Chapitre 36: Octobre (6)

- Eloïse?

La magicienne ouvrit lentement les yeux. La lumière du jour lui fit cligner des paupières.

- J'avais peur que tu ne te réveilles pas.

Eloïse tourna la tête en direction de la femme qui avait parlé. De fins cheveux blonds clairs coupés en carrés, un visage ovale qui semblait parfaitement symétrique. Et surtout, de magnifiques yeux d'un violet clair qui brillaient comme des pierres précieuses. Elle avait l'air d'avoir aux alentours de la vingtaine, trentaine maximum.

- Vous êtes? Demanda Eloïse.

- Callie, enfin! Répondit-elle en riant comme si la question était stupide.

La blanche ne put s'empêcher de sourire. Cette femme avait l'air adorable et sa bonne humeur était contagieuse.

- Qu'est-ce que tu attends? Lui demanda Callie. Viens.

Eloïse se leva, peu sûre d'elle. Elle observa alors la pièce dans laquelle elle se trouvait. Une simple chambre qui lui était totalement inconnue. Mais étrangement, cet environnement la mettait parfaitement à l'aise.

Les deux filles descendirent à l'étage d'en dessous de ce qui devait être une maison. Aussitôt, le regard d'Eloïse croisa celui de Maximilien, qui alla à sa rencontre.

- Alors, bien dormi? Demanda-t-il.

- Max? Mais qu'est-ce que tu fiches ici?

Le Madrigan haussa les sourcils entre l'amusement et l'incompréhension.

- C'est aussi chez moi ici, tu sais.

Eloïse fronça les sourcils. Lui et Ilyann n'avaient pas de maison. Ils ne pouvaient pas se le permettre, pas avec les laboratoires qui leurs courraient après. Elle voulut prononcer ces quelques mots, mais ils restèrent coincés dans sa gorge.

- Bonjour Eloïse, dit Ilyann en s'approchant. Tout va bien?

La magicienne secoua la tête pour se remettre les idées claires.

- Ça va, dit-elle.

- Tu es sûre? Tu faisais une tête étrange.

- Absolument certaine. C'est rien.

- Si tu le dis.

Il lui ébouriffa le haut du crâne et alla rejoindre Callie, passant un bras autour de ses épaules. Eloïse, fronçant les sourcils, retourna voir Maximilien. Quelque chose n'allait pas. Elle avait déjà entendu le nom de Callie quelque part, mais n'était pas parvenue à s'en rappeler. Maintenant qu'elle la voyait avec Ilyann, l'air extrêmement proches, des souvenirs lui revinrent en mémoire.

- Callie, c'est ta mère, n'est-ce pas? Demanda-t-elle.

Maximilien la regarda de façon étrange, comme si elle venait de poser la question la plus étrange du monde.

- Oui...

Cela confirma les doutes d'Eloïse.

- Mais ta mère est morte quand tu avais quatre ans, Max.

Ce n'était qu'un rêve.

La magicienne ouvrit les yeux et se redressa d'un bond, écartant ses cheveux de son visage. Tout ceci n'était qu'un rêve et elle n'était pas parvenue à s'en rendre compte. La potion lui donnant la conscience dans ces moments commençait à ne plus faire effet.

Eloïse poussa sa couette et se leva, regardant l'heure sur son téléphone: trois heures du matin. Actuellement, elle ne se sentait pas d'aller se recoucher. Elle partit donc en direction de la cuisine chercher un verre d'eau.

Il n'y avait aucun bruit dans la maison. Victorien devait être en train de dormir. Ou peut-être était-il simplement absent, comme à son habitude. Eloïse ne se rappelait pas l'avoir un jour vu dormir. Elle se demandait même parfois si cela lui arrivait.

Eloïse posa le verre vide à côté d'elle et repensa à son rêve. A quoi est-ce que cela rimait? A priori, il n'y avait rien d'étrange, mis à part la présence de la mère de Maximilien. Elle ne l'avait jamais vue dans la réalité, ni même en photo, alors comment avait-elle pu être présente dans son rêve avec autant de précision? C'était comme si la blanche avait son portrait encré dans l'esprit.

Oubliant un instant ce phénomène étrange, Eloïse retourna faire les cent pas dans le couloir. Ce rêve l'avait mise très mal. Elle avait eu l'impression de retourner plusieurs années en arrière, quand elle avait encore eu une famille. Quand la notion de famille avait encore pu être envisageable pour elle.

