Chapitre 7: Août (2)
- Pourquoi est-ce que tu m'as traînée dans cette histoire ?
Miranda retenait cette question depuis qu'elle et Synabella avaient quitté la Cité. Au départ, elle avait cru être la seule accompagnatrice possible, mais Miranda s'était rapidement rendue à l'évidence en voyant les messages défiler dans leur conversation groupée, beaucoup de membres de l'Ombre étaient eux-aussi disponibles.
Or, Synabella ne l'avait certainement pas choisie pour leur affinité quasi inexistante.
- Facile, parce que tu es la fille biologique du Seigneur Chen et que j'ai besoin de mettre tous les arguments de mon côté pour le convaincre.
- Tu es la réincarnation de son autre fille. Tu aurais pu te débrouiller seule, si c'était juste ça.
- Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans "mettre tous les arguments de mon côté", Miranda ?
La mage noire avait un peu de mal avec cette façon qu'avait Synabella de s'adresser aux autres avec une condescendance non dissimulée. Soit, c'était une magicienne très, très intelligente, mais ça ne l'empêchait d'avoir du respect pour les autres.
Même si Miranda, avec son historique de mage noire, n'était pas une experte dans le domaine du respect non plus.
- Je ne comprends même pas ce que tu lui veux, reprit-elle. Tu m'as dit que tu avais rendez-vous avec lui, d'accord, mais je ne sais pas à quel sujet.
- La guerre, répondit sobrement Synabella.
- Je t'en prie, développe. C'est un peu léger.
Synabella poussa un soupir, comme si Miranda posait des questions stupides.
- Si, comme moi, tu suivais un minimum ce que se passe sur le continent, tu saurais que la situation avec Pyros et le Futuro n'est absolument pas en passe de s'améliorer.
- Cette partie là j'avais remarqué, oui, ironisa Miranda. Mais ça ne me dit pas quel est le rapport avec le dirigeant du Chao Ming.
- C'est lui qui a la plus grande armée du continent. Je veux son aide. Rien de plus.
Miranda se retint de lui rire au nez. Comme si ça allait fonctionner. Fallait-il lui rappeler qu'elle n'était qu'une citoyenne lambda, réincarnation de Clémence Chen ou non ? Ce n'était pas en voulant le prendre par les sentiments que Synabella obtiendrait quoi que ce soit.
- Tu perds ton temps, si tu veux mon avis, fit remarquer Miranda.
- S'il ne voulait pas m'entendre, il aurait refusé le rendez-vous, rétorqua Synabella. Le fait qu'il ait accepté est déjà une victoire en soit.
- Moui. Enfin, j'attends de voir ça.
Elles quittèrent les routes de terre caractéristiques des quartiers plus éloignés du temple du Chao Ming pour marcher sur des dalles de craie blanche. Autour d'elles, des lampadaires, où flottait parfois le drapeau aux trois losanges stylisés symbole de la cité, venaient border la rue plutôt vide à cette heure de la journée.
Synabella détailla Miranda de haut en bas, gagnée par une once de curiosité.
- D'ailleurs, je m'étonne que tu aies accepté de venir, même si tu pensais être ma seule option.
- Est-ce que tu as déjà rencontré le Seigneur Chen ?
- Non.
- Eh bien moi non plus, enfin en tout cas pas en sachant qu'il est mon père biologique. Je me suis dit que tant qu'à faire, autant le voir une fois et faire en sorte que ce soit le plus embarrassant possible pour lui. Comme tu venais, c'était parfait.
- Excuse qui me plaît, donc excuse valable.
Les deux magiciennes parvinrent aux marches de marbre blanc du temple et les gravirent jusqu'à entrer dans le hall baigné de teintes rouge-orangé. Entre les piliers en spirales, elles virent le robot de l'accueil s'approcher d'elles. D'un regard, il les identifia.
- Mesdames Synabella Evans et Miranda Lowers, vous êtes attendues, les salua-t-elles. Suivez-moi, je vous prie.
Miranda, non sans un regard accusateur envers sa camarade, lui emboîta le pas.
- Tu avais prévu de m'emmener dès le début, je me trompe ?
- Tu penses bien que j'avais fomenté mon plan sans omettre le moindre détail, confirma Synabella.
