en êtes capable, quand vous voulez.
◊
Eloïse appréciait les entraînements à la magie avec Maximilien, puisqu'il était attentif, patient et gentil avec elle. Ce qu'elle appréciait moins, c'était quand Victorien décidait de se joindre à eux en incluant Miranda.
D'accord, il enseignait une meilleure technique que Maximilien – question d'expérience – mais il était aussi très désagréable. Ses exigences envers elle étaient un peu hautes.
Victorien avait insisté pour lui faire travailler la résistance de ses boucliers, ce qui l'avait contrainte à beaucoup finir face contre l'herbe.
Eloïse n'avait pas à l'affronter lui, ce qui était déjà un bon début. Le seul problème de Miranda, quelle avait aussi connu autrefois au AMI, était sa tendance à ne pas retenir ses coups. Elle aurait des bleus un peu partout sur le corps demain.
Quoi que, après tout, est-ce que cela aurait été pire face à Victorien ? Difficile à dire.
Eloïse dissipa le bouclier devant elle et en forma un au dessus de sa tête, où une sphère de magie gris clair s'écrasa sans même faire une éraflure dessus. Elle répéta cette action autant de fois que ce fut nécessaire, avant que Miranda n'abandonne et cesse d'attaquer en continu.
C'était la première série qu'Eloïse complétait jusqu'au bout, mais ce devait être parce que Miranda fatiguait. Elle aussi se donnait à fond depuis le début.
La difficulté de l'exercice n'était pas tant de créer un bouclier qui résisterait à l'attaque, mais de le faire dans un temps très limité et en ayant des yeux partout. Eloïse admettait que c'était son point faible depuis l'augmentation de ses pouvoirs malgré le retour de son équilibre : invoquer suffisamment de magie rapidement et sans avoir à trop y réfléchir. Il lui fallait puiser davantage en ses pouvoirs, alors elle avait toujours cette impression au premier abord que la quantité était suffisante, alors que non.
Au moins elle apprenait vite, même si ce n'était visiblement pas l'opinion de toute le monde ici.
- Pause, annonça Victorien à sa grande joie.
Eloïse essuya la sueur sur son front et alla s'asseoir aux côtés de Maximilien, qui l'accueillit dans des applaudissements. Ils avaient eu le champ libre sur la zone d'entraînement, alors ils avaient choisi les mêmes plaines que d'habitude, au sud de chez Victorien, et ce puisqu'ils y avaient trouvé un super caillou qui leur servait de chaise.
- Ne t'embête pas, soupira-t-elle, je sais que j'ai été médiocre.
- Franchement, ça va, la défendit-il. Ça doit faire bizarre de voir ses pouvoirs augmenter si vite, alors je trouve toujours que tu te débrouilles bien.
- C'est très bizarre, oui. Mais je crois qu'il y en a un qui pense que je n'en fais pas assez.
Eloïse jeta un coup d'œil vers Victorien, qui échangeait avec Miranda un peu plus loin sur les plaines.
- Je crois surtout qu'il est inquiet par rapport aux laboratoires, nuança Maximilien. Forcément, il va vouloir te pousser plus que nous.
- Sauf que ce n'est pas ça qui va me faire progresser plus vite.
- Je suppose qu'il y a des gens pour qui c'est le cas.
- Il faudrait qu'il comprenne que je n'en fais certainement pas partie.
- Tu peux toujours lui dire.
- Parce que tu penses que ça va le faire changer de comportement ?
Maximilien ne répondit pas, ce qui était assez équivoque. Eloïse poussa un soupir et passa ses mains dans l'herbe fraîche à ses pieds. Elle remarqua un petit escargot à la coquille rouge collé à leur rocher et tapota l'épaule de son ami pour le lui montrer.
- Oui ? s'étonna-t-il.
- J'en avais jamais vu des comme ça avant. C'est une espèce rare ?
- On ne les voit pas souvent, mais je n'irais pas jusqu'à dire qu'elle est rare. J'en reviens pas que tu n'en aies jamais vu avant.
