Chapitre 40: Octobre (9)

Un ballon de football passa à quelques centimètres du visage d'Eloïse qui recula sous le coup de la surprise. Les enfants qui jouaient plus loin semblaient fiers de leur coup.

- Non mais ils veulent quoi eux? Marmonna-t-elle.

- Laisse, dit Rory. Je suppose qu'ils ont juste compris qu'on était des magiciens et veulent voir de la magie.

Eloïse leva son majeur en direction du petit groupe. Sa réaction sembla les décevoir et ils repartirent à leur match sans prêter plus d'attention aux adolescents.

- Ce parc est sympathique, poursuivit Rory, mais contient beaucoup de petit cons.

- A force, on s'y habitue. Mais c'est vrai qu'un jour il risque d'y avoir des claques qui se perdent.

Cette fois-ci, les magiciens avaient décidé d'aller se promener dans un parc différent de celui contenant la Porte des Mondes. L'expérience n'avait pas été particulièrement concluante.

- On retourne à l'autre parc? Proposa Rory. Au moins, là-bas, les gens sont habitués à nous voir.

- D'accord.

Ils firent immédiatement demi-tour pour quitter le "parc des buissonnets". Endroit très agréable, fleuri et calme quand des enfants ne venaient pas chercher les problèmes.

- Au fait, tu as toujours ces maux de tête? Demanda Rory.

- Pour le moment ça va. Ça a tendance à se dissiper quand je touche quelqu'un.

Eloïse et Rory se tenaient par la main, ce qui suffisait à annihiler son mal de crâne temporairement.

- C'est quand même étrange, fit le Madrigan.

La magicienne soupira.

- Ilyann a déjà essayé plusieurs fois de trouver l'origine du problème sans succès. Et si lui n'y arrive pas, je ne sais pas qui le peut.

Enfin, le parc pour enfant se dressa dans leur champ de vision. Ils traversèrent la rue et poussèrent le petit portillon à la peinture écaillée pour y entrer.

A l'intérieur, il n'y avait pas grand monde. Certains visages se tournèrent dans leur direction, mais personne ne leur prêta beaucoup d'attention. Ils purent s'installer dans un coin tranquillement.

- Au fait, il est quelle heure? Demanda Rory.

Eloïse sortit son téléphone et resta bloquée un instant sur les quatre chiffres indiqués dessus.

- Il est l'heure que je sois rentrée chez Victorien, indiqua-t-elle.

Rory se leva d'un bond et la tira par la main jusqu'à la Porte des Mondes.

- Hé, calme-toi, lui intima la magicienne. C'est pas si grave.

- Oui, enfin, si tu rentres en retard, le Seigneur des Ombres va rejeter toute la faute sur moi. Déjà qu'il me déteste, je n'ai pas envie qu'il souhaite en plus me faire la peau.

- Il ne te déteste pas, dit Eloïse.

Le Madrigan la regarda en haussant les sourcils.

- Bon d'accord, il te hait, admit-elle. Mais je te parie qu'il ne sera même pas là en rentrant. C'est pas grave si on a une petite heure de retard.

Rory sembla hésiter.

- On n'a qu'à rentrer tranquillement, proposa-t-il finalement.

- Excellente idée.

Ils ralentirent l'allure. Quelques instants plus tard, ils passaient à travers la Portes des Mondes en direction d'Astras, au nord de la cité.

- Le temps est bien meilleur ici, fit remarquer Rory en plongeant son regard dans le bleu du ciel.

Avec la lumière du soleil qui se projetait sur son visage, ses yeux jaunes semblaient encore plus clairs, d'un doré tirant vers l'ocre.

- J'aime bien tes yeux.

Le Madrigan baissa les yeux en direction d'Eloïse, qui venait de prononcer ces quelques mots.

- Avec la lumière, on dirait de l'or, ajouta-t-elle. C'est vraiment beau.

Rory laissa échapper un sourire.

- Les tiens sont d'un joli bleu. Comme le ciel sur Terre. Mais j'aimais aussi tes yeux marrons. Ici, c'est tellement rare d'en voir. Ça te rend unique.

- Mais ils ne sont plus marrons, fit-elle remarquer.

- Qu'ils soient bleus ou marrons, ça te va toujours aussi bien.

La magicienne posa la tête sur son épaule. Ils ralentirent un peu plus le pas pour profiter du moment.

Les passants les regardaient étrangement à cause de leur tenue vestimentaire provenant des humains, mais ils ne s'en soucièrent pas.

