Chapitre 6: 5 ans
10/06/2005.
Eloïse et son amie Marie avaient fomenté un plan. Tandis que tout le monde s'amusait dans la cour de leur école maternelle, où la kermesse annuelle battait son plein, elles allaient s'infiltrer dans leur salle de classe pour voler les autocollants en forme de chats que leur maîtresse gardait dans son armoire. Depuis le temps qu'elles avaient cet objectif en tête, l'occasion parfaite s'offrait enfin à elles.
Même si, maintenant que les choses devenaient sérieuses, Maria avait moins envie d'y prendre part.
- Si elle nous voit, la maîtresse va nous disputer... s'inquiéta-t-elle.
- Mais non, elle est même pas là, répondit Eloïse.
- Oui mais elle va revenir.
- N'importe quoi.
Eloïse l'avait vue à l'un des stands, ce n'était pas comme si elle allait l'abandonner pour les surveiller. Elle s'inquiétait davantage de voir ses parents partir à sa recherche, mais sachant qu'ils étaient déjà occupés avec son frère et sa sœur, elle avait un peu de temps devant elle.
C'était maintenant ou jamais. Tant pis si Marie ne suivait pas.
- J'y vais, dit Eloïse en quittant le buisson derrière lequel elles s'étaient dissimulées. Tu viens ou tu viens pas ?
À l'hésitation de son amie, elle comprit que la réponse était non.
- Tant pis pour toi, trancha Eloïse. Je te donnerai pas d'autocollants.
Vexée, Marie partit rejoindre ses parents de l'autre côté de la cour en trottinant. Eloïse, elle, braqua son regard vers son objectif : le bâtiment de cours.
Après avoir vérifié qu'aucun adulte ne l'observait ou ne se trouvait trop près, elle se dirigea discrètement vers les portes les plus proches, non sans s'accroupir tous les trois mètres, juste au cas où.
Fort heureusement, personne ne la suivit. Quand Eloïse réussit à entrer, ravie, elle abandonna la discrétion et monta les escaliers vers sa salle de classe. Rien n'était fermé à clefs. C'était définitivement son jour de chance.
Eloïse referma la porte derrière elle et avisa les alentours : rien n'avait bougé depuis le matin même, ou alors elle ne s'en rendit pas compte. Son attention était déjà portée sur l'armoire au fond de la salle.
Les autocollants seraient bientôt en sa possession.
Seulement, ce fut à ce moment-là qu'Eloïse fit face à sa première difficulté technique : l'armoire était verrouillée. Pendant un instant, elle songea à abandonner, frustrée, avant de retrouver sa motivation. Il lui suffisait de trouver la clé ! Est-ce que sa maîtresse l'avait laissée ici ? Ou alors est-ce qu'elle l'avait emportée avec elle ?
Il suffisait de fouiller pour savoir.
Eloïse s'approcha du bureau de sa professeure, zone normalement défendue, et entreprit de fouiller là où elle put. Stylos et feutres, aimants, billes confisquées, feuilles de couleur... Pas la moindre trace d'une clé.
Pour la seconde fois, Eloïse manqua d'abandonner. Son regard se posa alors sur une boîte de trombones ouverte sur le coin du bureau. Pour être honnête, Eloïse ne savait pas trop à quoi ça servait – elle faisait des colliers avec ceux de sa mère – mais elle avait déjà vu des gens en utiliser pour ouvrir des portes dans les films. Peut-être que ça fonctionnerait sur l'armoire.
Eloïse saisit un trombone, le déplia de ses petits doigts, puis retourna vers le meuble. Sans trop savoir comment s'y prendre, elle passa le fil métallique dans la serrure et le remua dans l'espoir que cela ouvrirait la porte.
La mission fut un échec, même si elle persista pendant de longues minutes. Elle retira le trombone et laissa retomber ses bras le long de son corps.
Maintenant, que faire ? Continuer à chercher la clé ? Retourner dans la cour ?
Eloïse n'eut pas le temps de prendre une décision. Elle sursauta et se retourna vivement quand la porte de sa classe s'ouvrit en grand.
