Chapitre 30: Octobre
Aujourd'hui était le jour où les membres restants du AMI retournaient s'installer au quartier général, et par chance, Eloïse n'avait pas été invitée. Autrement, elle aurait refusé, même si c'était juste pour aider à nettoyer les lieux.
La plupart des membres de l'Ombre y étaient, aussi Eloïse eut droit à des messages fréquents de Rory et Miranda, parfois accompagnés de photos.
Rory... Eloïse et lui n'avaient pas parlé du décès d'Elena, son ex petite amie, mais elle supposait qu'il ne vivait pas très bien la chose. Ils avaient peu échangé, ces derniers temps, et elle était au moins ravie de savoir que cette virée ménage au AMI renouait un minimum le contact. Même si c'était pour échanger des banalités. Si cela lui changeait les idées, c'était très bien.
Quant à Eloïse, une chose était sûre : sa vie au AMI ne lui manquait pas. Elle préférait être chez Victorien, même si ça non plus, ce n'était pas l'idéal.
L'avantage principal à habiter chez lui, à ses yeux, était la quantité d'ouvrages de magie qu'il possédait. Dès qu'Eloïse cherchait quelque chose, elle partait du principe qu'elle le trouverait en fouillant dans la cave ou le salon. Or, aujourd'hui, elle voulait une fois pour toute découvrir comment Caleb s'y prenait pour s'immiscer dans son esprit sans y être invité. Certes, elle avait déjà fait deux tentatives infructueuses par le passé, mais ne désespérait pas de tomber sur l'information qu'il lui manquait au détour d'un livre obscur.
Eloïse parcourut l'intégralité de la bibliothèque du salon et se retrouva bien vite avec huit livres dans les bras, qu'elle partit poser sur son bureau avant de retourner faire sa sélection. Elle doutait de pouvoir tous les ranger à la bonne place malgré sa mémoire, mais Victorien ne se rendrait compte de rien. Normalement.
Après avoir choisi cinq livres de plus, Eloïse partit s'enfermer dans sa chambre pour commencer sa lecture. Victorien était absent pour le moment, alors il ne risquait pas de la déranger.
Elle y passa pratiquement la nuit entière, sans résultat. Elle fut également étonnée de toujours avoir un cerveau après avoir ingurgité autant de contenu sans prendre de pauses. Elle avait même oublié de manger.
Eloïse laissa retomber sa tête contre le bois de son bureau et poussa un long soupir. Au delà de Caleb, elle n'avait rien trouvé non plus sur ce qu'Isidorh avait pu lui faire. Pourquoi tout lui semblait aussi inaccessible alors qu'elle était directement touchée par ça ?
Elle partit ranger les six livres parcourus et essaya de se motiver pour poursuivre ses recherches. Aujourd'hui, elle comptait sécher les cours, alors elle avait du temps devant elle. Mais, après une heure de plus à tourner des pages et à lire ligne après ligne tout en cherchant à bien comprendre les nuances de ce qui était énoncé, Eloïse s'endormit sur l'un des ouvrages.
Elle fut réveillée en sursaut par des coups légers frappés sur sa porte. Victorien était rentré ? Pourquoi voulait-il lui parler ? Quoi que, avec un peu de chance, c'était Ilyann, Maximilien, voire même Miranda, qui venaient de bon matin.
- Oui ? lança-t-elle.
Eloïse remit ses cheveux en place et se frotta vigoureusement la joue. Avec un peu de chance, elle n'avait pas la texture de la page imprimée dessus.
Victorien ouvrit la porte. Il n'avait pas l'air d'excellente humeur, vu comme il fronça les sourcils en voyant Eloïse, assise à son bureau devant une pile de livres alors qu'elle aurait dû se rendre à son lycée.
- Qu'est-ce que tu fiches ? demanda-t-il.
- Je lis, répondit-elle comme une évidence.
- Tu ne devais pas aller en cours, aujourd'hui ?
- Si, mais j'ai dit à Ilyann que ce n'était pas la peine de me conduire, que j'étais encore malade.
- C'est le cas ?
Elle haussa les épaules. Oui et non. Présentement, elle avait mal au crâne et se sentait fatiguée, mais uniquement à cause de ses recherches. Victorien poussa un soupir.
- Tu n'as pas mangé hier soir, dit-il. Rien n'a bougé dans la cuisine.
- Et ?
- Tu n'es pas en excellente santé. T'alimenter correctement, c'est le minimum.
Soit, la bataille du AMI remontait à deux jours plus tôt et Eloïse s'était évanouie pendant près de deux heures, mais tout ceci n'avait rien à voir avec le fait de manger ou non.
Victorien s'adossa à l'encadrement de sa porte, bras croisés et visiblement pas décidé à la laisser tranquille.
- Tu veux peut-être parler de quelque chose, lança-t-il.
- Ah bon ? éluda-t-elle.
- Tu as la moitié de ma bibliothèque posée sur ton bureau.
- C'est un peu une exagération, j'ai que sept livres.
Eloïse les empila pour les pousser dans un coin. Avec un peu de chance, il ne les aurait pas reconnus – vu son expression pincée, elle en doutait.