- Je ne suis pas le moins du monde surprise, alors je vais simplement ignorer tes manigances.
- Excellent choix.
Le robot de l'accueil les guida à travers les couloirs baignés de lumière jusque dans une salle de réunion un peu trop clinquante pour Miranda.
Elle ne devait rien avoir d'exceptionnel pour un lieu de pouvoir comme le temple du Chao Ming : des murs au papier peint blanc embossé de lignes verticales, deux canapés au doux tissus turquoise positionnés en face à face et séparés par une table basse de bois sculpté, et un imposant lustre qui devait représenter un système solaire accroché au haut plafond.
Miranda se serait contentée d'une pièce vide, ou à la rigueur avec des chaises, même si elle admettait bien aimer le lustre.
Le robot les laissa s'installer et quitta la pièce. Synabella, après avoir détaillé les lieux – particulièrement le lustre – alla s'asseoir sur l'un des deux canapés, imitée par Miranda.
- Je m'occupe de tout ce qui est conversation, indiqua Synabella.
- Ne t'inquiète pas, je n'allais certainement pas le faire à ta place, ironisa Miranda.
Les deux magiciennes patientèrent bien dix minutes avant que le Seigneur Chen fasse son apparition. Homme de taille moyenne, aux longs cheveux blancs aujourd'hui attachés à l'arrière de son crâne, une courte barbe couvrant la partie inférieure de son visage, il était vêtu d'une chemise blanche, d'un pantalon bleu sombre et d'une veste de la même couleur, sertie de quatre épingles argentées. Sobre, mais il inspirait un certain respect, avec sa posture et son regard acéré.
- Bonjour, dit-il, je m'excuse de mon retard. Une affaire pressante à régler.
Il posa le regard sur les deux magiciennes, qui s'étaient levées. Face à Synabella, il resta stoïque, mais quand il établit un contact visuel avec Miranda, une sorte de malaise, vite dissimulé, le parcourut.
C'était gênant, l'objectif était donc rempli. Il fallait dire que jusque là, Miranda avait catégoriquement refusé de le rencontrer et que le seul courrier qu'elle lui avait envoyé avait été pour le moins ferme, même si elle était restée courtoise.
- Synabella Evans, se présenta cette dernière.
- Je sais qui vous êtes, lui répondit le Seigneur Chen. De même que je sais qui est votre accompagnatrice. Les présentations ne sont pas nécessaires. Venons-en en fait directement, voulez-vous ?
- Avec plaisir. Je suis ici pour vous demander votre aide dans la guerre.
Le Seigneur Chen, toujours debout – il devait être pressé et se préparait déjà à partir – fronça les sourcils, confus.
- Je vais vous demander de faire référence à la guerre dont vous parlez.
Miranda se retint de montrer quelconque réaction, sans doute à l'instar de Synabella. Avec ce qui s'était récemment passé sur le continent, elle aurait cru que c'était une évidence. À moins qu'il ne considère pas ce qui se passait comme une guerre.
- Les attaques proférées par Pyros et le Futuro à l'encontre de la Cité, d'Astras et de Caméone, précisa Synabella.
- Je vois, oui, répondit le dirigeant. Je peux savoir quelle aide vous réclamez ?
- Des troupes. Vous avez la plus grande armée du continent et je suppose que les assauts vont se multiplier.
- C'est non.
Bon, cela avait été rapide, mais Miranda l'avait vu venir.
- Je ne vois pas pourquoi c'est vous, qui ne représentez aucune cité, qui venez me demander de l'aide, reprit le Seigneur du Chao Ming. Surtout quand les cités en question peuvent se défendre elles-mêmes.
- Oui, mais pour combien de temps ? répliqua Synabella. Nous savons tous les deux que Pyros et le Futuro ont des armées bien plus conséquentes que la Cité, Astras ou Caméone. Pour l'instant, ils ont surtout fait des provocations, mais je doute que ça dure.
- La taille de l'armée n'indique pas qui sortira vainqueur du conflit.
- Non, mais ça aide. Beaucoup.
L'agacement saisit le dirigeant.
- Je ne savais pas de quoi vous souhaitiez parler en acceptant cette entrevue, mais si je l'avais su, j'aurais refusé. Ce n'est pas à vous de venir négocier avec moi, mais aux représentants de la Cité, d'Astras et de Caméone s'ils en ont besoin. Vous n'avez aucune autorité ou légitimité sur la question.
