Chapitre 25: Septembre (9)


Eloïse passa par plusieurs courtes phases de conscience.

À chaque fois, elle fut incapable d'ouvrir les yeux ou de véritablement comprendre ce qui lui arrivait, mais des voix et des sons arrivèrent jusqu'à ses oreilles.

D'abord, ce fut Michaël, alarmé. Peut-être Victorien qui lui répondit. Eloïse ne saisissait pas ce qu'ils se racontaient.

Les impressions changèrent. Les heures s'écoulèrent – ou les minutes ? Un objet froid toucha son front. Une nouvelle fois, Eloïse perdit le fil.

La voix rassurante d'Ilyann l'entoura avant de disparaître. Elle voulait juste dormir. Pour combien de temps encore ?

Quand elle reprit pleinement conscience, ce fut pour tomber de son lit et s'écraser sur le parquet dans un grognement étouffé. Eloïse ouvrit ses yeux embués de fatigue et analysa la situation.

Elle se sentait horriblement raide. Un mal de crâne diffus la fit grimacer et elle remua sur le sol pour se retourner sur le ventre et s'appuyer sur ses avant-bras.

C'était sa chambre chez Victorien. Elle reconnaissait les pieds de son lit, sa table de nuit et le parquet sombre qui grinçait par endroits.

Ça, et une araignée qui marchait sous le lit de ses huit pattes.

Eloïse étrangla un cri et s'éloigna en se cognant la tête à sa table de nuit au passage.

- Aïe, articula-t-elle entre ses dents.

Il y avait trois choses dont elle avait la phobie : l'eau – elle ne savait pas pourquoi, d'ailleurs, mais avait été dispensée de piscine toute sa scolarité à cause de ça –, les lieux étroits et les araignées.

Eloïse se redressa en position assise et guetta nerveusement la créature de cauchemars qui n'avait pas demandé avant d'entrer ici. Au même moment, la porte de sa chambre s'ouvrit et Victorien s'engouffra à l'intérieur.

Il la dévisagea avec surprise quand il la vit par terre et surtout, consciente.

- Que...

- Il y a une araignée sous le lit, le coupa-t-elle.

Victorien, décontenancé, se pencha et constata que c'était le cas. Il étira son bras et attendit que l'araignée monte dessus, avant de se relever.

- Eloïse, c'est ridicule, elle est minuscule.

La magicienne avait couvert ses yeux de ses mains. L'araignée, elle, gambadait joyeusement sur la main de Victorien. Il poussa un soupir et traversa la chambre pour la mettre dehors.

La fenêtre s'ouvrit, puis se referma. Eloïse retira ses mains de son visage.

- Elle est partie ? vérifia-t-elle.

- Oui, elle est partie. Elle n'allait pas te manger.

- Je déteste les araignées.

Victorien la rejoignit et lui tendit une main, qu'elle saisit. Elle réussit à se relever essentiellement parce qu'il fit tout le travail. Ses jambes lui semblaient fatiguées comme si elle venait de faire une séance de sport intensif. Heureusement, Eloïse retrouva aussi vite le confort de son matelas sous son postérieur.

Victorien s'assit à côté d'elle.

- Comment tu te sens ? demanda-t-il.

- Très fatiguée et j'ai mal au crâne, sinon ça va. J'ai dormi combien de temps ?

- Cinq jours.

Eloïse crut d'abord à une blague, mais ce n'était pas le genre de Victorien de faire une chose pareille.

- Cinq jours ? s'horrifia-t-elle. Vraiment ?

- Vraiment. J'admets que c'était assez inquiétant et qu'Ilyann ne savait pas quoi faire.

Eloïse poussa un soupir. Si seulement elle avait fait plus attention à Isidorh, tout ceci ne serait pas arrivé.

- Désolée, marmonna-t-elle. Je n'ai pas assez surveillé mes arrières.

- C'est moi qui ai fait une erreur stratégique en t'amenant avec moi, répondit Victorien. Tu aurais dû rester ici et je serais allé m'en charger seul.

- Contre trois Phoenix ?

- Ils te cherchaient. Ils seraient partis en constatant que tu ne viendrais pas.

- Ils s'en seraient pris à Mila à la place. C'était elle qu'ils visaient avant mon arrivée.

- Je suis là pour m'assurer de ta sécurité, pas de la sienne.

La sollicitude, c'était trop lui en demander. Eloïse lui renvoya un regard noir.

- Mila va bien, précisa Victorien. Ça ne sert à rien de réfléchir à ce qui aurait pu se passer.

