Chapitre 38: Zéro
- Où est Néophen?
Debout dans le salon de sa petite maison, Arvhald regardait les intrus d'un œil inquiet. Sur la défensive, il avait les mains crispées sur une barre métallique, prêt à frapper quiconque s'approchait un peu trop. De toute évidence, les laboratoires se trouvaient déjà à l'extrême limite.
- Où est Néophen? Répéta-t-il d'une voix plus forte.
Kaladria, ses cheveux blonds délavés soigneusement tirés vers l'arrière de son crâne, s'approcha d'un pas, faisant attention à ne pas le brusquer.
- Néophen Vernythali est malheureusement décédé durant une mission, annonça-t-elle d'une voix douce qui avait des accents faux. Tu dois nous suivre, Arvhald.
- Quoi? Comment ça il est mort?
Kaladria tenta de s'approcher d'un pas supplémentaire, mais fut stoppée par la barre métallique brandie par le Madrigan.
- C'est la vérité, dit-elle en tentant de le calmer. Je suis vraiment désolée pour cette perte, mais tu dois nous suivre, petit. Tu n'es majeur que dans six ans.
- Quand bien même, qu'est-ce qui me prouve que c'est le gouvernement qui vous envoie? Qu'est-ce qui me prouve que vous ne mentez pas?
Arvhald était extrêmement méfiant. Il se doutait que quelque chose n'était pas clair. Il ne se trouvait pas à la Cité mais à Everland, et dans cette ville, contrairement à sa voisine, les mineurs n'étaient encadrés par le gouvernement que s'ils en faisaient la demande. Or, Arvhald n'avait rien demandé du tout.
- Quoi qu'il arrive, poursuivit-il, je ne compte pas vous suivre. Sous aucun prétexte. Et si vous faites réellement partie du gouvernement, vous saurez que vous ne pouvez pas me l'imposer.
Kaladria afficha une grimace contrariée. Ce gamin n'était pas aussi stupide qu'elle ne l'avait espéré. Au contraire, il était même futé. D'un seul coup d'œil, il avait compris que ce n'étaient pas des envoyés du gouvernement d'Everland qui lui faisaient face.
- Bon, fini de jouer, déclara-t-elle, sa patience étant arrivée à son terme. Tu vas nous suivre, Arvhald, et tu vas le faire tout de suite.
Le Madrigan fit tournoyer la barre métallique entre ses mains et tenta de faucher la femme d'un coup plus ou moins précis. Il suffit à Kaladria de se reculer d'un pas pour l'éviter.
- Chopez-le, ordonna-t-elle aux employés derrière elle.
Aussitôt, les cinq magiciens s'élancèrent vers le Madrigan. Arvhald abandonna sa barre et fonça à l'étage supérieur, une petite longueur d'avance sur les employés des laboratoires. Les escaliers, assez étroits, constituaient également un certain avantage. Impossible de les emprunter à plusieurs, retardant ainsi les poursuivants.
Arvhald s'aventura jusqu'au bout du couloir, claqua la porte de la pièce dans laquelle il venait de s'engouffrer et lança un sortilège de verrouillage à la hâte dessus. Les laboratoires tentèrent d'enfoncer la porte à peine quelques instants plus tard.
Rapidement, il tira la ficelle d'une trappe menant au toit, s'aida d'une chaise déposée dans un coin prévue pour ce genre de situation, l'escalada, et sauta pour s'agripper aux rebords de l'ouverture. Il réussit à se hisser à l'extérieur au moment où la porte céda.
Ce n'était pas la première fois que des gens douteux s'approchaient de lui, essayant de le kidnapper par divers moyens. Seulement, d'habitude, Néophen était toujours là pour lui assurer une sécurité supplémentaire. Cette fois-ci, il était seul.
Arvhald ne croyait pas non plus à la mort de son cousin. Ces gens devaient lui mentir pour l'obliger à les suivre. Il ne tomberait pas dans le panneau. Il s'échapperait et irait le retrouver.
Sans perdre plus de temps, le Madrigan se dirigea vers le bord du toit. L'avantage de vivre à Everland était la végétation luxuriante qui avait envahie chaque parcelle de la cité, laissant parfois des arbres fleuris pousser au beau milieu d'une rue. Là, c'était le lierre fixé à la façade de sa maison qui lui rendrait un grand service. Il s'y accrocha et commença se descente. Les laboratoires s'approchaient un peu trop et il ne devait pas leur laisser le temps de le rattraper.
En quelques instants, Arvhald posa les pieds par terre et s'élança à travers la forêt urbaine. Il devait les semer par tous les moyens qui s'offraient à lui.
Puis Kaladria se pointa devant lui, la barre métallique que le Madrigan avait anciennement eu entre ses mains logée dans les siennes.
- Tu n'as aucune issue, fit-elle remarquer. Rends-toi.
Arvhald se retourna pour essayer de fuir dans la direction opposée, mais les cinq magiciens partisans des laboratoires arrivèrent en courant, lui barrant la route par la même occasion.
Il était piégé.