- Nous sommes concernées par ces attaques, objecta Synabella, donc j'estime que nous sommes légitimes.
- Vous avez très bien compris ce que je voulais dire.
Synabella n'avait pas l'air de vouloir lâcher le morceau, ce qui désespérait Miranda plus qu'autre chose. Le Seigneur Chen n'avait pas tort et elle ne comprenait pas à quel moment sa camarade, tout juste âgée de seize ans, s'était dit que venir discuter politique avec le dirigeant d'une cité était une bonne idée, réincarnation de sa fille ou pas – surtout que jusque là, Miranda n'avait pas une seule fois fait face à l'âme de Clémence Chen, qui était celle récessive dans leur duo.
Synabella avait décidément une façon de fonctionner particulière.
- Si vous m'excusez, reprit le Seigneur Chen, je n'ai pas plus de temps à vous accorder. Je vous souhaite une bonne journée.
Il n'attendit pas une réponse de leur part et quitta la salle de réunion. Immédiatement, Synabella poussa un soupir et remit ses cheveux en place.
- Ça s'est mieux passé que prévu, admit-elle.
- Ça s'est mal passé, fit remarquer Miranda. Tu vois, le sentimentalisme est inutile quand on parle de participer à une guerre.
- J'ai établi un premier contact. À voir comment ça évolue.
Miranda doutait que cela donne quoi que ce soit, mais connaissant Synabella, tout pouvait se produire.
Elle avait forcément un plan, qu'il soit réalisable ou non.
◊
L'académie Adénora Calléor avait fermé pendant quelques jours, le temps que les dégâts causés par l'attaque soient réparés et que la situation revienne à la normale. De ce fait, Eden et ses camarades étaient majoritairement restés confinés dans leurs chambres, à part pour manger ou errer dans les couloirs de l'internat.
Seulement, dès la réouverture de l'établissement, le corps enseignant et la direction les avaient convoqués pour exiger des explications.
Eden flairait les problèmes à plein nez.
La directrice les avait tous installés dans la salle de réunion réservée aux clubs, afin qu'ils aient suffisamment de chaises et d'espace.
En bout de ligne se trouvaient, d'un côté, Heather et Andromeda, et de l'autre, Peter et Liam. Eden et Lucas se retrouvaient au centre des regards inquisiteurs, ce qui n'était pas pour leur plaire, mais pas pour les étonner non plus.
- Qui étaient ces gens ? demanda la directrice.
Puisqu'aucun de ses camarades n'éleva la voix et que la tension ne fit que croître, Eden se décida à se sacrifier pour le groupe et à prendre l'entière responsabilité de la réponse.
Si elle était mauvaise, ce serait de leur faute.
- Qu'est-ce qui vous fait croire qu'on le sait ?
- Parce que vous avez sous-entendu les connaître le jour de l'attaque, indiqua la professeure Ivling. Et parce que vous saviez qui étaient les cibles.
Ah, Eden admettait que c'était un argument qu'elle aurait du mal à parer.
- Je ne m'en souviens pas, répondit-elle.
- Eden, soupira le professeur Scremayeur, je sais très bien que vous êtes en train de mentir. Je ne vois pas comment vous auriez possiblement pu oublier cette journée.
Et il avait totalement raison, sauf que ce n'était pas comme si elle pouvait leur avouer toute la vérité si facilement.
La professeure Rivière, qu'Eden soupçonnait toujours de faire partie des laboratoires du Phoenix, se tenait aux côté du professeur Scremayeur. Hors de question qu'elle évoque quoi que ce soit en sa présence.
- Écoutez, couina Eden, c'est un peu compliqué, cette histoire. Si vous pouviez juste...
- Donc vous confirmez que vous êtes au courant, la coupa la directrice.
- Je n'ai jamais confirmé quoi que ce soit.
- Cessez de tout nier en bloc. Nous parlons d'une agression par un groupe armé en plein milieu de l'académie. Ce n'est pas quelque chose qui peut être pris à la légère puisque cela concerne la sécurité des élèves ainsi que celle de tout le personnel.
Eden se tourna vers ses camarades dans l'espoir que l'un d'entre eux lui vienne en aide, mais ils gardèrent les lèvres scellées.