Soit, Eloïse le laisserait s'en tirer sans argumenter pour cette fois, elle n'en avait pas la force.

- Et les autres ?

- Aucun humain n'a été blessé. Michaël a déjà récupéré.

- Le AMI a pu arrêter Julien et Emma ?

- Non, Cassandre les a aidés à s'enfuir avant leur arrivée. Raven et Isidorh sont partis de leur côté.

- Oh.

Les laboratoires s'en tiraient toujours trop facilement à son goût.

- C'est tout ? déplora-t-elle. Je n'ai rien manqué d'autre que ça ?

- C'est tout, confirma Victorien. Ils sont tous partis dès qu'Isidorh en a eu terminé avec toi.

Eloïse se demandait sincèrement ce qu'il lui avait fait. Elle ne sentait rien de différent chez elle, à part peut-être un léger bourdonnement facile à ignorer qui résonnait au fond de son esprit.

- Qu'est-ce que les laboratoires m'ont fait, cette fois ? demanda-t-elle.

- Je ne sais pas, avoua Victorien. Ilyann et moi-même n'avons rien détecté. C'est toi qui doit être la plus avancée. Quelque chose de particulier s'est passé quand Isidorh t'a touchée ?

Eloïse hésita. La suite n'allait pas lui plaire.

- J'ai vu Caleb.

En effet, les yeux de Victorien se plissèrent et l'agacement envahit son visage, qui jusque là était resté neutre.

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Rien, répondit Eloïse. Il n'a rien fait.

- Je veux savoir précisément ce qui s'est passé. On verra si j'accepte de te croire ensuite.

Eloïse poussa un soupir et se frotta le front. Elle se remémora des quelques minutes passées en sa compagnie et en fit un résumé à Victorien, qui l'écouta silencieusement.

- Il n'a rien fait, répéta-t-elle.

- Il n'empêche qu'il serait temps qu'il cesse de t'approcher, asséna Victorien. Et qu'il soit moins tactile. Tu as quinze ans.

- Ça va, il n'était pas non plus collé à moi.

- Moins de deux mètres entre vous, c'est trop peu. La prochaine fois que tu le croises, dis-lui de garder ses distances une bonne fois pour toutes.

Caleb n'avait jamais rien fait d'inapproprié, mais soit... De toute façon, après cet épisode, Eloïse était de moins en moins sûre de vouloir lui faire confiance, même s'il avait affirmé vouloir l'aider face à Isidorh.

Quoi que... À bien y réfléchir, peut-être avait-il été sincère. Quand il lui avait pris les mains, Eloïse avait senti la douleur s'estomper. Était-ce une sorte de bouclier face à Isidorh ?

Non, Caleb n'avait pas utilisé de magie. Autrement, elle l'aurait senti. Enfin, elle le supposait, puisque cela avait été le cas les fois précédentes. À moins qu'il ne s'y soit pris autrement ? Eloïse n'en savait rien. Elle cessa d'y penser pour ne pas se faire des nœuds au cerveau.

Surtout qu'un autre détail se rappela à elle et fit monter sa nervosité en flèche.

- ... Est-ce que je suis renvoyée de mon lycée ?

Victorien arqua un sourcil.

- Non, tu ne l'es pas. Félicitations.

- Vraiment ?

- De ce que j'ai compris des propos rapportés par Michaël, le directeur de ton établissement a passé un accord avec le AMI pour qu'ils surveillent l'établissement en journée. C'est ce qui a motivé sa décision.

Eloïse avait presque du mal à y croire. Le directeur avait dû comprendre que si les magiciens voulaient attaquer Lille, ils n'attendaient pas qu'elle y soit pour s'y atteler.

- Les miracles existent, soupira-t-elle. Incroyable.

La magicienne retint à grand peine un bâillement. Cinq jours de sommeil pour qu'elle se sente toujours aussi fatiguée, à ses yeux, c'était du vol.

- Tu devrais te reposer, décréta Victorien. Si tu as faim, il y a à manger dans la cuisine.

- D'accord. Merci.

Il se leva et quitta sa chambre sans ajouter quoi que ce soit d'autre. La porte se ferma derrière lui et Eloïse s'allongea sur son matelas.

Cinq jours de sommeil, et pourtant, elle s'endormit en quelques minutes seulement.

La façade de "Panameän fe tsura" – littéralement "Printemps d'ailleurs" – n'avait rien de clinquant ou qui attirait particulièrement le regard. Pourtant, Synabella savait, après avoir fait des recherches dessus, que le prix médian des articles vendus à l'intérieur était de deux fois le salaire moyen de quelqu'un vivant à la Cité. Ce n'était pas pour rien que le magasin avait été décrit comme vendant des reliques de luxe. Elle s'était tout de même attendue à trouver une façade un peu plus travaillée qu'une plaque de bois peinte au motif de champ de blé.