Serrant les poings, il se prépara à se défendre, sachant pertinemment qu'il n'avait aucune chance. Si seulement Néophen avait été présent, les choses n'auraient pas tournées aussi mal.
Arvhald tenta de se détendre. Il ne fallait pas qu'il paraisse vulnérable en face d'eux.
Une chose lui traversa alors l'esprit: il ne savait même pas à qui il avait affaire. Ne serait-ce que poser la question pourrait lui permettre de gagner du temps nécessaire à l'élaboration d'un plan pour s'en tirer.
- Vous êtes qui au juste? Demanda-t-il. Parce que je sais que vous ne travaillez pas pour le gouvernement.
- Nous ne sommes personne, mon petit. Rien ni personne, lui dit Kaladria.
Elle leva une main. L'un des magiciens à sa droite attaqua Arvhald, qui arrêta le coup sans mal. Seulement, au même moment, un ennemi de l'autre côté le frappa dans le dos d'un éclair puissant. Le Madrigan tomba par terre sous le coup du choc.
Kaladria fit un pas en avant, un petit appareil ressemblant à un pistolet où une petite aiguille servait d'embout dans la main. Elle le planta dans le cou d'Arvhald avant qu'il n'ait le temps de se relever.
La piqûre provoquée eut le don de le réveiller. Arvhald repoussa violemment Kaladria et se mit à courir à travers la forêt urbaine pour échapper à ces gens. Ils ne cherchèrent pas à l'en empêcher, se contentant de le regarder de loin.
Le monde commença à tanguer autour d'Arvhald. Les arbres semblaient tourner autour de lui et le sol se rapprocher du ciel. Bientôt, tout devint noir et il s'écroula par terre.
♦
Tout était blanc. Si blanc que cela en faisait mal aux yeux. Les murs, le sol, le plafond étaient de couleur immaculée sans la moindre imperfection, comme si le lieu était nettoyé à chaque heure.
Pour meubler la pièce, il n'y avait qu'un lit et une armoire, eux aussi blanc. La seule tâche dans ce paysage froid était un petit miroir rectangulaire.
Arvhald s'en approcha à pas feutrés, comme si quelqu'un risquait de le surprendre dans sa démarche. Mais il était seul dans cette chambre. Totalement seul.
Il s'était réveillé peu de temps avant, complètement déboussolé. Il n'avait pas la moindre idée de l'endroit dans lequel il se trouvait et ses derniers souvenirs étaient flous. La seule chose dont il se rappelait en détails était le groupe de gens qui avaient tenté de le kidnapper sans savoir ce qui s'était ensuite produit.
Le visage d'Arvhald se refléta à travers la petite surface et aussitôt, le magicien eut un mouvement de recul.
Ses cheveux avaient été soigneusement coupés et lui laissaient un front dégagé. Un bandeau blanc lui recouvrait l'œil droit, pourtant, le magicien ne s'était pas rendu compte de sa présence. Pour cause, il voyait à travers.
Incompréhensif, le magicien porta la main à l'arrière de son crâne dans un geste nerveux. Ses doigts rencontrèrent un morceau de bande stérile, le faisant se figer. Qu'est-ce qu'il lui était arrivé au juste?
L'adolescent retira le bandeau qui lui couvrait l'œil d'un geste paniqué. Le tissus blanc tomba doucement au sol. Puis le miroir vola en éclats, brisé par son poing.
Arvhald ne pouvait pas croire qu'il s'agissait de son reflet. Si son œil gauche ne présentait rien d'anormal, le droit, en revanche, avait eu le don de le glacer d'effroi. Son iris noir était devenu d'un vert brillant et sa pupille, rouge écarlate entourée d'un petit cercle blanc. Un tatouage en forme de zéro était placé juste en dessous, sur le haut de sa joue.
Il ferma les yeux pour essayer de chasser cette image de son esprit, mais elle semblait déjà s'y être ancrée. Sans même s'en rendre compte, il posa ses mains sur l'arrière de son crâne, effleurant de nouveau le morceau de bande soigneusement collé à sa peau.
Une sueur froide le prit. Après avoir découvert son œil, il avait peur de savoir ce qui se trouvait derrière cette bande. Les mains tremblantes, il retira le morceau de tissus. Ses doigts rencontrèrent sa peau lisse, indiquant que ses cheveux avaient été rasés à cet emplacement. Puis ils se posèrent sur une étrange bosse. Pendant un instant, Arvhald resta figé, puis une décharge d'énergie incroyable le traversa. Le monde se brouilla pendant un instant, si bien qu'il fut incapable de se rendre compte de sa chute.
Lorsqu'il reprit conscience du monde qui l'entourait, deux personnes se tenaient au dessus de lui. La première, une jeune femme au visage ovale où quelques tâches de rousseur avaient élu domicile, de jolis yeux bleu verts inquiets fixant le magicien au sol. Ses cheveux couleur cendre étaient soigneusement attachés en une couronne de tresse. A côté d'elle, un homme de la vingtaine au regard bleu électrique posait deux doigts sur le cou du Madrigan, les lèvres pincées. Il sembla rassuré en le voyant éveillé.
- Petit, tu vas bien? Demanda-t-il.