Eh bien, soit, elle foncerait dans le mur toute seule.
- Je ne dirai rien, annonça-t-elle. Insistez autant que vous voulez.
- Vous êtes six, fit remarquer la directrice, quelqu'un va bien cracher le morceau.
Cette dernière avisa les magiciens un à un, avant de s'arrêter sur Heather, qui triturait nerveusement ses doigts depuis qu'ils étaient entrés dans la salle. D'un regard, Eden incita son amie à ne rien dire, mais sachant qu'elle avait déjà l'air au bord de l'évanouissement à cause du stress, elle ne s'en faisait pas trop à ce sujet.
- Heather Hansen ? l'appela la directrice. Quelque chose à nous dire ?
- Euh, c'est que... bégaya l'intéressée.
Heather ramena nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille. Son visage était très, très pâle. Eden la savait naturellement angoissée par les prises de parole en public, mais il fallait croire que c'était décuplé lorsque cela incluait la directrice, plusieurs professeurs et un climat empli de tension après une attaque des laboratoires du Phoenix.
- J-je... commença Heather.
- Vous ?
- Je ne me sens pas très bien.
La directrice leva les yeux au ciel, prête à lui rétorquer que ça n'allait pas la sortir de cette situation, sauf que Heather se mit à cligner frénétiquement des paupières et que sa sœur se pencha vers elle, inquiète. La professeure Ivling finit par s'avancer à sa rencontre pour vérifier qu'elle n'allait pas véritablement s'évanouir.
Un regard de sa part invita la directrice à se choisir une autre cible. Cependant, elle n'en eut pas besoin.
- C'est bon, marmonna Lucas, je vais vous le dire.
- Lucas ! s'exclama Eden. N'essaye même pas de...
- De quoi ? C'est moi le premier concerné, alors c'est moi qui décide s'y j'en parle ou non. C'est gentil de me protéger, mais je vais me débrouiller.
Une minute. Lui, le premier concerné ? Il n'était quand même pas en train de fomenter le mensonge du siècle ? À en croire son expression crispée des mauvais jours, Eden supposait que si.
Elle s'enfonça dans sa chaise, ahurie, ce qui fut interprété par le personnel de l'établissement comme une reddition de sa part.
Oh, s'ils savaient.
- Monsieur Spelmann ? s'étonna la directrice. Ces gens étaient après vous ?
- Oui. Enfin, oui et non. C'est un peu compliqué. Je ne sais pas trop par où commencer.
- Par le commencement, peut-être ?
- Oui, oui.
Lucas se redressa sur sa chaise et se racla la gorge. C'était l'heure pour lui de sortir son meilleur jeu d'acteur.
- Je crois que ces gens font partie d'un groupe armé qui en a après mon beau-père, expliqua-t-il. Raison pour laquelle ils ont voulu s'en prendre à moi et à mes amis.
- Votre beau-père ? s'étonna la professeure Ivling.
- Oui. Le premier ministre. Vous savez, l'homme qui est actuellement à la tête de la Cité.
Eden savait que cette information n'était pas connue de beaucoup de gens dans l'académie, ce qui attisa une certaine confusion. La compréhension gagna la directrice.
- Oh, en effet, j'avais oublié ce détail.
- Vous savez, poursuivit Lucas, depuis la disparition de la reine Charlyne, certains accusent le premier ministre, alors c'est des fois un peu compliqué.
- Pourquoi vous ne nous en avez pas parlé plus tôt ?
- Je ne savais pas qu'ils iraient aussi loin ! Les groupes armés comme ça, la plupart du temps, ils parlent de faire quelque chose, mais ils laissent tomber l'idée avant. Puis le fait que je suis son beau-fils n'est pas connu de grand monde.
Eden avait presque envie de l'applaudir pour sa performance. Car, chose qu'elle pensait impossible, il avait réussi à trouver une excuse qui était cohérente et que leurs interlocuteurs avaient l'air de croire.
La directrice poussa un soupir.
- La situation est complexe, d'accord, je saisis un peu mieux. Même si ça ne vous plaît pas, il faudra venir nous parler si vous avez le moindre soupçon à propos de gens qui en auraient après vous. D'accord ?