- Tu as dormi, cette nuit ? l'interrogea-t-il.
- Oui, puisque tu m'as réveillée.
- Donc tu as dormi sur ton bureau. Tu as passé la soirée et la nuit à lire, c'est ça ?
- Pourquoi tu poses autant de questions ? Ça te dérange, c'est ça ?
Eloïse n'aimait pas qu'on envahisse son espace personnel, surtout que Victorien ne le faisait généralement pas par gentillesse, plutôt pour l'obliger à avouer des choses.
- J'aimerais que tu me dises ce qui te tracasse, répondit-il. Je peux peut-être t'aider.
Elle se renfrogna, ce qui fut une réaction à laquelle il ne s'attendait pas. Ses sourcils se froncèrent, sans doute de frustration.
- Je pensais que tu étais en colère contre moi à cause de ce qu'il s'est passé au AMI, avoua-t-elle finalement.
- Pourquoi je serais en colère ?
- Parce que je me suis évanouie et que j'ai parlé à Caleb.
- C'est ma faute, pas la tienne.
Eloïse s'était attendue à tout, sauf à ce qu'il prenne la responsabilité de tout ça.
- Je t'en prie, élabore, l'invita-t-elle.
- C'est moi qui t'ai amenée au AMI en sachant que c'était une mavaise idée.
- Oui, et Ilyann m'a expliqué tes raisons. Honnêtement, on aurait pas pu prévoir cette histoire de magicien qui se téléportait partout. Et c'est clairement pas ta faute si Caleb vient me parler, parce que si ça ne tenait qu'à toi, il ne m'adresserait plus jamais la parole.
Elle ne savait pas trop si elle cherchait à le rassurer. C'était une conversation très étrange.
- Tu te rends compte que ce n'est pas ta faute non plus, donc, dit Victorien. Je ne comprends pas comment tu as pu penser que je serais en colère contre toi.
- Parce que c'est souvent le cas.
- Tu exagères, là.
- Dans ce cas il faudrait que tu apprennes à sourire, parce que j'ai parfois du mal à diffencier quand tu es en colère et quand tu es neutre.
Après, il y avait une différence entre être en colère et être en colère contre elle spécifiquement, mais Eloïse ne voulait pas élaborer davantage.
- J'essaierai, répondit-il sans la moindre conviction. Alors, pourquoi est-ce que tu es allée te servir dans ma bibliothèque ?
Il ne comptait pas lâcher le morceau. Eloïse tenta une nouvelle approche.
- Tu n'es pas fatigué ? Généralement, quand tu rentres à sept heures du matin comme ça, tu vas directement te coucher et on ne se croise pas.
- C'est ce que tu aimerais ?
- Oui.
Il y eut un silence. Pourtant, Victorien ne bougea pas. Eloïse le trouva étrangement calme face à ses provocations.
- Tu comptes me repousser systématiquement ? demanda-t-il. Eloïse, je me rends compte que tu fais des efforts pour me faire confiance, mais tu as du mal à accepter ma présence. Il va falloir qu'on cohabite mieux que ça.
Était-ce Ilyann qui lui avait reproché de ne pas communiquer suffisamment avec elle jusqu'à ce qu'il cède et fasse un effort, ou était-ce de sa propre initiative ?
Victorien était légalement son père depuis quelques mois, mais jamais Eloïse ne l'avait vu autrement que comme une figure distante. Qui l'aidait, certes, mais qui avait une relation avec elle seulement en surface. Elle ne savait pas comment lui il ressentait les choses, de l'autre côté, et elle ne savait pas si elle voulait le découvrir.
- C'est difficile, reconnut-elle. De t'accepter dans ma vie.
Être aussi honnête lui était désagréable, mais elle supposait que c'était la bonne solution. Victorien ne répondit pas tout de suite, sans doute occupé à chercher ses mots.
- Je ne vais pas prétendre que c'est facile pour moi non plus, dit-il finalement. Et je suppose que nous avons tous les deux nos raisons.
- Donc on doit chacun faire des efforts, résuma-t-elle.
- Entre autres.
- C'était ton idée ou celle d'Ilyann ?
Il fronça les sourcils.
- Comment ça ?
- On a eu des échanges plus cordiaux, ces derniers temps, mais...
C'était difficile d'expliquer ce qu'elle ressentait. Eloïse se frotta le haut du crâne à la recherche de la chose juste à prononcer.
- Mais ? insista Victorien.
- Je sais pas, j'ai du mal à me dire que l'envie de discuter avec moi vienne directement de toi et pas d'Ilyann, ou même de Maximilien et Miranda, qui insistent pour qu'on communique plus.
Là encore, elle crut que ses propos l'agaceraient ou le vexeraient, mais ce ne fut pas le cas. Soit il était de bonne humeur aujourd'hui, soit quelque chose s'était passé dans son cerveau et il avait décidé de faire des efforts.
- Ilyann m'a beaucoup reproché mon manque de communication avec toi, confirma Victorien. Mais ça vient de moi et non de lui.