À son grand soulagement, ce ne fut pas sa maîtresse. C'était une femme aux cheveux blonds qui retombaient sous ses épaules, habillée d'une chemise à carreaux bleu et grise et d'un jean basique. Ses yeux étaient si verts que ce fut la première chose qu'Eloïse remarqua.
- Ah, tu es là, lui dit la nouvelle venue. Je te cherchais.
Cette fois, la confusion envahit Eloïse. Elle ne savait pas qui était cette dame, elle ne l'avait jamais croisée à l'école. Était-ce normal ? Ses parents l'avaient-ils envoyée à sa recherche ? En tout cas, elle n'avait pas l'air en colère de la trouver ici, ce qui la rassura.
- Allez, viens, insista la femme en tendant une main dans sa direction.
Eloïse avisa une dernière fois l'armoire, puis le trombone déformé entre ses mains. Elle rassembla son courage et pointa le meuble du doigt, pleine d'espoir.
- Je peux avoir les autocollants ?
- Non, il faut sortir de la classe. Tu n'es pas sensée être là, Eloïse.
Soit, sauf qu'Eloïse n'avait pas envie d'abandonner. Tant pis si elle se faisait disputer, de toute façon, elle était déjà là où elle n'aurait pas dû. Elle pointa l'armoire avec davantage d'insistance.
Contre toute attente, la femme poussa un soupir et la rejoignit. Eloïse sentit la joie l'envahir, avant de se rendre compte que ce n'était pas pour lui rendre service, mais pour lui saisir le bras et la tirer en dehors de la salle. Elle laissa échapper une exclamation de surprise. La poigne de l'inconnue était un peu forte. Elle manqua de trébucher sur le pied d'une table quand la femme voulut la ramener dans le couloir.
- Je peux savoir ce que vous faites ?
La femme se stoppa net, mais sans lâcher Eloïse, qui tenta de s'extraire en se tortillant sur elle-même. Sa professeure venait de faire son apparition pour son plus grand bonheur. La femme lui faisait un peu peur, alors elle voulait s'éloigner d'elle.
- Elle n'avait rien à faire ici, se justifia cette dernière.
- Non, en effet. Mais toi non plus, Kaladria. Lâche Eloïse tout de suite.
- Alors c'est comme ça ? Vous vous êtes tous ligués pour être partout où on passe ?
- Entre autres.
Madame Amanda s'approcha de Kaladria et, non sans fermeté, l'obligea à lâcher le bras d'Eloïse, qui se recula derrière elle. Après avoir foudroyé Kaladria du regard, elle se tourna vers son élève.
- Tes parents te cherchent, Eloïse. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Autocollants, se contenta de répondre l'intéressée.
- Ah, je vois. Je t'en donnerai lundi, si tu veux. Tu peux attendre jusque là ?
Eloïse hocha la tête. Elle savait être patiente.
Madame Amanda, après s'être éloignée, ramena son attention sur Kaladria, le regard orageux. L'atmosphère se fit pesante.
- Elle a cinq ans, siffla-t-elle. Ça suffit.
- Tout ça ne te regarde pas.
- Tu aimerais bien, n'est-ce pas ? Qu'on vous laisse faire tout ce qui vous plaît sans intervenir ? Sache que ça n'a jamais été dans les plans. Vous êtes dangereux.
- Tu le regretteras un jour.
- J'ai des doutes. Maintenant, sors d'ici avant que j'appelle des renforts.
Kaladria, d'abord immobile, finit par sortir de la salle de classe, saisie par l'agacement. Madame Amanda écouta ses pas s'éloigner dans le couloir, puis passa la tête dans l'entrebâillement de la porte pour vérifier qu'elle n'était plus dans les parages.
Elle aurait dû se douter que les laboratoires seraient là. Ils l'étaient toujours.
- C'est qui ? demanda Eloïse.
Sa professeure s'accroupit devant elle et lui adressa un sourire qu'elle espéra rassurant.
- Personne. On va effacer cet épisode de ta mémoire, d'accord ?
Eloïse n'eut pas l'occasion de répondre quoi que ce soit. La professeure posa un doigt sur son front. Ses yeux s'illuminèrent de bleu derrière ses lentilles de contact sombres, puis le monde vira au noir.
Quand Eloïse retrouva pleinement conscience du monde extérieur, elle était de retour dans la cour de son école.
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