- Rien ne dit que je serais au courant à l'avance, mais d'accord, acquiesça Lucas, renfrogné.
- Bien. Maintenant que tout cette histoire a été mise au point, vous pouvez retourner dans vos chambres. Monsieur Spelmann, nous discuterons plus amplement de cette histoire plus tard.
Lucas grimaça, conscient que cela signifiait qu'il devrait étoffer davantage son mensonge. Car si les laboratoires du Phoenix avaient attaqué l'académie Adénora Calléor, ce n'était pas le seul lieu visé, et il ne pouvait pas prétendre avoir des amis partout.
Les magiciens se levèrent, pressés de décamper. La directrice pointa Eden du doigt avant qu'elle ne puisse esquisser un pas.
- Sauf vous, Madame Samahel.
- Quoi ? s'indigna la magicienne. Mais pourquoi ?
- Vous savez très bien pourquoi.
Eden se rassit. Heather, qui avait reprit des couleurs, lui souhaita bon courage d'un regard et Lucas leva le poing pour lui donner de la force.
Elle allait en avoir besoin. Elle ne savait pas trop à quelle sauce elle allait être mangée.
- Je vais aller droit au but, reprit la directrice quand la porte fut fermée. Vous n'êtes pas une sorcière, je me trompe ?
- Techniquement parlant, si, objecta Eden.
Sa grand-mère maternelle était une sorcière, les gènes ne sortaient pas de nulle part.
- Ce n'est pas votre magie dominante, ne jouez pas avec les mots, répliqua la directrice. Vous êtes une Madrigane. Pourquoi nous l'avoir caché pendant près de sept ans ?
- Parce que c'est dangereux, répondit honnêtement Eden. Il y a encore quelques années, on était en guerre avec les Lysiriens.
- Que vous soyez inscrite ici comme une sorcière, ça ne me dérange absolument pas, Eden. Mais vous auriez dû nous dire que vous étiez une Madrigane. Nous aurions fait comme pour Monsieur Spelmann et l'aurions gardé pour nous. Surtout que si je peux me permettre, la guerre s'est tenue il y a trois ans, pas sept.
Eden trouva la remarque un peu déplacée mais se garda bien de le faire remarquer. L'agacement se glissa lentement en elle.
- Mon père ne voulait pas que je le dise, se justifia-t-elle.
- Ce n'est pas une excuse.
- Pas une excuse ?
Cette fois, c'était trop. Ils voulaient une vraie réponse, ils l'auraient.
- Vous savez, ce n'est pas parce que cette fichue guerre a officiellement commencée il y a trois ans que tout allait bien avant. Il y a huit ans, mon oncle a été assassiné et mon père dû fuir pour sauver sa vie. Il m'a inscrite ici dès qu'il a pu pour me maintenir à l'écart de tout ce qui se passait. Voilà pourquoi je n'ai dit à personne que j'étais une Madrigane. Parce que mon père ne voulait pas que je me fasse tuer aussi, ce qui était une possibilité, puisque des gens en avaient visiblement après ma famille.
Le silence se fit. Eden n'avait proféré aucun mensonge. Ils avaient plutôt intérêt à ne pas contester quoi que ce soit où elle allait réellement s'énerver.
Aucun d'entre eux n'était un Madrigan. Comment auraient-ils pu comprendre ?
À ce jour, le père d'Eden était toujours en fuite, même si la magicienne savait maintenant que c'était à cause des laboratoires du Phoenix.
Ils étaient la source de leurs problèmes depuis le début.
- J'espère que vous n'avez aucun autre secret à nous dévoiler, reprit la directrice.
- Sérieusement, c'est tout ce que vous trouvez à répondre ? s'agaça Eden. Quand c'est le fils du premier ministre, là vous êtes compréhensive, mais quand c'est moi, c'est pas pareil, c'est ça ?
La directrice la foudroya du regard. Eden ne devrait pas être étonnée, elle ne l'avait jamais beaucoup appréciée.
- Vous avez toujours été un élément perturbateur, Eden, et je n'apprécie pas trop votre ton.
- Je vous parle de la situation catastrophique de ma famille et vous me répondez presque en me menaçant. À quoi vous vous attendiez ?