- Tu sais Max, peut-être que ça ne se voit pas au premier abord puisque ça fait bientôt six ans que je me promène sur Thélis, mais il y a encore énormément de choses que je ne connais pas. Donc, oui, les escargots rouges en font partie.
Les animaux, normalement, elle avait fait le tour. Là où elle manquait davantage de connaissances, c'était sur la cuisine, les insectes et poissons, mais aussi les événements historiques moins connus. Oh, et les personnalités célèbres.
C'était Eden, à l'époque où elle était encore inscrite à l'académie Adénora Calléor, qui lui avait parlé d'un bon paquet de chanteurs qu'elle écoutait régulièrement. Encore, Eloïse connaissait ceux qui étaient emblématique à Eole, mais ceux-là, qui avaient pourtant une certaine notoriété, elle n'avait jamais entendu leurs noms avant. Eden en avait presque été vexée.
Eloïse se pencha pour détailler l'escargot immobile. Il lui semblait que la coquille avait des reflets irisés.
- Tu as déjà vu des sarkahor ? lui demanda Maximilien.
- Le nom ne me dit rien, admit Eloïse, c'est quoi ?
- Un genre de mélange entre une araignée et une luciole.
Eloïse grimaça. Elle avait la phobie des araignées, alors si en plus elles brillaient dans le noir... Quoi que au moins, de cette façon, difficile de les perdre de vue.
- Ça aime beaucoup la salade, poursuivit Maximilien.
- Je n'ai aucune envie d'en croiser, végétariens ou pas.
- Ce n'est pas non plus agressif, plutôt le contraire.
- N'approche jamais ça de moi, je t'en conjure.
Maximilien retint un rire devant son visage plein de dégoût.
- Fin de la pause, annonça Victorien. Eloïse, debout.
Aussi vite que ce moment de légèreté s'était installé, il s'évapora. La magicienne laissa retomber son front entre ses paumes de main, dépitée, avant de se relever.
- Courage, la réconforta Maximilien.
- Je veux juste rentrer, là, déplora Eloïse. J'en ai marre et je suis fatiguée.
En revanche, quand elle demanda à Victorien de laisser tomber pour aujourd'hui, il refusa, prétextant un dernier exercice important.
L'utilisation de magie en très grandes quantités.
- J'ai vraiment pas l'énergie pour ça, là, se plaignit Eloïse. On ne peut pas faire ça un autre jour ?
- J'ai un emploi du temps chargé, objecta Victorien. S'il te plaît, fais un effort.
Elle n'en avait vraiment pas envie, mais vu le regard insistant qu'il lui adressa, elle capitula et retourna se placer dans l'herbe.
- C'est pas un peu dangereux ? s'enquit Eloïse.
- Pas tant que tu contrôles ce que tu fais, répondit Victorien.
Miranda créa une cible métallique quelques mètres devant Eloïse, puis s'écarta de plusieurs pas pour ne pas être prise dans un tir.
Visiblement, c'était son moment, alors autant en finir vite.
Eloïse concentra ses pouvoirs, d'abord dans ses mains, puis remonta vers ses bras en comprenant qu'il lui faudrait une plus grande surface pour tout stocker. Elle puisa en elle et tacha de passer les limites qu'elle avait établies jusque là. Elle avait réussi à lancer de puissantes attaques face à la Madrigane – Raven Zepleski – mais elle devait pouvoir faire bien plus que ça. Théoriquement.
Seulement, à partir d'un certain seuil, Eloïse commença à ressentir une douleur désagréable dans ses bras. Elle se décida à en rester là et à tirer une sphère de magie dans la cible. Un sifflement perça l'air, puis le morceau de métal fut violemment renversé dans l'herbe, accompagné par une gerbe d'étincelles bleues.
- C'est tout ? s'étonna Miranda. Un peu mou, tout ça.
- Je m'attendais à mieux, confirma Victorien.
- Cachez votre enthousiasme, marmonna Eloïse.
La mage noire alla replacer la cible à sa place. Maximilien lança des mots d'encouragement à Eloïse, qui se gratta le crâne et se prépara mentalement à recommencer.
Tant pis, elle aurait mal.