La magicienne passa une main sur son visage et sentit que des larmes roulaient sur ses joues.

Si ce n'était pas de la tristesse, c'était simplement un stade avancé de fatigue qui la mettait sur les nerfs.

La porte d'entrée se ferma dans un bruit étouffé et Victorien surgit dans le couloir. Les deux, en se voyant, se fixèrent dans le blanc de yeux un instant, puis le mage noir fronça les sourcils.

- Tu pleures?

Eloïse ouvrit la bouche, réfléchissant à une réponse.

- ...Non.

- Qu'est-ce qui se passe?

Elle soupira.

- Rien.

- J'ai un peu de mal à te croire.

Eloïse étouffa un sanglot avec un peu de mal. Victorien s'approcha d'elle, la saisit par les épaules, puis la conduit vers le salon avant de la faire s'asseoir sur le canapé. Il alla chercher un verre d'eau qu'il lui tendit et s'installa à côté.

- Maintenant, dis moi quel est le problème.

- Je suis fatiguée. Vraiment fatiguée.

- Dans ce cas-là va te coucher. Il est trois heures du matin.

- Je vais être incapable de fermer l'œil, c'est pas la peine.

En réalité, elle n'avait pas envie de se rendormir pour faire un autre rêve étrange. Cela aurait le don de la pousser un peu plus à bout. Déjà que ces derniers temps elle était à cran, cela serait la goutte d'eau faisant déborder le vase – bien qu'avec cette crise de larme, elle se doutait que le vase avait déjà débordé.

- Est-ce que je peux faire quelque chose? Demanda Victorien.

- Pourquoi est-ce que tu es gentil d'un coup?

- Tu as l'air au bord de la crise de nerfs.

Eloïse fronça les sourcils.

- Ça se voit tant que ça?

- Ces derniers temps, j'ai l'impression que n'importe quelle remarque déplacée va te faire fondre en larmes. Tu n'es pas capable de tenir un entrainement de magie simple parce que tu es trop fatiguée. En fait, tu es presque incapable de faire quoi que ce soit parce que tu es trop fatiguée. Tu t'énerves plus vite que d'habitude, et pour finir, je viens de te trouver en train de pleurer dans le couloir au beau milieu de la nuit.

Elle soupira, serrant le verre d'eau encore plein dans ses mains, le regard rivé vers le liquide.

- J'ai un mal de tête qui refuse de me quitter. Je crois que ça joue pour beaucoup. Quand je ne fais pas de rêves étranges, ça m'empêche de fermer l'œil.

- Des rêves étranges?

- La plupart n'ont pas d'importance.

Eloïse desserra un peu la pression qu'elle exerçait sur ce pauvre verre. Elle avait l'impression qu'il allait finir par se briser sous sa poigne.

- Caleb est revenu me voir dans un de ces rêves.

Victorien se redressa. Cette partie-là de l'histoire risquait d'être un peu plus tendue. Ces derniers temps, lorsqu'ils étaient en mauvais termes, c'était uniquement à cause de l'évocation de Caleb. Pour une fois que le mage noir était un minimum compréhensif avec elle, Eloïse souhaitait que ça dure un minimum. Cependant, il lui était inconcevable de lui cacher ce que le Phébéien lui avait proposé.

- Il s'est passé quelque chose d'anormal? Demanda Victorien, calme, bien qu'un peu d'agacement perçait dans sa voix.

- Il... M'a fait une proposition. Qu'il m'adopte, que je vienne vivre chez lui.

- Tu as accepté? S'empressa-t-il de demander.

- Non. Pour le moment, ajouta-t-elle. J'ai encore quelques jours pour prendre une décision finale.

- Tu hésites, conclut-il.

Eloïse hocha la tête. Elle penchait plus pour rester, mais parfois, elle se disait que partir serait la meilleure solution. Même si c'était aussi probablement la plus lâche.

Victorien grommela quelques mots dans un Madrigan parfait. Si la magicienne se rappelait des cours que Rory lui avait fourni, il s'agissait d'un flot d'insultes sans aucun doute à l'intention de Caleb. Le mage noir finit par la regarder dans les yeux, l'air très sérieux.

- Honnêtement, le choix le plus judicieux est de ne pas le suivre, dit Victorien. Sous aucun prétexte.

Eloïse se doutait qu'il dirait quelque chose du même genre. Le visage du mage noir se crispa un peu quand il poursuivit.