Les paysages défilèrent si vite qu'ils ne se rendirent même pas compte du temps qui était passé quand ils sortirent d'Astras. Bientôt, ils devraient se séparer.

Après quelques minutes de marche sur l'herbe verdoyante des plaines, Eloïse soupira.

- Pourquoi c'est toujours les meilleurs moments qui passent le plus vite? Demanda-t-elle en apercevant la maison de Victorien au loin.

- C'est la question que je me posais, justement, répondit-il.

- On se voit demain?

- Bien-sûr.

Lorsqu'ils furent assez proches, les magiciens se stoppèrent. Ils avaient tendance à toujours se séparer au même emplacement.

- Bon, à demain alors, dit Rory.

Il se pencha en avant et l'embrassa. Seulement, au bout de quelques secondes, Eloïse s'écarta d'un bond, très mal à l'aise. L'image de Caleb venait de faire surface dans son esprit d'un seul coup.

- Il y a un problème? Demanda le Madrigan.

- Non. Non, ça va.

Il tenta de lui reprendre la main mais elle la cacha derrière son dos.

- Tu ne peux pas me dire qu'il n'y a pas de problème. Je vois bien que quelque chose ne va pas.

- Non, vraiment c'est rien. Je t'assure.

Eloïse recula d'un pas. Sa réaction ne lui ressemblait pas. Elle n'avait d'ailleurs pas compris pourquoi Caleb semblait s'être immiscé comme un mur entre les deux magiciens. Ces derniers temps, elle se demandait ce qui pouvait bien lui passer par la tête. Parfois, elle avait envie de se donner des claques.

Rory soupira, légèrement agacé. La magicienne le savait, il détestait plus que tout qu'on lui mente. Cela ne l'avait pas empêchée de le faire.

- Eloïse. Quel est le problème?

"Caleb", pensa-t-elle. Cependant, elle ne dit rien. De cette façon au moins, elle ne lui mentait pas.

Mais peut-être devrait-elle justement lui dire?

Ses lèvres finirent par se délier.

- Comment t'expliquer ça...

- En disant les choses telles qu'elles sont.

- ... Sans que tu ne t'énerves, termina-t-elle.

Rory fronça les sourcils.

- Pourquoi je devrais m'énerver?

Eloïse chercha ses mots avec soin.

- Parle, s'il te plait, lui intima le Madrigan.

- J'ai embrassé quelqu'un. Enfin, il m'a embrassée.

Rory resta calme, à la surprise d'Eloïse. Peut-être attendait-il d'en savoir plus avant de juger.

- Qui?

- Le type dont je t'avais parlé, qui vient dans mes rêves. Caleb.

- Donc il t'a embrassée?

Le magicien avait bien appuyé sur le "il", pour s'assurer qu'il ne se trompait pas sur la chose.

- Oui. Je l'ai repoussé.

- ... D'accord.

Eloïse le voyait, quelque chose clochait dans sa réaction. Il semblait à la fois trop calme et méfiant.

- C'était quand cette histoire? Demanda-t-il.

- Il y a presque un mois.

- Et tu l'as revu depuis?

- ... Oui.

Elle ne comprenait pas ce qu'il cherchait à faire au juste.

- Mais c'est n'est pas de ma volonté, ajouta-t-elle. C'est lui qui décide quand.

- Et pourquoi tu m'as repoussé?

- Quoi?

- Je veux juste une réponse.

- Je ne sais pas, à vrai dire. J'ai culpabilisé. C'est venu d'un coup.

Un silence pesant s'installa.

- Tu ne crois pas qu'il aurait été plus judicieux de m'en parler avant? Demanda-t-il d'un ton amer. Puis d'ailleurs, c'est sympa de culpabiliser un mois après.

- Je suis désolée, ça m'était sortit de la tête.

- Et il y a d'autres choses en rapport avec ce Caleb dont tu dois me mettre au courant?

Eloïse voulut répondre que non, mais la proposition du Phébéien de l'adopter et de partir avec lui refit surface dans son esprit. Elle donna une réponse avec un temps de pause qui lui fit perdre toute crédibilité.

- Non.

Rory comprit tout de suite qu'elle mentait. Il soupira, énervé, et recula d'un pas.

- Ne compte pas sur moi pour passer demain. Ou tout autre jour.

A ces mots, il tourna les talons pour repartir en direction d'Astras. Eloïse, elle, resta plantée debout à le fixer, encore sous le choc.

Lentement, elle rentra chez Victorien, la tête ailleurs. Lorsqu'elle arriva dans le couloir, elle aperçut Miranda et Victorien en train de parler dans le salon, mais traça sa route jusqu'à sa chambre sans leur adresser le moindre regard. Miranda l'interpella, intriguée par son comportement.