- Il s'est passé quelque chose ?
- Non. Pourquoi ?
- J'ai du mal à trouver du sens dans tout ça.
Victorien, lui, eut du mal à comprendre ce qu'elle racontait, vu son air emprunt de confusion. Là encore, Eloïse eut des difficultés à trouver des mots pour exprimer ce qu'elle ressentait.
Elle appréciait la stabilité que vivre chez Victorien lui offrait, malgré les assauts récurrents des laboratoires et le chaos qu'était sa vie. Retourner au AMI lui avait rappelé beaucoup de mauvais souvenirs : la séparation douloureuse avec ses parents, la solitude qu'elle avait ressentie pendant des mois par la suite, le mauvais traitement qui lui avait été réservé... Maintenant qu'elle n'était plus là-bas et qu'elle connaissait autre chose, même si ce n'était pas parfait, Eloïse se rendait compte d'à quel point tout ceci l'avait fait souffrir. Elle avait du mal à l'admettre, d'ailleurs. Elle se sentait étrangement en paix depuis qu'elle avait rendu sa lettre de démission.
Ilyann et Maximilien avaient beaucoup contribué à ce qu'elle se sente bien dans sa vie ici, mais à sa façon, Victorien aussi. Une autre chose qu'Eloïse avait du mal à admettre.
Elle mettrait du temps à l'accepter comme une potentielle famille, après qu'elle ait été séparée de la sienne. Beaucoup de temps. Pour le moment, cette simple pensée était trop bizarre à ses yeux. Surtout à sept heures du matin.
- Je ne pense pas que ce soit nécessaire de trouver du sens partout, lui dit Victorien devant son silence. Parfois, les choses sont justes ce qu'elles sont.
- Peut-être, répondit-elle.
Eloïse se rendit compte qu'elle avait faim, soif et était fatiguée, maintenant que sa concentration s'était évaporée. Pourtant, elle ne se voyait pas arrêter ses recherches maintenant. Peut-être que Victorien avait raison et que ça ne servait à rien de chercher du sens dans leur relation, que les choses étaient simplement ce qu'elles étaient, mais elle ne pouvait en dire autant de Caleb. Et tout ceci la tracassait de plus en plus.
- Bon... Tu veux m'aider ? proposa-t-elle. À moins que tu veuilles aller dormir.
Victorien se décola de l'encadrement de sa porte, intrigué.
- Non, je peux aider. Qu'est-ce que tu fais ?
- J'essaie de comprendre comment Caleb peut s'inviter dans ma tête. Et aussi ce qu'Isidorh m'a fait. Mais d'abord Caleb.
- Ah.
Enfin, Victorien retrouvait son air renfrogné habituel. C'était presque un miracle qu'il n'arrive que maintenant.
- Je peux regarder ? demanda-t-il.
- Vas-y.
Il entra dans sa chambre et se posta à côté d'elle pour observer les livres empilés sur son bureau. Un rapide coup d'oeil sur les titres lui suffit. Or, il n'avait pas l'air convaincu.
- Tu as exploré les mêmes pistes que moi, reconnut-il. Et de mon côté, je n'ai rien trouvé.
- Tu as cherché ?
- Bien sûr que j'ai cherché. J'aimerais que Caleb cesse de te parler.
Eloïse ne savait toujours rien de ce qui liait Victorien à Caleb, à part qu'ils se détestaient suite à une altercation. Puisqu'il était bien luné ce matin, elle pourrait tenter d'enfin lui soutirer des explications.
- Qui est Caleb ? demanda-t-elle. Comment vous vous connaissez ?
Victorien reposa le livre qu'il avait saisi en haut de la pile. Il ferma les yeux, ennuyé.
- Eloïse, je te l'ai déjà dit plusieurs fois. J'aimerais vraiment te donner les réponses que tu veux, mais je ne peux pas.
- Pourquoi ?
- Je ne peux pas. C'est tout. Autrement je l'aurais déjà fait.
Et cela leur aurait grandement facilité la vie. Eloïse ne comprenait pas ce qui l'empêchait de dire la vérité, même si sa frustration n'était pas directement dirigée vers Victorien. Plutôt vers les circonstances.
- J'aime de moins en moins le fait qu'il peut s'incruster dans ma tête comme ça lui chante, avoua-t-elle. J'aimerais trouver un moyen de l'en empêcher.
- Moi de même, répliqua Victorien, mais jusque là, je n'ai rien trouvé de concret.
- Et je voudrais comprendre qui il est et ses intentions. Il n'arrête pas de dire qu'il veut m'aider, mais j'ai de plus en plus la conviction qu'il me ment.
- Parce que c'est le cas.
En surface, il avait l'air absolument sincère dans ses propos, mais Eloïse savait qu'il ne fallait pas se fier à ça.
- Est-ce j'aurais des réponses un jour ? demanda-t-elle.
- J'espère. Mais elles ne viendront pas de moi.
- Franchement...
Elle posa le regard sur les sept livres de magie qui ne lui offraient aucune réponse. Combien de temps encore devrait-elle attendre ?
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