Etan, à ses côtés, hésita avant d'entrer. Il ne se sentait pas du tout dans son élément.

- C'est moi qui paye, rappela Synabella. Tu n'as aucunement besoin d'avoir l'air riche, je le suis pour nous.

- Tu n'es pas riche, répondit Etan.

Surtout qu'elle était, tout comme lui, habillée de façon on ne peut plus basique. À quoi ressemblait la clientèle habituelle du magasin ?

- On s'en fiche, trancha Synabella. J'ai l'argent dans tous les cas.

- Je ne veux pas savoir d'où il vient.

- Je confirme.

Etan se décida à arracher le pansement et ouvrit la porte du magasin. Un clochette sonna pour signaler leur entrée et il s'engouffra dans la large pièce, Synabella sur les talons.

Il y avait une multitude d'étagères de bois sculptées où les reliques étaient disposées sur des coussins de velours. La lumière tamisée donnait une impression d'intimité, surtout avec les murs couverts de tapisseries qui devaient valoir une petit fortune et le parquet lustré.

Entre l'extérieur et l'intérieur, il y avait un monde.

Une vendeuse s'avança à la rencontre des deux magiciens dès qu'ils eurent fait trois pas à l'intérieur. Elle portait des vêtements bien plus ouvragés que les leurs, entre la dentelle, les pierres de courant qui sertissaient le tissus et les coutures au fil argenté.

- Bonjour, je peux vous aider ?

- J'espère bien, répondit Synabella. On cherche une baguette spécifique et on a vu qu'apparemment, c'est chez vous quelle se trouve.

- Suivez-moi, je vais vous montrer la section des baguettes.

Etan fut rassuré de ne voir aucun jugement dans son regard. Synabella et lui la suivirent jusqu'à fond de la pièce, où, similairement au reste du magasin, une cinquantaine de baguettes étaient exposées dans leurs écrins, protégées derrière une vitre qui devait être couverte de sortilèges.

- C'est pour quel courant ? demanda la vendeuse.

- Epsilon, précisa Synabella.

- Dans ce cas ce sera de ce côté, dans les étagères du milieu.

Elle leur désigna la zone précise, et après avoir échangé un bref regard, Synabella et Etan se séparèrent le travail d'analyse à la recherche de celle ayant appartenu à Anthropa Holloway.

Synabella fut bien plus rapide pour s'occuper de sa partie et rejoignit Etan sur la sienne. Le constat fut sans appel : ce qu'ils cherchaient n'était pas là.

- Pourtant c'était bien indiqué qu'elle se trouvait ici, argua Etan.

- Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ? s'enquit la vendeuse.

- Non, mais c'est bien dans votre magasin où elle était répertoriée.

- Vous auriez une photographie ou une référence à me montrer ?

Synabella sortit son téléphone de la poche de la veste, tapota sur l'écran de ses doigts habiles, puis montra une image de la baguette d'Anthropa à la vendeuse, qui la reconnut immédiatement.

- Oh, celle-là, oui. Je suis désolée, elle a été vendue il y a quelques jours.

Etan se retint de montrer toute réaction, contrairement à Synabella, qui fronça le nez avec dédain. Pourquoi avaient-ils l'impression qu'à chaque fois qu'ils s'approchaient de leur but, quelque chose venait se mettre en travers de leur chemin ?

- On peut vous demander à qui vous l'avez vendue ? l'interrogea Synabella.

La vendeuse, gênée, se gratta la joue.

- Cette baguette vous importe à ce point ?

- Oui. S'il faut que je la rachète à cette personne, je le ferai. Même si le prix augmente.

Etan ne voulait décidément pas savoir quelle somme d'argent elle avait emporté, ni dans quelles circonstances elle s'était retrouvée en sa possession.

- Je n'ai pas le nom de la personne, avoua la vendeuse. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il s'agissait d'une jeune fille. Vu l'uniforme qu'elle portait ce jour là, je peux décemment affirmer qu'elle étudie à l'académie Adénora Calléor, dans le quartier Lumineux.

- Ça me suffira, décréta Synabella. Merci de votre aide.

- Aucun problème, n'hésitez pas si vous avez besoin de moi pour autre chose.

La vendeuse vint s'occuper d'un autre client qui entra dans le magasin. Synabella et Etan en profitèrent pour mettre les voiles.