- Mais c'est à toi de prendre tes décisions. Juste, fais le bon choix. Celui que tu ne regretteras pas plus tard.

La magicienne sentait que cela ne lui plaisait vraiment pas de dire ça. Mais il semblait incroyablement calme. En temps normal, elle l'aurait plutôt imaginé l'obliger à rester, voire même la menacer de le faire.

Contre toute attente, il lui laissait le choix.

- Je vais essayer, répondit-elle sans grande assurance.

Mais Eloïse ne savait pas vraiment quoi faire. Pour une fois, elle aurait aimé ne pas avoir le choix, juste pour ne pas avoir à réfléchir autant et ainsi alimenter son mal de tête.

Rien qu'en pensant à ce bourdonnement qui ne la quittait pas, la blanche eut l'impression qu'il redoublait d'intensité, lui arrachant quelques larmes supplémentaires.

- Arrêtes de pleurer, dit Victorien.

Eloïse posa sa tête dans ses mains, les coudes sur les genoux.

- J'ai mal à la tête.

Si seulement elle arrêtait de réfléchir autant à des choses inutiles, ces élancements seraient moins problématiques.

- Et j'ai besoin d'un câlin, ajouta-t-elle, un peu moins sûre d'elle.

Victorien la regarda un instant sans bouger. Il semblait attendre de voir ce qu'elle comptait faire. Eloïse, de son côté, se sentit stupide. Les effusions sentimentales n'étaient pas du tout le genre du mage noir. Elle aurait dû prévoir sa réaction à l'avance. Doucement, elle reposa le verre d'eau encore plein par terre, ne sachant pas quoi en faire.

- Je...

- Tu? Fit-il, amusé.

Eloïse ferma les yeux un instant. En plus, il commençait à se ficher ouvertement d'elle. Elle se sentit idiote d'avoir posé cette question en premier lieu.

Lorsqu'elle les rouvrit, le mage continuait à la fixer en haussant les sourcils, attendant sa prochaine réaction. Sans trop d'assurance, Eloïse posa la tête sur son épaule. Il ne bougea pas, ce qui la fit se détendre.

Récemment, elle s'était rendue compte que le bourdonnement dans son crâne disparaissaient dès qu'elle entrait en contact avec quelqu'un. La magicienne ne savait pas pourquoi, mais essayait de s'en servir un maximum.

Son mal de tête s'estompa jusqu'à disparaître, et Eloïse eut l"impression d'être libérée d'un énorme poids.

Elle ferma les yeux, et s'endormit d'un coup.

- Ça ne peut pas continuer de cette façon, dit Jefferson.

Etan soupira. Il était de cet avis, mais n'était en même temps pas certain d'avoir réellement le choix. Les choses étaient trop imprévisibles et souvent en dehors de leur contrôle.

- Combien de pertes allons nous devoir endosser à la fin de la bataille? Se demanda Jefferson.

- Sûrement trop, lui répondit Etan. Mais dans une guerre, il y a toujours des pertes. Quoi qu'il arrive.

- Ces derniers temps, leur nombre augmente considérablement.

- Ce n'est pas notre faute mais celle des laboratoires. Ils sont ceux qui sèment les problèmes.

L'image de Naya entra dans l'esprit de Jefferson. La petite n'avait cherché qu'à rendre un service à Liam, et elle y était restée.

- Il va falloir être plus prudents, dit-il. Nous ne pouvons pas nous permettre d'endosser plus de pertes. Je refuse de voir d'autres gens mourir.

Etan fixa ses pieds. Sur ce point, ils étaient du même avis. Restait à savoir ce qui allait advenir, car ils ne pouvaient pas anticiper ce que les laboratoires prévoyaient, peu importe l'ampleur de la chose. Ce derniers étaient parés à ce genre de problèmes et rien ne filtrait à l'extérieur de leur bâtiment. Si seulement l'Ombre avait encore eu des agents doubles présents là-bas, cela aurait grandement facilité les choses.

Lana vit la grande entrée ouest de la Cité se dresser dans son champ de vision. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Finalement, après tout ce temps, elle était enfin de retour. Seule, malheureusement.

La magicienne risquait d'attirer fortement l'attention sur elle: avec ses vêtements de vadrouilleurs, son allure sale et pleine de sable, ainsi que ton air maladif, elle était presque méconnaissable. Elle même avait eu du mal à se reconnaître lorsqu'au détour d'un chemin, elle avait observé son reflet dans une flaque d'eau.