- Eloïse?

Cette dernière soupira et alla à la rencontre de la mage noire, s'adossant contre le cadre de la porte.

- Tu as l'air étrange, lui dit Miranda. Ça va?

- Je sais pas.

- Qu'est-ce qui s'est passé?

Eloïse fronça les sourcils, ne sachant pas trop quelle réaction adopter.

- Je crois que je viens de me faire plaquer.

Ce fut au tour de Miranda de froncer les sourcils.

- Rory?

- Tu voulais que ce soit qui?

- Putain, quel con, lâcha Miranda en se levant. Victorien, je m'absente un instant.

Le mage noir hocha la tête. Miranda, elle, tira Eloïse jusqu'à sa chambre.

- Qu'est-ce qui s'est passé?

Eloïse lui raconta son après-midi en essayant de ne rien oublier. La mage noire ne laissa échapper aucun mot ou aucune réaction durant les quelques minutes d'explications.

- Je vais aller lui parler, dit-elle finalement.

- Miranda, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

- Je ne t'ai pas demandé ton avis.

- Non, mais vraiment. Ne le fais pas.

- J'ai des choses à clarifier avec lui, pas forcément en rapport avec toi. Fais moi confiance.

Miranda se leva et lui tapota l'épaule.

- Ça va aller?

- Je crois, oui.

- Bon, je retourne voir Victorien. Tu m'appelles si tu as besoin de moi.

- Aucun risque. Bonne nuit.

Miranda fronça les sourcils.

- Il est à peine seize heure trente.

- Qu'est-ce que j'en ai à foutre?

La mage noire partit sans rien ajouter de plus.

Eloïse s'éveilla aux alentours de quatre heures du matin. Après s'être endormie vers dix-huit heures, elle se sentait suffisamment reposée.

La magicienne partit en direction de la cuisine chercher quelque chose à manger. Elle avait sauté un repas la veille et son ventre lui faisait donc comprendre qu'il était temps qu'elle ingurgite quelque chose.

Elle saisit un paquet de gâteaux et retourna en direction de sa chambre. Sur le chemin, elle croisa Victorien, adossé contre le mur du couloir.

- Qu'est-ce que tu fais? Demanda-t-il.

- J'ai faim. Tu ne dors pas?

- Je dormais. Mais tu n'es pas discrète.

En effet, les cheveux du mage noir étaient légèrement en bataille, retombant tout juste sur ses épaules de façon plus ou moins anarchique.

- Tu n'es pas partie rejoindre Caleb, constata Victorien.

La date limite imposée par le Phébéien venait d'être dépassée. Eloïse n'avait pas choisi de le suivre.

- Non, puisque je suis devant toi.

Il la toisa un instant en silence.

- Tu as fait le bon choix, dit-il.

A ces mots, il retourna vers sa chambre. Eloïse, elle, resta interdite, plantée avec son paquet de gâteaux au milieu du couloir, vexée et déçue à la fois.

- C'est tout? Demanda-t-elle.

Le mage noir se tourna dans sa direction.

- Qu'est-ce que tu voudrais que je te dise?

- Je ne sais pas. N'importe quoi. Que tu m'aurais quand même empêchée de le suivre. Ou même que tu es content que je sois restée.

Il la fixa sans la moindre réaction. Eloïse décida d'en rajouter une couche.

- Pendant un moment, j'ai honnêtement hésité à partir. Puis j'ai finalement décidé de te faire confiance. Peut-être que pour toi ça ne veut rien dire, mais dans ce cas là tu ne te rends pas compte de l'énorme effort que j'ai fais. Un minimum de réaction de ta part, c'est tout ce que demande.

Victorien soupira et retourna vers elle pour aller se poster juste en face. Il posa une main sur sa tête.

- Je te le répète, tu as fais le bon choix, tu n'as aucun doute à avoir là dessus. Et puisque tu te poses la question, il était hors de question que je te laisse partir. Même si c'était ce que tu voulais.

- Vraiment?

- Vraiment.

Il l'embrassa sur le front et s'éclipsa en direction de la porte de sa chambre, pour finalement disparaître de l'autre côté.

Eloïse resta debout au milieu du couloir un instant, hébétée, avant de retourner vers sa chambre à son tour. Cela devenait rare que Victorien s'adresse à elle avec un minimum de gentillesse.

Et c'était l'une des premières fois qu'il lui montrait véritablement de l'affection.

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