Arvhald ne répondit pas, se contentant de dévisager les deux inconnus penchés sur lui.
- Tu vois bien qu'il n'a pas l'air, Phrixos, dit à son tour la jeune femme. Et il y a de quoi avec ce qu'ils lui ont fait.
- Pourquoi? Qu'est-ce qu'ils ont fait? Demanda Arvhald. Et puis vous êtes qui? Et je suis où?
Le magicien tenta de se lever mais le dénommé Phrixos appuya sur ses épaules pour ne pas qu'il ne bouge.
- Détend-toi s'il te plait. Et surtout, reste immobile. D'accord?
Il se tourna ensuite en direction de la jeune femme.
- Valentiana, va chercher quelqu'un. Vite.
Elle ne se le fit pas répéter deux fois et quitta la pièce en trombe.
Arvhald retenta de se lever, mais encore une fois, il fut stoppé dans son élan. Il se mit à tousser et un gout de sang envahit sa bouche. Phrixos renforça la prise sur ses épaules.
La porte de la pièce s'ouvrit de nouveau. Valentiana était suivie d'un des supérieurs à la crinière blonde.
- Isidorh, dit Phrixos. Il faut lui retirer la pierre.
- Ce n'est pas à moi que revient cette décision, répondit-il.
- Et pourquoi pas? Tu es au même niveau de la hiérarchie que Kaladria et Anthéon. Tu as ton mot à dire.
- Ils sont deux et je suis seul. Je ne suis que la minorité contre la majorité.
- Et les deux HR? Demanda Valentiana. Ils font partie des cinq supérieurs, ils peuvent décider aussi.
- Si seulement ils étaient à proximité, oui. Mais ils gardent leurs distances.
Isidorh s'approcha alors d'Arvhald pour voir son état de santé. Il s'accroupit et l'observa pendant un instant. Le Madrigan, lui, aperçut un œil à la pupille rouge similaire au sien en dessous de ses boucles blondes.
- C'est quoi cet œil? Demanda-t-il. Qu'est-ce que vous m'avez fait?
Le supérieur ne répondit pas et se releva pour quitter la pièce.
- Je reviens dans un instant, indiqua-t-il à l'intention des deux employés.
Valentiana et Phrixos hochèrent la tête.
- Pourquoi les HR restent à l'écart comme ça au juste? Demanda-t-elle à son collègue quand le supérieur fut partit. Ils pourraient enfin faire pencher la balance d'un côté autre que celui de Kaladria et Anthéon! Ces deux là sont vraiment les pires pourritures que je connaisse. Sans vouloir te vexer.
Phrixos soupira.
- Je ne sais pas, répondit-il. Et tu ne me vexes pas puisque j'en pense de même. Regarde déjà où j'ai fini par leur faute.
- C'est vrai. Mais là, c'est dépasser les limites. On ne teste pas un projet d'une envergure aussi grande sur un enfant de douze ans.
Arvhald tiqua. Les deux jeunes gens parlaient de lui.
- Quel projet? Demanda-t-il, perdu.
Phrixos appuya un peu plus sur ses épaules. Valentiana, elle, vérifia que personne n'approchait et fit un petit signe de tête en direction de son collègue.
- Projet Iota, dit Phrixos à voix basse. Tu es le cobaye de cette expérience.
- Quoi? S'exclama-t-il.
Aussitôt, une douleur explosa dans son crâne, l'obligeant à serrer les dents. Il avait la furieuse impression que quelque chose lui brûlait l'arrière de la tête. Des points blanc défilèrent devant ses yeux.
- Reste calme et parle moins fort, poursuivit le jeune homme en jetant un regard inquiet vers la porte. On peut essayer de t'épargner, mais je ne garantis rien. Le seul qui a la possibilité d'arranger les choses pour le moment, c'est Isidorh, le magicien que tu viens de voir.
Arvhald voulut répondre, mais n'en trouva pas la capacité. Il ferma les yeux un instant pour s'isoler de la lumière qui lui brûlait les pupilles. Phrixos le secoua très légèrement.
- Reste éveillé, dit-il. Si tu t'endors maintenant, tu risques de mourir.
Cette déclaration lui fit l'effet d'une douche froide. Lentement, il rouvrit ses paupières, grognant et toussant à cause de leur intensité qui l'aveuglait.
Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir, se dirigeant jusque dans la pièce. Isidorh passa la porte, une seringue dans les mains.
- Tiens le bien, dit-il à Phrixos.
Ce dernier hocha la tête, collant bien les épaules de garçon sur le sol. Isidorh revint s'accroupir à côté.
Arvhald fixa un moment l'aiguille de la seringue, inquiet. Son expression de panique ne passa pas inaperçue parmi les magiciens qui l'entouraient.
- Ce n'est pas le moment d'avoir peur d'une simple aiguille, lui dit Isidorh. Le pire est devant toi, Zéro.
A ces mots, il planta l'aiguille dans son cou.
Arvhald sentit comme une chaleur apaisante l'envahir. Ses yeux se refermèrent tout seuls, le laissant vagabonder avec ses dernières pensées.
Le pire était-il vraiment devant lui?
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