Remettant ses cheveux en place du mieux quelle put, faisant ainsi voler des grains de sable dans l'air, Lana se dirigea du pas le plus assuré possible vers l'entrée, surveillée par quatre gardes. Ils la regardèrent d'une drôle de façon avant que l'un d'eux ne vienne en sa direction lui bloquer le passage, un sceptre électrifié aux pointes fermement tenu dans sa main droite.

- Vous venez du Désert Blanc? Demanda-t-il.

- Oui.

- Pourquoi vous aventurer à la Cité dans ce cas?

- Parce que la Cité est l'endroit où je souhaite me rendre.

Le garde resta sceptique. Il fit un signe de main à ses collègues, et un autre garde, plus grand, se rendit dans leur direction. Ils saisirent chacun un des bras de Lana et la tirèrent à l'intérieur de la Cité.

- Qu'est-ce que vous faites? Demanda-t-elle.

- Nous allons devoir procéder à une vérification d'identité. Veuillez nous suivre sans opposer de résistance.

Lana laissa échapper un petit rire nerveux. Après qu'elle se soit échappée d'une prison, qu'elle ait traversé le Désert Blanc en étant épuisée, trouvé refuge au Futuro tout en faisant en sorte de ne pas se faire remarquer, elle allait finir en prison à peine les portes de la Cité passées?

Les gardes la traînèrent jusqu'à une arche. Ils passèrent à travers et arrivèrent à la frontière du quartier Royal, en direction des quartiers des gardes. Lana se laissa faire, le pas tout de même un peu traînant à cause de la fatigue accumulée. A quoi bon résister? Son traitement ne pourra jamais être pire que celui subi dans le campement ennemi. Pendant un moment, elle avait bien cru y rester.

Une fois sur place, les gardes demandèrent leur supérieur. Ils firent asseoir Lana sur la chaise métallique d'une petite salle d'interrogatoire, un de chaque côté d'elle, en attendant sa venue.

Le supérieur arriva un instant plus tard, lui aussi dans son uniforme de garde bordeaux et doré – couleurs de la Cité. Il se planta en face de Lana et l'examina du regard.

- Nom, prénom et âge, dit-il.

- Delaunay Lana, dix-neuf ans.

- Vadrouilleuse originaire du Désert Blanc?

- Comme mes tissus peuvent en témoigner.

- Pourquoi vouloir venir à la Cité?

- Parce que c'est beaucoup plus accueillant que le Désert.

Le garde esquissa un léger sourire moqueur.

- Vous êtes venue seule depuis le Désert Blanc?

Lana eut une pensée pour sa sœur.

- Oui, totalement seule.

Il sembla sceptique.

- Vous avez traversé l'équivalent de la moitié du contient par vous-même, bien, mais est-ce que vous savez au moins comment fonctionne la Cité et ce qui vous y attend?

- Bien évidemment, j'y ai déjà mis les pieds un nombre incalculable de fois.

Le garde fronça les sourcils.

- Pouvez-vous vous expliquer?

- J'ai déjà quitté le Désert Blanc quand j'avais dix ans après avoir été recrutée par le AMI. J'ai été forcée d'y retourner lorsqu'ils m'ont encouragés à démissionner il y a trois ans.

- Ils vont ont renvoyée, traduit-il.

- On peut voir les choses de cette manière, effectivement, même s'ils ne me l'ont pas annoncé ainsi.

Le garde soupira.

- Vous souhaitez rester à la Cité, je suppose?

- Je n'aurais pas fais tout ce chemin en manquant de mourir si je ne le voulais pas.

- Et vous avez un endroit où dormir?

- Pour le moment, non. J'ai besoin de reprendre contact avec d'anciennes coéquipières qui pourront m'en fournir un.

- Vous savez comment les contacter?

- ... Non.

Le supérieur, fit signe aux deux gardes qui entouraient Lana de les laisser et de retourner à leur service. La pièce fut vidée de leur présence en un instant.

- Des comme vous, je n'en croise pas beaucoup, dit le garde. Je vais vous trouver une chambre au palais. Elle vous sera accessible une semaine, pas un jour de plus. Tâchez de reprendre contact rapidement.

Lana hocha la tête, un fin sourire ornant son visage. Prochaine étape: retrouver l'équipe Alpha.

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