Dès qu'ils furent de retour dans la rue, Synabella sortit son téléphone portable et fit défiler sa liste de contacts.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Etan.

- Je ne perds pas de temps. La baguette est en possession de quelqu'un à l'académie Adénora Calléor ? On a des contacts là-bas. On va les mettre à profit.

Synabella appuya sur le nom d'Eden. À cette heure-ci, elle ne devait pas être en cours ou avoir tout juste terminé. La magicienne mit le haut-parleur et Etan et elle s'éloignèrent vers l'arche du quartier.

Eden faillit ne pas décrocher. Synabella, après cette nouvelle mésaventure, fut presque ravie d'entendre sa voix.

- Tiens, Synabella, que me vaut l'honneur de cet appel ? ironisa Eden.

- J'ai besoin d'informations sur une élève de l'académie. Une sorcière de courant Epsilon qui aurait acheté une nouvelle baguette il y a quelques jours.

- Tu es directe, toi.

- Directe et pressée. Si tu ne sais pas, trouve moi quelqu'un d'autre qui a la réponse.

Etan fit remarquer que ce ne serait sans doute pas si simple de mettre la main sur la sorcière. Synabella le foudroya du regard.

- Les sorciers de courant Epsilon, ça ne court pas les rues. Déjà qu'il n'y a pas beaucoup de sorciers à l'académie, il doit y en avoir encore moins de ce courant. Selon mes estimations, une ou deux personnes maximum. Ils savent forcément qui c'est.

- Peut-être, reconnut Eden. Deux secondes.

Synabella et Etan entendirent des paroles à moitié étouffées et de nouvelles voix se joindre à le conversation. Enfin, quelqu'un fut de retour à l'autre bout du fil.

- Naya, dit platement Andromeda. Naya Albaardan. Elle a changé de baguette il y a peu et n'a pas arrêté d'en parler. C'est une sorcière de courant Epsilon de ma classe.

- À tout hasard, est-ce que c'est parce qu'il s'agit d'une baguette de luxe ayant appartenu à une personnalité connue et qu'elle a coûté très cher ? vérifia Synabella.

- Oui, ses parents sont riches.

- Alors on tient notre piste. Tu peux confirmer que c'est bien celle-là si je t'envoie une photo ?

Synabella n'attendit pas de réponse de la part d'Andromeda et lui transmit l'image. Il y eut un court silence où ils entendirent Eden et Lucas se chamailler en fond.

- C'est exactement celle-là, confirma Andromeda.

- Dans ce cas, il faut que tu essaies de la convaincre de me la vendre.

- ... Elle coûte très cher, non ?

- J'ai les moyens.

Eden récupéra son téléphone, piquée au vif.

- Tu veux sérieusement qu'on marchande avec une autre élève et qu'on lui donne de l'argent que tu as trouvé je-ne-sais où ?

- On a besoin de cette baguette pour retirer la magie du ciel, répliqua Synabella. J'espère bien que vous allez réussir à négocier avec une adolescente.

- Naya est têtue, fit remarquer Andromeda. Très têtue.

- Tout le monde a un point de rupture. Je veux cette baguette. Faites de votre mieux.

Synabella raccrocha et la voix outrée d'Eden fut coupée au milieu d'une phrase. Elle rangea son téléphone dans sa poche, mi-ravie, mi-excédée, tandis qu'Etan, à ses côtés, cachait sa gêne.

Le minimum de la politesse aurait été de les remercier et de leur dire au revoir. Il avait depuis longtemps compris que Synabella ne s'embarrassait pas de ce genre de choses quand elle n'était pas d'humeur. Pour se donner bonne conscience, il envoya un message à Eden pour s'excuser du comportement de sa camarade, en précisant que tous les obstacles qu'ils avaient rencontré jusque là la rendaient à cran.

- Tu penses qu'on va réussir à récupérer cette baguette ? soupira-t-il. Ou si on ferait mieux de chercher ailleurs ?

- Ce n'est pas une gosse riche qui va me bloquer la route, répliqua Synabella. S'il faut l'écraser, ce sera fait.

Etan ne voulait pas l'admettre à voix haute, mais si Andromeda pouvait convaincre Naya de leur revendre la baguette – de préférence en usant d'une méthode douce, pas comme aurait fait Synabella –, un poids quitterait aussitôt ses épaules.

Toutes ces recherches avaient été frustrantes. Il souhaitait que la situation soit résolue une bonne fois pour toutes sans qu'ils n'aient à explorer une autre piste.

Suffisamment de temps avait déjà été perdu.

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