- Vous avez mal interprété ma réponse, alors. Ce n'est pas une menace mais une incitation à être ouverte. Soit vous nous faites entièrement confiance, ce qui nous permettra de mieux cerner votre situation pour vous accompagner au mieux, soit je crains que vous ne deviez vous inscrire dans un autre établissement.
Eden fronça les sourcils, outrée. C'était clairement une menace de renvoi, qu'est-ce qu'elle lui racontait ? D'accord, elle n'avait largement pas le meilleur dossier de l'école et ils cherchaient sans doute une excuse pour la remplacer par un meilleur élément, mais elle trouvait ça à la limite de l'indécence, dans une situation où elle venait d'exposer l'assassinat de son oncle et la fuite de son père.
- Vous êtes un peu dure, s'immisça le professeur Scremayeur, lui aussi choqué. Eden est une bonne élève, la renvoyer serait une erreur, surtout pour une raison pareille.
Eden eut la satisfaction d'entendre plusieurs approbations s'élever.
- Je l'entends, lui répondit la directrice, mais pour le coup, il n'est pas uniquement question de ses notes, Idyan.
- Donc vous voulez la renvoyer parce qu'elle est une Madrigane ?
- Je n'approuve pas non plus la démarche, acquiesça la professeure Rivière.
Eden, surprise, dirigea son regard vers la sorcière. Elle la défendait ? Est-ce que ça cachait quelque chose ou alors elle voyait trop loin et de potentiels membres des laboratoires pouvaient posséder une once de décence ?
- Si je dois me porter garant d'elle pour qu'elle reste, alors d'accord, conclut le professeur Scremayeur.
La directrice, devant les regards insistants posés sur elle, finit par pousser un soupir et hocher la tête.
- Bien. Mais je compte sur Madame Samahel pour se tenir à carreau les prochains mois.
Eden se retint de rajouter quoi que ce soit. Quand la directrice lui donna l'autorisation, elle s'éclipsa de la salle, morose, dans le but d'expliquer ce qui venait de se passer à ses amis qui devaient l'attendre de pied ferme.
Elle dut très vite revoir ses plans. Le professeur Scremayeur se hâta de la rejoindre avant qu'elle ne disparaisse vers l'internat.
- Pas si vite, l'interpella-t-il, je dois vous toucher deux mots.
Eden, dépitée, le suivit au bout du couloir, là où personne ne les entendrait. Le professeur vérifia que personne ne s'approchait et planta son regard inquisiteur dans le sien.
- Je sais que votre ami Lucas a menti, reconnut-il. Il n'était pas la cible principale de ces gens et ils ne sont pas un groupe en opposition au premier ministre.
- Quoi ? s'inquiéta Eden. Mais de quoi vous parlez ?
- Cessez de prétendre que c'est la vérité, s'il vous plaît, Eden. J'ai entendu ces gens vous demander le Livre des Miroirs, le jour de l'attaque. Je doute qu'une relique ait quelconque lien avec Monsieur Spelmann.
Oh, non. Ça, ça ne sentait pas bon. Eden bégaya une réponse qu'elle espéra être cohérente, mais vu comme son professeur se passa une main sur le front, elle douta que ce soit le cas.
- Écoutez, Eden, l'interrompit-il, je ne vous demande pas de me dire la vérité si elle est aussi complexe que vous l'affirmez. Mais si jamais vous en avez besoin, sachez que vous pouvez compter sur moi. Nous parlons d'incidents dont la gravité est tout sauf négligeable et je comprendrais que vous ne souhaitiez pas en parler à la directrice.
- Vu comme elle m'apprécie, ça ne risque pas.
- Je ne sais pas si je devrais vous le dire, mais c'est connu parmi le personnel de l'établissement que la directrice, est, comment dire... Une Lysirienne radicale, soyons clairs.
- Oh, ceci explique cela. Elle préférerait me voir morte que vivante. Super.
Cela expliquait aussi pourquoi Eden était littéralement la seule Madrigane de l'académie. Les rares dossiers de siens devaient finir directement à la poubelle.
- J'assure vos arrières, lui dit le professeur. Mais, s'il vous plaît, faites profil bas pour le moment.
- Je vais essayer, promit Eden.
Entre les laboratoires du Phoenix et sa capacité impressionnante à s'attirer des ennuis, elle n'était pas certaine d'y parvenir.
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