Elle assura ses appuis et concentra ses pouvoirs une seconde fois. La douleur fit son grand retour, croissante, quand elle rattrapa le seuil où elle s'était précédemment stoppée. Malgré la fatigue, elle poussa au delà et serra les dents.
Ils auraient dû faire ça au début de l'entraînement, pas à la fin. Eloïse, pour ignorer les veines de ses bras en feu, se focalisa sur l'escargot rouge du rocher et lui chercha un prénom.
Sa tête se mit à tourner. Pendant un instant, il lui sembla que le monde autour d'elle devint flou et que sa magie n'était plus dans son corps mais à l'extérieur.
Elle ressentit une grande sensation de vide, presque panique. Tout était dehors. Il n'y avait plus rien dedans. Il en fallait plus. Il en fallait plus ?
La douleur devint assourdissante mais Eloïse s'en rendit à peine compte, comme si elle observait la scène de l'extérieur. Elle ferma les yeux et prit une inspiration qui lui brûla les poumons.
Victorien lui saisit les bras et la secoua pour qu'elle reprenne ses esprits. Immédiatement, tout reflua. Eloïse, déstabilisée, cligna frénétiquement des yeux. Ses muscles étaient douloureux et il lui semblait, à en croire le goût métallique sur sa lèvre supérieure, qu'elle saignait du nez.
- Là, c'était un peu excessif, lui dit-il. Garde le contrôle.
- Je ne comprends ce qui s'est passé, s'inquiéta Eloïse. C'était très bizarre.
- La magie monte facilement à la tête quand tu en utilises beaucoup. Fais un peu plus attention à rester concentrée.
Il la lâcha et Eloïse s'écarta d'un pas. Elle constata en passant sa manche sous son nez qu'elle saignait bien. Fantastique.
- De quoi tu parles ? grommela-t-elle.
- C'est quelque chose de courant, tu dois juste repousser le brouillard et rester concentrée. Tu finiras par t'y habituer et à le faire naturellement.
- Et tu n'aurais pas pu me prévenir avant ?
- Je suis incapable d'anticiper ce que tu sais ou que tu ne sais pas, Eloïse.
- Tu sais, donner un avertissement, même si je le connais déjà, ça ne coûte rien !
Il lui avait techniquement dit que rien n'était dangereux tant qu'elle contrôlait ce qu'elle faisait, mais en quoi est-ce que cela avait correctement explicité la chose ? Il était franchement fatigant, quand il s'y mettait.
- Maintenant tu le sais, trancha-t-il. Allez, un dernier essai.
- Tu plaisantes ? Certainement pas.
Victorien fronça les sourcils, mécontent.
- Si tu ne fais pas d'efforts et que tu ne cherches pas à régler les problèmes mais à les éviter, tu ne vas aller nulle part.
- Je suis fatiguée, insista Eloïse. Tu as bien vu ce qui s'est passé et je n'ai pas envie que ça se reproduise.
- Je te l'ai dit, il suffit que tu gardes le contrôle et ça n'arrivera pas.
Eloïse se rappelait de l'horrible sensation de vide qui l'avait saisie. Hors de question qu'elle recommence, en tout cas pas aujourd'hui.
- J'arrête, décréta-t-elle.
- Un dernier essai, insista Victorien. Tu pourras te reposer autant que tu veux après.
- Il faut que je te dise non combien de fois pour que tu le comprennes ?
Victorien croisa les bras et planta son regard acéré dans le sien. Chose étonnante, il n'était pas content de sa réaction.
- Parce que tu penses que les laboratoires s'arrêtent à ça ? Après ce qui s'est passé avec le Livre des Miroirs, tu t'attends à ce que les choses deviennent plus faciles ?
- Je ne suis pas complètement stupide non plus, merci. Je m'entraînerai davantage que je serai reposée et que tu ne seras pas là. Parce que, soyons honnêtes, ce sera bien mieux.
- Tu peux clairement dire que ma présente te dérange, s'agaça-t-il.
- Elle me dérange. Content ?
Eloïse, après lui avoir adressé un regard noir, se retourna et rentra chez lui en ignorant Miranda et Maximilien.
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